N° 34

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2024-2025

Enregistré à la Présidence du Sénat le 16 octobre 2024

RAPPORT

PRÉSENTÉ

au nom de la commission des finances (1) sur le projet de loi,
rejeté par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée,
relative aux
résultats de la gestion et portant approbation des comptes
de l'année 2023,

Par M. Jean-François HUSSON,
Rapporteur général,

Sénateur

TOME II
CONTRIBUTION DES RAPPORTEURS SPÉCIAUX

ANNEXE N° 20
Outre-mer

Rapporteur spécial :
M. Georges PATIENT

(1) Cette commission est composée de : M. Claude Raynal, président ; M. Jean-François Husson, rapporteur général ; MM. Bruno Belin, Christian Bilhac, Jean-Baptiste Blanc, Emmanuel Capus, Thierry Cozic, Bernard Delcros, Thomas Dossus, Albéric de Montgolfier, Didier Rambaud, Stéphane Sautarel, Pascal Savoldelli, vice-présidents ; M. Michel Canévet, Mmes Marie-Claire Carrère-Gée, Frédérique Espagnac, M. Marc Laménie, secrétaires ; MM. Arnaud Bazin, Grégory Blanc, Mme Florence Blatrix Contat, M. Éric Bocquet, Mme Isabelle Briquet, M. Vincent Capo-Canellas, Mme Marie-Carole Ciuntu, MM. Raphaël Daubet, Vincent Delahaye, Vincent Éblé, Rémi Féraud, Stéphane Fouassin, Mme Nathalie Goulet, MM. Jean-Raymond Hugonet, Éric Jeansannetas, Christian Klinger, Mme Christine Lavarde, MM. Antoine Lefèvre, Dominique de Legge, Victorin Lurel, Hervé Maurey, Jean-Marie Mizzon, Claude Nougein, Olivier Paccaud, Mme Vanina Paoli-Gagin, MM. Georges Patient, Jean-François Rapin, Mme Ghislaine Senée, MM. Laurent Somon, Christopher Szczurek, Mme Sylvie Vermeillet, M. Jean Pierre Vogel.

Voir les numéros :

Assemblée nationale (17ème législ.) : 3, 291 et T.A. 3

Sénat : 32 (2024-2025)

LES PRINCIPALES OBSERVATIONS
DU RAPPORTEUR SPÉCIAL

1. Les crédits exécutés sur la mission « Outre-mer » se sont élevés en 2023 à 3,14 milliards d'euros en autorisations d'engagement (AE) et à 2,98 milliards d'euros en crédits de paiement (CP), soit une hausse de 11 % en AE et de 9,3 % en CP par rapport à l'exécution des crédits de la mission en 2022.

2. Les ouvertures de crédits en cours d'exercice 2023 ont été particulièrement élevées. Les crédits disponibles pour la mission « Outre-mer » s'élèvent au total à 3,32 milliards d'euros en AE et à 3,15 milliards d'euros en CP, soit une hausse de 22 % en AE et de 24 % en CP.

3. Malgré des opérations de retraits d'engagements d'années antérieures pour 75,3 millions d'euros, supérieures de 25 % à celles réalisées en 2022, les restes à payer représentent plus de 2,2 milliards d'euros et constituent donc toujours un risque important pour la mission. Le rapporteur spécial préconise d'accélérer ces opérations de retraitement.

4. Le programme 123 « Conditions de vie outre-mer », qui rassemble la majeure partie des dépenses pilotables de la mission, est marqué, en 2023, par une sur-exécution à hauteur de 101,1 % en AE et de 105,8 % en CP par rapport à la LFI. Le rapporteur spécial salue notamment la consommation de la ligne budgétaire unique (LBU).

5. Malgré une amélioration de l'exécution des contrats de convergence et de transformation (CCT), la sous-exécution globale des engagements pris lors de la contractualisation à la fin de la première génération des CCT témoigne notamment de moyens d'ingénierie insuffisants pour mobiliser l'intégralité des fonds prévus. Les futurs CCT, dont le premier a été signé par la collectivité de Saint-Martin et par l'État en avril 2024, feront l'objet d'une attention particulière.

6. Concernant le FEI, le choix était régulièrement fait de redéployer des crédits ouverts au titre du FEI sur d'autres dépenses d'investissements structurants. Dans ce contexte, le rapporteur spécial réaffirme que le FEI ne doit pas être considéré comme une variable d'ajustement lors des arbitrages ministériels.

7. Le programme 138 « Emploi outre-mer », constitué principalement de dépenses non-manoeuvrables dites « de guichet », enregistre une surconsommation de 411,5 millions d'euros en AE et de 391,7 millions d'euros en CP, soit une sur-exécution de 22 %, alors qu'il présentait déjà en 2022 un taux de consommation de l'ordre de 115 %. Cette évolution s'explique par une hausse des dépenses d'exonérations de cotisations sociales, en raison d'une activité économique plus importante que prévu.

I. EXÉCUTION DES CRÉDITS DE LA MISSION EN 2023

La mission « Outre-mer » regroupe une partie des moyens budgétaires alloués aux territoires ultramarins :

le programme 138 « Emploi outre-mer » porte les crédits relatifs au développement économique local et à la création d'emplois en outre-mer, à travers notamment des exonérations spécifiques de cotisations sociales patronales, des aides directes et des actions en faveur de l'insertion, de l'amélioration de l'employabilité et de la qualification professionnelle des jeunes ultramarins ;

le programme 123 « Conditions de vie outre-mer » porte les crédits destinés à réduire les écarts de niveaux de vie et d'équipements constatés entre les territoires d'outre-mer et la métropole à travers notamment des aides en faveur du logement social et un soutien aux collectivités dans leur politique d'investissements structurants.

La mission « Outre-mer » ne permet toutefois pas d'appréhender globalement la politique de l'État en faveur des outre-mer.

En effet, selon le document de politique transversale outre-mer 20231(*), le montant total des contributions budgétaires de l'État en faveur des outre-mer s'élève à 20,1 milliards d'euros en autorisations d'engagement (AE) et à 21,7 milliards d'euros en crédits de paiement (CP) en projet de loi de finances initiale (LFI) pour 20232(*) (contre 19 milliards d'euros en AE et 20,7 milliards d'euros en CP en LFI 20223(*)).

La mission « Outre-mer » concentre ainsi, en 2023, 15,6 % de l'effort budgétaire de l'État en faveur de ces territoires en AE et 13,7 % en CP.

De surcroit, des dépenses fiscales rattachées aux deux programmes de la mission viennent compléter les crédits budgétaires afin de dynamiser l'économie et l'attractivité des territoires d'outre-mer d'une part, et de contribuer à l'effort général de rattrapage de l'écart de niveau socio-économique entre l'outre-mer et la métropole d'autre part. Ces dépenses fiscales sont chiffrées en LFI 2023 à 6,22 milliards d'euros pour celles rattachées au programme 123 et à 548 millions d'euros pour celles rattachées au programme 138, soit un total de 6,77 milliards d'euros, ce qui représente 6,9 % de plus qu'en 2022.

A. UNE SUR-EXÉCUTION DE LA MISSION IMPORTANTE PAR RAPPORT AUX PRÉVISIONS EN LFI 2023

Les crédits exécutés sur la mission « Outre-mer » se sont élevés en 2023 à 3,14 milliards d'euros en AE et à 2,98 milliards d'euros en CP, soit une hausse de 11 % en AE et de 9,3 % en CP par rapport à l'exécution des crédits de la mission en 2022.

La hausse des crédits exécutés entre 2022 et 2023 est en partie due à des mesures de périmètre. La loi de finances initiale pour 2023 diminuait en effet les crédits du programme 138 de 264,5 millions d'euros, en AE et en CP, au titre du transfert du mécanisme de compensation du bandeau maladie sur le budget de la sécurité sociale. À périmètre constant, la hausse des crédits entre la LFI 2022 et la LFI 2023 est de 11,5 % sur la mission « Outre-mer », dont 13,4 % pour le programme 138.

Les crédits de la mission « Outre-mer » ont été sur-exécutés par rapport aux prévisions de la loi de finances initiale (LFI)4(*). Ainsi, la surconsommation totale sur la mission est de 421,8 millions d'euros en AE et de 437,1 millions d'euros en CP, soit une sur-exécution de 15,5 % en AE et de 17,2 % en CP. Ce niveau d'exécution est salué par le rapporteur spécial qui note des progrès notables au niveau de la mission concernant l'utilisation des crédits alloués, en sous-exécution jusqu'en 2021.

Évolution de l'exécution des crédits de la mission « Outre-mer »
entre 2022 et 2023

(en millions d'euros et en pourcentage)

AE : autorisations d'engagement. CP : crédits de paiement. LFI : données issues des lois de finances initiales, hors fonds de concours (FDC) et attributions de produits (ADP). Exécution : consommation constatée dans les projets de loi de règlement.

Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires

En effet, depuis de nombreuses années, la mission « Outre-mer » enregistrait des consommations très inférieures aux crédits ouverts en LFI posant ainsi la question du respect du vote des parlementaires lors des projets de loi de finances successifs.

Cette situation avait d'ailleurs amené la commission des finances à demander un rapport à la Cour des comptes, en application de l'article 58-2° de la loi organique du 1er août 2001 relative aux lois de finances sur « l'exécution et la présentation des crédits de la mission Outre-mer » qui a fait l'objet d'un rapport d'information5(*). Les causes récurrentes de cette sous-consommation y sont mises en exergue :

- des opérations d'apurement importantes sur des engagements au titre d'années antérieures ;

- un manque structurel d'ingénierie ;

- un suivi des contrats parfois lacunaire.

La tendance observée jusqu'en 2021 s'est toutefois inversée depuis deux ans.

Évolution de la prévision et de l'exécution des crédits entre 2021 et 2023

(en millions d'euros et en CP)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires

Dans le détail, le programme 123 « Conditions de vie outre-mer », qui rassemble la majeure partie des dépenses pilotables de la mission, est marqué, en 2023, par une sur-exécution à hauteur 10,2 millions d'euros en AE et de 45,39 millions d'euros en CP par rapport à la LFI, soit une hausse de 5,8 % en CP.

Ce programme avait déjà enregistré une sur-exécution en 2022 à hauteur de 63,5 millions d'euros en AE et de 14,3 millions d'euros en CP.

De surcroit, le programme 138 « Emploi outre-mer », constitué principalement de dépenses non-manoeuvrables dites « de guichet » enregistre une surconsommation de 411,5 millions d'euros en AE et de 391,7 millions d'euros en CP, soit une sur-exécution de 22 %, alors qu'il présentait déjà en 2022 un taux de consommation de l'ordre de 115 %. Le programme 138 est le principal facteur de la sur-exécution des crédits.

La consommation des crédits de la mission dépend également de la nature de la dépense. La mission « Outre-mer » est ainsi composée à 90 % de dépenses d'intervention (titre 6), difficilement pilotables et à 6 % de dépenses de personnels, composés exclusivement des volontaires et cadres civils et militaires du plan SMA (Service militaire adapté) 2025+. Les dépenses de fonctionnement ne représentent que 3 % des crédits de la mission « Outre-mer ».

Répartition des dépenses de la mission « Outre-mer » par titre

(en CP et en pourcentage)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires

Les dépenses de fonctionnement sont cependant largement sur-exécutées par rapport aux prévisions de la LFI 2023, la consommation étant deux fois plus élevée que prévu. La LFI 2023 prévoyait 54,1 millions d'euros pour les dépenses de fonctionnement, contre 106,6 millions d'euros en exécution. Cette hausse s'explique essentiellement par la gestion de la crise de l'eau à Mayotte et par l'incidence de l'inflation, selon la Cour des comptes.

B. DES OUVERTURES IMPORTANTES EN COURS D'EXERCICE DE CRÉDITS NON-CONSOMMÉS EN FIN D'ANNÉE : UNE EXÉCUTION À AMÉLIORER

Les ouvertures de crédits en cours d'exercice 2023 ont été particulièrement élevées. Les crédits disponibles pour la mission « outre-mer » s'élèvent au total à 3,32 milliards d'euros en AE et à 3,15 milliards d'euros en CP. Seuls 94,6 % des crédits ont été consommés en CP. Le solde non-consommé s'élève à 170 millions d'euros en CP et à 184 millions d'euros en AE, dont 152 millions d'euros ont été reportés, contre seulement 34 millions de crédits en 2022.

Mouvements intervenus en gestion sur les crédits
de la mission « Outre-mer » en 2023

(en euros et en pourcentage)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires

La loi de finances de fin de gestion de 20236(*) a permis d'ouvrir l'essentiel des crédits supplémentaires, à raison de 524,5 millions d'euros en AE et de 535,4 millions d'euros en CP. L'objectif était essentiellement d'assurer la prise en charge des exonérations des cotisations des charges patronales du programme 138, pour un montant de 433,4 millions d'euros en CP. Les prévisions de la caisse nationale de l'Union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales (URSSAF) sur les cotisations sociales des entreprises ont en effet été mises à jour en cours d'exercice, expliquant la nécessité d'une ouverture de crédits, portés essentiellement par l'action 1 - Soutien aux entreprises du programme 138. Dans une moindre mesure, la gestion de la crise de l'eau à Mayotte en 2023 a également occasionné des dépenses supplémentaires pour la mission (voir infra).

Ces mouvements de gestion témoignent d'une maitrise encore insuffisante de l'exécution budgétaire, malgré les progrès réalisés. D'une part, il est dommage que l'ensemble des crédits disponibles de la mission n'aient pas été consommés. Il serait plus cohérent de mieux calibrer les crédits ouverts en LFI, au lieu de procéder à des ouvertures en cours d'année, pour permettre d'anticiper leur consommation.

Des mouvements de gestion importants pourraient également être constatés en 2024. Le rapporteur spécial relève en effet que les suites de la gestion de la crise de l'eau à Mayotte, ainsi que la situation financière difficile de certaines collectivités locales risquent d'avoir un impact sur l'exercice budgétaire 2024 et sur les crédits alloués en cours d'année. Une attention particulière est portée au soutien de l'État aux collectivités d'outre-mer en difficulté.

Mouvements de gestion intervenus au cours de l'année 2024 
sur les crédits de la mission « outre-mer »

(en CP et en millions d'euros)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires

C. MALGRÉ LES OPÉRATIONS D'APUREMENT RÉALISÉES, DES RESTES À PAYER ÉLEVÉS ET EN HAUSSE

En 2023, la direction générale des outre-mer (DGOM) a poursuivi les opérations d'apurement des restes à payer initiées en 2019. Ainsi, les campagnes de finalisation d'engagements juridiques réalisées auprès des comptables budgétaires régionaux (CBR), avec l'appui des services du contrôle budgétaire et comptable ministériel (CBCM) et de la direction du budget, ont permis d'enregistrer des opérations de retraits d'engagements d'années antérieures pour 75,3 millions d'euros, soit une hausse de 25 % par rapport à celles réalisées en 2022.

Ainsi, si la consommation extraite de Chorus7(*) s'élève à 3,14 milliards d'euros en AE pour la mission « Outre-mer », la consommation retraitée s'établit à 3,21 milliards d'euros en AE.

Exécution 2023 des crédits des programmes 123 et 138
 retraitée des apurements d'AE anciennes

(en euros)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires

Ces restes à payer sont essentiellement le fait du programme 123, pour lequel ils s'élèvent à 2,07 milliards d'euros en 2023, contre 2,04 milliards d'euros au 31 décembre 2022, soit une hausse de 7 % entre 2022 et 2023. Entre 2018 et 2023, les restes à payer ont augmenté de 35 % sur les crédits du programme 123, malgré les opérations d'apurement mises en oeuvre par la DGOM depuis 2019.

Comparaison entre les consommations de CP et les restes à payer
entre 2018 et 2023 sur le programme 123

(en millions d'euros)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires

Ces restes à payer représentent un risque important pesant sur l'exécution de la mission, au vu de leurs niveaux très élevés. Les opérations d'apurement doivent donc être poursuivies à un rythme accéléré. Les caractéristiques du programme 123, avec de nombreuses opérations pluriannuelles (logements, contrats, fonds exceptionnel d'investissement) ne peuvent justifier à elles seules un tel niveau de restes à payer.

II. LES PRINCIPALES OBSERVATIONS DU RAPPORTEUR SPÉCIAL

A. UNE EXÉCUTION EN HAUSSE DU PROGRAMME 123 « CONDITIONS OUTRE-MER »

1. L'exécution du programme 123 est globalement en hausse

L'exécution du programme 123 par rapport aux crédits ouverts en LFI s'établit à 963,7 millions d'euros en AE (soit 101,1 % des crédits ouverts en LFI 2023) et à 829,4 millions d'euros en CP (soit 105,8 % des crédits ouverts). Cette situation contraste par rapport au taux de consommation de 97,9 % des CP en 2022. Ce constat est toutefois à relativiser en raison des mouvements de gestion intervenus en cours d'exercice. La consommation des crédits disponibles au cours de l'exercice 2023 n'est que de 90,9 % sur le programme 123. D'autres progrès doivent encore être réalisés pour consommer l'ensemble des crédits dont ont besoin les territoires d'outre-mer.

Le rapporteur spécial note toutefois que l'exécution des crédits du programme 123 est en hausse de 22 % par rapport à 2022, essentiellement en raison de l'action 6 - Collectivités territoriales, dont l'exécution a augmenté de 116 millions d'euros.

Décomposition par actions de la hausse de l'exécution du programme 123

(en millions d'euros et en CP)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires

Le programme 123 a été particulièrement impacté par la gestion de la crise de l'eau à Mayotte : 11 millions d'euros ont été débloqués au titre du fonds exceptionnel d'investissement (FEI) et 10,5 millions d'euros au titre des contrats de convergence et de transformation (CCT). La loi de finances de fin de gestion pour 2023 a débloqué 63,3 millions d'euros en AE et 52 millions d'euros en CP, complétés par 11,3 millions d'euros issus du dégel de la réserve de précaution. Fin décembre 2023, 21,8 millions d'euros ont été engagés pour répondre aux urgences liées à la crise de l'eau à Mayotte. La commission des finances a d'ailleurs demandé un rapport à la Cour des comptes, en application de l'article 58-2° de la loi organique du 1er août 2001 relative aux lois de finances sur « la gestion de l'eau et l'assainissement dans les outre-mer » qui devrait faire l'objet d'une audition pour suite à donner et d'un rapport d'information des rapporteurs spéciaux en 2025.

La hausse constatée des dépenses engagées est toutefois en grande partie liée à une meilleure exécution des crédits du programme 123. En particulier, la hausse de l'exécution de l'action 1 - Logement, qui comprend la Ligne budgétaire unique, est satisfaisante et saluée par le rapporteur spécial, et confirme l'inversion de la tendance baissière des crédits consommés de ce budget entre 2012 et 2020.

Évolution des crédits ouverts et consommés de la ligne budgétaire unique
entre 2011 et 2023

(en millions d'euros et en CP)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires

2. La hausse de l'exécution des crédits du programme 123 est due essentiellement à l'action 6 - Collectivités territoriales

L'action 6 du programme 123 recouvre trois types de crédits :

- les dotations aux collectivités territoriales et financements adaptés à leurs spécificités afin de favoriser l'égal accès aux services publics locaux des populations ultramarines, notamment en termes d'éducation, en prenant en compte les particularités de ces collectivités et en répondant, par des crédits spécifiques, aux handicaps structurels des outre-mer. Il s'agit donc de maintenir la capacité financière des collectivités d'outre-mer par le versement de dotations ;

- les secours d'urgence et de solidarité nationale liés aux calamités ;

- les actions de défense et de sécurité civile.

En 2023, l'action 6 a été dotée de 274,7 millions d'euros en CP en LFI. La consommation s'est établie à 292,3 millions d'euros en CP, soit un taux de consommation de 106,4 % et une hausse de l'exécution d'un tiers entre 2022 et 2023.

La sur-exécution de ce programme est liée :

- d'une part à l'aide exceptionnelle de 37 millions d'euros versée à la caisse locale de retraites du régime handicap et perte d'autonomie de la Nouvelle-Calédonie, financée via un transfert du programme 138 et par un dégel des crédits mis en réserve sur le programme 123 ;

- d'autre part à une subvention versée à la collectivité départementale de Mayotte, pour un montant de 50 millions d'euros ouverts en loi de finances de fin de gestion.

3. Malgré des crédits en hausse, les dépenses prévues dans le cadre des CCT et CDEV n'ont pas été exécutées en intégralité

Les crédits de l'action 2 du programme 123 visent à contribuer au développement économique et social ainsi qu'à la transition écologique et énergétique des territoires ultramarins. L'action 2 cofinance les projets d'investissements structurants portés par les collectivités territoriales d'outre-mer via, notamment, les contrats de convergence et de transformation (CCT)8(*) qui succèdent aux contrats de plan État-Région (CPER) et qui ont pour objectif d'investir en faveur du développement des territoires, tout en prenant en compte les spécificités et les besoins des territoires d'outre-mer. L'année 2023 est la dernière année de la première génération des CCT. Dans l'attente d'une nouvelle génération de CCT, des avenants de reconduction ont été conclus en 2023 à hauteur de 30,34 millions d'euros.

Exécution des contrats de convergence et de transformation 2019-2023

(en millions d'euros)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires

Le niveau de consommation est, pour les CCT de la Guyane, de Mayotte et Saint-Martin, décevant dans la mesure où les taux d'engagement sont inférieurs à 80 % à la fin des contrats. L'entièreté des crédits des CCT n'est pas engagée à la fin de l'année 2023, puisque l'exécution est inférieure de 76 millions d'euros aux AE programmées. Le rapporteur spécial regrette ce manquement.

Au titre des contrats de développement (CDEV), tous achevés en 2020 à l'exception de celui de la Nouvelle-Calédonie qui courait jusqu'à fin 2023, des CP ont été consommés en 2023 à hauteur de 57 millions d'euros en CP.

Le rapporteur spécial souligne que tous les contrats de développement sont désormais achevés et présentent une exécution inférieure de 73,6 millions d'euros aux AE programmés dans les contrats.

Qu'ils s'agissent des CDEV ou des CCT, la sous-exécution globale des engagements pris lors de la contractualisation témoigne notamment de moyens d'ingénierie insuffisants pour mobiliser l'intégralité des fonds prévus.

Exécution des contrats de développement 2012-2023

(en millions d'euros)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires

Le Comité interministériel des outre-mer, organisé en juillet 2023, a annoncé la mobilisation de 2,2 milliards d'euros pour la nouvelle génération des CCT et des CDEV de 2024-2027. Le programme 123 en portera au total 822,2 millions d'euros sur la période, dont 157,3 millions d'euros ont déjà été inscrits en LFI 20249(*). Un CCT a été signé à Saint-Martin le 24 avril 2024 pour un montant de 115 millions d'euros, dont 43,5 millions d'euros apportés par l'État.

La négociation, actuellement en cours, pour l'élaboration d'une nouvelle génération de contrats doit tirer les enseignements des CCT et des contrats de développement achevés. Leur entière exécution dépendra des moyens d'ingénierie qui pourront accompagner ces contrats.

4. Une consommation du FEI en progrès

Les dépenses du fonds exceptionnel d'investissement (FEI) s'élèvent à 69,9 millions d'euros en CP en 2023, soit une progression de 44 % des crédits exécutés depuis 2022. Si cette bonne exécution des CP témoigne d'une amélioration de l'ingénierie ainsi que d'une maturité plus grande des projets financés, l'exécution des crédits reste insuffisante. En effet, les AE restent sous-exécutées de 21 millions d'euros en 2023, ce qui a permis de financer notamment la crise de l'eau à Mayotte (voir infra).

De plus, dans le rapport sur le FEI10(*), le rapporteur spécial avaient souligné que « le choix était régulièrement fait de redéployer des crédits ouverts au titre du FEI sur d'autres dépenses d'investissements structurants. Ainsi, 7 millions d'euros ont été mobilisés chaque année depuis 2019, pour le financement du volet « sport » des CCT ». Ce constat est toujours vérifié aujourd'hui. De même, 0,7 millions d'euros ont été mobilisés pour la lutte contre les Sargasse.

Si le rapporteur spécial ne remet nullement en cause la nécessité de financer ces actions, il s'interroge sur l'origine des crédits. En effet, le plan Sargasses doit faire l'objet de crédits spécifiques au besoin avec des ouvertures en cours de gestion ou des dégels de réserve.

Dans ce contexte, le rapporteur spécial réaffirme que le FEI ne peut être considéré comme une variable d'ajustement lors des arbitrages ministériels et recommande de mettre fin aux redéploiements récurrents en cours de gestion.

Ainsi sur les 6 dernières années, 480 millions d'euros d'AE ont été ouvertes et seuls 325,6 millions d'euros ont été engagés.

Évolution de la consommation des crédits FEI ouverts en LFI
entre 2018 et 2022

(en millions d'euros)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires

B. UNE SUR-EXÉCUTION DU PROGRAMME 138 EN RAISON D'UNE MAUVAISE ANTICIPATION DES DÉPENSES D'EXONÉRATIONS DE COTISATIONS SOCIALES POUR LES ENTREPRISES

L'exécution du programme 138 par rapport aux crédits ouverts en LFI s'établit à 2,18 milliards d'euros en AE (soit 123,3 % des crédits ouverts en LFI 2023) et à 2,15 milliards d'euros en CP (soit 122,2 % des crédits ouverts). Ce constat est toutefois à relativiser en raison des mouvements de gestion intervenus en cours d'exercice. La consommation des crédits disponibles au cours de l'exercice 2023 est de 96,1 % sur le programme 138. Une meilleure anticipation des crédits nécessaires en LFI permettrait de faciliter la gestion du responsable de programme, en tenant davantage compte de l'aléa des prévisions de l'Urssaf sur les exonérations nécessaires de cotisations sociales pour les entreprises, spécifiques aux outre-mer et financées via l'action 1 du programme 138. L'action 1 finance notamment le renforcement des exonérations de charges patronales visant à compenser la suppression du CICE (crédit d'impôt pour la compétitivité et pour l'emploi) depuis le 1er janvier 2019.

Le rapporteur spécial note que l'exécution des crédits du programme 123 est en hausse de 5 % par rapport à 2022, en particulier grâce à l'action 1 - Soutien aux entreprises, dont l'exécution a augmenté de 90 millions d'euros.

Décomposition par actions de la hausse de l'exécution du programme 138

(en millions d'euros et en CP)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires

Les crédits de l'action 2 financent, à titre principal, le service militaire adapté (SMA) mais également la subvention pour charges de service public de l'agence de l'outre-mer pour la mobilité (LADOM) ainsi que des actions de formations en mobilité à destination des ressortissants des départements et collectivités outre-mer de 18 à 30 ans notamment via le passeport mobilité formation professionnelle (PMFP) et enfin la subvention versée à l'institut de formation aux carrières administratives, sanitaires et sociales (IFCASS). La hausse des crédits correspond à la hausse des effectifs du SMA de 5,2 % entre 2022 et 2023. Le plafond d'emplois demeure toutefois sous-exécuté de 9,8 %.

Plafond d'emplois et effectifs réalisés au titre du SMA

(en ETPT)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires

Enfin, l'action 4 du programme 138 porte les crédits relatifs aux mesures spécifiques de soutien aux entreprises et associations ultramarines qui ont pour objectif d'accompagner le développement économique et l'attractivité des territoires ultramarins par la mise en oeuvre de plusieurs dispositifs :

- le prêt de développement outre-mer (PDOM) Bpifrance ;

- l'élargissement des bénéficiaires et des critères d'attribution ;

- les subventions d'investissement ;

- le soutien au microcrédit outre-mer.

Dotée de 31,8 millions d'euros en CP en LFI, l'action 4 du programme 138 a enregistré une consommation de 16,5 millions d'euros en CP soit un taux d'exécution de 52 %.

Cette sous-consommation s'explique en partie par le report en 2024 de l'aide compensatoire de la hausse des coûts d'approvisionnement en gazole non-routier pour les collectivités relevant de l'article 73 de la Constitution, votée par l'Assemblée nationale. Le reste de la sous-consommation, à hauteur de 25 %, s'explique par l'instruction complexe des dispositifs d'aide aux frets et par le report en 2024 du versement de 3,1 millions d'euros de dotation servant à financer le prêt de développement territorial dans les départements et régions d'outre-mer (le montant total est de 9,5 millions d'euros).


* 1 Document de politique transversale « Outre-mer » annexé au projet de loi de finances pour 2023.

* 2 Loi n° 2022-1726 du 30 décembre 2022 de finances pour 2023.

* 3 Loi n° 2021-1900 du 30 décembre 2021 de finances pour 2022.

* 4 Loi n° 2022-1726 du 30 décembre 2022 de finances pour 2023.

* 5 Rapport d'information n° 637 (2021-2022) de MM. Georges PATIENT et Teva ROHFRITSCH, fait au nom de la commission des finances, déposé le 24 mai 2022.

* 6 Loi n° 2023-1114 du 30 novembre 2023 de finances de fin de gestion pour 2023.

* 7 Chorus est le logiciel utilisé par l'État pour le pilotage des dépenses dans le cadre de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF).

* 8 Ces contrats ont été signés le 8 juillet 2019 pour les collectivités territoriales de Guyane et de Martinique, les Régions Guadeloupe et La Réunion, le Département de Mayotte et les collectivités de Saint-Pierre-et-Miquelon et Wallis-et-Futuna, le 22 juin 2020 pour Saint-Martin. Le contrat de développement et de transformation 2021-2023 a été signé le 14 avril 2021 pour la Polynésie. La Nouvelle-Calédonie utilise un contrat de développement (CDEV) jusqu'en 2023.

* 9 Loi n° 2023-1322 du 29 décembre 2023 de finances pour 2024.

* 10 11Rapport d'information n° 727 (2021-2022) du 22 juin 2022 des sénateurs Georges PATIENT et Teva ROHFRITSCH : « Le fonds exceptionnel d'investissement (FEI) : un outil souple et utile dont la gouvernance doit être améliorée ».

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