C. QUELLE INTÉGRATION POUR LES BALKANS ?
1. Le long chemin vers l'Union européenne
Les six pays constituant les Balkans occidentaux aspirent globalement, et de longue date, à intégrer l'Union européenne. Mais, 22 ans après le sommet de Thessalonique des 19 et 20 juin 2003 qui avait affirmé une « perspective européenne des pays des Balkans occidentaux »24(*), force est pour eux de constater que l'Union européenne ne s'est pas montrée à la hauteur des espoirs qu'elle a suscité.
Le processus d'adhésion, laborieusement entamé, se voit, pour chacun d'eux à des degrés divers, contrarié par une succession de blocages (voir ci-après), qui viennent freiner ou entraver son avancement.
Etat membre
Candidat officiel
Candidature déposée
Source : www.touteleurope.eu
Le rapport d'information sénatorial de M. Olivier Cigolotti, Mme Hélène Conway-Mouret, M. Bernard Fournier, et Mme Michelle Gréaume25(*) pointait les conséquences délétères de ces atermoiements, en soulignant que « Vingt ans après le sommet de Thessalonique, la lenteur du processus d'intégration nuit à la crédibilité de l'Union européenne dans les Balkans occidentaux » ; et craignait que « L'inaboutissement du processus d'intégration européenne des Balkans favorise un investissement croissant des puissances extérieures dans la région ».
En Serbie notamment, la lenteur du processus a suscité auprès de l'opinion un sentiment de frustration voire de découragement : En 2009, 73% des Serbes étaient favorables à l'adhésion, contre seulement 34% actuellement.
Ce ressenti trouve confirmation dans la célérité avec laquelle le statut de candidat a été octroyé à l'Ukraine et à la Moldavie en juin 2022 dans le sillage du déclenchement de la guerre en Ukraine, après que la Slovénie, en 2004, et la Croatie, en 2013, aient été les deux seuls pays de la région à avoir mené à son terme leur processus d'adhésion.
Dans le détail :
Le Monténégro a déposé sa demande d'adhésion en décembre 2008 et commencé les négociations d'adhésion en juin 2012 : il est actuellement le candidat le plus avancé sur la voie de l'intégration européenne, avec 33 chapitres de négociation ouverts, dont trois provisoirement clos, et espère clore plusieurs autres chapitres prochainement. Il est notamment le seul candidat à remplir les critères intermédiaires fixés sur les chapitres 23 et 24 relatifs à l'état de droit.
La Serbie, qui a déposé sa demande d'adhésion en décembre 2009 et commencé les négociations d'adhésion en janvier 2014, a ouvert 22 chapitres de négociation, dont deux provisoirement clos, puis un nouveau bloc de chapitres en décembre 2021 (bloc n°4 sur l'agenda vert et la connectivité durable). Depuis 2021, le bloc n°3 sur la compétitivité et la croissance inclusive est « techniquement prêt » à être ouvert. Cependant, plusieurs États membres s'opposent à l'ouverture de tout nouveau bloc, en raison du faible taux d'alignement de la Serbie sur la PESC (58% en 2024), et notamment son défaut d'alignement sur les sanctions contre la Russie.
La Macédoine du Nord a déposé sa demande d'adhésion dès mars 2004. Les progrès de sa candidature ont connu des difficultés en raison de différends bilatéraux, d'abord avec la Grèce, (réglé en 2020 avec l'Accord de Prespa26(*)), puis avec la Bulgarie (qui a fait l'objet d'un compromis négocié par la France à la fin de la Présidence française de l'Union européenne en 2022). La poursuite du chemin européen de la Macédoine du Nord est désormais conditionnée à la mise en oeuvre d'une réforme constitutionnelle permettant la reconnaissance d'une minorité bulgare.
L'Albanie a déposé sa demande d'adhésion en avril 2009 et a obtenu l'accord du Conseil européen sur l'ouverture de négociations d'adhésion en mars 2020. Cependant, en raison du différend bulgaro-macédonien, le cadre de négociation n'a été adopté qu'en juillet 2022. L'ouverture du premier bloc de chapitres, celui des fondamentaux, en octobre 2024, a dû attendre la levée des réserves de la Grèce après la libération d'une personnalité politique d'origine grecque. L'Albanie pourrait voir l'ouverture du bloc n°6 sur les relations extérieures prochainement.
La Bosnie-Herzégovine, qui a déposé sa demande d'adhésion en février 2016, s'est vue accorder le statut de pays candidat en décembre 2022. Le Conseil européen de mars 2024 a décidé d'ouvrir les négociations d'adhésion et conditionné l'adoption du cadre de négociation à huit mesures liées au statut de pays candidat (portant notamment sur la réforme de la justice, l'État de droit, la lutte contre la corruption et la criminalité organisée, la gestion des frontières et des migrations et la reprise de l'acquis de l'Union européenne).
Le Kosovo a quant à lui déposé sa demande d'adhésion en décembre 2022, mais l'avancée de son chemin européen se heurte notamment au fait que cinq États membres (Chypre, Espagne, Grèce, Roumanie et Slovaquie) ne le reconnaissent pas. Le rapprochement européen du pays s'inscrit dans une démarche plus large du Kosovo, qui cherche également à se rapprocher de l'OTAN, à consolider sa souveraineté et à renforcer la reconnaissance internationale de son indépendance.
Cependant, il apparait que l'invasion russe de l'Ukraine en février 2022 soit soudain venue redynamiser le processus d'adhésion de ces pays qui semblait grippé, faisant « prendre conscience à l'UE », comme l'écrit Appoline Carras, « de l'importance stratégique de l'élargissement et du besoin crucial de l'unité face aux volontés impérialistes du Kremlin »27(*). De fait, récemment, le contenu des sommets consacrés aux Balkans occidentaux semble se densifier et le dialogue donner des signes tangibles de progression.
Le rapport d'information publié par l'Assemblée nationale sur l'évolution des négociations d'adhésion entre les pays des Balkans occidentaux et l'Union européenne28(*) y insiste : « L'élargissement de l'Union aux pays des Balkans est une perspective inéluctable. La guerre en Ukraine crée en effet une situation nouvelle en Europe qui interdit à l'Union de rester confinée dans son périmètre actuel. Par ailleurs, il est peu envisageable de ne pas faire adhérer des pays avec lesquels l'Union négocie pour certains (Serbie, Monténégro) depuis plus de dix ans. En leur fermant la porte, l'Union perdrait sa crédibilité et créerait un risque grave de déstabilisation dans une région située à sa périphérie immédiate. L'Union européenne et les États membres n'ont pas d'autre choix que de mobiliser tous les instruments dont ils disposent, au niveau multilatéral comme bilatéral, pour accompagner ces pays dans les réformes indispensables à leur future adhésion. ».
Dans son discours de clôture du forum GLOBSEC de Bratislava, le 31 mai 2023, le président Macron indiquait : « (...) la question pour nous n'est pas de savoir si nous devons élargir, nous y avons répondu il y a un an ; ni même quand nous devons le faire, c'est pour moi le plus vite possible, mais bien comment nous devons le faire ».
2. Une orientation résolument atlantiste
Avec un processus d'adhésion plus inclusif que celui de l'Union européenne, l'OTAN a d'ores et déjà arrimé au bloc atlantiste, à différents degrés, les pays de la région :
L'Albanie, le Monténégro et la Macédoine du Nord ont rejoint l'Alliance respectivement en 2009, 2017 et 2020 : L'élargissement à l'Albanie a apporté à l'Organisation un premier ancrage solide dans les Balkans occidentaux. L'élargissement au Monténégro s'est fait dans un contexte compliqué (tentative de coup D'état au moment où celui-ci s'apprêtait à la rejoindre). La Macédoine du Nord est le dernier État des Balkans occidentaux à avoir rejoint l'OTAN, après avoir résolu son différend avec la Grèce par l'accord de Prespa.
La Bosnie-Herzégovine est actuellement engagée dans un processus pour rejoindre l'Alliance. A cette fin, en 2019, la Bosnie-Herzégovine, dans le cadre de son Plan d'action pour l'adhésion (MAP), a présenté son premier programme de réformes, qui décrit les réformes que le gouvernement s'engage à entreprendre ainsi que l'aide apportée par l'OTAN à ces efforts. Par ailleurs, début 2021, la Bosnie-Herzégovine a créé la Commission pour la coopération avec l'OTAN, qui coordonne la mise en oeuvre de ce programme de réformes. Cependant, le rapprochement avec l'OTAN n'est pas consensuel, les Bosno-serbes plaidant en faveur d'une neutralité militaire, à l'instar de la Serbie.
La Serbie a proclamé en 2007 sa neutralité militaire. Cette prise de distance avec l'Alliance tire son origine des frappes aériennes infligées par l'OTAN à des cibles serbes, en 1999, lors de la guerre du Kosovo. Le pays entretient cependant un dialogue constructif avec l'OTAN depuis le Partenariat pour la paix signé en 2006 ; en janvier 2015, la Serbie et l'OTAN ont conclu un plan d'action de partenariat individuel (reconduit en novembre 2019), qui exclut toute future adhésion à l'Alliance mais renforce la coopération entre les deux parties. Le Kosovo demeure un élément-clé de ce partenariat du fait de la participation de la Serbie à la KFOR, déployée sous la direction de l'OTAN pour maintenir un environnement sûr et sécurisé au Kosovo, en application de la résolution 1244 du Conseil de sécurité des Nations unies.
Le Kosovo brigue une adhésion à l'OTAN, et a conclu dans ce sens un partenariat pour la paix. Les efforts de Pristina se heurtent toutefois à la règle de l'unanimité pour les décisions d'adhésion de nouveaux membres à l'Alliance, alors que plusieurs de ses membres ne reconnaissant pas l'indépendance du Kosovo.
3. Synthèse : une intégration à plusieurs vitesses :
Union Européenne |
OTAN |
||||
Année de demande |
Avancement |
Commentaires |
Avancement |
Commentaires |
|
Monténégro |
2008 |
Bien avancé |
33 chapitres de négociation ouverts, dont trois clos, et plusieurs en cours de clôture. |
Membre depuis 2017 |
|
Serbie |
2009 |
Assez avancé, mais blocage |
22 chapitres de négociations ouverts dont deux clos. Plusieurs États membres s'opposent à l'ouverture de tout nouveau bloc, en raison du faible taux d'alignement de la Serbie sur la PESC. |
Neutralité militaire |
Adhésion au Partenariat pour la paix de l'OTAN en 2006. Signature avec l'OTAN en 2015 d'un plan d'action de partenariat individuel. |
Macédoine du Nord |
2004 |
Peu avancé |
Progrès difficiles en raison des différends bilatéraux, d'abord avec la Grèce, puis avec la Bulgarie. Actuellement en attente d'une réforme constitutionnelle reconnaissant la minorité bulgare. |
Membre depuis 2020 |
|
Albanie |
2009 |
Peu avancé |
Premier bloc de chapitres ouvert en 2024 (fondamentaux). Un autre bloc pourrait être prochainement ouvert. |
Membre depuis 2009 |
|
Bosnie-Herzegovine |
2016 |
Peu avancé |
Adoption du cadre de négociation conditionné à plusieurs réformes préalables |
Procédure d'adhésion en cours |
Plan d'action pour l'adhésion (MAP) en 2015. Commission pour la coopération avec l'OTAN en 2021. |
Kosovo |
2022 |
Blocage |
Blocage du fait que cinq États membres ne le reconnaissent pas. N'a pas encore obtenu le statut de candidat. |
Souhait d'adhésion mais blocage |
Blocage du fait que plusieurs États membres ne le reconnaissent pas. |
* 24 v. conclusions du Conseil européen de Thessalonique des 19 et 20 juin 2003, §40
* 25 Réinvestir les Balkans occidentaux : un impératif stratégique, rapport d'information n°882 (2022-2023).
* 26 L'accord de Prespa, conclu le 11 juin 2018 entre la Grèce et la république de Macédoine, prévoit notamment le remplacement du nom provisoire de l'ancienne république yougoslave de Macédoine, par le nouveau nom de « république de Macédoine du Nord ».
* 27 Balkans occidentaux. Dans l'antichambre de l'Union européenne ? Diploweb.com, 12 janvier 2025.
* 28 Rapport d'information n° 2467 du 10 avril 2024, par M Pierre-Henri Dumont et Mme Liliana Tanguy.