EXAMEN DE L'ARTICLE UNIQUE
Article unique
Création
d'une ordonnance de sûreté de l'enfant victime de violences
L'article unique de la proposition de loi tend à créer, sur le modèle de l'ordonnance de protection applicable en cas de violences conjugales, une ordonnance de sûreté de l'enfant victime de violences. Cette nouvelle ordonnance permettrait au juge aux affaires familiales, saisi par l'un des parents ou le ministère public en cas de vraisemblance de viol incestueux, d'agression sexuelle incestueuse ou de fait de violences à l'égard d'un enfant et lorsqu'une récidive est à craindre, de prononcer dans un délai de quinze jours des mesures de protection telles qu'une interdiction de contact, le retrait de l'autorité parentale, le retrait de l'exercice de l'autorité parentale ou encore la redéfinition des droits de visite et d'hébergement. Ces mesures seraient applicables pour une durée de six mois. Aucune plainte ne serait exigée en parallèle de la saisine du juge aux affaires familiales.
La commission n'a pas adopté cet article, estimant que la pertinence de cette nouvelle ordonnance restait à démontrer, tant au regard de l'absence de soutien dont elle a fait l'objet lors des auditions menées par le rapporteur que des difficultés juridiques que son insertion parmi les dispositifs actuels de protection judiciaire de l'enfant entraînerait.
1. La protection judiciaire de l'enfant présumé victime de violences repose sur plusieurs dispositifs dont certains ont fait l'objet de révisions récentes
a) Des dispositifs spécifiques permettent d'assurer la protection judiciaire de l'enfant présumé victime de violences en l'absence de parent « protecteur »
L'ordonnance n° 58-1301 du 23 décembre 1958 relative à la protection de l'enfance et de l'adolescence en danger confie au juge des enfants la compétence de principe en la matière, laquelle repose sur des dispositifs spécifiques qui fondent la spécialisation dudit juge.
Il existe ainsi plusieurs mesures d'assistance éducative dédiées à la protection de l'enfant présumé victime de violences en général, et sexuelles en particulier. Si ces dernières ressortissent en principe au juge des enfants, elles peuvent dans certains cas de figure relever en partie du ministère public.
i. Les mesures d'assistance éducative que peut ordonner le juge des enfants visent à assurer la protection de l'enfant présumé victime de violences, grâce aux modalités de saisine de ce dernier comme à la diversité des mesures qu'il est susceptible d'adopter
L'ouverture ample de la saisine du juge des enfants et l'inscription de cette dernière dans une procédure de signalement globale garantissent l'accessibilité et, partant, l'efficacité de la protection judiciaire de l'enfant présumé victime de violences.
L'article 375 du code civil prévoit en effet, en son premier alinéa, que le juge des enfants peut être saisi par les parents conjointement, l'un de ces derniers, la personne ou le service à qui l'enfant concerné fut confié, le tuteur, le mineur lui-même, ou le ministère public. La saisine d'office du juge est également permise à titre exceptionnel. En tout état de cause, la saisine du juge des enfants suppose que « la santé, la sécurité ou la moralité d'un mineur non émancipé [soit] en danger » ou que « les conditions de son éducation ou de son développement physique, affectif, intellectuel et social [soient] gravement compromises ». Il revient autrement au juge aux affaires familiales de se prononcer sur la détermination des liens entre un enfant et ses parents6(*) - et au procureur de la République, le cas échéant, d'engager des poursuites.
La saisine du juge des enfants marque de surcroît souvent l'aboutissement d'une procédure de signalement ouverte à tout citoyen auprès du service national d'accueil téléphonique de l'enfance en danger (ci-après, SNATED) ou de la cellule de recueil des informations préoccupantes (ci-après, CRIP) du département, en application de l'article L. 226-3 du code de l'action sociale et des familles. Si ces services constatent une situation grave compromettant la santé, la sécurité ou la moralité d'un mineur, ils adressent un signalement au procureur de la République, lequel peut ensuite, si le danger le justifie, saisir le juge des enfants dans les conditions prévues à l'article 375 du code civil ou prendre immédiatement une ordonnance de placement provisoire.
Plusieurs dispositifs dérogatoires favorisent par ailleurs le signalement des violences dont peut être victime un mineur. Le fait de ne pas informer les autorités judiciaires ou administratives d'un « crime dont il est encore possible de prévenir ou de limiter les effets » constitue, en vertu de l'article 434-1 du code pénal, une entrave à la saisine de la justice punie de trois ans d'emprisonnement et de 45 000 euros d'amende. Si certaines exceptions sont prévues par le même article 434-1, notamment pour les parents, les conjoints, les frères et soeurs de l'auteur ou du complice du crime, ces dernières ne s'appliquent pas aux crimes commis sur les mineurs. L'article 226-14 du code pénal prévoit au surplus la levée du secret professionnel lorsqu'un mineur s'est vu infliger des maltraitances ou atteintes sexuelles. Ces différentes exceptions témoignent de la volonté du législateur de protéger les mineurs victimes de violences.
Les conditions de durée, les garanties procédurales et la diversité des mesures d'assistance éducative que le juge des enfants peut ordonner permettent a priori d'assurer la protection durable d'un enfant présumé victime de violences. La décision du juge des enfants peut, en application de l'article 375 du code civil, durer jusqu'à deux ans ; elle est en outre renouvelable par décision motivée - et peut être prise pour une durée supérieure « lorsque les parents présentent des difficultés relationnelles et éducatives graves, sévères et chroniques ». La possibilité laissée au juge des enfants d'inscrire les mesures d'assistance éducative dans le temps permet donc de protéger efficacement la victime présumée.
La procédure suivie devant le juge des enfants garantit la préservation de l'intérêt de l'enfant présumé victime de violences. Aussi ledit juge doit-il, en vertu de l'article 375-1 du code civil, « systématiquement effectuer un entretien individuel avec l'enfant capable de discernement lors de son audience ou de son audition »7(*). Il peut, au surplus et en application du même article 375-1, demander au bâtonnier la désignation d'un avocat ou, pour l'enfant non capable de discernement, d'un administrateur ad hoc. Ces diverses garanties procédurales assurent que les mesures d'assistance éducative nécessaires à la protection de la victime présumée seront adoptées en considération de l'intérêt de cette dernière.
La diversité des mesures d'assistance éducative que le juge des enfants peut ordonner favorise l'organisation d'une protection judiciaire adaptée à la situation de l'enfant présumé victime de violences. Si l'article 375-2 du code civil établit le principe du maintien du mineur dans son milieu actuel, celui-ci ne paraît pas applicable dans le cas où le mineur y subirait des violences en général, et sexuelles en particulier.
Le juge des enfants peut alors, en application de l'article 375-3 du code civil, prendre une mesure de placement de l'enfant présumé victime de violences. Il peut ainsi le confier à l'autre parent8(*), à un autre membre de la famille ou à un tiers digne de confiance, à un service départemental de l'aide sociale à l'enfance, à un service ou à un établissement habilité pour l'accueil de mineurs ou suivant toute autre modalité de prise en charge, de même qu'à un service ou à un établissement sanitaire ou d'éducation, ordinaire ou spécialisé. Le procureur de la République peut à cette fin requérir le concours de la force publique.
Lorsqu'une mesure de placement de l'article 375-3 est ordonnée, le juge des enfants peut y adjoindre un dispositif d'aide et de conseil. Il charge alors, en vertu de l'article 375-4 du code civil, une personne qualifiée ou un service d'observation, d'éducation ou de rééducation en milieu ouvert d'apporter ce concours à la personne ou au service à qui la victime présumée fut confiée - et de suivre son développement. Cette possibilité est restreinte dans le cas d'un placement auprès de l'aide sociale à l'enfance (ci-après, ASE) aux cas exceptionnels et sur réquisitions écrites du ministère public ; dans cette hypothèse, cet accompagnement revient en outre à la protection judiciaire de la jeunesse.
La mesure de médiation familiale que peut proposer le juge des enfants aux parents en vertu de l'article 375-4-1 du code civil est en principe exclue si des violences sur l'enfant sont alléguées.
Le juge des enfants reçoit en outre périodiquement des informations relatives à la victime présumée, qui lui permettent d'assurer un véritable suivi de la situation de cette dernière. L'article 375 du code civil dispose en effet qu'un rapport annuel, qui contient notamment « bilan pédiatrique, psychique et social de l'enfant », est transmis au juge ; ce rapport est semestriel pour les enfants de moins de deux ans. De la même manière, lorsque le juge des enfants désigne une personne qualifiée ou un service pour apporter aide et conseil à la famille en application de l'article 375-2 du code civil, cette personne ou ce service doit en « faire rapport au juge périodiquement ».
L'article 375-6 du code civil prévoit que les décisions d'assistance éducative peuvent être à tout moment modifiées ou rapportées par le juge qui les a prises, soit de son propre mouvement, soit à la demande des parents. Cela permet au juge d'adapter le dispositif d'assistance éducative à l'évolution de la situation de l'enfant, pour préserver au mieux son intérêt.
L'article 375-8 du code civil garantit par ailleurs le maintien des frais d'entretien et d'éducation de l'enfant concerné par une mesure d'assistance éducative, sauf si le juge décide d'en décharger, partiellement ou entièrement, les parents voire les ascendants auxquels ils incombent.
Le juge des enfants dispose enfin de moyens d'investigation adaptés à son office. Ainsi peut-il, en vertu de l'article 1183 du code de procédure civile, « ordonner toute mesure d'information [...] en particulier par le moyen d'une mesure judiciaire d'investigation éducative, d'examens médicaux ou d'expertises psychiatriques et psychologiques ».
ii. L'ordonnance de placement provisoire permet au juge des enfants, en cours d'instance, ou au procureur de la République, en urgence, de protéger un enfant présumé victime de violences
L'article 375-5 du code civil prévoit la possibilité, pour le juge des enfants, de prendre durant l'instance, à titre provisoire, les mesures prévues aux articles 375-3 et 375-4, mais à charge d'appel. La mesure de placement provisoire ordonnée par le juge des enfants exige donc l'existence préalable d'une instance, et suppose, en vertu de l'article 1184 du code de procédure civile, l'audition préalable « de chacun des parents, du tuteur, de la personne ou du représentant du service à qui l'enfant a été confié et du mineur capable de discernement ».
Le juge des enfants ne peut
qu'exceptionnellement
statuer sur les droits de visite et
d'hébergement
Si en principe les parents conservent tous les attributs de l'autorité parentale lorsque des mesures d'assistance éducative sont ordonnées, le juge des enfants peut toutefois, exceptionnellement, les aménager, en vertu de l'article 375-7 du code civil. Ainsi le juge des enfants peut-il suspendre provisoirement tout ou partie de l'exercice des droits de visite et d'hébergement des parents, ou prévoir la présence d'un tiers lors de cet exercice (quatrième alinéa de l'article 375-7 du code civil).
Le procureur de la République peut aussi déterminer les modalités des droits de visite et d'hébergement lorsqu'il adopte une ordonnance de placement provisoire, en vertu du deuxième alinéa de l'article 373-5 du code civil.
La faculté dont dispose le juge des enfants de statuer sur les droits de visite et d'hébergement revêt toutefois un caractère tant exceptionnel que limitatif9(*). La Cour de cassation a plusieurs fois souligné que la détermination des liens entre l'enfant et un tiers revient en principe au juge aux affaires familiales, à l'exception du cas d'une mesure de placement10(*). Or, même dans cette dernière hypothèse, le juge des enfants ne peut en principe statuer sur les droits de visite et d'hébergement si une décision du juge aux affaires familiales a été prise antérieurement en la matière11(*). L'exception à ce principe réside dans la révélation, postérieure à la décision du juge aux affaires familiales, d'un fait nouveau justifiant la mesure du juge des enfants12(*).
Au surplus, le « placement éducatif à domicile » ne peut plus être prononcé par le juge des enfants, depuis un récent arrêt de la Cour de cassation13(*) ; il consistait à adjoindre au placement de l'enfant auprès de l'ASE un droit d'hébergement à temps complet de l'enfant chez ses parents ou l'un deux.
Le procureur de la République peut toutefois prendre l'une desdites mesures en cas d'urgence, à condition de saisir le juge des enfants dans les huit jours de leur prononcé. Ce dernier appréciera le bienfondé de la mesure, et décidera de la maintenir, de la modifier ou de la rapporter.
Le procureur de la République peut dans cette hypothèse se prononcer sur le droit de correspondance, de visite et d'hébergement des parents. Il peut également interdire la sortie du territoire de l'enfant.
Les principales sanctions pénales
encourues
en cas de violences physiques ou sexuelles sur
l'enfant
Le fait de commettre un délit ou un crime sur un mineur constitue une circonstance aggravante. Aussi, en matière délictuelle, les violences ayant entraîné une incapacité de travail inférieure ou égale à huit jours sont punies de trois ans de prison et de 45 000 euros d'amende, en application de l'article 222-13 du code pénal. Si l'incapacité excède les huit jours, l'infraction est punie de cinq ans de prison et 75 000 euros d'amende.
Il en va de même en matière criminelle. Le viol sur un mineur de quinze ans est ainsi puni de vingt ans (article 222-24 du code pénal) au lieu de quinze ans en principe (article 222-23 du même code). Un coupable d'autres infractions sexuelles que le viol encourt une peine d'emprisonnement de sept ans et de 100 000 euros d'amende lorsqu'il est un ascendant de la victime, ou dispose à son égard d'une autorité de droit ou de fait (article 222-28 du code pénal). La peine s'élève à dix ans d'emprisonnement et à 100 000 euros d'amende lorsque ces infractions sont commises sur un mineur de quinze ans par violence, contrainte, menace ou surprise (article 222-29-1 du même code).
La loi n° 2021-478 du 21 avril 2021 visant à protéger les mineurs des crimes et délits sexuels et de l'inceste a étendu la qualification de l'inceste (article 222-22-3 du code pénal), précisé la définition du viol (article 222-23 du même code) et introduit quatre nouvelles infractions dans le code pénal :
- le crime de viol sur mineur de moins de 15 ans (article 222-23-1) ;
- le crime de viol incestueux sur mineur (article 222-23-2) ;
- le délit d'agression sexuelle sur mineur de moins de 15 ans (article 222-29-2) ;
- le délit d'agression sexuelle incestueuse sur mineur (article 222-29-3).
b) Les dispositifs de protection judiciaire des victimes présumées de violences intrafamiliales bénéficient par extension à l'enfant, en tant que potentielle « covictime » des violences conjugales
En parallèle des dispositifs de protection judiciaire s'adressant spécifiquement aux enfants présumés victimes de violences, le législateur a étendu à l'enfant de nombreux dispositifs pensés en premier lieu dans le cadre des violences conjugales ou des procédures de séparations conflictuelles.
Ce mouvement a été renforcé par le vote de plusieurs lois récentes, et en particulier par la loi n° 2024-233 du 18 mars 2024 visant à mieux protéger et accompagner les enfants victimes et covictimes de violences intrafamiliales. En mentionnant dans l'intitulé de la loi la notion de « covictime », le législateur a ainsi consacré formellement le principe selon lequel tout enfant exposé à des violences conjugales en est aussi la victime, a minima psychologique, et plus seulement un témoin. À ce titre, la protection de l'enfant a fait l'objet d'une considération soutenue du législateur, qui a rendu plus systématique sa prise en compte au sein des dispositifs de protection judiciaire des victimes présumées de violences intrafamiliales.
Sans être exhaustif, peuvent être cités quatre dispositifs principaux qui sont mobilisables avant toute reconnaissance de culpabilité par la justice pénale : l'ordonnance de protection et, par extension, l'ordonnance provisoire de protection immédiate, la suspension de l'exercice de l'autorité parentale et des droits de visite et d'hébergement d'un parent poursuivi par le ministère public ou mis en examen par le juge d'instruction soit pour un crime commis sur la personne de l'autre parent, soit pour une agression sexuelle incestueuse ou un crime commis sur la personne de l'enfant, le retrait de l'autorité parentale en cas de mauvais traitement, inconduite notoire ou comportement délictueux et, pour ce qui concerne la procédure civile en cas de conflit entre les parents, l'assignation à bref délai.
Ces dispositifs s'ajoutent à la mesure d'ordre plus général que constitue l'article 373-2-8 du code civil, qui permet au ministère public de saisir à tout moment le juge aux affaires familiales « à l'effet de statuer sur les modalités d'exercice de l'autorité parentale », notamment dans le cas d'un signalement ou d'un dépôt de plainte lié à des violences présumées à l'égard de l'enfant. Le juge pourrait alors prendre les mesures d'urgence qui lui paraîtraient nécessaires au vu des éléments du dossier, comme fixer la résidence de l'enfant au domicile d'un des parents.
i. L'ordonnance de protection et l'ordonnance provisoire de protection immédiate, des outils au bénéfice des victimes présumées de violences conjugales qui peuvent s'étendre aux enfants, y compris lorsqu'il n'y a pas eu de violences à leur encontre
L'une des pierres angulaires de l'arsenal juridique de protection des victimes présumées de violences conjugales est constituée de l'ordonnance de protection, instaurée par le législateur en 201014(*) et réformée à six reprises en quatorze ans15(*), et de l'ordonnance provisoire de protection immédiate, créée en juin 202416(*) mais dont les décrets d'application sont encore en attente de publication17(*).
En l'état du droit et à la suite des modifications apportées par le législateur au dispositif initial, l'ordonnance de protection est un dispositif d'urgence, à mi-chemin entre le droit civil et le droit pénal, qui s'adresse aux personnes majeures s'estimant victimes de violences conjugales.
Régie par les articles 515-9 à 515-13 du code civil, l'ordonnance de protection a considérablement renforcé l'office du juge aux affaires familiales et l'a placé en première ligne de la lutte contre les violences conjugales, en lui permettant d'ordonner des mesures provisoires dans l'attente d'un éventuel jugement pénal si les violences sont avérées.
Le juge aux affaires familiales peut ainsi délivrer une ordonnance de protection « lorsque les violences exercées au sein du couple, y compris lorsqu'il n'y a pas de cohabitation, ou par un ancien conjoint, un ancien partenaire lié par un pacte civil de solidarité ou un ancien concubin, y compris lorsqu'il n'y a jamais eu de cohabitation, mettent en danger la personne qui en est victime ou un ou plusieurs enfants »18(*). Aussi, si le danger qui affecte les enfants du couple peut constituer l'un des critères d'obtention d'une ordonnance de protection, ce danger n'est cependant apprécié qu'à titre secondaire, le principal critère étant l'existence vraisemblable de violences sur l'un des deux membres du couple. Si un enfant est présumé victime de violences de la part d'un de ses parents ou de la part du conjoint ou du concubin d'un de ses parents mais que l'autre membre du couple n'est pas victime de ces violences, le dispositif de l'ordonnance de protection n'est donc pas applicable.
Application de l'ordonnance de protection aux enfants en Espagne
Dès 2003, l'Espagne a mis en place un système légal de protection des victimes de violences conjugales qui a inspiré l'ordonnance de protection française. Les juges espagnols sont tenus de se prononcer dans un délai maximal de 72 heures à compter du dépôt de la demande, et peuvent prononcer la mise en place de toute mesure prévue par la législation pénale ainsi que certaines mesures de protection civile à titre provisoire, pour une durée de trente jours. Ces mesures s'appliquent à la femme victime et, le cas échéant, à ses enfants.
L'ordonnance de protection espagnole s'est enrichie de mesures visant à accroître la protection des enfants dans le cadre de violences conjugales. Ainsi, une loi organique de 2004 a permis d'accorder le statut de « victimes directes » aux enfants mineurs sous la tutelle de femmes victimes de violences conjugales et leur a reconnu plusieurs droits. Certaines des mesures que peut prononcer le juge permettent d'assurer la protection des enfants mineurs ; ainsi par exemple de la détermination des droits de garde, de visite et d'hébergement des parents. Depuis 2021 et l'adoption de la loi organique de protection des enfants et des adolescents face à la violence, le droit espagnol qualifie aussi de « violence conjugale » le fait, pour un conjoint ou un ex-conjoint, d'exercer une violence contre les membres mineurs de sa famille, dans le but de causer des dommages ou préjudices à l'autre conjoint ou ex-conjoint.
Le juge peut être saisi d'une demande d'ordonnance de protection soit par le membre - majeur - du couple en danger soit, avec l'accord de celui-ci, par le ministère public. Ni le ministère d'avocat, ni le dépôt d'une plainte pénale préalable ne sont exigés pour saisir le juge aux affaires familiales d'une demande d'ordonnance de protection.
Le juge dispose d'un délai de six jours à compter de la fixation de la date de l'audience pour se prononcer. Après avoir recueilli les observations de chacune des parties afin de respecter le principe du contradictoire, le juge doit alors déterminer s'il « existe des raisons sérieuses de considérer comme vraisemblables [...] la commission des faits de violence allégués et le danger auquel la victime ou un ou plusieurs enfants sont exposés »19(*).
Dans l'affirmative, le juge aux affaires familiales dispose d'une large palette de moyens, régulièrement accrus par le législateur20(*), afin de garantir la sécurité de la victime présumée de violences conjugales et l'aider à rendre effective la séparation. Les mesures que le juge peut prononcer sont listées aux articles 515-11 et 515-11-1 du code civil. Une part significative de ces mesures peut concerner les enfants du couple, y compris lorsque ceux-ci n'ont pas été directement victimes des violences et y compris, en ce qui concerne les interdictions de contact, lorsque les enfants sont majeurs.
Le juge peut tout d'abord ordonner des mesures relevant traditionnellement du droit pénal à l'encontre de la partie défenderesse : l'interdiction d'entrer en relation, de recevoir ou de rencontrer certaines personnes désignées par le juge ; l'interdiction de détenir ou de porter une arme, qui peut s'accompagner de l'obligation de remettre aux services de police ou de gendarmerie les armes possédées ; ou encore l'interdiction de se rendre dans certains lieux spécialement désignés par le juge dans lesquels se trouve de façon habituelle la partie demanderesse, par exemple les abords de l'école des enfants. Pour s'assurer du respect de ces mesures, le juge peut, en application de l'article 515-11-1, ordonner le port d'un bracelet anti-rapprochement, après avoir recueilli le consentement des deux parties. De même, en application de l'article 41-3-1 du code de procédure pénale, il peut attribuer un « téléphone grave danger » à la partie demanderesse, afin de lui permettre d'alerter et de faire intervenir rapidement les forces de l'ordre, notamment grâce à la géolocalisation.
Le juge aux affaires familiales peut également prononcer des mesures civiles. Il statue sur la résidence séparée des membres du couple, et sur l'attribution du logement conjugal ou du logement commun, mais aussi de la jouissance de l'animal de compagnie détenu au sein du foyer, à la victime présumée des violences. Il peut également régler les relations financières entre les partenaires ainsi que les modalités d'exercice de l'autorité parentale. À cet effet, il peut, en application de l'article 373-2-9 du code civil, organiser le droit de visite du parent privé de l'exercice de l'autorité parentale dans un espace de rencontre dédié ou prévoir que la remise de l'enfant d'un parent à l'autre s'effectuera dans cet espace, ou avec l'assistance d'un tiers de confiance ou du représentant d'une personne morale qualifiée.
Enfin, le juge peut prononcer des mesures d'aide ou de protection de la personne victime de violences : autorisation de dissimulation de son domicile, pour éviter des représailles, admission provisoire à l'aide juridictionnelle, présentation de personnes morales qualifiées susceptibles de l'accompagner pendant toute la durée de l'ordonnance de protection. Des mesures de prise en charge sanitaire, sociale ou psychologique peuvent également être proposées par le juge à la partie défenderesse.
Selon les données du ministère de la justice21(*), lorsqu'au moins l'un des membres du couple au sein duquel des violences ont présumément lieu a des enfants, l'écrasante majorité des demandes d'ordonnances de protection comprend des demandes de mesures qui concernent ces enfants, notamment dans huit cas sur dix des demandes relatives à l'autorité parentale et dans un tiers des cas des demandes d'interdiction d'entrer en contact avec les enfants mineurs du couple. Le juge les accorde dans la plupart des cas, environ huit fois sur dix, la proportion d'acceptation étant la plus faible pour les demandes d'interdiction d'entrer en contact avec les enfants majeurs du couple, à hauteur tout de même de 69 %.
Statistiques relatives aux demandes de mesures concernant les enfants dans le cadre de demandes d'ordonnance de protection et part des demandes acceptées par le juge aux affaires familiales
Source : Infostat Justice n° 192 (juin 2023)
Conformément à l'article 515-12 du code civil, toutes ces mesures sont prises pour une durée maximale de douze mois. Le juge dispose toutefois de la faculté de fixer une durée plus courte, conformément à l'article 1136-7 du code de procédure civile.
Ce délai de douze mois peut cependant être prolongé, sans que le législateur n'ait fixé de limite temporelle, si le juge aux affaires familiales a été saisi d'une demande relative à l'exercice de l'autorité parentale ou si une demande en divorce ou en séparation de corps est introduite avant leur expiration.
Les mesures édictées dans le cadre des ordonnances de protection peuvent être modifiées, complétées, supprimées ou suspendues « à tout moment » par le juge, à la demande du ministère public ou de l'une ou l'autre des parties, ou après avoir fait procéder à toute mesure d'instruction utile, et après avoir invité chacune d'entre elles à s'exprimer. Le juge peut également accorder à la personne défenderesse une dispense temporaire d'observer certaines des obligations qui lui ont été imposées.
Le non-respect de ces mesures constitue un délit, réprimé par les articles 227-4-2 et 227-4-3 du code pénal, et pouvant être puni d'une peine de 45 000 € d'amende et de trois ans d'emprisonnement.
Enfin, comme évoqué supra, le législateur a créé, en juin 202422(*), une ordonnance provisoire de protection immédiate23(*), censée assurer une protection d'extrême urgence aux victimes présumées de violences conjugales, dans l'attente de la décision du juge sur la demande d'ordonnance de protection et en cas de « danger grave et immédiat ». Prise dans un délai de vingt-quatre heures, elle permet au juge aux affaires familiales, sur saisine du ministère public, de prononcer des mesures telles qu'une interdiction de contact, qui peut inclure les enfants du couple, une interdiction de se rendre dans certains lieux spécialement désignés par le juge ou encore la suspension du droit de visite et d'hébergement.
ii. Avant même une condamnation pénale, l'exercice de l'autorité parentale et les droits de visite et d'hébergement sont suspendus en cas de poursuite ou de mise en examen pour crime sur l'autre parent ou d'agression sexuelle incestueuse ou de crime sur l'enfant
Comme pour l'ordonnance de protection, le législateur est récemment intervenu, à quelques mois d'écart, pour modifier le régime du retrait et de la suspension de l'exercice de l'autorité parentale et des droits de visite et d'hébergement, dans l'objectif d'assurer une plus grande protection des victimes présumées de violences, qu'elles soient à l'encontre d'un des parents ou d'un ou de plusieurs enfants. Ces mesures de protection s'appliquent, dans une logique proche de celle portée par l'ordonnance de sûreté de l'enfant que tend à créer le présent texte, avant même la décision du juge pénal statuant sur la culpabilité du parent présumé agresseur.
Le retrait ou la suspension de l'exercice de l'autorité parentale
Cette mesure revient à confier exclusivement à l'autre parent titulaire de l'autorité parentale le devoir de protéger l'enfant dans sa sécurité, sa moralité et sa santé, de fixer sa résidence et de conduire son éducation. Si ce parent est dans l'impossibilité de le faire ou décédé, le juge aux affaires familiales (JAF) délègue cet exercice à une tierce personne en application de l'article 377 du code civil.
Le parent privé de l'exercice de l'autorité parentale conserve de son côté :
- le droit de consentir au mariage (article 148 du code civil), à l'adoption (article 348 du code civil) et à l'émancipation (article 413-2 du code civil) de son enfant, qui sont les trois attributs les plus symboliques de l'autorité parentale ;
- un droit de correspondance ;
- un droit de visite et d'hébergement, un tel droit ne pouvant être refusé « que pour des motifs graves » (article 373-2-1 du code civil24(*)) ;
- un droit de surveillance (article 373-2-1 du code civil), c'est-à-dire le droit de contrôler que l'autre parent accomplit sa mission dans l'intérêt de l'enfant. Ce droit permet d'obtenir du parent exerçant seul l'autorité parentale toute information en ce qui concerne les choix importants relatifs à la vie de l'enfant, comme la communication régulière de documents scolaires et du carnet de santé de l'enfant. Il s'agit d'un droit à l'information, et non d'un droit de veto.
Le parent privé de l'exercice de l'autorité parentale, comme celui qui a fait l'objet d'un retrait de l'autorité parentale, continue de contribuer à l'entretien et à l'éducation de son enfant (article 371-2 du code civil).
Le juge compétent en matière d'exercice de l'autorité parentale est le JAF, tandis qu'en matière de titularité de l'autorité parentale, il s'agit du tribunal judiciaire.
Source : rapport n° 400 (2022 - 2023) de Marie Mercier sur la proposition de loi visant à mieux protéger et accompagner les enfants victimes et covictimes de violences intrafamiliales, déposé le 8 mars 2023.
La loi n° 2024-233 du 18 mars 2024 visant à mieux protéger et accompagner les enfants victimes et covictimes de violences intrafamiliales a ainsi élargi significativement les motifs de suspension de plein droit de l'exercice de l'autorité parentale et des droits de visite, avant condamnation pénale. Alors que l'article 378-2 du code civil ne prévoyait, pour une durée maximale de six mois, la suspension de l'exercice de l'autorité parentale et des droits de visite, avant condamnation pénale, que lorsque l'un des parents était poursuivi par le ministère public pour un crime commis sur la personne de l'autre parent, cette suspension provisoire a été étendue aux poursuites par le ministère public et aux mises en examen par le juge d'instruction pour agression sexuelle incestueuse ou pour un crime commis sur l'enfant. En outre, la limite de six mois a été levée, la suspension de l'exercice de l'autorité parentale et des droits de visite et d'hébergement s'appliquant désormais « jusqu'à la décision du juge aux affaires familiales, le cas échéant saisi par le parent poursuivi, jusqu'à la décision de non-lieu du juge d'instruction ou jusqu'à la décision de la juridiction pénale »25(*), ce qui, dans les faits, peut durer plusieurs années.
Article 378-2 du code civil
L'exercice de l'autorité parentale et les droits de visite et d'hébergement du parent poursuivi par le ministère public ou mis en examen par le juge d'instruction soit pour un crime commis sur la personne de l'autre parent, soit pour une agression sexuelle incestueuse ou pour un crime commis sur la personne de son enfant sont suspendus de plein droit jusqu'à la décision du juge aux affaires familiales, le cas échéant saisi par le parent poursuivi, jusqu'à la décision de non-lieu du juge d'instruction ou jusqu'à la décision de la juridiction pénale.
Outre l'élargissement de la suspension provisoire de l'exercice de l'autorité parentale et des droits de visite et d'hébergement, la loi n° 2024-233 précitée a rendu plus systématique le retrait de l'autorité parentale en cas de condamnation pénale pour un crime, un délit ou une agression sexuelle incestueuse commis sur la personne de l'enfant ou de l'autre parent. L'article 378 du code civil prévoit désormais, par défaut et sauf décision contraire spécialement motivée, un retrait total de l'autorité parentale du parent condamné comme auteur, coauteur ou complice d'un crime ou d'une agression sexuelle incestueuse commis sur la personne de son enfant ou d'un crime commis sur la personne de l'autre parent. Si le retrait total n'est pas décidé, le juge pénal doit ordonner le retrait partiel de l'autorité parentale ou le retrait de l'exercice de l'autorité parentale, sauf décision contraire spécialement motivée.
Suivant une logique de gradation, le même article 378 impose au juge pénal de « se prononcer » sur le retrait total ou partiel de l'autorité parentale ou sur le retrait de l'exercice de cette autorité en cas de condamnation d'un parent comme auteur, coauteur ou complice d'un délit commis sur la personne de son enfant, autre qu'une agression sexuelle incestueuse.
Enfin, le juge pénal peut ordonner le retrait total ou partiel de l'autorité parentale ou le retrait de l'exercice de cette autorité en cas de condamnation d'un parent comme auteur, coauteur ou complice d'un délit commis sur la personne de l'autre parent.
Il convient toutefois de noter qu'en l'état du droit, seul le tribunal judiciaire peut, après procédure contradictoire et recueil d'éléments de preuve, retirer l'autorité parentale. Les mesures d'urgence à caractère provisoire ne peuvent porter que sur le retrait ou la suspension de l'exercice de l'autorité parentale.
iii. Le retrait de l'autorité parentale, en dehors de toute condamnation pénale, en cas de mauvais traitement, inconduite notoire ou comportement délictueux
Le code civil prévoit des dispositifs de protection de l'enfant en danger par le biais du retrait de l'autorité parentale, qui s'appliquent également en dehors de toute plainte, instruction ou condamnation pénale. Ce retrait de l'autorité parentale constitue une mesure forte qui ne peut, en l'état du droit, être prise dans le cadre de l'ordonnance de protection.
L'article 378-1 du code civil permet ainsi au ministère public, à un membre de la famille, au tuteur de l'enfant ou au service départemental de l'aide sociale à l'enfance auquel l'enfant est confié de saisir le tribunal judiciaire aux fins d'un retrait de l'autorité parentale, sans dépôt d'une plainte pénale en parallèle.
Les faits pouvant justifier ce retrait sont nombreux et incluent les cas de violences à l'égard de l'autre parent et de l'enfant. Il s'agit :
- de mauvais traitements ;
- d'une consommation habituelle et excessive de boissons alcooliques ou un usage de stupéfiants ;
- d'une inconduite notoire ;
- de comportements délictueux, « notamment lorsque l'enfant est témoin de pressions ou de violences, à caractère physique ou psychologique, exercées par l'un des parents sur la personne de l'autre » ;
- d'un défaut de soins ou un manque de direction.
Le comportement du parent doit en outre « mettre manifestement en danger la sécurité, la santé ou la moralité de l'enfant » pour que lui soit retirée l'autorité parentale.
Cette mesure est considérée par la jurisprudence judiciaire non pas comme une sanction, mais comme une mesure de protection vis-à-vis de l'enfant. À ce titre, le parent sévissant n'est pas nécessairement considéré comme coupable, il peut par exemple s'agir d'une mère démente et dangereuse dont les mauvais traitements ont rendu son enfant infirme, sans qu'elle ne soit pour autant reconnue pénalement responsable26(*).
iv. L'assignation à « bref délai » permet au juge aux affaires familiales de se prononcer dans l'urgence, notamment en cas de violences à l'égard de l'enfant
Bien que ce dispositif ne soit pas ciblé sur les cas de violences sur l'enfant, il est également possible de saisir dans l'urgence, hors procédure de divorce, le juge aux affaires familiales afin que celui-ci « assigne à une date d'audience fixée à bref délai »27(*) pour se prononcer sur les modalités d'exercice de l'autorité parentale ou sur le droit de visite et d'hébergement des parents. Ce délai « bref » est censé ne pas dépasser quinze jours, en application de l'article 1138 du code de procédure civile. Il s'agit là d'une procédure de nature civile, faisant partie des outils de résolution des conflits entre les parents.
Si cette assignation à bref délai, régie depuis le 1er janvier 2021 par l'article 1137 du code de procédure civile, est principalement pensée pour les cas de modification unilatérale de l'organisation de la vie de l'enfant, tels qu'un déménagement soudain ou un refus de droit de visite, ou pour le traitement de points de blocage tels qu'un renouvellement du passeport de l'enfant, une inscription scolaire ou une contribution aux charges éducatives de l'enfant, cette procédure d'urgence est aussi mobilisable en cas de violences présumées à l'encontre de l'enfant. Néanmoins, le code de procédure civile précisant que « l'urgence doit être dûment justifiée », cette assignation à bref délai demeure soumise à l'appréciation du juge aux affaires familiales ; elle n'est ainsi pas de droit. Il revient alors à la partie demanderesse de démontrer, pièces à l'appui, la vraisemblance des violences alléguées afin d'étayer sa requête tendant à modifier les modalités d'exercice de l'autorité parentale ou les droits de visite et d'hébergement. Lorsqu'un jugement fixant les modalités d'exercice de l'autorité parentale a déjà été rendu par le juge aux affaires familiales, les faits présumés de violences à l'égard de l'enfant peuvent constituer des éléments nouveaux justifiant une révision urgente de la situation mise en place par jugement.
Il convient enfin de noter que la décision du juge aux affaires familiales, malgré le caractère d'urgence de l'assignation à bref délai, constitue une action au fond et n'a pas de caractère provisoire. Le juge aux affaires familiales peut d'ailleurs prononcer des mesures ayant un caractère provisoire, l'article 1073 du code de procédure civile lui permettant « [d']exercer les fonctions de juge des référés ». Cette fonction semble toutefois peu mise en oeuvre, la réforme issue de l'article 28 de la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice ayant incité à privilégier l'assignation à bref délai plutôt que le référé.
c) La Ciivise préconise au regard de ses travaux d'améliorer la protection des enfants présumés victimes de violences
La Commission indépendante sur l'inceste et les violences sexuelles faites aux enfants a été créée en 2021 sur le modèle de la Commission indépendante sur les abus sexuels dans l'Église (ci-après, CIASE). La Ciivise, initialement instituée pour deux ans, a été reconduite à plusieurs reprises.
Il incombait à la Ciivise en vertu de sa lettre de mission du 23 janvier 2021 de recueillir les témoignages de personnes victimes dans l'enfance de violences sexuelles, d'offrir un espace de reconnaissance et de solidarité aux victimes et enfin de formuler les recommandations pour améliorer les politiques publiques de protection de l'enfance.
La commission a ainsi rendu en novembre 2023 un rapport d'étape qui formule certaines propositions au regard des constats dressés durant ses travaux.
Selon la Ciivise, 160 000 enfants sont victimes de violences sexuelles par an, l'agresseur appartient à la famille de l'enfant dans 81 % des cas et les violences s'étendent sur plus d'une année dans 51 % des cas.
L'agresseur serait dans l'écrasante majorité des cas un homme (97 %) majeur (81 %) qui appartiendrait au cercle familial (père : 27 % ; frère : 19 % ; oncle : 13 % ; ami des parents : 8 % ; voisin : 5 %).
Or, entre 2017 et 2020, seules 27 730 plaintes furent déposées par an en moyenne. Une plainte ne serait donc déposée que dans 19 % des cas - et 12 % dans le cas de l'inceste.
À l'issue de ses travaux, la Ciivise a formulé 82 recommandations. Certaines concernent le traitement judiciaire des violences sexuelles sur l'enfant, dont la vingt-sixième préconisation qui concerne l'introduction d'une ordonnance de sûreté de l'enfant, « permettant au juge aux affaires familiales de statuer en urgence sur les modalités d'exercice de l'autorité parentale en cas d'inceste parental vraisemblable ».
Préconisation n° 26 de la Ciivise
Créer une Ordonnance de Sûreté de l'Enfant (OSE) permettant au juge aux affaires familiales de statuer en urgence sur les modalités d'exercice de l'autorité parentale en cas d'inceste parental vraisemblable.
2. La proposition de loi tend à créer un nouveau dispositif de protection judicaire des mineurs, l'ordonnance de sûreté de l'enfant victime de violences, inspiré de l'ordonnance de protection, en vigueur depuis 2010
Mettant en oeuvre la recommandation n° 26 du rapport précité de la Ciivise (voir supra), l'article unique de la proposition de loi créerait un nouveau titre au sein du livre Ier du code civil, s'insérant à la suite du titre XIV régissant les ordonnances de protection et les ordonnances provisoires de protection immédiate. Ce nouveau titre XV, intitulé « des mesures de sûreté des enfants victimes de violences », serait composé de cinq articles, les articles 515-13-2 à 515-13-6, instituant et précisant les modalités d'application de l'ordonnance de sûreté de l'enfant victime de violences.
Ce placement à la fin du livre Ier du code civil n'est pas anodin, l'objectif de l'auteur de la proposition de loi, Maryse Carrère, étant en effet « d'instituer un dispositif similaire » à l'ordonnance de protection, « mais cette fois spécifiquement dédié à la protection des enfants victimes »28(*). Le dispositif proposé comporte cependant des divergences significatives avec l'ordonnance de protection, d'une part parce que la proposition de loi a été déposée avant l'adoption définitive de la loi n° 2024-536 du 13 juin 2024 renforçant l'ordonnance de protection et créant l'ordonnance provisoire de protection immédiate et qu'elle ne prend donc pas en compte les modifications que cette loi a apportées au régime des ordonnances de protection, d'autre part en raison des choix mêmes retenus par la proposition de loi.
a) Les conditions de saisine du juge (articles 515-13-2 et 515-13-3)
Telle que proposée par le texte déposé, l'ordonnance de sûreté de l'enfant victime de violences serait, à l'instar de l'ordonnance de protection, une mesure de protection judiciaire dont la délivrance ne serait pas conditionnée au dépôt préalable d'une plainte pénale. Elle constituerait ainsi une mesure d'urgence censée protéger l'enfant présumé victime de violences, notamment incestueuses, dans l'attente d'une mesure plus durable, par exemple le prononcé d'une sanction pénale si les violences sont avérées.
L'ordonnance de sûreté serait délivrée par le juge aux affaires familiales, sur saisine de l'un des parents ou, comme pour les ordonnances de protection, du ministère public. Il convient toutefois de noter que, pour ce qui concerne les ordonnances de protection, le ministère public n'est à l'initiative que de 2 %29(*) des saisines du juge aux affaires familiales, le rapporteur doutant que cette proportion croisse significativement pour les ordonnances de sûreté.
Le juge disposerait d'un délai de quinze jours à compter de la fixation de la date de l'audience pour rendre sa décision, soit un délai supérieur au délai de délivrance de l'ordonnance de protection (six jours) et de l'ordonnance provisoire de protection immédiate (vingt-quatre heures).
Pour octroyer cette ordonnance de sûreté, le juge devrait apprécier s'il « apparaît vraisemblable qu'un enfant a subi un viol incestueux, une agression sexuelle incestueuse ou des faits de violence susceptible de la mettre en danger, commis par une personne titulaire sur celui-ci d'une autorité de droit ou de fait » et s'il « est à redouter qu'une nouvelle infraction soit commise », selon les termes du nouvel article 515-13-2. Ainsi, l'ordonnance de sûreté proposée aurait un périmètre plus large que la recommandation formulée par la Ciivise, puisque cette dernière visait les seuls cas d'inceste vraisemblable. Le nouvel article 515-13-2 ouvrirait quant à lui le dispositif de l'ordonnance de sûreté non seulement aux cas de viol incestueux et d'agression sexuelle incestueuse, mais également aux faits de violence susceptibles de mettre l'enfant en danger, ce qui inclurait tous types de violence physique voire morale ou psychologique, la preuve étant cependant plus difficile à apporter pour ces deux derniers cas. En outre, l'ordonnance de sûreté de l'enfant victime de violences ne serait pas limitée, contrairement à l'ordonnance de protection, aux cas de violences au sein du noyau familial constitué du couple et des enfants, mais ciblerait tout adulte ayant une autorité de fait, ce qui peut concerner des frères et soeurs, des grands-parents, des oncles et tantes, des professeurs dans un cadre scolaire ou extrascolaire, etc.
Nonobstant cet élargissement du dispositif par rapport à la suggestion initiale de la Ciivise, les conditions d'octroi de l'ordonnance de sûreté s'avèreraient proches de l'ordonnance de protection, telle que régie par les articles 515-9 et 515-11 du code civil. Dans les deux dispositifs, le juge devrait, comme décrit supra, apprécier deux critères cumulatifs :
- la vraisemblance de la commission d'un viol incestueux, d'une agression sexuelle ou d'un fait de violence susceptible de mettre en danger l'enfant, qui ne sont pas sans rappeler la « vraisembla[nce de] la commission des faits de violences allégués »30(*) de l'ordonnance de protection ;
- la crainte qu'une nouvelle infraction soit commise, qui fait écho au critère du « danger auquel la victime ou un ou plusieurs enfants sont exposés » nécessaire à l'octroi d'une ordonnance de protection.
Enfin, en termes procéduraux, les ordonnances de sûreté et de protection seraient identiques31(*) : le juge devrait convoquer pour une audience, par tous moyens adaptés, la partie demanderesse et la partie défenderesse, assistées, le cas échéant, d'un avocat, ainsi que le ministère public à fin d'avis - dans les faits, celui-ci transmet des observations mais se déplace très rarement aux audiences. Ces auditions pourraient avoir lieu séparément, l'audiencement séparé étant de droit lorsqu'une demande en ce sens émane de la partie demanderesse, c'est-à-dire de la victime présumée ou, lorsque celle-ci est mineure, de l'un de ses parents. L'audience se tiendrait en chambre du conseil. Les éléments produits par les deux parties seraient contradictoirement débattus lors des auditions. Enfin, comme pour l'ordonnance de protection, toute délivrance d'une ordonnance de sûreté devrait être signifiée au procureur de la République par le juge aux affaires familiales l'ayant octroyée.
b) Les mesures pouvant être prononcées par le juge (articles 515-13-4 à 515-13-6)
Si le juge estime que les critères cumulatifs précités sont réunis, il serait alors compétent pour prononcer, après avoir recueilli les observations des parties sur chacune d'entre elles, quatre types de mesures, pouvant se cumuler ou être prises indépendamment.
En premier lieu, conformément au 1° du nouvel article 515-13-4, le juge pourrait prononcer le retrait total ou partiel de l'autorité parentale ou uniquement le retrait de l'exercice de l'autorité parentale, aussi bien sur l'enfant présumé victime de violences que sur les frères et soeurs mineurs de la victime présumée. Le juge pourrait également se prononcer sur les modalités du droit de visite et d'hébergement de la partie défenderesse, c'est-à-dire le parent suspecté de violences. Si les deux dernières mesures font aussi partie des mesures que peut prononcer le juge aux affaires familiales dans le cadre de l'ordonnance de protection, le retrait total ou partiel de l'autorité parentale constituerait une mesure nouvelle dans le cadre d'une procédure d'urgence sans déclaration de culpabilité.
Le juge pourrait, conformément au 2° du même article 515-13-4, prononcer une interdiction de contact, de réception, de rencontre et de mise en relation à l'égard de la partie défenderesse, pouvant concerner, outre l'enfant présumé victime, ses frères et soeurs ainsi que toute autre personne spécialement désignée par le juge. Il s'agit d'une mesure similaire à celles qui peuvent être prises dans le cadre d'une ordonnance de protection. Si une telle mesure est prononcée, le juge pourrait ordonner, avec l'accord des deux parties, le port d'un bracelet anti-rapprochement à la partie défenderesse et l'octroi à la partie demanderesse d'un téléphone d'alerte signalant lorsque l'agresseur présumé est à proximité (nouvel article 515-13-5). Il convient cependant de signaler qu'un tel dispositif, s'il est devenu courant pour les ordonnances de protection, n'est habituellement pas destiné à des mineurs.
Parallèlement, le juge pourrait interdire à la partie défenderesse de se rendre dans certains lieux spécialement désignés par le juge, dans lesquels se trouve de façon habituelle l'enfant présumé victime (3° de l'article 515-13-4). Il s'agit typiquement de son école, de son domicile et du lieu de ses activités extrascolaires. Cette mesure peut également être prise dans le cadre de l'ordonnance de protection.
Le juge pourrait en outre, comme c'est le cas lors de la délivrance d'une ordonnance de protection, proposer à la partie défenderesse une prise en charge sanitaire, sociale ou psychologique (4° de l'article 515-13-4).
Toutes ces mesures auraient une durée maximale de six mois à compter de la notification de l'ordonnance (nouvel article 515-13-6), soit une durée inférieure de moitié à la durée maximale d'une ordonnance de protection (douze mois).
Elles pourraient être, comme les ordonnances de protection, supprimées ou modifiées par le juge en tout ou partie, soit sur demande du ministère public, soit à la demande de l'une des parties, dans les deux cas après avoir recueilli les observations de chacune des parties. Le juge pourrait également ajouter des mesures nouvelles à l'ordonnance de sûreté, accorder à la partie défenderesse une dispense temporaire d'observer certaines de ces mesures ou rapporter l'ordonnance de sûreté. En revanche, contrairement à l'ordonnance de protection, il ne serait pas possible de prolonger ces mesures au-delà de la durée maximale par défaut32(*).
Enfin, il existerait une divergence marquée quant à l'amplitude des mesures que pourrait prendre le juge lors d'une ordonnance de sûreté, par comparaison avec l'ordonnance de protection. Dans le premier cas, il ne pourrait ainsi pas interdire la détention ou le port d'une arme, ni statuer sur la résidence séparée des époux ou sur le logement commun du couple, ni statuer sur la contribution à l'entretien et à l'éducation des enfants, ni attribuer à la partie demanderesse la jouissance de l'animal de compagnie détenu au sein du foyer, ni autoriser la dissimulation de l'adresse de la victime présumée, ni prononcer l'admission provisoire à l'aide juridictionnelle.
Comparatif entre l'ordonnance de protection en
vigueur
et l'ordonnance de sûreté de l'enfant victime de
violences
Ordonnance de protection (droit en vigueur) |
Ordonnance de sûreté de l'enfant victime de violences (texte de la PPL) |
||
Autorité de délivrance |
Juge aux affaires familiales |
Juge aux affaires familiales |
|
Saisine du juge |
Par la personne en danger ou le ministère public |
Par l'un des parents de l'enfant ou le ministère public |
|
Obligation de dépôt d'une plainte pénale préalable |
Non |
Non |
|
Délai de délivrance |
Six jours |
Quinze jours |
|
Mesures que peut prendre le juge |
Retrait total ou partiel de l'autorité parentale |
Non |
Oui |
Retrait de l'exercice de l'autorité parentale |
Oui |
Oui |
|
Fixation des modalités du droit de visite et d'hébergement |
Oui |
Oui |
|
Interdiction de contact |
Oui |
Oui |
|
Interdiction pour la partie défenderesse de se rendre dans certains lieux |
Oui |
Oui |
|
Prise en charge sanitaire, sociale ou psychologique de la partie défenderesse |
Oui |
Oui |
|
Attribution à la partie demanderesse de la jouissance de l'animal de compagnie détenu au sein du foyer |
Oui |
Non |
|
Interdiction de détenir ou de porter une arme |
Oui |
Non |
|
Décision sur la résidence séparée des époux ou sur le logement commun du couple |
Oui |
Non |
|
Décision sur la contribution à l'entretien et à l'éducation des enfants |
Oui |
Non |
|
Autorisation de dissimulation de l'adresse de la victime |
Oui |
Non |
|
Admission provisoire à l'aide juridictionnelle |
Oui |
Non |
|
Obligation pour le juge de motiver sa décision |
Oui, dans certains cas |
Non |
|
Possibilité d'ordonner le port d'un bracelet anti-rapprochement |
Oui |
Oui |
|
Durée maximale des mesures énoncées par le juge |
Douze mois |
Six mois |
|
Possibilité de modification des mesures énoncées par le juge |
Oui |
Oui |
|
Possibilité de prolongation de l'ordonnance |
Oui, sous conditions |
Non |
|
Peine encourue en cas de violation des mesures énoncées par le juge |
Jusqu'à 45 000 € d'amende et 3 ans d'emprisonnement |
Aucune sanction prévue |
3. Une nouvelle ordonnance dont la pertinence reste à démontrer au regard de l'absence de soutien dont elle a fait l'objet lors des travaux du rapporteur
La commission des lois, attachée à la protection de l'enfance, souscrit pleinement à l'objectif que la présente proposition de loi affiche - la protection des enfants présumés victimes de violences sexuelles en général, et incestueuses en particulier.
Les travaux du rapporteur ont néanmoins souligné que la proposition de loi souffre de trois principales limites qui justifient son rejet en l'état. Il apparaît en effet que l'ordonnance de sûreté de l'enfant victime de violences ne rencontre pas de soutien affirmé parmi les acteurs de la protection de l'enfance tout en soulevant plusieurs difficultés juridiques significatives. Enfin, il s'insère dans un cadre procédural riche dont il pourrait altérer la lisibilité.
La commission a pris acte que la création d'une ordonnance de sûreté des enfants victimes de violences n'était aucunement une mesure sollicitée par les principales parties prenantes. Les différents acteurs de la protection de l'enfance auditionnés par le rapporteur ont en effet manifesté, à la quasi-unanimité, une forte prudence à l'égard du dispositif proposé, voire pour certains un franc avis défavorable. Il n'apparait donc pas constituer une demande venue du terrain, au plus proche des victimes présumées.
Les magistrats principalement concernés - juges aux affaires familiales, procureurs de la République et juges des enfants -, la direction des affaires civiles et du sceau du ministère de la justice ainsi que les avocats représentés par le Conseil national des barreaux n'ont ainsi pas témoigné de soutien net en faveur du texte. Le monde associatif n'a pas, lui non plus, fait part d'une vive adhésion à l'égard du texte : parmi les quatre associations de défense des enfants auditionnées par le rapporteur, seules deux ont affiché un soutien au texte, les deux autres faisant part de réserves quant à son utilité. En outre, et de façon significative, bien que le texte mette en oeuvre l'une des recommandations du dernier rapport de la Ciivise, le comité directeur de cette dernière - renouvelé depuis la publication dudit rapport - a exprimé des critiques sur le texte tel qu'il est proposé, suggérant des modifications éloignant significativement le dispositif voulu de la recommandation n° 26 de la Ciivise.
Les personnes entendues ont souligné les diverses limites juridiques du dispositif proposé par le texte, que les travaux du rapporteur ont mis en exergue. Le juge aux affaires familiales pourrait ainsi, dans le cadre de l'ordonnance de sûreté, procéder au retrait de l'autorité parentale - et non seulement au retrait de l'exercice de cette dernière. Or, le retrait de l'autorité parentale, prévu notamment à l'article 378 du code civil, revêt une rare gravité, et ne devrait pas pouvoir être ordonné lors d'une procédure d'urgence et, surtout, sans reconnaissance de culpabilité, l'ordonnance de sûreté de l'enfant victime de violences étant pensée comme une mesure conservatoire dans l'attente d'une éventuelle décision pénale.
La commission a donc jugé disproportionnée une part des mesures prévues par le texte, d'autant plus que celles-ci ne font pas partie de celles que peut prendre le juge aux affaires familiales dans le cadre d'une ordonnance de protection, cette sévérité accrue n'apparaissant pas justifiée. À l'inverse, certaines mesures pertinentes dans le cadre d'un dispositif d'urgence à destination d'un enfant victime de violences n'ont pas été prévues ; il s'agit par exemple de la contribution du parent présumé violent aux frais d'entretien et d'éducation de l'enfant, pourtant prévue par l'ordonnance de protection.
La proposition de loi retient par ailleurs des conditions de saisine inédites, qui reposent sur deux critères cumulatifs : le caractère vraisemblable des violences qu'aurait subies la victime présumée, commises « par une personne titulaire sur [celle-ci] d'une autorité de droit ou de fait », et le risque d'une récidive, c'est-à-dire « lorsqu'il est à redouter qu'une nouvelle infraction soit commise ». Or, le critère retenu pour les mesures d'assistance éducative, d'une part, et dans le cadre de l'ordonnance de protection, d'autre part, est le danger33(*) ou, devant le juge aux affaires familiales en cas de conflit entre les parents, l'intérêt de l'enfant. Les deux critères cumulatifs prévus par le texte apparaissent ainsi plus restrictifs et réduisent donc son intérêt.
La commission a également constaté que, contrairement à l'ordonnance de protection, le dispositif actuel ne prévoit pas de sanction en cas de méconnaissance des mesures de l'ordonnance de sûreté, ce qui réduit a priori son effectivité34(*).
Il apparaît aussi que la saisine du juge aux affaires familiales ne serait « pas conditionnée à l'existence d'une plainte pénale préalable », sur le modèle de l'ordonnance de protection. Or, cette dernière est un dispositif de protection d'un adulte, lequel peut agir en justice en son nom, ce qui n'est pas le cas de l'enfant présumé victime de violences. L'absence de plainte dans le cas de l'ordonnance de sûreté de l'enfant est ainsi problématique, car un parent doit en principe protection à son enfant, en application notamment de l'article 371-1 du code civil.
Le dispositif proposé méconnaît également en partie l'office du juge aux affaires familiales ; il lui incomberait en effet de statuer sur des violences extérieures à la famille, comme les violences exercées par un professeur, lesquelles ne relèvent pas de sa compétence, tant du point de vue de leur nature, que de ses moyens.
En outre, la proposition de loi présente des limites qui tiendraient à son articulation délicate avec les dispositifs actuels de protection de l'enfant présumé victime de violences. Le délai de l'ordonnance de sûreté, de quinze jours, apparaît moins ou pas plus favorable que ceux de l'ordonnance de protection, de la procédure d'assignation à bref délai et de l'ordonnance de placement provisoire, qui permettent toutes trois, selon les circonstances, de protéger un enfant présumé victime de violences.
La commission a relevé au surplus que plusieurs évolutions législatives sont intervenues ces dernières années, et même ces derniers mois, dans le domaine des violences intrafamiliales en général, et de la protection de l'enfance en particulier35(*). Plusieurs des personnes auditionnées ont partagé la volonté de la commission d'attendre la bonne application de ces lois avant de légiférer à nouveau - et signalé que la création de dispositifs pouvait entraîner une déperdition de moyens et une altération de la lisibilité du droit.
Enfin, la commission a estimé que le risque d'instrumentalisation de l'enfant par des parents en conflit, certes inséparable des dispositifs de protection de l'enfance, serait particulièrement accentué pour l'ordonnance de sûreté. Ce dispositif autonome, qui pourrait être employé sans plainte pénale préalable et entraîner, en cas d'adoption, des conséquences significatives sur l'exercice de l'autorité parentale d'un parent, apparaît susceptible d'instrumentalisations.
Aussi, sur la proposition de son rapporteur et sans préjudice d'adaptations éventuelles de certains dispositifs en vigueur de protection des enfants victimes de violences qui pourraient être décidées au stade de la séance publique, la commission a rejeté le principe d'une ordonnance spécifique, telle qu'envisagée par le texte proposé, en tant qu'elle ne permet pas d'atteindre les objectifs qu'elle poursuit.
*
* *
En conséquence, la commission n'a pas adopté la proposition de loi.
* 6 Certaines modalités de saisine du juge aux affaires familiales seront évoquées en 1. b).
* 7 L'article 388-1 du code civil prévoit en outre que le mineur capable de discernement peut, de droit, dans toute procédure le concernant, « être entendu par le juge ou, lorsque son intérêt le commande, par la personne désignée par le juge à cet effet ». Le mineur peut à cette occasion être assisté par un avocat, en vertu de l'article précité et de l'article 1186 du code de procédure civile.
* 8 Le placement chez l'« autre parent » exige deux conditions cumulatives : la résidence habituelle de l'enfant doit être établie chez le parent accusé de violences sur l'enfant et un fait nouveau de nature à entraîner un danger pour le mineur doit avoir été révélé après la décision relative à la garde de l'enfant du juge aux affaires familiales (article 375-3 du code civil).
* 9 Cour d'appel de Montpellier, 13 août 2015, 15/01072.
* 10 Cour de cassation, Première chambre civile, 9 juin 2010, n° 09-13.390.
* 11 Article 375-3 du code civil ; Cour de cassation, Première chambre civile, 14 novembre 2007, n° 06-18.104 ; Cour de cassation, Première chambre civile, 20 octobre 2021, n° 19-26.152.
* 12 Cour de cassation, Première chambre civile, 3 février 1987, n° 86-80.016.
* 13 Cour de cassation, Première chambre civile, 2 octobre 2024, n° 21-25.974.
* 14 Par le vote de la loi n° 2010-769 du 9 juillet 2010 relative aux violences faites spécifiquement aux femmes, aux violences au sein des couples et aux incidences de ces dernières sur les enfants.
* 15 Six lois ont récemment modifié les articles 515-9 à 515-13 du code civil : la loi n° 2011-525 du 17 mai 2011 de simplification et d'amélioration de la qualité du droit, la loi n° 2014-873 du 4 août 2014 pour l'égalité réelle entre les femmes et les hommes, la loi n° 2019-1480 du 28 décembre 2019 visant à agir contre les violences au sein de la famille, la loi n° 2020-936 du 30 juillet 2020 visant à protéger les victimes de violences conjugales, la loi n° 2022-52 du 24 janvier 2022 relative à la responsabilité pénale et à la sécurité intérieure et la loi n° 2024-536 du 13 juin 2024 renforçant l'ordonnance de protection et créant l'ordonnance provisoire de protection immédiate.
* 16 Par la loi n° 2024-536 du 13 juin 2024 renforçant l'ordonnance de protection et créant l'ordonnance provisoire de protection immédiate.
* 17 Interrogée par le rapporteur, la direction des affaires civiles et du sceau (DACS) du ministère de la justice a indiqué que les décrets d'application devraient être publiés en février 2025.
* 18 Article 515-9 du code civil.
* 19 Article 515-11 du code civil.
* 20 Notamment récemment par la loi n° 2024-536 du 13 juin 2024 renforçant l'ordonnance de protection et créant l'ordonnance provisoire de protection immédiate.
* 21 Infostat Justice n° 192 (juin 2023) - Les ordonnances de protection contre les violences conjugales : près de sept demandes sur dix accordées entre 2019 et 2021.
* 22 Loi n° 2024-536 du 13 juin 2024 renforçant l'ordonnance de protection et créant l'ordonnance provisoire de protection immédiate.
* 23 Ce dispositif est régi par l'article 515-13-1 du code civil.
* 24 Ce principe de maintien des droits de visite et d'hébergement n'a pas tout de suite été évident ; la circulaire de présentation de la loi du 28 décembre 2019 (CRIM/2020-3/H2-23.01.2020) expliquait ainsi : « Le retrait de l'exercice de l'autorité parentale entraîne le retrait du droit de visite et d'hébergement, sauf décision contraire du juge. En effet, l'exercice de l'autorité parentale porte sur l'ensemble des mesures concernant l'enfant, en ce compris la fixation de sa résidence ».
* 25 Article 378-2 du code civil.
* 26 Cour de cassation, première chambre civile, décision du 14 avril 1982 n° 80-80.014.
* 27 Article 1137 du code de procédure civile.
* 28 Selon les termes de l'exposé des motifs de la proposition de loi.
* 29 Donnée transmise à la commission des lois du Sénat lors de l'examen de la loi n° 2024-536 du 13 juin 2024 renforçant l'ordonnance de protection et créant l'ordonnance provisoire de protection immédiate. Voir le rapport n° 557 (2023-2024) de Dominique Vérien, déposé le 30 avril 2024.
* 30 Article 515-11 du code civil.
* 31 Pour ce qui concerne l'ordonnance de protection, voir l'article 515-10 du code civil.
* 32 Les mesures de l'ordonnance de protection peuvent en effet être prolongées au-delà du délai maximal de douze mois lorsqu'une demande de divorce ou en séparation de corps a été déposée ou si le juge a été saisi d'une demande relative à l'exercice de l'autorité parentale. Voir l'article 515-12 du code civil.
* 33 Ce critère figure à l'article 375 du code civil pour l'assistance éducative et à l'article 515-9 du code civil pour l'ordonnance de protection.
* 34 L'article 227-4-2 du code pénal prévoit notamment que la méconnaissance d'une ordonnance de protection est punie de trois ans d'emprisonnement et de 45 000 euros d'amende.
* 35 Voir notamment : loi n° 2019-1480 du 28 décembre 2019 visant à agir contre les violences au sein de la famille ; loi n° 2021-478 du 21 avril 2021 visant à protéger les mineurs des crimes et délits sexuels et de l'inceste ; loi n° 2024-233 du 18 mars 2024 visant à mieux protéger et accompagner les enfants victimes et covictimes de violences intrafamiliales ; loi n° 2024-536 du 13 juin 2024 renforçant l'ordonnance de protection et créant l'ordonnance provisoire de protection immédiate.