EXAMEN EN COMMISSION
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Mme Muriel Jourda, présidente. - Nous examinons le rapport de nos collègues Elsa Schalck et Dominique Vérien sur la proposition de loi visant à renforcer la lutte contre les violences sexuelles et sexistes, adoptée par l'Assemblée nationale.
Mme Dominique Vérien, rapporteure. - S'il est bien un domaine dans lequel l'intervention du législateur, pourtant fréquente, ne tombe pas sous la critique d'une inflation législative préjudiciable aux citoyens, c'est celui de la lutte contre les violences sexuelles, sexistes et intrafamiliales.
Nous avons en effet adopté de nombreux textes à ce sujet, ces dernières années, qui tous participent à la protection des victimes.
Mais le chemin est encore long, car le droit peine à saisir la particularité de ces infractions de l'intime et car la justice éprouve de grandes difficultés à caractériser des faits qui se déroulent le plus souvent derrière des portes closes.
Nous avons donc, Elsa Schalck et moi-même, accueilli favorablement la proposition de loi déposée par Aurore Bergé.
Ce texte traitait initialement de la prescription des infractions sexuelles et intégrait à la définition des violences psychologiques des précisions inspirées du concept sociologique de contrôle coercitif, dans le sillage des arrêts rendus par la cour d'appel de Poitiers le 31 janvier 2024. Nous y reviendrons. L'Assemblée nationale a assez largement modifié la proposition de loi et y a ajouté des dispositions relatives aux circonstances aggravantes encourues en cas de viol et aux modalités de la garde à vue spécifiques à certains crimes, selon une procédure marquée par une interprétation large des règles qui découlent de l'article 45 de la Constitution.
Nous traiterons donc ces différents points successivement, en évoquant d'abord les articles relatifs à la prescription de certaines infractions sexuelles, puis la prise en compte législative du phénomène de contrôle coercitif et enfin les dispositions concernant les circonstances aggravantes du viol et les modalités particulières de garde à vue.
L'article 1er visait à introduire l'imprescriptibilité civile, et non pénale, pour les viols commis sur des mineurs. Rappelons à cet égard que seule l'imprescriptibilité pénale est prévue en droit français, et uniquement pour le génocide et les crimes contre l'humanité. Elle revêt donc un caractère à la fois exceptionnel et particulièrement grave, voire solennel.
L'article 1er a été supprimé à l'Assemblée nationale en commission, contre l'avis de la rapporteure Maud Bregeon, et n'a pas été rétabli en séance.
Certains de nos collègues ont d'ores et déjà proposé de rétablir cet article 1er et nous nous attendons à ce que le débat ait de nouveau lieu en séance.
Cette question sensible mérite que nous nous y arrêtions un instant.
De nombreuses personnes considèrent que les viols commis sur des mineurs ne devraient pas être prescrits au civil, pour des motifs tout à fait fondés : d'une part, la particularité de ces infractions empêche les victimes de parler avant des décennies et, d'autre part, ces victimes éprouvent le besoin, pour se reconstruire, d'obtenir la reconnaissance judiciaire du préjudice qu'elles ont subi.
Toutefois, les nombreuses auditions que nous avons menées nous ont convaincues qu'une telle évolution provoquerait plus de difficultés qu'elle n'en résoudrait.
Tout d'abord, en ce qui concerne le viol sur mineur, la disparition des preuves dans le temps rendrait cette imprescriptibilité souvent théorique et donc déceptive pour les victimes.
Par ailleurs, l'action en responsabilité civile se distingue par certaines spécificités qui accentuent les inconvénients de l'imprescriptibilité. La charge de la preuve pèse en effet sur le demandeur qui, le temps passant, n'a souvent pas d'autre moyen probatoire que sa propre parole et ses propres souvenirs.
Je relève également que, contrairement à l'action publique, l'action civile en réparation peut être transmise aux héritiers de la victime, même si elle n'a pas été engagée avant le décès. L'allongement du délai de la prescription civile soulève donc des difficultés certaines.
Enfin, ce qui a achevé de nous convaincre de ne pas rétablir l'article 1er, c'est que le régime actuel de la prescription civile est déjà favorable aux victimes. Le délai de droit commun de l'action en responsabilité est, pour rappel, de cinq ans. Il s'élève à dix ans pour les dommages matériels et a été porté à vingt ans pour les infractions sexuelles commises sur des mineurs. Le point de départ du délai, lui aussi, est dérogatoire, car il n'est pas établi lors du fait générateur, mais en principe à la majorité de la victime. La Cour de cassation a toutefois retenu la consolidation du préjudice comme point de départ du délai de prescription, dans un arrêt du 7 juillet 2022, ce qui permet à des victimes d'agir en justice longtemps après les faits. L'état du droit semble donc suffisamment protecteur. C'est pourquoi nous vous proposerons de maintenir la suppression de l'article 1er.
L'article 2 apporte plusieurs modifications aux dispositions relatives au mécanisme de la prescription glissante du code de procédure pénale. Pour rappel, cette prescription glissante consiste en l'allongement du délai de prescription de certains crimes et délits, dans le cas où l'auteur d'une telle infraction en aurait perpétré une autre, par la suite et avant que ces faits ne soient prescrits, à l'égard d'une nouvelle victime. Le délai de prescription de la première infraction court ainsi jusqu'à ce que le second délit ou crime soit prescrit.
Si nous sommes favorables à l'objectif fixé dans le cadre de ce mécanisme, dans la mesure où il permet de mieux appréhender les criminels en série et de réparer le préjudice du plus grand nombre possible de victimes, il a toutefois suscité notre vigilance pour plusieurs raisons. La prescription glissante n'a été introduite qu'en 2021 et aucune des personnes que nous avons entendues en audition n'a été en mesure d'en présenter un bilan. La plupart considèrent en tout état de cause que ce dispositif soulève des difficultés probatoires certes légèrement moins marquées que l'imprescriptibilité civile, mais identiques en nature. Enfin, l'interdépendance des délais de prescription d'infractions autonomes pourra entraîner des complications procédurales, voire de grandes déceptions en cas de relaxe ou de requalification.
Nous avons donc adopté une position prudente que nous développerons lors de la présentation de l'amendement. Il s'agirait de conserver l'extension aux majeurs de la prescription glissante pour viol, mais de ne pas modifier les articles 8 et 9-2 du code de procédure pénale, pour des motifs que nous aurons l'occasion d'exposer plus en détail.
Mme Elsa Schalck, rapporteure. - Nous en arrivons à la répression du contrôle coercitif, qui est sûrement le point du texte qui a été le plus commenté dans le débat public.
En effet, l'article 3 introduit dans le code pénal une infraction autonome fondée sur l'exercice d'un contrôle coercitif, c'est-à-dire sur une somme de micro-régulations qui ont lieu au sein d'un couple et qui contraignent tous les aspects de la vie quotidienne de la victime jusqu'à la placer dans une situation de captivité et jusqu'à la priver de son indépendance et de tout pouvoir de décision autonome.
C'est là l'enjeu principal du texte. Précisons qu'il s'agit d'un enjeu essentiellement juridique à nos yeux, car nous souscrivons à l'objectif politique du dispositif : il nous paraît essentiel que le phénomène sociologique de contrôle coercitif puisse être mieux appréhendé par le droit et qualifié par nos juges. La question se pose donc de savoir quel mécanisme permet le mieux d'y parvenir. L'Assemblée nationale a adopté en séance la solution d'une infraction autonome : examinons-la.
La première difficulté provient de la rédaction du texte. L'article 3 est en effet articulé autour d'une définition de l'infraction qui a été unanimement décriée par les juristes que nous avons entendus, notamment parce qu'elle repose sur des termes centrés sur les sentiments de la victime et, partant, sur des notions étrangères au droit pénal, comme la « peur » ou l'« usage abusif de dispositifs ou d'institutions ». L'article 3 prévoit également des circonstances aggravantes inconnues en droit et parfois incompatibles entre elles.
Pour toutes ces raisons, le dispositif adopté par l'Assemblée nationale méconnaît a priori les principes constitutionnels applicables en matière pénale, notamment le principe de légalité.
En outre, le principe même d'instituer une infraction autonome explicitement fondée sur l'existence d'un contrôle coercitif a suscité de grandes réserves chez les personnes que nous avons entendues en audition.
Tout d'abord, la création d'une infraction nouvelle induit par nature une complexité technique. Son articulation avec les délits existants apparaît délicate, tant pour les enquêteurs que pour les victimes, notamment dans un contexte où, au vu de la définition adoptée par les députés, le contrôle coercitif apparaît davantage comme l'acte préparatoire à une infraction ou comme le commencement de l'exécution d'un délit que comme une infraction susceptible d'être prise en compte de manière isolée.
Ensuite, cette infraction pourrait exercer un effet d'éviction sur les infractions existantes, y compris pour celles qui sont assorties d'une peine encourue plus élevée : le risque est donc réel que nous ne dégradions le niveau de la répression, en complète contradiction avec l'objectif que nous nous sommes fixé.
Enfin, les comparaisons internationales nous enseignent que les condamnations acquises au titre d'une infraction autonome de contrôle coercitif sont faibles et ce, même en Écosse, pays souvent cité en exemple en matière de lutte contre les violences conjugales et qui a été l'un des premiers à prévoir une incrimination spécifique réprimant le contrôle coercitif, faute pour les acteurs de la chaîne pénale de parvenir à s'en saisir.
Nous avons donc estimé qu'il n'était pas opportun de créer une infraction autonome.
Nous nous sommes également interrogées sur l'inscription dans la loi des termes « contrôle coercitif », étant rappelé qu'ils figurent expressément dans le texte adopté par l'Assemblée nationale, mais pas dans le texte initial de la proposition de loi. Là encore, nous n'avons pas estimé que cette piste était opportune, pour trois raisons.
Premièrement, la notion de contrôle coercitif n'est pas stabilisée. Elle fait l'objet de travaux tant sociologiques que juridiques : la Cour de cassation et le Conseil national des barreaux l'étudient actuellement. Il serait donc prématuré de l'inscrire dans la loi.
Deuxièmement, la notion est utilisée de manière souple et pragmatique par les enquêteurs et les magistrats ; elle permet de mieux comprendre et de mieux analyser le faisceau d'actes, souvent insidieux, qui caractérise les violences conjugales. L'inscrire dans la loi pénale, alors même que celle-ci est d'interprétation stricte, priverait ces professionnels de la plasticité et de la souplesse dont ils ont besoin pour coller au mieux aux réalités vécues par les victimes, notamment s'agissant de faits pernicieux de micro-régulation du quotidien.
Enfin et surtout, la mention expresse du contrôle coercitif dans le code pénal et son inscription simultanée dans le code civil lieraient les mains du juge aux affaires familiales. L'article 3 procède en effet à plusieurs modifications des articles du code civil qui traitent de l'aménagement, voire du retrait de l'autorité parentale, pour y intégrer explicitement la notion de contrôle coercitif et lui attribuer des conséquences spécifiques. Un consensus s'est élevé parmi les magistrats, juristes et universitaires que nous avons entendus en audition pour souligner les risques divers qu'entraîneraient ces évolutions. Elles méconnaissent en effet, entre autres, la liberté d'appréciation du juge aux affaires familiales et la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH). La magistrate Gwenola Joly-Coz elle-même, qui siégeait à la cour d'appel de Poitiers lorsque les arrêts du 31 janvier 2024 ont été rendus, a affirmé lors de son audition que l'adaptation du code civil n'était ni utile ni nécessaire au traitement juridictionnel du contrôle coercitif.
Nous considérons donc que la meilleure solution pour faciliter l'appréhension des comportements qui s'apparentent au contrôle coercitif est d'améliorer la définition de l'infraction de harcèlement sur conjoint, sans mentionner explicitement le contrôle coercitif. L'amendement de réécriture globale de l'article 3 nous permettra de vous exposer plus en détail notre proposition, mais je peux déjà vous indiquer qu'elle repose sur des termes existants dans le droit pénal, connus et maîtrisés par les praticiens, et que nous avons apporté une particulière vigilance quant au plein respect des principes de légalité et de proportionnalité de cette rédaction.
L'article 4 est une demande de rapport au Parlement sur l'évaluation et l'amélioration des politiques publiques en matière de lutte contre l'inceste et d'accompagnement des victimes. Les députés auteurs de l'amendement ont tenu à fixer sept objectifs à ce rapport, qui vont des besoins en formation des forces de l'ordre et des magistrats à la définition d'une « stratégie nationale de sensibilisation du grand public sur les conséquences de l'inceste et l'importance de briser le silence ».
Conformément à la position constante de la commission en matière de demandes de rapport, nous vous proposons la suppression de cet article, dont on peut relever par ailleurs que son adoption procède d'une interprétation extensive de l'objet du texte pour l'application de l'article 45 de la Constitution.
Mme Dominique Vérien, rapporteure. - Nous en arrivons enfin aux articles 5 et 6 du texte, adoptés par les députés en séance publique sur l'initiative du Gouvernement selon la même interprétation libérale de la règle de l'entonnoir.
L'article 5 vient faire évoluer les circonstances aggravantes en matière de viol. Il procède à deux modifications : tout d'abord, il augmente le quantum encouru à vingt ans de réclusion, contre quinze ans aujourd'hui, en cas de préméditation ou de guet-apens - vous l'aurez compris, il s'agit là d'une réponse à l'affaire dite des « viols de Mazan » qui a révélé cette lacune de notre droit -, mais aussi en cas de viol par effraction au domicile de la victime. Cela nous paraît légitime, dans la mesure où ces circonstances attestent en effet la particulière dangerosité de leur auteur.
Ensuite, l'article vient aggraver la répression des viols sériels : ils seraient à l'avenir punis non plus de vingt ans, mais de trente ans de réclusion criminelle, avec une peine de sûreté renforcée.
Nous adhérons sans réserve à ces évolutions et nous ne vous proposons à ce stade aucune modification de l'article 5.
L'article 6 pose davantage de difficultés. Il prévoit une prolongation supplémentaire de vingt-quatre heures de la garde à vue, pour une durée totale de soixante-douze heures, pour les crimes de meurtre ou de viol, lorsqu'ils sont perpétrés par le conjoint ou le concubin de la victime, par le partenaire lié à la victime par un pacte civil de solidarité (Pacs), ou pour le crime d'empoisonnement, sans condition, pour ce dernier, tirée du lien de l'auteur avec la victime.
Le choix de limiter cette faculté à ces trois infractions peut étonner. Nos travaux n'ont pas permis de l'éclairer et encore moins de le conforter.
Outre le caractère peu cohérent de son champ d'application, cette prolongation supplémentaire de la garde à vue ne paraît ni opportune ni proportionnée.
Comme vous le savez, eu égard à l'atteinte portée à la liberté individuelle ainsi qu'à la liberté d'aller et venir, la garde à vue est très encadrée. Limitée à vingt-quatre heures, elle peut faire l'objet d'une prolongation d'une même durée, pour un maximum de quarante-huit heures. On ne peut aller au-delà de cette durée qu'en matière de criminalité et de délinquance organisées, la garde à vue pouvant alors aller jusqu'à quatre-vingt-seize heures, et de terrorisme, avec une durée maximale de cent-quarante-quatre heures.
Le Conseil constitutionnel contrôle strictement la proportionnalité d'un allongement de la durée de la garde à vue, et ce au regard de deux critères : la gravité de l'infraction et sa complexité. Il a censuré, à plusieurs reprises, des dispositions législatives prévoyant une prolongation au-delà de quarante-huit heures lorsque l'un de ces deux critères n'était pas satisfait.
En l'espèce, si les infractions en cause sont certainement graves, elles ne présentent pas un caractère particulièrement complexe, d'autant que l'identité de l'auteur est a priori connue. Le Gouvernement n'a d'ailleurs apporté aucune justification en la matière.
S'il se prévaut également de la protection des victimes, il s'avère que prolonger la garde à vue ne présente pas véritablement d'intérêt en la matière. Eu égard à la nature des infractions en cause, les auteurs font le plus souvent l'objet d'un défèrement à l'issue de la garde à vue, qui peut donner lieu à un placement en détention provisoire ou à une mesure de contrôle judiciaire.
Enfin, et comme l'ont souligné les enquêteurs, créer un troisième régime de prolongation de la garde à vue viendrait ajouter de la complexité à un cadre juridique qui n'en manque pas.
Pour ces raisons, nous vous proposons de supprimer l'article 6.
Mme Olivia Richard. - Je remercie les rapporteures pour cet excellent rapport et les améliorations qu'elles proposent au texte de la proposition de loi. Celle-ci est très attendue, notamment en ce qui concerne le contrôle coercitif, et je sais que Dominique Vérien, en tant que présidente de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes, y tient particulièrement. Je félicite les rapporteures d'avoir su trouver un compromis équilibré et satisfaisant.
M. Hussein Bourgi. - Je remercie à mon tour les rapporteures pour la qualité de leur travail, qui me conduit à faire trois observations.
La première porte sur la rigueur juridique qui doit présider à nos travaux. En effet, nous ne pouvons pas nous satisfaire de textes qui soient rédigés sous le coup de l'émotion ou sous l'influence de l'opinion publique, au risque d'être ensuite censurés par le Conseil constitutionnel. C'est la raison pour laquelle j'approuve tout particulièrement l'analyse des rapporteures sur l'allongement des délais de la garde à vue.
Ma deuxième observation concerne la jurisprudence constante du Sénat quant aux demandes de rapport. Je ne doute pas que l'auteure de cette proposition de loi, désormais ministre, aura tout le loisir de mobiliser ses services pour que la feuille de route d'un plan pluriannuel d'action soit établie dans les meilleurs délais. En effet, nous avons besoin, comme dans d'autres pays à l'instar de l'Espagne, d'une loi-cadre pluriannuelle pour lutter efficacement contre les violences sexuelles et sexistes.
Ma dernière observation a trait aux moyens : nous pourrons voter tous les projets de loi et toutes les propositions de loi que nous voudrons, si nous n'allouons pas les moyens nécessaires pour les mettre en oeuvre, dans les tribunaux comme dans les commissariats et les gendarmeries ou encore dans le secteur du travail social, ces textes n'auront qu'un effet très limité. Il faut des hommes et des femmes pour utiliser les moyens mis en place, c'est-à-dire pour apporter le meilleur accompagnement possible aux victimes, pour les mettre à l'abri et pour permettre à la justice de faire son travail.
Je félicite les rapporteures pour la rigueur juridique et intellectuelle dont elles ont fait preuve.
Mme Marie Mercier. - Je félicite à mon tour nos collègues pour ce rapport passionnant.
Je me suis longuement interrogée sur le contrôle coercitif. Cette notion recouvre un processus qui agit comme un poison lent et insidieux et j'ai du mal à la distinguer de l'emprise, qui recouvre la prise de possession du psychisme d'une personne par une autre.
Il me semble que la seule manière de lutter contre ce type de phénomène est de développer l'éducation des jeunes sur le sujet et de favoriser le repérage des victimes.
Il faut donc communiquer davantage sur la notion de contrôle coercitif qui reste trop méconnue. L'identification des victimes est également essentielle.
Mme Muriel Jourda, présidente. - Je remercie Hussein Bourgi d'avoir mentionné notre position quant aux demandes de rapports au Parlement. Je me permets toutefois de rappeler qu'il ne s'agit pas d'une jurisprudence propre à la commission des lois, mais qu'elle est tout simplement la traduction du principe de séparation des pouvoirs qui a valeur constitutionnelle. En tant que détenteurs du pouvoir législatif, nous ne pouvons pas donner d'instructions au pouvoir exécutif, qui peut commettre des rapports sur sa propre initiative. Nous détenons également un pouvoir de contrôle, de sorte que nous n'avons guère besoin de demander au pouvoir exécutif d'oeuvrer à notre place.
Nos deux rapporteures ont travaillé sur un sujet délicat. Elles ont réussi à traduire dans la loi un fait qui était qualifié sociologiquement et qui est bien réel, comme l'a rappelé Marie Mercier. Elles ont abouti à une rédaction juridique solide, en faisant appel à des notions que les juristes pourront utiliser. La tâche n'était pas facile et elles l'ont réussie. Je les en remercie.
Mme Dominique Vérien, rapporteure. - Monsieur Bourgi, nous reparlerons bientôt de la loi-cadre pluriannuelle que vous avez évoquée. Je crois que la ministre y travaille.
Pour ce qui est de la nécessité de prévoir des moyens, les tribunaux doivent bénéficier de 1 500 magistrats et de 1 800 greffiers supplémentaires et ces effectifs commencent à intégrer les juridictions. J'ai participé, hier, à une formation de l'École nationale de la magistrature (ENM) portant sur l'équipe autour du magistrat, dont l'organisation doit évoluer. De la même manière, les pôles spécialisés en matière de violences intrafamiliales ont été déployés à partir du 1er janvier 2024 et se mettent progressivement en place. Les situations varient selon les territoires, mais ces moyens nouveaux devraient permettre, malgré tout, une meilleure prise en charge et une meilleure formation sur les violences intrafamiliales et les violences sexuelles.
Pour répondre à notre collègue Marie Mercier, la différence entre le contrôle coercitif et l'emprise tient à ce que la première notion touche au comportement de celui qui veut contrôler l'autre. Il s'agit dans la grande majorité des cas d'un homme qui veut contrôler une femme, mais la notion est surtout d'ordre psychologique, de sorte que les cas peuvent aussi être inversés. L'intérêt de cette notion est qu'elle permet de se concentrer sur une série de micro-régulations, qui ne seraient pas susceptibles de donner lieu à des poursuites si elles étaient prises séparément mais qui, en s'additionnant, aboutissent à la construction d'un système pour enfermer l'autre, dont l'une des conséquences peut être un phénomène d'emprise. Certains témoignages que nous avons entendus ont montré que les effets du contrôle coercitif pouvaient perdurer même après la séparation d'avec le conjoint qui l'exerçait.
La notion de contrôle coercitif permet de focaliser l'analyse de la situation sur la victime, ce qui nous a paru très intéressant. Pour pouvoir repérer ce genre de situation, il faut former les médecins et les services sociaux.
Mme Muriel Jourda, présidente. - Concernant le périmètre de cette proposition de loi, en application du vade-mecum sur l'application des irrecevabilités au titre de l'article 45 de la Constitution, adopté par la Conférence des présidents, je vous propose de considérer que ce périmètre inclut les dispositions relatives au régime de prescription civile des crimes et délits à caractère sexuel perpétrés sur des mineurs ; au régime de prescription pénale des viols commis sur des majeurs ; à la répression des agissements s'apparentant à un contrôle coercitif et aux décisions que les juridictions peuvent prendre en la matière ; aux circonstances aggravantes en matière de viol et à la procédure pénale applicable à certains crimes commis au sein des couples.
Il en est ainsi décidé.
Mme Muriel Jourda, présidente. - Nous en venons à présent à l'examen des articles.
Mme Elsa Schalck, rapporteure. - L'amendement COM-1 rectifié vise à rétablir l'imprescriptibilité civile des actes de torture, de barbarie et des infractions sexuelles commises sur des mineurs. Nous aurons certainement l'occasion de débattre en séance de cette question, qui est un véritable serpent de mer.
Plusieurs raisons nous ont convaincues que l'allongement du délai de prescription civile n'était pas une solution opportune.
En premier lieu, l'imprescriptibilité n'a été retenue en droit français que pour des crimes d'une extraordinaire gravité, à savoir le génocide et le crime contre l'humanité.
En deuxième lieu, et c'est là un des fondements principaux de la prescription, les preuves disparaissent dans le temps. Allonger le délai accentue donc le risque de permettre des recours déceptifs, comme l'ont montré certaines de nos auditions. C'est le demandeur qui doit, dans une telle action, apporter la preuve du fait générateur, du dommage et du lien de causalité. C'est d'ailleurs là ce qui distingue le procès civil du procès pénal.
En troisième lieu, même lorsqu'une preuve peut être apportée, grâce aux témoignages ou aux aveux, l'allongement du délai de prescription civile ne semble pas opportun. Notre avis découle d'une particularité de l'action en responsabilité civile, qui veut qu'il y ait une transmission de l'action civile aux héritiers, quand bien même la partie demanderesse ne l'aurait pas portée de son vivant.
Pour toutes ces raisons, nous émettons un avis défavorable à l'amendement COM-1 rectifié ainsi qu'à l'amendement de repli COM-2 rectifié bis.
Les amendements COM-1 rectifié et COM-2 rectifié bis ne sont pas adoptés.
L'article 1er demeure supprimé.
Mme Dominique Vérien, rapporteure. - L'amendement COM-3 rectifié vise à allonger à soixante ans le délai de prescription extinctive pénale pour certains crimes commis sur des mineurs. Aujourd'hui le délai est de trente ans à compter de la majorité de la victime. Attendons de voir si ce délai, qui a été fixé par la loi du 3 août 2018, porte ses fruits avant de l'allonger. Avis défavorable.
L'amendement COM-3 rectifié n'est pas adopté.
Mme Elsa Schalck, rapporteure. - L'amendement COM-9 a pour objet de supprimer l'ajout du viol à la prescription glissante délictuelle ainsi que l'extension du dispositif d'interruption des délais de prescription.
En effet, nous souhaitons garder le dispositif tel qu'il a été prévu initialement pour les majeurs. Notre droit prévoit depuis 2021 la prescription glissante pour les mineurs, mais nous n'avons pas de recul suffisant sur cette mesure. Dans un souci de cohérence, nous ne souhaitons donc pas intégrer le viol au dispositif prévu pour les agressions sexuelles délictuelles, car cela reviendrait à appliquer à des délits des délais de prescription aujourd'hui réservés à des crimes.
L'amendement COM-9 est adopté.
L'article 2 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
Mme Dominique Vérien, rapporteure. - L'amendement COM-13 a pour objet de prévoir une dispense de solidarité pour les enfants à l'égard d'un parent incestueux.
Cet amendement ne nous paraît pas présenter de lien suffisamment direct avec l'objet du texte initial : son adoption serait contraire à l'article 45 de la Constitution.
L'amendement COM-13 est déclaré irrecevable en application de l'article 45 de la Constitution.
Mme Elsa Schalck, rapporteure. - Notre amendement COM-10 vise à réécrire intégralement l'article 3 sur le contrôle coercitif.
En effet, nous souhaitons éviter de créer une infraction autonome, d'où notre proposition de ne pas mentionner expressément le contrôle coercitif, pour les raisons que nous vous avons exposées dans notre propos liminaire. Mieux vaut rattacher cette notion à l'infraction existante de harcèlement sur conjoint plutôt qu'à une violence psychologique, ce qui permettra de lui donner une écriture proprement juridique. L'écriture de la loi ne doit pas être soumise à l'émotion, mais elle doit permettre aux magistrats de disposer d'un texte qu'ils pourront utiliser juridiquement et qui, par conséquent, profitera réellement aux victimes.
L'amendement COM-10 est adopté. En conséquence, l'amendement COM-7 rectifié bis devient sans objet.
Mme Dominique Vérien, rapporteure. - Même s'il devient sans objet, je souhaite quand même dire un mot de l'amendement COM-7 rectifié bis, qui vise un sujet important, à savoir la prise en compte des menaces ou des violences commises sur les animaux dans la caractérisation du contrôle coercitif. Si ces comportements relèvent des pressions psychologiques mentionnées dans la rédaction que nous proposons, il me semble toutefois important que nous puissions en débattre en séance publique.
Mme Nadine Bellurot. - Je remercie la rapporteure d'avoir pris en considération notre amendement. La loi du 13 juin 2024 renforçant l'ordonnance de protection et créant l'ordonnance provisoire de protection immédiate prévoit que le magistrat pourra statuer sur l'avenir d'un animal quand son propriétaire doit quitter le domicile familial, comblant ainsi un vide juridique. Il est important de pouvoir prendre en compte cet animal avec lequel la victime peut entretenir un lien affectif fort, de sorte qu'il peut être utilisé pour la retenir dans une situation de contrôle coercitif.
L'article 3 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
Mme Elsa Schalck, rapporteure. - L'amendement COM-8 rectifié vise l'élargissement de l'ordonnance de protection aux violences commises sur un enfant. Nous estimons, au regard du périmètre du texte que nous avons adopté, qu'il est irrecevable.
L'amendement COM-8 rectifié est déclaré irrecevable en application de l'article 45 de la Constitution.
Mme Dominique Vérien, rapporteure. - Notre amendement COM-11 supprime l'article 4, conformément à la position de la commission en matière de demandes de rapport.
L'amendement COM-11 est adopté.
L'article 4 est supprimé.
Mme Elsa Schalck, rapporteure. - L'amendement COM-4 rectifié bis a trait au caractère incestueux du viol ou de l'agression sexuelle commis sur un cousin germain mineur. Ces dispositions nous semblent aller au-delà de l'objet du texte initial.
L'amendement COM-4 rectifié bis est déclaré irrecevable en application de l'article 45 de la Constitution.
Article 5 (nouveau)
L'article 5 est adopté sans modification.
Mme Dominique Vérien, rapporteure. - L'amendement COM-5 rectifié nous semble irrecevable au titre de l'article 45 de la Constitution, car il vise le renforcement des peines encourues pour l'interruption de la grossesse sans le consentement de l'intéressée.
L'amendement COM-5 rectifié est déclaré irrecevable en application de l'article 45 de la Constitution.
Mme Elsa Schalck, rapporteure. - L'amendement COM-6 rectifié, qui crée un délit d'interruption involontaire de grossesse sans consentement, est également irrecevable.
L'amendement COM-6 rectifié est déclaré irrecevable en application de l'article 45 de la Constitution.
Mme Dominique Vérien, rapporteure. - Les amendements identiques COM-12 et COM-14 visent à supprimer l'article 6, qui a pour objet de porter à soixante-douze heures la durée de la garde à vue pour le meurtre ou le viol sur conjoint ainsi que pour le crime d'empoisonnement. Comme nous l'avons exposé, un tel allongement de la durée de la garde à vue ne paraît pas justifié et serait très probablement censuré par le Conseil constitutionnel.
Les amendements identiques COM-12 et COM-14 sont adoptés.
L'article 6 est supprimé.
La proposition de loi est adoptée dans la rédaction issue des travaux de la commission.
Le sort des amendements examinés par la commission est retracé dans le tableau suivant :
Auteur |
N° |
Objet |
Sort de l'amendement |
Article 1er (Supprimé) |
|||
Mme BILLON |
1 rect. |
Imprescriptibilité civile des actes de torture, de barbarie et des infractions sexuelles commises sur des mineurs |
Rejeté |
Mme BILLON |
2 rect. bis |
Allongement à trente ans du délai de prescription des actes de torture, de barbarie et infractions sexuelles commises sur des mineurs |
Rejeté |
Article 2 |
|||
Mme BILLON |
3 rect. |
Allongement à soixante ans du délai de prescription extinctive pénale pour certains crimes commis sur des mineurs |
Rejeté |
Mme SCHALCK, rapporteure |
9 |
Suppression de l'ajout du viol à la prescription glissante délictuelle et de l'extension du dispositif d'interruption des délais |
Adopté |
Article(s) additionnel(s) après Article 2 |
|||
Mme Mélanie VOGEL |
13 |
Dispense de solidarité pour les enfants à l'égard d'un parent incestueux |
Déclaré irrecevable au titre de l'article 45 de la Constitution |
Article 3 |
|||
Mme SCHALCK, rapporteure |
10 |
Intégration du contrôle coercitif au harcèlement sur conjoint |
Adopté |
M. BAZIN |
7 rect. bis |
Prise en compte des violences commises sur les animaux au sein de l'infraction de contrôle coercitif |
Tombé |
Article(s) additionnel(s) après Article 3 |
|||
Mme Maryse CARRÈRE |
8 rect. |
Élargissement de l'ordonnance de protection aux violences commises sur un enfant |
Déclaré irrecevable au titre de l'article 45 de la Constitution |
Article 4 (nouveau) |
|||
Mme SCHALCK, rapporteure |
11 |
Suppression de l'article |
Adopté |
Article(s) additionnel(s) après Article 4 (nouveau) |
|||
Mme BILLON |
4 rect. bis |
Caractère incestueux du viol ou de l'agression sexuelle commise sur un cousin germain mineur |
Déclaré irrecevable au titre de l'article 45 de la Constitution |
Article(s) additionnel(s) après Article 5 (nouveau) |
|||
Mme LERMYTTE |
5 rect. |
Renforcement des peines encourues pour l'interruption de la grossesse sans le consentement de l'intéressée |
Déclaré irrecevable au titre de l'article 45 de la Constitution |
Mme LERMYTTE |
6 rect. |
Création d'un délit d'interruption involontaire de grossesse sans consentement |
Déclaré irrecevable au titre de l'article 45 de la Constitution |
Article 6 (nouveau) |
|||
Mme SCHALCK, rapporteure |
12 |
Suppression de l'article |
Adopté |
Mme Mélanie VOGEL |
14 |
Suppression de l'article |
Adopté |