N° 686
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2024-2025
Enregistré à la Présidence du Sénat le 4 juin 2025
RAPPORT
FAIT
au nom de la commission de l'aménagement du
territoire et du développement
durable (1) sur la proposition de
loi, adoptée par l'Assemblée nationale, visant à
reconnaître la
responsabilité de
l'État et à
indemniser les victimes du
chlordécone,
Par Mme Nicole BONNEFOY,
Sénatrice
(1) Cette commission est composée de : M. Jean-François Longeot, président ; M. Didier Mandelli, premier vice-président ; Mmes Nicole Bonnefoy, Marta de Cidrac, MM. Hervé Gillé, Rémy Pointereau, Mme Nadège Havet, M. Guillaume Chevrollier, Mme Marie-Claude Varaillas, MM. Jean-Yves Roux, Cédric Chevalier, Ronan Dantec, vice-présidents ; M. Cyril Pellevat, Mme Audrey Bélim, MM. Pascal Martin, Jean-Claude Anglars, secrétaires ; Mme Jocelyne Antoine, MM. Jean Bacci, Alexandre Basquin, Jean-Pierre Corbisez, Jean-Marc Delia, Stéphane Demilly, Gilbert-Luc Devinaz, Franck Dhersin, Alain Duffourg, Sébastien Fagnen, Jacques Fernique, Fabien Genet, Éric Gold, Daniel Gueret, Mme Christine Herzog, MM. Joshua Hochart, Olivier Jacquin, Damien Michallet, Louis-Jean de Nicolaÿ, Saïd Omar Oili, Alexandre Ouizille, Clément Pernot, Mme Marie-Laure Phinera-Horth, M. Bernard Pillefer, Mme Kristina Pluchet, MM. Pierre Jean Rochette, Bruno Rojouan, Jean-Marc Ruel, Mme Denise Saint-Pé, M. Simon Uzenat, Mme Sylvie Valente Le Hir, MM. Paul Vidal, Michaël Weber.
Voir les numéros :
Assemblée nationale (16ème législ.) : |
2061, 2206 et T.A. 245 |
|
Sénat : |
373 (2023-2024) et 687 (2024-2025) |
L'ESSENTIEL
La commission de l'aménagement du territoire et du développement durable, suivant la rapporteure Nicole Bonnefoy, a adopté à l'unanimité avec des modifications, le 4 juin 2025, la proposition de loi visant à reconnaître la responsabilité de l'État et à indemniser les victimes du chlordécone, présentée par le député Elie Califer et plusieurs de ses collègues.
Cette initiative ne fait que s'inscrire dans la continuité d'une dizaine de travaux parlementaires1(*) (législatif et de contrôle) engagés depuis 2005 qui démontrent que cette pollution dévastatrice est un sujet de vive préoccupation pour le législateur. Le rapport d'information du sénateur Catherine Procaccia au nom de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (Opesct) du 16 février 2023 sur l'impact de l'utilisation du chlordécone aux Antilles françaises a notamment mis en exergue l'étendue de la contamination des sols, des milieux aquatiques, de la faune et la flore et les effets sanitaires de cette pollution. Il formule plusieurs recommandations pour limiter les conséquences sur la santé et l'environnement et exhorte l'État à tirer les conséquences de cette crise.
Ce texte reconnaît la responsabilité pour faute de l'État dans les préjudices sanitaires, moraux, écologiques et économiques causés par l'utilisation du chlordécone dans les Antilles françaises entre 1972 et 1993, rendue possible par d'importantes carences de l'État dans ses missions de police sanitaire. Ce texte fixe par ailleurs plusieurs objectifs programmatiques pour renforcer les connaissances scientifiques, agir en faveur de la dépollution des terres et des eaux pour le bien-être et la santé des populations. Il ouvre ainsi le chemin au principe d'une indemnisation des victimes de cette contamination.
La commission estime légitime de reconnaître les douleurs passées et les vives préoccupations toujours présentes des populations de Guadeloupe et de Martinique. Sur les orientations de la rapporteure, elle a proposé de rendre ce texte plus proche des réalités de terrain, tout en l'expurgeant des mesures sans portée strictement opérationnelle. Elle a notamment proposé :
- de reconnaître que l'État avait « une part » de responsabilité laissant la voie possible pour la recherche de coresponsabilités ;
- de rendre la notion « préjudices moraux » plus robuste juridiquement en y ajoutant une précision relative à l'anxiété, afin de tenir compte de la notion consacrée par le juge administratif ;
- d'accentuer la recherche à destination des pathologies développées par les femmes en raison d'une exposition au chlordécone. L'objectif est de réparer un « oubli » mémoriel et scientifique préjudiciable aujourd'hui à la détermination des préjudices subis par les femmes.
La commission a approuvé ce texte, sous le bénéfice de six amendements adoptés.
I. CHLORDÉCONE DANS LES ANTILLES FRANÇAISES : DEUX DÉCENNIES D'UTILISATION IRRATIONNELLE D'UN PRODUIT DANGEREUX POUR LA SANTÉ HUMAINE ET L'ENVIRONNEMENT
A. VINGT ANS DE COMMERCIALISATION ET D'UTILISATION DU CHLORDÉCONE EN GUADELOUPE ET EN MARTINIQUE : LES CARENCES FAUTIVES DE L'ÉTAT
Source : CATDD
Entre 1972 et 1993, l'État a autorisé l'utilisation de produits phytosanitaires composés de chlordécone dans les Antilles françaises, afin d'éradiquer le charançon du bananier - un ravageur originaire d'Asie du Sud-Est capable de décimer une culture.
La toxicité du chlordécone, pourtant très tôt démontrée, n'a pas fait l'objet de la vigilance qu'on était en droit d'attendre de la part de l'État qui a failli dans ses missions de contrôle et de délivrance d'autorisations de vente et d'homologation de ce pesticide. L'absence de mesures adéquates pour protéger la santé publique et l'environnement, ainsi que le défaut de gestion des stocks résiduels de chlordécone traduit en effet une grave impéritie administrative.
En manquant de diligence et en l'absence de mesures de précaution mises en oeuvre par l'État, le lien de confiance qui unit la Métropole aux territoires ultramarins antillais a incontestablement été altéré.
La Nation « garantit à tous, notamment à l'enfant, à la mère et aux vieux travailleurs, la protection de la santé (...). »
Onzième alinéa du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946
* 1 Notamment deux rapports de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (Opecst) : rapport n° 487 (2008-2009) de Mme Catherine Procaccia, sénateur, et M. Jean-Yves Le Déaut, député, Impacts de l'utilisation de la chlordécone et des pesticides aux Antilles : bilan et perspectives d'évolution, 24 juin 2009 ; rapport n° 360 (2022-2023) de Mme Catherine Procaccia, sénateur, l'impact de l'utilisation de la chlordécone aux Antilles françaises, 16 février 2023.