EXAMEN EN COMMISSION
Réunie le mercredi 23 octobre 2024, sous la présidence de M. Philippe Mouiller, président, la commission examine le rapport de Mme Cathy Apourceau Poly, rapporteur, sur la proposition de loi (n° 653, 2023-2024) visant la prise en charge intégrale des soins liés au traitement du cancer du sein par l'assurance maladie.
M. Philippe Mouiller, président. - L'ordre du jour appelle l'examen du rapport et du texte de la commission sur la proposition de loi visant la prise en charge intégrale des soins liés au traitement du cancer du sein par l'assurance maladie. Cette proposition de loi, déposée par l'ancien député Fabien Roussel, a été adoptée par l'Assemblée nationale le 30 mai 2024. Ce texte sera examiné en séance mercredi 30 octobre.
Mme Cathy Apourceau-Poly, rapporteure. - Je remercie tout d'abord les collègues qui m'ont accompagnée lors des auditions - je pense notamment à Corinne Féret.
Une femme sur huit aura dans sa vie un cancer du sein. Il s'agit du cancer féminin le plus répandu. En 2023, il représentait un tiers des nouveaux cas de cancer diagnostiqués. Son taux d'incidence a augmenté en moyenne de 0,9 % par an sur la période 1990-2023. Cela s'explique par différents facteurs : le vieillissement de la population - 80 % des cancers se développent après 50 ans -, l'augmentation des cas d'obésité, l'exposition accrue à des agents cancérogènes dans l'environnement ou l'alimentation. Citons aussi la transformation des habitudes de vie : alcool, tabac et recul de l'âge de la première grossesse constituent également des facteurs de risque.
La mise en place du dépistage généralisé depuis 2004 et l'évolution des traitements expliquent que 90 % des femmes traitées à temps d'un cancer du sein en survivent, même si certaines formes particulièrement agressives, comme les triples négatifs, sont associées à des pronostics bien plus défavorables. En 2023, plus de 700 000 femmes avaient ou avaient eu au cours de leur vie un diagnostic de cancer du sein. Il ne faut toutefois pas oublier que le cancer du sein demeure le plus meurtrier pour les femmes, en raison de sa forte incidence : 12 000 femmes en meurent chaque année. Enfin, rappelons que 1 % des malades des cancers du sein sont des hommes.
La proposition de loi que nous examinons ce matin a été déposée par l'ancien député Fabien Roussel et adoptée à l'unanimité par l'Assemblée nationale. Les six articles qu'elle contient visent à renforcer la prise en charge des soins, traitements et frais en lien avec un cancer du sein, afin de soulager les personnes qui en sont atteintes du reste à charge qu'elles doivent supporter, celui-ci constituant, aux dires de certaines, une double peine face à la maladie.
À la maladie et à la charge émotionnelle, thérapeutique et sanitaire qu'elle provoque s'ajoutent en effet des restes à charge particulièrement élevés, malgré le dispositif des affections de longue durée (ALD).
Selon la Ligue contre le cancer, la charge financière moyenne consécutive à un cancer du sein serait comprise entre 1 300 euros et 2 500 euros, une somme qui peut être à l'origine de difficultés particulièrement malvenues dans le combat contre la maladie. La problématique du reste à charge affecte, il est vrai, toutes les pathologies lourdes, mais la situation est critique pour le cancer du sein, puisque plus des trois quarts des patientes sont exposées à un reste à charge, plus que pour tout autre type de cancer.
Ce reste à charge a des origines diverses. Il provient à la fois de frais spécifiques au cancer du sein et de postes budgétaires qu'ont à supporter tous les assurés, indépendamment de leur pathologie. Si le reste à charge thérapeutique est le plus important, des contraintes financières et familiales viennent s'y ajouter et contribuent à fragiliser la situation financière des assurés, particulièrement des moins bien protégées par notre système de sécurité sociale.
Tel est le cas des frais de garde d'enfants induits par les traitements ou encore des assurés mal couverts par les indemnités journalières maladie, comme les micro-entrepreneurs : ces deux sujets importants ont fait l'objet de demandes de rapport aux articles 1er quater et 1er quinquies.
Avant de passer au coeur du dispositif, un point s'impose sur le régime de prise en charge par la sécurité sociale des frais de santé liés au cancer du sein. En tant que tumeur maligne, le cancer du sein fait partie des affections de longue durée (ALD), ces pathologies longues et à la thérapeutique particulièrement coûteuse qui bénéficient d'une prise en charge renforcée de la sécurité sociale. Ce régime ouvre droit à une exonération du ticket modérateur, c'est-à-dire à une prise en charge des frais de santé liés à l'ALD, à hauteur de 100 % des bases de remboursement, au lieu de 70 % chez le médecin ou 60 % chez l'infirmière, par exemple, dans le droit commun. Cela concerne notamment les chimiothérapies, radiothérapies et mastectomies, qui sont donc intégralement prises en charge dans la limite des bases de remboursement, tout comme la chirurgie reconstructrice, la pose d'implants et l'achat de la plupart des prothèses externes.
Pour autant, si les personnes atteintes d'un cancer du sein doivent subir une charge financière de 1 300 euros à 2 500 euros en moyenne, c'est bien que le dispositif des ALD, tout protecteur qu'il puisse être pour les assurés, n'écarte pas tout reste à charge. Les raisons en sont nombreuses.
Les dépassements d'honoraires et, plus globalement, l'inadéquation entre le coût réel facturé et les bases de remboursement de la sécurité sociale sont les premiers vecteurs du reste à charge. Les dépassements d'honoraires pratiqués lors d'une chirurgie reconstructrice représentent le poste de reste à charge le plus important : en moyenne de 1 391 euros, il peut dans certains cas atteindre jusqu'à 10 000 euros, dissuadant de fait certaines femmes qui n'en auraient pas les moyens d'y recourir. La situation de désert médical, que notre commission ne connaît - hélas ! - que trop bien, contraint ainsi certaines femmes à se tourner vers des établissements de santé à but lucratif, dans lesquels de tels dépassements sont fréquents. De l'aveu même de la direction de la sécurité sociale, toutes les patientes « n'ont pas accès à un centre de soins proposant une reconstruction sans reste à charge », l'offre étant « trop faible et inégalement répartie sur le territoire ».
La proposition de loi prévoyait initialement une prise en charge intégrale par l'assurance maladie de tous les dépassements d'honoraires en lien avec un cancer du sein. Jugeant que de telles dispositions conduiraient à solvabiliser la pratique de dépassements d'honoraires et, dans les faits, à les encourager, la commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale a remplacé ces dispositions par un nouvel article 1er bis, prévoyant qu'une attention particulière soit portée, dans les négociations conventionnelles, aux dépassements d'honoraires pratiqués dans le cadre du traitement d'une ALD, notamment d'un cancer du sein.
Cet article 1er bis ayant une portée normative limitée, je vous soumettrai un amendement visant à permettre que les dépassements d'honoraires relatifs à des actes chirurgicaux de reconstruction mammaire consécutifs à un cancer du sein puissent être plafonnés dans le cadre des négociations conventionnelles. Mon intention est ainsi de laisser aux syndicats de médecins le choix du plafond à fixer pour limiter ces dépassements, dans ce cas très circonscrit de la reconstruction mammaire, qui peut être une étape importante sur la voie de la guérison.
L'Institut Curie et l'Institut Gustave Roussy, éminents centres de traitement du cancer du sein que nous avons entendus, ont plaidé devant nous pour cet amendement, dont l'adoption ferait oeuvre utile, en limitant considérablement le reste à charge des patientes atteintes d'un cancer du sein, sans surcoût pour l'assurance maladie.
Au-delà du cas des dépassements d'honoraires, le prix des dispositifs médicaux peut excéder la base de remboursement de l'assurance maladie. À cet égard, le cas des prothèses capillaires est particulièrement parlant. Seules les perruques de classe 1 sont intégralement remboursées, mais leur qualité est insuffisante pour produire une impression visuelle convaincante, si bien que, dans les faits, les patientes préfèrent bien souvent ne rien porter plutôt que de porter de telles prothèses.
Les malades préfèrent donc se tourner vers les perruques de classe 2, pour lesquelles la sécurité sociale rembourse au maximum 250 euros, mais dont le prix peut aller jusqu'à 700 euros, voire, pour les plus réalistes, dépasser 700 euros, auquel cas la sécurité sociale ne rembourse pas un centime. Dans les deux cas, un reste à charge conséquent est à déplorer.
S'ajoutent à cela les dispositifs de participation forfaitaire et de franchise médicale, dont le montant a récemment doublé. Conçus pour « responsabiliser » les assurés en laissant à leur charge un montant jugé, à tort, comme symbolique pour chaque recours au système de santé, ces dispositifs conduisent surtout à dérembourser jusqu'à 100 euros par an en frappant en premier lieu les personnes qui ont le plus besoin de soins, comme les assurées atteintes d'un cancer du sein.
Les forfaits dus en cas d'hospitalisation au titre des frais d'hébergement ou de passage aux urgences non suivis d'une hospitalisation - je pense au forfait journalier et au forfait patient urgences - sont également applicables aux patients en ALD, pour un montant respectif de 20 euros par jour d'hospitalisation et de 8,49 euros par passage aux urgences. Ces dépenses peuvent toutefois être prises en charge par les complémentaires santé.
Enfin, certaines dépenses provoquées par le cancer du sein ne sont pas remboursées par la sécurité sociale, de sorte que le régime des ALD ne s'y applique pas et qu'un reste à charge considérable peut survenir. On peut classer ces dépenses en trois catégories : les soins de support, les accessoires et les soins dits « de confort ».
Les soins de support désignent l'ensemble des soins et soutiens nécessaires aux personnes malades, parallèlement aux traitements spécifiques, lorsqu'il y en a, tout au long des maladies graves. Prise en charge de la douleur, diététique, psychologie, activité physique adaptée, autant de soins dont l'intérêt thérapeutique est confirmé. Bien que jugés indispensables tant par les associations de patientes que par les centres de lutte contre le cancer, ces soins font aujourd'hui l'objet d'une prise en charge très insuffisante.
Certes, les centres de lutte contre le cancer proposent fréquemment un accès gratuit à certains de ces soins, dont la structure est financée par le fonds d'intervention régional. Mais l'existence de soins de support dans les autres établissements de santé n'est pas systématique, loin s'en faut, ce qui se traduit par des inégalités territoriales particulièrement marquées. Pour les assurées qui n'y ont pas accès, un forfait de 180 euros à utiliser sur trois soins de support existe dans le cadre du « parcours de soins global après les traitements », créé en loi de financement de la sécurité sociale pour 2020, mais le dispositif est méconnu, et le montant du forfait est très insuffisant par rapport aux besoins.
En définitive, comme le décrit le Collectif Triplettes Roses, « les patientes sont loin de leur centre et ne peuvent pas y retourner pour bénéficier de soins de support pris en charge. Elles doivent donc y renoncer ou financer tout ou partie de ces mêmes soins dans leur localité proche », et encore, quand ils existent !
S'ajoute la problématique des accessoires, coûteux, mais indispensables après une opération. Les mamelons en silicone pour les assurés qui ne souhaitent pas de reconstruction chirurgicale ne sont pas pris en charge par la sécurité sociale, pas davantage que les soutiens-gorge compressifs post-mammectomie ou les sous-vêtements adaptés au port de prothèses externes transitoires ou définitives. Malgré un intérêt thérapeutique avéré, il faut donc compter, pour les femmes, 70 euros pour chaque soutien-gorge compressif post-opératoire, et à peu près la même somme pour des soutiens-gorge adaptés au port d'une prothèse mammaire amovible, à multiplier bien sûr par trois ou par quatre pour avoir le rechange nécessaire.
Au travers de l'article 1er ter, qui consiste en une demande de rapport au sujet de la prise en charge des sous-vêtements adaptés au port d'une prothèse amovible, on touche ainsi du doigt un sujet très important pour garantir la santé et le confort des patientes ayant subi une ablation mammaire.
Les soins de confort, fort mal nommés, recouvrent les crèmes et cosmétiques pour l'essentiel non pris en charge par la sécurité sociale. Crèmes relipidantes, indispensables pour combattre les effets secondaires de la chimiothérapie, patchs pour masser les cicatrices et strips pour les protéger, manchons en cas de lymphoedème, vernis pour prévenir la chute des ongles, autant de postes de dépenses supplémentaires qui n'ont rien de superflu ou de confortable. Croyez-moi, toutes les assurées concernées préféreraient s'en passer !
Dans ces conditions, l'article 1er de la proposition de loi vise à rendre inapplicables aux patients traités ou suivis pour un cancer du sein la plupart des postes de reste à charge : participation forfaitaire, franchise médicale, ticket modérateur, forfait hospitalier et forfait patients urgences. Il prévoit en outre une prise en charge intégrale sur l'ensemble des soins et dispositifs prescrits dans le cadre d'un cancer du sein, incluant notamment les soins de support, les prothèses capillaires et le renouvellement des prothèses mammaires.
Alors que le reste à charge des assurées traitées ou suivies pour un cancer du sein atteint aujourd'hui un niveau insoutenable pour une majorité d'entre elles, l'article 1er et la proposition de loi comportent des mesures aussi utiles que nécessaires pour les soutenir financièrement. Elles doivent être considérées comme un premier pas, portant sur une pathologie exposant à des restes à charge particulièrement fréquents et considérables, avant, le cas échéant, de pouvoir être étendues à d'autres pathologies tout aussi coûteuses, à commencer par certains autres cancers. Aucun patient ne devrait se retrouver dans la difficulté financière du fait de sa maladie ou, comme c'est trop souvent le cas pour les femmes atteintes d'un cancer du sein, renoncer à des modalités thérapeutiques pour des raisons financières. C'est là, me semble-t-il, l'essence même du droit constitutionnel à la santé, issu du Préambule de la Constitution de 1946.
En ce mois d'octobre rose, je vous invite donc à avancer par-delà les divergences partisanes et à accorder à ce texte une majorité, afin de renforcer la protection et la prise en charge des malades du cancer du sein.
Il me revient enfin en tant que rapporteur de vous proposer un périmètre pour l'application des irrecevabilités au titre de l'article 45 de la Constitution.
Je considère que ce périmètre comprend des dispositions relatives au régime de prise en charge des affections de longue durée ; à la limitation du reste à charge pour les patients atteints d'une affection de longue durée ; aux frais subis par les patients atteints d'un cancer du sein ne correspondant pas à des frais liés à des activités de diagnostic ou de soins.
En revanche, je considère que ne présenteraient pas de lien, même indirect, avec le texte déposé, des amendements relatifs au régime de prise en charge des frais de santé de droit commun ; aux modalités de prévention des cancers ; aux compétences des professionnels de santé ; à l'organisation des professions de santé et à leurs conditions d'installation ; à l'organisation des établissements de santé ou des structures d'exercice coordonné.
Je vous remercie.
Mme Frédérique Puissat. - Je voudrais d'abord remercier l'ancien député Fabien Roussel et notre collègue Cathy Apourceau-Poly pour leur contribution sur ce sujet important, grave, sur lequel de nombreux sénateurs sont mobilisés.
Cette proposition de loi nous est néanmoins soumise juste en amont de l'examen des textes budgétaires, qui nous obligeront à faire des arbitrages importants et à privilégier des visions globales, plus que singulières et centrées sur un nombre restreint de sujets. Elle donnera aussi lieu à des discussions dans l'hémicycle, avec, au-delà, une navette parlementaire.
La position de mon groupe est donc plutôt de s'abstenir, tout en suivant avec attention l'évolution du texte.
Mme Anne-Sophie Romagny. - Merci de votre rapport, madame Apourceau-Poly. Comme vous l'avez souligné, une femme sur huit est touchée par un cancer du sein dans sa vie. Cette cause nous concerne tous, de près ou de loin, et nous ne pouvons pas accepter cette double peine imposée quand, à la maladie, s'ajoute le reste à charge.
Mais je voudrais aborder la question de la rupture d'égalité avec les patients atteints d'autres cancers. Je serai attentive aux débats qui auront lieu dans l'hémicycle. Si j'entends le drame de toutes les personnes malades du cancer, comment expliquer à une jeune fille atteinte d'une leucémie que sa prothèse capillaire n'est pas remboursée, car elle ne souffre pas d'un cancer du sein ?...
Je m'abstiendrai donc aujourd'hui, dans l'attente des débats en séance plénière sur ce texte ô combien important.
Mme Patricia Demas. - À mon tour, je remercie la rapporteure pour son travail sur ce sujet, qui ne peut nous laisser insensibles.
Je voudrais porter à la connaissance des membres de la commission la réponse que la ministre m'a faite hier sur le reste à charge pour les prothèses capillaires. Il n'est pas simple de comprendre la tarification, qui compte trois classes de prothèses avec des forfaits totalement différents. J'interrogeais la ministre sur la possibilité d'une prise en charge forfaitaire, indépendamment du type de perruque. Celle-ci m'a parlé de travaux engagés en septembre, avec un passage prochainement prévu devant la Haute Autorité de santé (HAS), précisant que la question de la simplification du parcours et de l'accès à ces aides avait été prise en compte.
S'agissant des soutiens-gorge compressifs, je m'étais rapprochée avant la dissolution de l'Assemblée nationale du cabinet du ministre de la santé pour qu'une réunion avec les fabricants puisse être organisée. En effet, aucun dossier n'est déposé auprès de la HAS pour que ces soutiens-gorge soient inclus dans la nomenclature. Je viens de relancer le ministère sur la question.
Mme Émilienne Poumirol. - Merci aux auteurs de cette proposition de loi fondamentale. Dans les esprits, le fait d'être en ALD est souvent associé à une prise en charge complète, sans reste à charge. Même les médecins ont tendance à oublier tous les à-côtés.
Je reviens sur l'interrogation soulevée : pourquoi pas les autres cancers ? Notez, mes chers collègues, que nous examinons une proposition de loi, dont l'objet est forcément précis.
Mon groupe votera ce texte pour toutes les raisons qui ont été invoquées, notamment les fréquents dépassements d'honoraires dans le secteur privé lucratif. À ce titre, l'amendement visant à les plafonner me paraît intéressant.
Au-delà des prothèses capillaires, qui constituent un soin fondamental, je voudrais évoquer le remboursement des soins de support et, en particulier, de l'activité physique adaptée. Voilà trois ans environ, nous avions rencontré un directeur de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), qui nous avait dit l'importance de ces activités dans l'absence de récidive du cancer du sein. Pourquoi, alors que leur bénéfice est prouvé, ces soins ne sont-ils pas pris en charge à 100 % ?
Mme Corinne Féret. - Je tiens moi aussi à remercier notre rapporteure pour la qualité de son travail. Cette proposition de loi a, je le rappelle, été adoptée à l'unanimité à l'Assemblée nationale avant la dissolution. Il est effectivement difficile de s'opposer sur un sujet de cette nature, même si j'entends les réserves exprimées par certains collègues.
Pour moi, l'intérêt du texte n'est même pas à démontrer. Il a été rappelé que le cancer du sein est celui qui touche le plus de personnes. En France, 700 000 femmes vivent avec un cancer actif ou sous surveillance. C'est beaucoup ! Pourquoi seulement évoquer le cancer du sein ? Parce que le nombre de personnes concernées est très important, avec un cancer qui, en outre, progresse.
Les auditions nous ont permis de constater de nombreuses inégalités. C'est ce qui me motive pour soutenir la proposition de loi : ces inégalités constituent de véritables injustices !
Je pense notamment à l'accès aux soins. Certes, il n'y a pas de sujet ici, puisque cet accès relève de l'ALD. Pour autant, il n'est pas le même partout sur nos territoires : en milieu rural, de nombreuses femmes ont accès tardivement à la prévention et au dépistage, ou n'y ont pas accès. Or plus on dépiste tard, plus la maladie est difficile à soigner.
À cela s'ajoute une inégalité dans la prise en charge et le traitement quand les malades ne sont pas soignés dans un centre de lutte contre le cancer. Une femme, toute à la détresse que suscite l'annonce, fait confiance au médecin qui l'oriente dans un tel centre, dans un centre hospitalier ou dans une clinique privée, sans forcément penser aux questions de coût et de reste à charge à supporter. Les dépassements d'honoraires ont notamment été évoqués : il est injuste que les femmes soient confrontées à de telles pratiques dans certains établissements.
Enfin, il y a des inégalités dans l'accès aux soins de support. On trouve ces soins dans les centres de lutte contre le cancer, pas forcément ailleurs. Or, de nouveau, l'accès à de tels centres n'est pas forcément facile pour les femmes en zone rurale. D'où la proposition de délivrer les bonnes informations pour l'accès aux soins de support.
Quant aux soins de « confort » - je mets bien sûr des guillemets à cette expression - et aux accessoires, il est injuste qu'une femme ayant les moyens puisse avoir accès à une prothèse capillaire de qualité quand une autre ne pourra bénéficier que d'une prothèse ressemblant plus à un pompon de laine qu'à autre chose.
Voilà pourquoi cette proposition de loi est indispensable. Elle permet de répondre à des inégalités qui sont réelles et à l'injustice flagrante vécue au quotidien par des milliers de femmes.
Pour terminer, je voudrais indiquer que la Ligue contre le cancer nous a alertés sur certaines mesures d'économies prévues dans le prochain budget. Ces mesures seront aussi susceptibles d'engendrer des injustices pour certaines femmes atteintes de cette maladie. Je pense, par exemple, aux frais de déplacement et à la nécessité, désormais, de covoiturer pour se rendre dans certains établissements ; des patients subissant des traitements très lourds paieront les conséquences de telles décisions. N'en doutez pas, nous dénoncerons ces mesures lors de l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS). D'ailleurs, nous sommes certes à quelques jours de cet examen, mais nous ne sommes pas responsables de la dissolution de l'Assemblée nationale le 9 juin, qui nous a privés de pouvoir examiner cette proposition de loi plus tôt.
M. Alain Milon. - Ce texte est, certes, intéressant, mais il pose de nombreuses questions.
Premièrement, il y a le traitement de la maladie, pris en charge à 100 % par la sécurité sociale, et il y a le traitement des conséquences du traitement. Je rappelle que nous avons deux types de financeurs en France : l'assurance maladie obligatoire (AMO) et l'assurance maladie complémentaire (AMC). Je regrette que cette proposition de loi ne fasse pas plus de place à l'AMC.
Deuxièmement, la prévention est le vrai sujet. Nous disposons désormais, pour les radiographies des seins, de logiciels d'intelligence artificielle qui rendent possibles les diagnostics prédictifs. Dans une récente loi de bioéthique, nous avons également mis en place les tests ADN, notamment post mortem, qui permettent d'indiquer à certaines femmes que leur mère a eu un cancer et qu'elles doivent se faire soigner sans délai. Je regrette donc que l'on ne parle pas de la priorité, qui est la prévention.
Mme Véronique Guillotin. - Ce rapport, pour lequel je remercie la rapporteure, met effectivement en lumière des restes à charge importants dans le cas du cancer du sein, mais je crois qu'en approfondissant un peu cette question, on trouverait des restes à charge similaires pour de nombreuses pathologies chroniques et cancéreuses.
En revanche, ce texte soulève des interrogations - la première, qui m'a assez rapidement troublée, étant la rupture d'égalité. Ensuite, je rejoins Alain Milon, le sujet mériterait que l'on creuse la question du financement, sachant que nous connaissons tous les « faiblesses » actuelles de notre système de sécurité sociale. Les assurances complémentaires doivent trouver leur place et il y a aussi des budgets dans les fonds d'intervention régionaux (FIR) des agences régionales de santé (ARS).
Je ne prendrai pas la responsabilité d'exprimer une position au nom de mon groupe - nous verrons en fonction des éclairages qui seront donnés. Pour l'heure, j'en reste à une abstention.
Mme Raymonde Poncet Monge. - Pourquoi ce cancer, et pas d'autres ? Ce texte est un moyen d'illustrer les inégalités sociales et territoriales qu'emporte une maladie. Il met aussi en lumière le désengagement de la sécurité sociale, avec un développement des forfaits et franchises qui, en réalité, sont un contournement de l'ALD.
En outre, c'est le propre des propositions de loi que d'aborder un sujet particulier. Dans ce cas, la proposition de loi pour améliorer la prise en charge de la sclérose latérale amyotrophique (SLA) et d'autres maladies évolutives graves emportait une rupture d'égalité...
Sur le sujet de la prévention, cher Alain Milon, et même si le diagnostic prédictif est indispensable, il va aussi falloir renforcer la prévention autour des vecteurs environnementaux si l'on veut s'occuper de l'incidence croissante du cancer. Dans les facteurs environnementaux, j'inclus tout ce qui a trait à l'environnement de travail avec, par exemple, le travail de nuit. Quant à l'activité physique adaptée, même si elle survient après, elle entre aussi dans ce cadre de la prévention puisqu'elle réduit le risque de rechute et devrait, à ce titre, être prise en charge.
Le groupe écologiste votera en faveur de la proposition de loi.
Mme Corinne Bourcier. - Merci, chère Cathy Apourceau-Poly, pour ce rapport si important. Nous avons tous autour de nous des femmes atteintes d'un cancer du sein ; nous connaissons leur situation en matière de reste à charge élevé, notamment sur les soins de support. Le bénéfice de ces soins étant reconnu, il faut aider à leur prise en charge. Par ailleurs, la prise en charge des accessoires doit également être renforcée : porter une perruque de qualité semble par exemple extrêmement important pour le regard sur soi et le regard des autres. Pourquoi ne pas prévoir un forfait pour ces accessoires ?
Mais se pose effectivement la question de la prise en charge des autres cancers, car il n'est pas souhaitable de créer des inégalités de traitement.
Mon groupe va donc s'abstenir sur cette proposition de loi, en attendant les débats en séance.
Je souhaite simplement insister sur la question de la prévention. Je vois que nous sommes beaucoup ici à porter le ruban rose... C'est extrêmement important !
Mme Silvana Silvani. - Je trouve cette proposition de loi tout à fait formidable, et ce pour deux raisons. D'une part, elle traite d'une situation que nous reconnaissons toutes et tous comme difficile et mal cernée. D'autre part, elle révèle, à partir d'un cas particulier, un grand nombre de sujets et de questions qui doivent être abordés pour d'autres pathologies. En cela, elle est intéressante.
Quelques remarques par rapport aux propos entendus.
Nous savons que les propositions de loi idéales n'existent pas et qu'on ne peut pas insérer tout un plan d'accès aux soins dans ce type de texte. Celui que nous examinons révèle au moins certains manques en matière de traitements du cancer et de soins faisant suite à ces traitements.
Je suis sensible à l'argument de rupture d'égalité. Reconnaissons néanmoins que l'égalité d'accès aux soins n'existe pas sur nos territoires. Nous nous agaçons suffisamment contre les déserts médicaux et les problèmes d'éloignement !
C'est donc une bonne idée de garantir au moins cette prise en charge. Il serait regrettable que l'agenda vienne pénaliser une telle décision et que le texte passe à la trappe du fait des échanges autour du PLFSS. A contrario, la proposition de loi pourrait être une opportunité pour élargir le regard sur d'autres prises en charge inexistantes, ce qui, pour le coup, est source d'inégalités.
Mme Florence Lassarade. - Je remercie à mon tour la rapporteure. Voilà quelques années, j'avais moi-même mené un travail sur la reconstruction mammaire et nous avions constaté, à cette occasion, des traitements différenciés, y compris entre centres de lutte contre le cancer prestigieux.
Ce qui m'affole en ce mois d'octobre 2024, c'est que le dépistage, malgré vingt ans de recul, ne suscite pas l'adhésion, étant précisé que le principal frein au dépistage du cancer du sein est la peur de la maladie. Nous n'arrivons pas à cibler certaines femmes, alors même que la guérison est bien meilleure et la question bien mieux réglée si la prévention est faite et la tumeur détectée précocement. Il faut donc mettre le paquet sur la prévention.
Dans le même ordre d'idée, je me désespère du peu d'adhérence au vaccin contre le papillomavirus, lequel a pourtant permis à l'Australie d'éradiquer totalement le cancer du col de l'utérus.
M. Dominique Théophile. - Je voudrais simplement rappeler que l'on enregistre aux Antilles une surmortalité liée au cancer du sein. Sous toutes réserves aujourd'hui, mais avec des études sur la question très avancées, cette surmortalité aurait un lien direct avec le chlordécone, lien déjà prouvé pour le cancer de la prostate. Je souhaite déposer une proposition de loi pour que ce phénomène du chlordécone soit reconnu par l'État et entièrement pris en charge, comme cela a été fait en Polynésie pour le nucléaire. S'agissant du présent texte, je le voterai.
Mme Cathy Apourceau-Poly, rapporteure. - Nous sommes d'accord pour dire que la situation doit progresser et qu'aucun d'entre nous n'est indifférent à ces situations, indépendamment des remarques qui ont pu être exprimées.
En matière de prothèses capillaires, j'ai moi-même découvert que la sécurité sociale remboursait 350 euros pour une prothèse de classe 1, dont le prix est plafonné au même montant, mais que la somme remboursable tombait à 250 euros pour une prothèse de classe 2, dont le prix peut être compris entre 350 et 700 euros, et qu'il était carrément nul pour une prothèse de plus de 700 euros. Or les représentantes des associations que nous avons auditionnées nous ont expliqué que la prothèse de première catégorie est non seulement peu réaliste du point de vue esthétique, mais aussi inconfortable et insupportable à porter. Pour la plupart, les femmes préfèrent mettre un foulard. Seule donnent satisfaction les perruques faites majoritairement de cheveux naturels, qui dépassent souvent les 700 euros et ne sont donc pas remboursées ! C'est réellement problématique.
Bien évidemment, si nous traitons ici du cancer du sein, il faudrait pouvoir garantir une prise en charge des prothèses capillaires pour tous les cancers, la perte de cheveux étant le premier effet secondaire visible des traitements de chimiothérapie. Nous pourrions porter cette question par amendement dans le présent texte ou dans le cadre de l'examen du PLFSS - mais veillons au couperet de l'article 40 -, ou bien encore envisager une proposition de loi spécifique.
En réponse aux différents points soulevés, je reviendrai sur quelques sujets.
S'agissant du calendrier, il y a fort à parier que des amendements seront adoptés dans le cadre de la séance publique. Dès lors, le vote ne sera pas conforme et nous procéderons à une navette parlementaire.
Par ailleurs, effectivement, plus on fait de la prévention, mieux c'est ! Je suis donc favorable au renforcement de la prévention, mais ce sujet n'entre pas dans le cadre de la proposition de loi, qui se concentre sur l'amélioration de la situation financière des malades.
J'appuie les propos de notre collègue Raymonde Poncet Monge : le texte sur la SLA ne provoque pas de rupture d'égalité, la SLA ayant la spécificité d'être l'une des seules maladies pour lesquelles, malheureusement, il n'y a pour l'heure aucune guérison possible. La présente proposition de loi ne me paraît pas non plus porteuse d'inégalités ; il faut la considérer comme un premier pas. Comme vous, mes chers collègues, je voudrais répondre à toutes les problématiques posées par les cancers et apporter du confort à toutes les personnes qui souffrent de ces maladies. Cela dit, il y a tout de même quelques spécificités dans le cancer du sein, notamment la reconstruction mammaire. Les femmes que nous avons auditionnées nous ont, par exemple, expliqué que, quand elles n'envisageaient pas de reconstruction, certaines souhaitaient qu'on leur enlève le deuxième sein pour des questions de symétrie.
M. Philippe Mouiller, président. - Je remercie la rapporteure pour la qualité de ses travaux. Je voudrais réaffirmer ce que l'on entend dans le débat de ce matin : tout le monde est conscient que les pouvoirs publics doivent agir rapidement et que se pose la question des autres cancers. Toute l'idée est de trouver un moyen pour que ce texte aille jusqu'au vote final. Nous discutons en parallèle avec le Gouvernement afin de trouver une voie qui respecte l'esprit du texte et soit susceptible de recueillir un accord transpartisan.
EXAMEN DES ARTICLES
Article 1er
L'article 1er est adopté sans modification.
Mme Cathy Apourceau-Poly, rapporteure. - L'amendement COM-1 prévoit que les dépassements d'honoraires relatifs à des actes chirurgicaux de reconstruction mammaire consécutifs à un cancer du sein puissent être plafonnés dans le cadre des négociations conventionnelles entre les syndicats représentatifs des médecins et l'Union nationale des caisses d'assurance maladie. Le niveau du plafond serait donc défini avec l'accord des syndicats représentatifs des médecins.
La chirurgie reconstructrice consécutive à une mastectomie ou une tumorectomie constitue le premier poste de reste à charge pour les patientes atteintes d'un cancer du sein.
Selon la direction de la sécurité sociale, le reste à charge moyen pour les personnes qui ont fait l'objet d'une opération chirurgicale à la suite d'un cancer du sein s'élève à 1 391 euros. Les dépassements d'honoraires pratiqués dans le cadre d'une chirurgie reconstructrice peuvent atteindre des dizaines de milliers d'euros. La pénurie d'offre chirurgicale dans certains territoires en situation de désert médical ne laisse pas toujours aux patientes atteintes de cancer du sein le choix de l'établissement dans lequel elles procèdent à ces opérations, ni le montant du reste à charge qu'elles ont à supporter.
Or, les opérations d'ablation totale ou partielle du sein participent du traitement du cancer du sein, qui est de ce fait particulièrement mutilant. Elles portent atteinte à l'image de la féminité et peuvent avoir un lourd impact sur la vie sociale et sexuelle des femmes. Si les patientes ne choisissent pas toutes de recourir à la reconstruction mammaire, il n'est pas acceptable que certaines y renoncent au seul motif que le coût d'une telle opération leur est inaccessible.
Il apparaît donc nécessaire de faciliter l'accès à ces opérations pour toutes celles qui le désirent. Cela participe de la reprise d'une vie normale dans le cadre d'un traitement efficace, voire d'une rémission, le cancer du sein étant l'un des cancers au taux de survie le plus élevé.
Par ailleurs, les dépassements d'honoraires sont d'ores et déjà encadrés : ils sont par exemple proscrits dans le cadre des mammographies de dépistage du cancer du sein, ou encore du recours à l'interruption volontaire de grossesse.
L'amendement COM-1 est adopté.
L'article 1er bis ainsi rédigé.
Articles 1er ter, 1er quater et 1er quinquies (nouveaux)
Les articles 1er ter, 1er quater et 1er quinquies sont successivement adoptés sans modification.
Article 2
L'article 2 est adopté sans modification.
La proposition de loi est adoptée dans la rédaction issue des travaux de la commission.
Article 1er bis (nouveau) Inciter à limiter les dépassements
d'honoraires sur les actes |
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Auteur |
N° |
Objet |
Sort de l'amendement |
Mme APOURCEAU-POLY, rapporteure |
1 |
Plafonnement des dépassements d'honoraires sur les actes chirurgicaux de reconstruction mammaire liés au cancer du sein |
Adopté |