EXAMEN EN COMMISSION

Mercredi 7 mai 2025

Mme Muriel Jourda, présidente. - Nous en venons à l'examen du rapport de Mathieu Darnaud et du texte proposé par la commission sur la proposition de loi organique tendant à modifier le II de l'article 43 de la loi organique du 27 février 2004 portant statut d'autonomie de la Polynésie française, présentée par Lana Tetuanui et Teva Rohfritsch.

M. Mathieu Darnaud, rapporteur. - Mes chers collègues, il me revient de vous présenter aujourd'hui ce texte de nos collègues sénateurs de Polynésie française Lana Tetuanui et Teva Rohfritsch, que je salue. Il vise à faciliter l'exercice par les communes de Polynésie française d'actions de proximité dans certaines matières relevant de la collectivité de Polynésie française, communément appelée le « Pays », comme le développement économique, l'aide sociale, la culture ou le sport, compétences d'ores et déjà partiellement exercées en pratique -par certaines communes de Polynésie.

Nos collègues proposent, par ce texte, une avancée fondamentale pour la bonne administration des communes polynésiennes. Il s'agit d'ailleurs de l'une des vingt-deux propositions pour conforter l'autonomie et la proximité de l'action publique en Polynésie française formulées par nos collègues Nadine Bellurot, Jérôme Durain et Guy Benarroche dans le rapport d'information qu'ils ont rendu le 9 octobre dernier.

En l'état du droit, l'intervention des communes polynésiennes dans ces matières est soumise à l'adoption d'une loi du Pays destinée à organiser la coordination entre les deux niveaux de collectivités.

Or, depuis 2004, seules trois lois du Pays, à l'objet très restreint, ont été adoptées à cet effet, ce qui empêche, juridiquement et concrètement, les communes ou les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) d'intervenir dans des matières où l'échelon communal ou intercommunal apparaît pourtant légitime, eu égard notamment à l'enjeu de proximité. Cet enjeu est du reste d'une centralité évidente dès lors que l'on connaît la géographie polynésienne et l'étendue du territoire concerné.

Mes chers collègues, vous qui connaissez la vie des collectivités locales, vous comprendrez aisément l'importance que revêtent ces matières pour les communes : il s'agit de construire une petite halle pour accueillir un marché, de créer une bourse du petit-déjeuner pour les enfants de familles défavorisées, d'aménager un sentier de randonnée, de créer un petit musée ou de financer des fêtes traditionnelles.

La proposition de loi organique, qui est soutenue par quarante des quarante-huit maires polynésiens, les tavanas, remplace l'exigence de l'adoption préalable d'une loi du Pays par une convention facultative et supprime toute référence au respect par les communes concernées de la réglementation édictée par la Polynésie française.

Nous ne pouvons que partager l'objectif sous-tendu par la présente proposition de loi organique.

Je vous proposerai toutefois, avec l'accord de ses auteurs, un amendement visant à sécuriser juridiquement l'action des communes ainsi qu'à améliorer la coordination de leur action avec le Pays.

Le statut de la Polynésie française confère au Pays une compétence de droit commun pour l'exercice de l'action publique sur le territoire polynésien, les communes, de création récente et aux capacités financières limitées, ne bénéficiant initialement pour l'essentiel que de compétences d'attribution listées au I de l'article 43 de la loi organique statutaire : police municipale, transport, assainissement, etc.

Le dispositif du II de l'article 43 était bien pensé : il permettait aux communes d'intervenir au-delà de ces compétences d'attribution et répondait à l'exigence d'autoriser une intervention publique adaptée à chaque territoire, au niveau des communes, dans une cohérence globale décidée au niveau du Pays. C'est pourquoi il fallait pour chaque matière adopter une loi du Pays déterminant de façon générale les périmètres d'intervention de chacun.

Les matières concernées sont les suivantes : développement, aides et interventions économiques ; aide sociale ; urbanisme et aménagement de l'espace ; culture et patrimoine local ; jeunesse et sport ; protection et mise en valeur de l'environnement et soutien aux actions de maîtrise de l'énergie » ; politique du logement et du cadre de vie ; politique de la ville.

Or, je l'ai dit, depuis 2004, seules trois lois du Pays ont été promulguées aux fins de permettre une meilleure répartition des compétences entre le Pays et les communes de Polynésie française. Elles sont de surcroît de portée limitée, et l'une d'entre elles, à visée temporaire, portait sur l'action sociale des communes pendant la crise du covid-19.

Le fait que l'ensemble des situations des communes polynésiennes doive être régi par une seule loi du Pays, ajouté à une certaine réticence du Pays à autoriser une intervention des communes dans ces champs de compétences, apparaît, du fait de la diversité des situations communales, comme le principal frein à la mise en oeuvre de ce dispositif.

Or ce mécanisme, logique mais difficile à mettre en oeuvre, empêche aujourd'hui les communes ou les EPCI d'exercer des actions de proximité pourtant indispensables au profit des habitants de leurs territoires.

Voilà en quelques mots résumé l'objet de cette proposition de loi organique, qui représente une avancée nécessaire. Ce texte répond à une aspiration très forte : je l'ai dit, quarante des quarante-huit tavanas le soutiennent. Par-delà les différentes sensibilités représentées à l'Assemblée de la Polynésie française, il existe une réelle volonté d'avancer sur ce sujet. Chacun en est convaincu, en effet, la configuration territoriale de ce territoire appelle davantage de proximité, donc un renforcement des capacités d'action des communes.

Mme Jacqueline Eustache-Brinio. - Je remercie le rapporteur pour ces éclaircissements, et je remercie nos deux collègues polynésiens d'avoir proposé ce texte, qui fait envie aux élus que nous sommes, s'agissant de donner plus de moyens aux maires et davantage de proximité.

N'oublions pas que la Polynésie française est grande comme l'Europe. On peut comprendre qu'un pouvoir très centralisé à Papeete puisse empêcher des territoires très dispersés de mener à bien leurs projets. Quarante des quarante-huit maires approuvent ce texte, nous a rappelé le rapporteur : cela veut dire quelque chose. Ce texte répond à un réel besoin : merci à nos deux collègues polynésiens de défendre ces territoires auxquels ils sont tant attachés.

M. Jérôme Durain. - Une délégation de la commission des lois alors composée de François-Noël Buffet, Nadine Bellurot, Guy Benarroche, Philippe Bonnacarrere et moi-même, dûment accompagnés par Teva Rohfritsch et Lana Tetuanui, s'était rendue, en avril 2024, en Polynésie française pour travailler sur les questions institutionnelles avec les élus locaux.

Cette proposition de loi organique reprend l'une des recommandations que nous avions formulées dans le rapport issu de ce travail : il s'agit de répondre à une demande pressante des tavanas, car l'éloignement des territoires polynésiens les uns par rapport aux autres fait primer les enjeux territoriaux dans le débat institutionnel.

La disposition organique dont il est question, qui fait dépendre l'action des communes d'une décision du Pays, obère toute initiative locale. L'esprit et la lettre de ce texte justifient donc que nous y apportions tout notre soutien.

M. Teva Rohfritsch. - Avec ma collègue Lana Tetuanui, nous tenons à remercier le rapporteur pour les travaux qu'il a engagés et les nombreuses consultations qu'il a menées.

Les communes polynésiennes ne bénéficient pas de la clause générale de compétence, contrairement aux communes de l'Hexagone. Nous attendions beaucoup - et nos tavanas, nos maires, attendaient beaucoup - de la mise en application du II de l'article 43 de la loi organique statutaire, qui n'a pas produit les effets escomptés.

Pendant la période du covid-19, vers qui l'État et la collectivité de la Polynésie française se sont-ils tournés pour organiser l'assistance et l'aide d'urgence, notamment en matière sociale ? Vers nos tavanas, vers nos communes ! Des dispositions avaient alors été prises de manière temporaire, via une loi du Pays, chacun jurant ses grands dieux qu'ensuite nous en tirerions collectivement les leçons.

Les communes ont été ce maillage nécessaire dans des périodes d'urgence et ont dû faire face à une forme d'impréparation. Ne disposant pas du cadre qui avait été prévu au II de l'article 43, elles ont été saisies en urgence pendant la crise du covid-19. Nous tirons les leçons de cette expérience : par ce texte mesuré et adapté, qui sera enrichi par l'amendement de notre rapporteur, nous avons l'occasion de permettre à ces communes d'intervenir au-delà des situations d'urgence.

Il ne s'agit pas d'un transfert de compétences : la Polynésie française conserve la compétence de droit commun dans les domaines qui ont été énumérés, et elle conserve la faculté d'adopter des lois du Pays, c'est-à-dire de donner un cadre à l'intervention publique dans ces matières. Ainsi nos tavanas pourront-ils mener des « actions » - le terme est important - au bénéfice de nos populations.

Je précise que nous avons aujourd'hui le soutien de quarante-sept maires sur quarante-huit, ainsi que de l'actuel président de l'Assemblée de la Polynésie française. Je tairai le nom du maire qui ne souhaite pas soutenir ce texte, mais tous ceux qui connaissent un peu ce territoire savent de qui il s'agit.

La commission des institutions, des affaires internationales et des relations avec les communes de l'Assemblée de la Polynésie française s'est prononcée à l'unanimité, sur le fond, en faveur de cette proposition - ensuite a eu lieu, en séance plénière, un débat politicien.

Notre rapporteur a su tenir compte des demandes techniques qui ont été formulées : je pense à la question de l'information du Pays.

Je conclurai en disant qu'il s'agit de combler une carence. La Polynésie française comprend soixante-dix-huit îles habitées ; l'État et le Pays, au travers de leurs administrations, ne peuvent être présents partout. Ce sont donc les maires qui font office de service public, dans un cadre qui n'est pas toujours sécurisé : vecteurs de proximité et de subsidiarité, ils comblent surtout un vide.

Avec la proposition qui vous est faite, mes chers collègues, il s'agit de permettre aux tavanas de mener des actions tout en respectant la réglementation édictée par le Pays.

Le précédent dispositif a péché par le fait qu'il engageait de facto le financement du Pays. Tel n'est pas le cas de la mesure que nous proposons. Cela ne veut pas dire que le Pays sera encouragé à se dessaisir de ces sujets : cela signifie qu'un dialogue doit s'instaurer entre les communes et le Pays si les premières veulent une convention avec le second et une participation financière de celui-ci. À défaut, l'action de ces communes se restreindra au périmètre de leur territoire et se fera au bénéfice de leurs seuls administrés et dans la limite de leur budget communal.

Nous espérons, sur ce sujet, une expression unanime, car les communes attendent beaucoup de ce nouveau dispositif. Il y va d'une action publique conduite « au dernier kilomètre » et au plus près de nos administrés.

M. Mathieu Darnaud, rapporteur. - Tout a été dit par nos collègues.

Jacqueline Eustache-Brinio l'a rappelé, on ne saurait évoquer la Polynésie française sans parler de sa géographie : certains tavanas sont aussi éloignés de Papeete que Varsovie, Prague ou Athènes le sont de Paris. On voit dès lors qu'il est nécessaire, ici peut-être plus encore qu'ailleurs, de prendre en compte cette réalité territoriale, laquelle plaide pour davantage de proximité, dans le dialogue, bien sûr, avec le Pays. Notre volonté est de sécuriser l'exercice par les tavanas d'un certain nombre de compétences et de responsabilités qui peuvent les engager pénalement. Cette inversion des rapports entre communes et État ou Pays fera peut-être des envieux dans l'Hexagone...

D'une manière générale, il s'agit tendanciellement d'aligner sur le droit commun une partie des dispositions des différents statuts d'autonomie et, en l'espèce, de reconnaître à la commune sa capacité d'action singulière.

Jérôme Durain l'a rappelé à juste titre, ce texte épouse les conclusions d'un rapport d'information, qui vaut étude d'impact : tout converge aujourd'hui dans la direction ici indiquée.

Chacun a bien compris qui était le tavana réfractaire, mais il n'est pas question de stigmatiser qui que ce soit : chacun est bien sûr libre de ses positions sur ce sujet de la faculté d'initiative des communes.

Mme Muriel Jourda, présidente. - Comme c'est l'usage, il me revient, mes chers collègues, de vous indiquer quel est le périmètre indicatif de la proposition de loi organique. En application du vade-mecum sur l'application des irrecevabilités au titre de l'article 45 de la Constitution, adopté par la Conférence des présidents, je vous propose de considérer que ce périmètre inclut la modification des conditions dans lesquelles les communes polynésiennes peuvent intervenir dans les matières listées au II de l'article 43 de la loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004.

Il en est ainsi décidé.

EXAMEN DE L'ARTICLE UNIQUE

Article unique

M. Mathieu Darnaud, rapporteur. - L'amendement COM-1 vise tout simplement à favoriser un dialogue entre les communes, d'une part, et le haut-commissaire et le Pays, d'autre part, en « bordant » la capacité d'initiative offerte aux premières par l'exigence de la prise préalable d'une délibération qui serait transmise aux seconds. Le dialogue entre ces trois entités - communes, État, Fenua - s'en trouvera nourri.

Mme Lana Tetuanui. - Nous sommes évidemment favorables à cet amendement, qui répond aux réserves émises par les élus indépendantistes lors des débats qui ont eu lieu au sein de l'Assemblée de la Polynésie française, où se sont exprimées des postures politiques - je parle en connaissance de cause, puisque j'y ai moi-même défendu ce texte la semaine dernière.

Je ne m'attends malheureusement pas à ce que ce texte fasse l'unanimité au Sénat en séance publique : j'entends qu'une vague va déferler sur Paris pour plaider la cause du seul maire, opposé à ce texte toujours très critique sur l'État français !

Je remercie Mathieu Darnaud d'apporter ces précisions et de lever les ambiguïtés qui avaient été évoquées lors des débats à l'Assemblée de la Polynésie française. Je vous appelle, mes collègues à voter cet amendement et, bien sûr, le texte ainsi modifié.

L'amendement COM-1 est adopté.

L'article unique constituant l'ensemble de la proposition de loi organique est adopté, à l'unanimité, dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Le sort de l'amendement examiné par la commission est retracé dans le tableau suivant :

Auteur

Objet

Sort de l'amendement

Article unique

M. DARNAUD, rapporteur

1

Information préalable des autorités de la collectivité de Polynésie française et de l'Etat sur les actions que les communes ou les EPCI souhaitent engager dans les matières mentionnées au II de l'article 43 de la loi organique statutaire.

Adopté

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