N° 34

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2024-2025

Enregistré à la Présidence du Sénat le 16 octobre 2024

RAPPORT

PRÉSENTÉ

au nom de la commission des finances (1) sur le projet de loi,
rejeté par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée,
relative aux
résultats de la gestion et portant approbation des comptes
de l'année 2023,

Par M. Jean-François HUSSON,
Rapporteur général,

Sénateur

TOME II
CONTRIBUTION DES RAPPORTEURS SPÉCIAUX

ANNEXE N° 19
Médias, livre et industries culturelles

COMPTE DE CONCOURS FINANCIERS : AVANCES À L'AUDIOVISUEL PUBLIC

Rapporteur spécial : M. Jean-Raymond HUGONET

(1) Cette commission est composée de : M. Claude Raynal, président ; M. Jean-François Husson, rapporteur général ; MM. Bruno Belin, Christian Bilhac, Jean-Baptiste Blanc, Emmanuel Capus, Thierry Cozic, Bernard Delcros, Thomas Dossus, Albéric de Montgolfier, Didier Rambaud, Stéphane Sautarel, Pascal Savoldelli, vice-présidents ; M. Michel Canévet, Mmes Marie-Claire Carrère-Gée, Frédérique Espagnac, M. Marc Laménie, secrétaires ; MM. Arnaud Bazin, Grégory Blanc, Mme Florence Blatrix Contat, M. Éric Bocquet, Mme Isabelle Briquet, M. Vincent Capo-Canellas, Mme Marie-Carole Ciuntu, MM. Raphaël Daubet, Vincent Delahaye, Vincent Éblé, Rémi Féraud, Stéphane Fouassin, Mme Nathalie Goulet, MM. Jean-Raymond Hugonet, Éric Jeansannetas, Christian Klinger, Mme Christine Lavarde, MM. Antoine Lefèvre, Dominique de Legge, Victorin Lurel, Hervé Maurey, Jean-Marie Mizzon, Claude Nougein, Olivier Paccaud, Mme Vanina Paoli-Gagin, MM. Georges Patient, Jean-François Rapin, Mme Ghislaine Senée, MM. Laurent Somon, Christopher Szczurek, Mme Sylvie Vermeillet, M. Jean Pierre Vogel.

Voir les numéros :

Assemblée nationale (17ème législ.) : 3, 291 et T.A. 3

Sénat : 32 (2024-2025)

LES PRINCIPALES OBSERVATIONS
DU RAPPORTEUR SPÉCIAL

1. Les dépenses de la mission « Médias, livre et industries culturelles » s'élèvent en 2023 à 731,7 millions d'euros en autorisations d'engagement (AE) et 725,7 millions d'euros en crédits de paiement (CP). Cela représente une forte hausse par rapport à 2022, de 16 % en CP (soit 100 millions d'euros de plus) et de 16,4 %, soit 104 millions d'euros en AE. Malgré cette évolution, les crédits consommés en 2023 restent inférieurs de 20 millions d'euros en CP au niveau de 2021. Le montant des crédits consommés est ainsi supérieur de 30 millions d'euros en AE et 21 millions d'euros en CP aux prévisions.

2. Alors que la mission avait bénéficié d'une part très importante de crédits du plan de relance et de France 2030, l'enquête rendue à la commission des finances par la Cour des comptes sur l'utilisation de ces crédits incite à la réflexion en mettant en avant les lacunes de leur gestion.

3. Alors que le montant des aides à la presse est supérieur à celui prévu en loi de finances pour 2023, il est nécessaire de mettre en place une réforme d'ampleur à l'issue des États généraux de l'information, en particulier s'agissant des aides à la diffusion.

4. Le compte de concours financiers « Avances à l'audiovisuel public » est désormais alimenté uniquement par une fraction de taxe sur la valeur ajoutée, pour un montant s'élevant à 3,795 milliards d'euros en 2023. Les crédits accordés à l'audiovisuel public ont augmenté de près de 100 millions d'euros entre 2022 et 2023 et de 389 millions d'euros entre 2023 et 2024.

5. Dans le contexte législatif de réorganisation d'ensemble de l'audiovisuel public et de contrainte budgétaire forte, la trajectoire fortement haussière envisagée par le Gouvernement d'ici 2028 ne peut qu'interroger.

6. L'impréparation des précédents gouvernements s'agissant du futur du financement de l'audiovisuel public a été maintes fois soulignée, dans la mesure où le financement actuel ne peut être prolongé après décembre 2024 sans modification législative. Alors que le temps disponible pour mener à bien cette réforme se compte désormais en semaines compte tenu du calendrier parlementaire, il est plus qu'urgent de trouver une solution budgétaire satisfaisante et pérenne pour l'audiovisuel public.

I. LA MISSION « MÉDIAS, LIVRE ET INDUSTRIES CULTURELLES »

A. DES CRÉDITS EN HAUSSE MAIS UNE EXÉCUTION CONFORME À LA PRÉVISION

La mission « Médias, Livre et industries culturelles » du budget général contribue à la mise en oeuvre de l'action du ministère de la culture en faveur du développement et du pluralisme des médias, du secteur du livre et de la lecture, de l'industrie musicale et de la protection des oeuvres sur internet.

Elle est composée de deux programmes :

- le programme 180 « Presse et médias » centré sur le renforcement de la vitalité, du pluralisme et du développement de la presse et des médias, notamment au niveau local. Il n'intègre pas les crédits dédiés à l'audiovisuel public, retracés au sein d'un compte de concours financiers spécifique ;

- le programme 334 « Livre et industries culturelles » est dédié à la diversité et au renouvellement de la création, quels que soient les secteurs (livre, musique, audiovisuel, cinéma et jeu vidéo), et à l'élargissement de la diffusion des oeuvres. Les crédits dédiés au cinéma sont constitués, pour l'essentiel, de taxes affectées au Centre national du cinéma et de l'image animée (CNC) et ne sont donc pas intégrés dans ce programme.

La mission ne comporte aucune dépense de personnel, les crédits dédiés étant retracés au sein du programme 224 « Soutien aux politiques du ministère de la culture » rattaché à la mission « Culture ».

1. Une hausse des crédits de la mission en 2023 demeurant à un niveau inférieur à celui de 2021

Les dépenses de la mission se sont élevées en 2023 à 731,7 millions d'euros en autorisations d'engagement (AE) et 725,7 millions d'euros en crédits de paiement (CP). Cela représente une forte hausse par rapport à 2022, de 16 % en CP (soit 100 millions d'euros de plus) et de 16,4 %, soit 104 millions d'euros en AE.

Il faut cependant noter que malgré cette évolution, les crédits consommés en 2023 restent inférieurs de 20 millions d'euros en CP au niveau de 2021. La mission avait alors bénéficié d'ouvertures de crédits en gestion afin d'accompagner la sortie de crise des différents secteurs fragilisés par les mesures sanitaires (cinéma et musique essentiellement).

Évolution des crédits de la mission

(en millions d'euros)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires

Les crédits de la mission sont en outre légèrement sur-exécutés par rapport à ceux prévus en loi de finances initiale (LFI) pour 2023. Le montant des crédits consommés est ainsi supérieur de 30 millions d'euros en AE et 21 millions d'euros en CP aux prévisions.

Exécution des crédits de la mission par programme en 2023

(en millions d'euros et en %)

Programme

Crédits exécutés 2022

LFI 2023

Crédits exécutés 2023

Variation exécution / prévision 2023

Variation 2022/2023

P. 180 - Presse et médias

AE

274,97

372,05

398,85

7,20 %

45,05 %

CP

290,48

371,01

390,38

5,22 %

34,39 %

P. 334 - Livres et industries culturelles

AE

352,5

330,34

332,81

0,75 %

- 5,59 %

CP

335,43

333,85

335,27

0,42 %

- 0,05 %

TOTAL

AE

627,47

702,39

731,66

4,17 %

16,60 %

CP

625,9

704,86

725,65

2,95 %

15,94 %

Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires

Contrairement aux années précédentes, où le programme 334 dédié aux industries culturelles était fréquemment surexécuté et le programme 180 « Presse et médias » sous-consommé, le programme 334 a fait l'objet d'une exécution conforme aux prévisions en LFI. En revanche, les crédits du programme 180 ont fait l'objet d'abondements en gestion entraînant une exécution supérieure de 7 % en AE et 5 % en CP aux prévisions initiales.

Mouvements de crédits intervenus en gestion pendant l'exercice 2023

(en millions d'euros)

CP AE

Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires

2. Une exécution quasi-conforme à la prévision budgétaire pour les opérateurs

Si aucun opérateur n'est rattaché au programme 180 « Presse et médias », quatre opérateurs le sont au programme 334 « Livre et industries culturelles » : la Bibliothèque nationale de France (BNF), la Bibliothèque publique d'information (BPI), le Centre national de la musique (CNM) et le Centre national du livre (CNL). Un cinquième opérateur, le Centre national du cinéma (CNC), est également rattaché au programme mais ne dispose d'aucune ressource budgétaire et est financé par des ressources fiscales spécifiques.

L'enveloppe consacrée à la BNF s'établit à 242 millions d'euros en CP, soit une progression de 10 millions d'euros par rapport à 2022. Il s'agit de la plus importante subvention versée à un opérateur du ministère de la culture.

L'exercice 2023 se traduit par une exécution quasi-conforme à la prévision budgétaire s'agissant des opérateurs du programme 334.

Montant des crédits versés aux opérateurs rattachés
au programme 334 « Livres et industries culturelles » entre 2021 et 2023

(en millions d'euros)

 

Exécution 2021

Exécution 2022

Prévisions 2023

Exécution 2023

AE

CP

CP

AE

CP

CP

AE

CP

Bibliothèque nationale de France (BnF)

242,36

224,03

224,03

220,03

228,773

232,773

240,458

242,946

Bibliothèque publique d'information (BPI)

7,08

15,78

15,78

42,80

7,508

9,332

7,642

9,442

Centre national du livre (CNL)

23,62

27,40

27,40

27,40

28,452

28,452

27,801

27,801

Centre national de la musique (CNM)

58,32

26,81

26,81

26,81

27,775

27,775

27,607

27,607

Total

331,38

294,02

294,02

317,04

292,508

298,332

303,508

307,796

Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires

B. LES OBSERVATIONS DU RAPPORTEUR SPÉCIAL

1. Une réforme des aides à la presse lancée en 2023 dans l'attente des États généraux de l'information

L'action n° 2 du programme 180 recense trois types d'aides à la presse : les aides à la diffusion, les aides au pluralisme et les aides à la modernisation du secteur. Le montant total des aides à la presse devait atteindre 197,5 millions d'euros en AE et 196,5 millions en CP en 2023 selon les prévisions en LFI. Il s'élèvera finalement en exécution à 225 millions d'euros en AE et 216 millions d'euros en CP, auxquels s'ajoutent en gestion une contribution de 8 millions d'euros au titre des restes à payer du plan de relance.

Cette surconsommation était malheureusement prévisible. Le rapporteur spécial avait noté dans son rapport sur le projet de loi de finances pour 2023 que les crédits prévus avaient été manifestement sous-évalués, le ministère de la culture annonçant une régularisation en fin d'exercice. La réforme des aides à la distribution, intervenue en projet de loi de finances pour 2022, a finalement été mise en place à partir du 1er janvier 2023. Celle-ci a débouché sur la mise en oeuvre d'une nouvelle aide à l'exemplaire à double barème : l'un concernant les exemplaires postés et l'autre pour les exemplaires portés.

Le volet dédié aux exemplaires postés est destiné aux éditeurs des publications d'information politique et générale (IPG) et quotidiens à faibles ressources publicitaires ou à faibles ressources de petites annonces (QFRP/QFRA), d'une périodicité au maximum hebdomadaire. Cette aide, prenant pour assiette les volumes enregistrés au cours du mois précédent, n'a effectivement été payée que sur 11 mois (premier paiement en février au titre des volumes de janvier et dernier paiement en décembre au titre des volumes de novembre). Les volumes de décembre 2023 seront pris en compte en 2024.

73,75 millions d'euros ont été versés à La Poste au titre de l'aide à l'exemplaire pour les titres de presse postés en 2023, soit plus de 10 millions d'euros par rapport à 2022 (62,3 millions d'euros).

Afin d'encourager le portage, le montant de l'aide à l'exemplaire devrait diminuer à compter du 1er janvier 2024, sauf pour les exemplaires distribués dans les communes situées dans les zones dites peu denses.

Le second volet vise les titres portés par un réseau ou par une composante d'un réseau ayant conclu une convention-cadre avec la direction générale des médias et des industries culturelles du ministère de la culture et qui seront donc éligibles au dispositif. Un montant incitatif est mis en place pour les publications IPG hebdomadaires afin de les inciter à recourir à ce dispositif. La dotation allouée à l'aide à l'exemplaire pour les titres de presse portés a été majorée en 2023 de 8,6 millions d'euros par rapport à 2022 et atteint ainsi 35,1 millions d'euros. Cette hausse est légèrement inférieure à celle anticipée en LFI, dans la mesure où les crédits prévus en LFI 2023 étaient supposés être supérieurs de 12,6 millions d'euros (AE=CP) à ceux de l'année précédente.

L'exécution 2023 s'effectue dans un contexte de crise durable du secteur de la presse écrite. Les difficultés structurelles du secteur, dans un contexte de concurrence avec d'autres modes d'information, font l'objet de multiples analyses. Le chiffre d'affaires global du secteur a reculé de 6 % entre 2019 et 2022, et cette tendance est amenée à durer. En particulier, la diminution des recettes publicitaires (- 2,8 % depuis 2019) interroge notamment sur la capacité du secteur à mobiliser des ressources propres.

À ce constat structurel s'ajoute les hausses conjoncturelles découlant de l'actualité internationale d'une part et de l'inflation, en particulier du coût du papier, d'autre part. En 2022, la presse a connu une très forte hausse du prix du papier qui se traduit par un poids croissant de ce poste de dépenses dans la structure des coûts de production.

Pour y faire face, il a été mis en place en 2023 une aide exceptionnelle d'un montant de 30 millions d'euros à destination des entreprises de presse particulièrement affectées par les conséquences économiques et financières de la guerre en Ukraine, en raison de la hausse de certains coûts de production des publications imprimées1(*). Cette dotation supplémentaire a bénéficié à 506 publications pour un montant moyen de 58 500 euros.

Au-delà du soutien à la presse, une des questions centrales est celle de la réforme des aides à la diffusion dans un contexte de très forte tension sur la filière. En effet, la diffusion par abonnement connaît une forte diminution : - 7,3 % en 2022 par rapport à 2021 et - 19,3 % par rapport à 2019 pour la presse quotidienne nationale d'une part, et 5,8 % et - 12,6 % pour la presse quotidienne régionale.

Celle-ci n'atteint toutefois pas le rythme de la vente au numéro, qui a diminué pour l'ensemble de la presse de respectivement - 8,4 % par rapport à 2021 et - 31,1 % par rapport à 2019. Pour la seule presse quotidienne, les chiffres sont vertigineux : les ventes de la presse quotidienne nationale ont diminué de - 7,7 % entre 2021 et 2022 et de - 53,5 % entre 2019 et 2022 et celles de la presse quotidienne régionale de respectivement - 8,8 % et - 27,6 %.

Ventes au numéro en France

(en millions d'exemplaires et en %)

Source : commission des finances

La corrélation entre la nature actuelle des aides et leurs modalités d'attribution, d'un côté, et les défis posés en termes industriels par la mutation de l'accès à l'information et les conséquences de celle-ci sur la vie de titres de presse, de l'autre, doivent servir de points cardinaux à une réforme d'ampleur du régime d'aides. Il est indispensable que les États généraux de l'information actuellement en cours débouchent sur des propositions concrètes sur ce point.

Des pistes à explorer pour l'indispensable réforme
des aides à la distribution

Les conclusions du rapport de l'inspection générale des finances (IGF) et de l'inspection générale des affaires culturelles (IGAC) sur la distribution de la presse imprimée2(*) ont été publiées fin 2023. La mission projette ainsi une baisse de la vente au numéro de 62 % à horizon 2030.

La mission a pu établir que les acteurs du système de distribution présentaient des fragilités, avec des modèles économiques en souffrance, exacerbées par le contexte baissier des ventes : France Messagerie mais aussi les acteurs intermédiaires de distribution. Dans ce contexte, une hausse des coûts unitaires de distribution est probable dans les prochaines années, ce qui pourrait conduire les éditeurs à limiter leur assiette de distribution, accélérant ainsi la baisse des ventes : la mission identifie ainsi un risque majeur de spirale de destruction de valeur.

Face à ces perspectives, la mission propose quatre scénarios d'évolution du système de distribution de la presse quotidienne nationale au numéro et de son accompagnement par la puissance publique. Les deux premiers se distinguent par le caractère tranché des considérations sur l'avenir et l'intérêt de la vente au numéro. Les deux suivants sont davantage incrémentaux. Deux d'entre eux ont un impact direct sur le modèle de financement pris en charge par le biais du programme 180.

Deux scénarios impliquent spécifiquement de moduler l'aide à France Messagerie. Le premier scénario consiste en un retrait progressif de la subvention de 9 millions d'euros allouée à France Messagerie en maintenant l'aide aux éditeurs de 18 millions d'euros, par lequel l'État pourrait accompagner l'évolution du modèle économique de la presse quotidienne nationale. Le troisième scénario consiste à déployer une optimisation ambitieuse des conditions de fonctionnement et de financement de la diffusion, en s'appuyant sur la double action de la péréquation et de l'aide à la distribution et sur la remontée de la subvention de 9 millions d'euros touchée par France Messagerie dans les comptes d'exploitation des éditeurs de presse.

Il est nécessaire de s'appuyer rapidement sur ces constats et ces propositions pour mettre en place une réforme ambitieuse des aides à la diffusion.

Source : commission des finances d'après l'IGF-IGAC

2. Une solution de financement votée fin 2023 pour le Centre national de la musique

Le rapporteur spécial avait exprimé, à l'occasion de l'examen des crédits du Centre national de la musique en projet de loi de finances pour 2023, une certaine inquiétude quant à son modèle de financement.

Mis en place le 1er janvier 2020, avec pour ambition de devenir l'équivalent, dans le domaine de la musique, du Centre national du cinéma et de l'image animée (CNC), le Centre national de la musique (CNM) disposait en 2023 de trois sources de financement :

- le produit de la taxe sur les spectacles de musiques actuelles et de variétés ;

- la dotation budgétaire anciennement accordée au centre national de la chanson, des variétés et du jazz (CNV) dont il a pris la suite, à laquelle s'ajoutent les crédits budgétaires initialement dédiés au Centre d'information et de ressources pour les musiques actuelles (IRMA), au fonds pour la création musicale (FCM), au club action des labels et disquaires indépendants (CALIF) ou au Bureau export de la musique ;

- une contribution volontaire des organismes de gestion collective, reprenant celle versée autrefois aux structures fusionnées au sein du CNM.

La crise sanitaire et la fermeture des salles de spectacle ont remis en question le rendement de la taxe sur les spectacles quand l'arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne sur les droits voisins du 8 septembre 2020 a fragilisé la capacité contributive des organismes de gestion agréés (OGC)3(*).

À l'inverse le CNM a bénéficié d'une montée en charge de sa dotation budgétaire, établie en 2023 à 27,7 millions d'euros (AE = CP). Il a également largement bénéficié des crédits du Plan de relance (175 millions d'euros en 2021 et 30 millions d'euros en 2022 en AE=CP dont 10 millions d'euros d'appui budgétaire). Ces crédits supplémentaires ont permis au CNM d'aider l'ensemble du secteur, sans être affaiblis par la baisse du produit de la taxe sur les spectacles et de la contribution des OGC.

Le rapporteur spécial avait relayé lors de l'examen des crédits de la mission à l'occasion du projet de loi de finances pour 2023 les incertitudes sur le financement au-delà de l'exercice 2022, dans un contexte de montée en puissance du CNM et d'augmentation continue des crédits d'impôts gérés par le CNM.

Évolution de la dépense fiscale afférente aux crédits d'impôts
supervisés par le Centre national de la musique

(en millions d'euros)

Source : commission des finances, d'après les documents budgétaires

Le schéma de financement initialement envisagé pour le CNM en 2023 n'aboutissait qu'à un budget total d'environ 67 millions d'euros, permettant, une fois déduits les frais de fonctionnement et les aides automatiques, d'accorder entre 25 et 30 millions d'euros d'aides sélectives, ce qui représentait un montant largement en deçà des aides annuellement accordées par le CNM depuis sa création et des besoins de la filière musicale, que le CNM estimait à environ 60 millions d'euros.

Pour répondre à cette difficulté, le Sénat a donc adopté lors du vote du projet de loi de finances pour 2024 un amendement visant à adopter le principe d'une taxe sur les plateformes de streaming musical, retenu dans le texte final4(*). La taxation de la musique enregistrée constituait une mesure d'équité face au secteur du spectacle vivant, lequel finançait le CNM par le biais de la taxe sur les spectacles. Il y a lieu de se féliciter de cette solution, qui constitue une issue durable aux difficultés de financement du centre.

3. Un poids important des crédits exceptionnels dont l'utilisation doit alerter

Depuis le premier programme d'investissement d'avenir (PIA) jusqu'au plan France 2030, la part des crédits dits « exceptionnels » dédiés au secteur de la culture n'a cessé d'augmenter, jusqu'à atteindre plus de 3 milliards d'euros cumulés au cours des cinq dernières années. Le financement d'un certain nombre de dispositifs relevant de la mission « Médias, livres et industrie culturelles » s'effectue par des crédits relevant du plan France 2030. Parmi eux, la « Grande fabrique de l'image » bénéficie de 350 millions d'euros de crédits.

Afin de disposer d'une meilleure visibilité sur ces financements, la commission des finances avait confié au nom de la commission des finances la réalisation d'une enquête à la Cour des comptes au titre du 2° de l'article 58 de la loi organique relative aux lois de finances5(*). Le panorama qui ressort de ces travaux doit impérativement conduire à une réflexion sur l'usage qui a été fait de ces financements publics : lacunes dans le pilotage et l'évaluation malgré l'importance des moyens consacrés ; absence de lisibilité des dispositifs ; faiblesse du rôle de contrôle laissé au Parlement ; liens avec les filières culturelles parfois limités.

La stratification des programmes et des actions, ainsi que la multiplicité des objectifs, certains gérés directement par le ministère de la Culture ou le SGPI, d'autres confiée à des opérateurs, rendent extrêmement complexe l'établissement d'un panorama global de ces crédits, en dépit de l'importance des montants.

Une partie des crédits du plan de relance devait faire l'objet d'un remboursement par l'Union européenne (UE). Ce montant, initialement conséquent (702 millions d'euros, soit près de 4/5e du volet « Culture » du plan) a été fortement diminué du fait du retrait des plans de filières « Presse », « Livre » et « Cinéma » de la demande de remboursement auprès de l'UE. Le montant maximal potentiellement remboursé à la France ne serait donc désormais que de 393 millions d'euros.

Si le plan de relance a bénéficié à l'ensemble des industries culturelles, la Cour des comptes relève également que les plans d'investissement ont été massivement orientés vers quelques filières : « le cinéma, l'audiovisuel, l'image animée ou le numérique sont clairement privilégiés » car celles-ci étaient davantage « proactives ». L'exemple le plus frappant est l'appel à projet « la grande fabrique de l'image » dont l'angle phare est l'aménagement ou la modernisation d'une dizaine de grands studios de tournage, se voulant compétitifs avec les plus grands studios internationaux (153 000 m² de plateaux de tournage et 187 000 m² de décors extérieurs permanents devant être construits d'après le ministère). Si ce programme représente selon la Cour des comptes un « “passage à l'échelle" significatif », il est cependant possible de s'interroger sur le dimensionnement du projet au regard du volume actuel des tournages sur le territoire français. En outre, la Cour note que « bien que le CNC ait indiqué dans sa réponse à la Cour que l'appel à projets ne s'adressait pas à des projets reposant à plus de 30 % sur une subvention de France 2030, 27 projets [sur 68] ne respectent pas cette condition », ce qui doit interroger sur la viabilité à terme de certains d'entre eux.

II. LE COMPTE DE CONCOURS FINANCIERS « AVANCES À L'AUDIOVISUEL PUBLIC »

A. LE COMPTE DE CONCOURS FINANCIERS EST INTÉGRALEMENT ALIMENTÉ PAR UNE FRACTION DE TVA DEPUIS 2023

L'article 6 de la loi n° 2022-1157 du 16 août 2022 de finances rectificative pour 2022 a, en effet, supprimé, dès 2022, la contribution à l'audiovisuel public (CAP), pour la remplacer, jusqu'en 2025, par une fraction du produit de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA). Le compte de concours financiers « Avances à l'audiovisuel public », qui retrace l'intégralité des crédits destinés aux organismes de l'audiovisuel public, comprend donc désormais :

en recettes, la fraction du produit de la TVA nécessaire au financement des sociétés de l'audiovisuel public ;

en dépenses, le montant des avances accordées aux organismes de l'audiovisuel public, réparties au sein de six programmes, correspondant aux différentes sociétés de l'audiovisuel public (841 - France Télévisions, 842 - ARTE France, 843 - Radio France, 844 - France Médias Monde, 845 - l'Institut national de l'audiovisuel (INA) et 846 - TV5 Monde).

Deux-tiers du compte de concours sont affectés à France Télévisions.

Répartition de la part du produit de TVA
affectée aux sociétés de l'audiovisuel public en 2023

Source : commission des finances, d'après les documents budgétaires

En 2022, les montants consommés se situaient en deçà du montant fixé en loi de finances pour les six programmes du compte de concours financiers. Sont consommés en 2023 3,795 milliards d'euros au lieu des 3,815 milliards d'euros ouverts en LFI.

Montants accordés aux sociétés d'audiovisuel public

(en millions d'euros)

 

2022

Prévisions LFI 2023

Exécution 2023

Écart prévision / exécution

France Télévisions

2 406,80

2 430,51

2 430,51

0,00

ARTE France

278,65

284

278,18

- 5,82

Radio France

588,79

623,41

623,41

0,00

France Médias Monde

259,56

284,73

284,86

0,13

Institut national de l'audiovisuel

89,74

93,63

93,63

0,00

TV5 Monde

77,77

79,97

79,97

0,00

Total

3 701,32

3 815,71

3 796,85

- 18,86

Source : commission des finances, d'après les documents budgétaires

Cet écart découle d'ajustements pour tenir compte des effets fiscaux de la réforme. La contribution à l'audiovisuel public était soumise à la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) depuis 19696(*), et bénéficiait d'un taux dit « super-réduit » de 2,10 %. Le remplacement de la CAP par une fraction de TVA a eu pour conséquence d'entraîner l'assujettissement des sociétés de l'audiovisuel public concernées à la taxe sur les salaires, ainsi qu'une remise en cause du droit à déduction des entreprises. La fraction de TVA accordée inclut donc en retour une part supplémentaire destinée à compenser la hausse des prélèvements des entreprises.

Le Gouvernement s'est engagé à compenser ces charges nouvelles lors de la fixation de la trajectoire financière du secteur et avait intégré en LFI 2023 un montant correspondant à cette compensation pour les entités ayant vocation à voir leur situation en matière de droits à déduction évoluer en vue de neutraliser une éventuelle baisse de ces droits. Or, contrairement à ce qui avait été anticipé, la mise en place d'un financement via la TVA n'aboutit pour aucune société, à l'exception de France Médias Monde, à un changement de statut vis-à-vis de leur régime de droit à déduction de cette taxe.

Si Arte France semblait initialement être concernée par la perte de ses droits à déduction de TVA, il a pu être confirmé dans le cadre des procédures de rescrit que seule France Médias Monde voyait se réduire sa possibilité de déduire la TVA. Cette décision a entraîné un retraitement de la compensation d'ARTE France à hauteur de 18,8 millions d'euros qui s'est traduit en loi de finances de fin de gestion7(*) par une diminution d'autant de la fraction de TVA affectée à ARTE.

Mouvements en gestion des crédits
accordés aux sociétés d'audiovisuel public

(en millions d'euros)

Source : commission des finances, d'après les documents budgétaires

Comme chaque année, il convient de rappeler les réserves exprimées à maintes reprises sur la compatibilité du compte de concours financiers avec l'article 24 de la loi organique relative aux lois de finances du 1er août 20018(*).

Aux termes de celui-ci, les comptes de concours financiers doivent, en effet, retracer les prêts et avances consentis par l'État. Un compte distinct doit être ouvert pour chaque débiteur ou catégorie de débiteurs. Les opérations doivent se solder, en cours d'année, par le versement d'intérêts qui auraient vocation à alimenter le budget général en tant que recettes non fiscales ou en fin d'année, par le remboursement du principal venant en recette du compte de concours financiers. Ces comptes sont, par ailleurs, dotés de crédits limitatifs9(*).

Les dépenses du CCF « Avances à l'audiovisuel public » ne constituent pas, cependant, des avances à proprement dit mais plutôt des dotations. Le compte n'est, en outre, pas équilibré par les remboursements des sociétés mais par une contribution de l'État (produit de la CAP jusqu'en 2022 puis fraction du produit de la TVA).

B. LES OBSERVATIONS DU RAPPORTEUR SPÉCIAL

1. Une hausse continue des crédits qui doit interroger sur la trajectoire budgétaire dans le contexte de réforme de l'audiovisuel public

La trajectoire d'économies sur cinq ans de 190 millions d'euros demandée aux sociétés d'audiovisuel public par le Gouvernement a pris fin en 2022, chacune d'entre elles ayant été mises à contribution. Les crédits accordés à l'audiovisuel public ont augmenté de près de 100 millions d'euros entre 2022 et 2023 et de 389 millions d'euros entre 2023 et 2024. Cette dernière hausse devait être initialement de 209 millions d'euros, mais 20 millions de crédits ont été annulés par le décret de février 202410(*). La moitié de la hausse des crédits accordée entre 2022 et 2024 a bénéficié à France Télévisions.

La prochaine génération des contrats d'objectifs et de moyens (COM) conclus entre l'État et l'audiovisuel public pour la période 2024-2028 devrait prévoir un maintien de cette trajectoire haussière de 446 millions d'euros supplémentaires accordés entre 2024 et 2028. Étant donné le contexte budgétaire actuel, il est étonnant de voir l'audiovisuel public dispensé des efforts demandés à la plupart des opérateurs de l'État et sociétés publiques.

En outre, cette trajectoire s'inscrit dans un contexte général de réorganisation d'ensemble de l'audiovisuel public, la proposition de loi adoptée par le Sénat prévoyant la mise en place à partir de 2025 d'une holding commune à toutes les sociétés d'audiovisuel public devant vraisemblablement être modifiée à l'Assemblée nationale afin d'aller vers une fusion de tout ou partie de ces sociétés à partir du 1er janvier 202611(*). Les conséquences budgétaires de ces évolutions législatives sont en tout état de cause difficilement prévisibles pour l'heure.

2. L'urgence d'une solution de financement pérenne

À l'initiative du Sénat, l'article 6 de la loi du 16 août 2022 de finances rectificative pour 2022 prévoit que l'affectation d'une fraction du produit de TVA au financement de l'audiovisuel public devra prendre fin au 31 décembre 2024.

Il s'agit, de la sorte, de respecter la nouvelle rédaction de l'article 2 de la loi organique relative aux lois de finances telle qu'issue de la loi organique n° 2021-1836 du 28 décembre 2021 relative à la modernisation de la gestion des finances publiques (article 3). Celle-ci prévoit en effet, à compter de la loi de finances pour 2025, que pour un tiers (hors organismes de sécurité sociale ou collectivités territoriales) bénéficiant déjà d'une affectation de taxe, celle-ci ne peut être maintenue que si elle est en lien avec les missions de service public qui lui sont confiées. Or le lien entre consommation et audiovisuel public apparaît difficile à étayer.

En conséquence, le mode de financement de l'audiovisuel public à partir de 2025 n'est toujours prévu par aucun texte. Les députés Jean-Jacques Gaultier et Quentin Bataillon, respectivement président et rapporteur de la mission d'information sur l'avenir de l'audiovisuel public, dont les conclusions ont été présentées en juin 2023, avaient, à l'issue des travaux de la mission, déposé une première proposition de loi organique (PPLO).

Celle-ci comportait deux volets :

- une pérennisation du système actuel d'affectation de TVA pour les organismes de l'audiovisuel public ;

- une ouverture pour la mise en place d'un prélèvement sur recettes spécifiques pour Arte.

Cette première proposition de loi organique n'a jamais été inscrite à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale. Les mêmes Jean-Jacques Gaultier et Quentin Bataillon ont déposé le 10 mai 2024 une nouvelle proposition de loi organique, qui sera la version du texte discutée prochainement à l'Assemblée nationale. Son article unique prévoit la possibilité d'instaurer en loi de finances un prélèvement sur recettes à destination des sociétés de l'audiovisuel public. Cette solution était jugée « peu réaliste » par le rapporteur spécial du compte de concours financiers en 202212(*).

L'impréparation des gouvernements successifs s'agissant du futur du financement de l'audiovisuel public a été maintes fois soulignée. Alors que le temps disponible pour mener à bien cette réforme se compte désormais en mois, voire en semaines compte tenu du calendrier parlementaire, il est plus qu'urgent de trouver une solution budgétaire satisfaisante et pérenne pour l'audiovisuel public. C'est la raison pour laquelle il convient de se féliciter de l'inscription à l'ordre du jour le 23 octobre prochain de la proposition de loi organique portant réforme de l'audiovisuel public. Le maintien d'un financement de l'audiovisuel public par l'affectation d'un montant annuel de TVA, adopté par la commission des finances sur proposition du rapporteur, devra constituer une solution lisible et claire pour l'audiovisuel public.


* 1 Décret n° 2023-331 du 3 mai 2023.

* 2 La distribution de la presse imprimée, IGF-IGAC, octobre 2023.

* 3 Arrêt CJUE 8 septembre 2020 affaire C-265/19Recorded Artists Actors Performers Ltd/Phonographic Performance (Ireland) Ltd e.a.

* 4 Article 53 de la loi de finances pour 2024, devenu l'article 1609 sexdecies C du code général des impôts.

* 5 Les crédits exceptionnels à la culture et aux industries créatives : des moyens considérables, une logique de guichet, un contrôle insatisfaisant - 2017-2023.

* 6 3° du III de l'article 257 du code général des impôts.

* 7 Loi n° 2023-1114 du 30 novembre 2023 de finances de fin de gestion pour 2023.

* 8 Loi organique n° 2001-692 du 1er août 2001 relative aux lois de finances.

* 9 Sauf s'il s'agit de comptes ouverts au profit des États étrangers et des banques centrales liées à la France par un accord monétaire international, qui sont dotés de crédits évaluatifs.

* 10 Décret n° 2024-124 du 21 février 2024 portant annulation de crédits.

* 11 Proposition de loi, adoptée par le Sénat, relative à la réforme de l'audiovisuel public et à la souveraineté audiovisuelle, n° 1350, déposée à l'Assemblée nationale le mercredi 14 juin 2023.

* 12 Changer de cap pour renforcer la spécificité, l'efficacité et la puissance du service public, rapport d'information n° 651 (2021 2022) de MM. Roger Karoutchi et Jean-Raymond Hugonet, fait au nom de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication et de la commission des finances - 8 juin 2022.

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