N° 689
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2024-2025
Enregistré à la Présidence du Sénat le 4 juin 2025
RAPPORT
FAIT
au nom de la commission des finances (1) sur la
proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, instaurant
un impôt plancher de 2
% sur le patrimoine
des
ultrariches,
Par M. Emmanuel CAPUS,
Sénateur
(1) Cette commission est composée de : M. Claude Raynal, président ; M. Jean-François Husson, rapporteur général ; MM. Bruno Belin, Christian Bilhac, Jean-Baptiste Blanc, Michel Canévet, Emmanuel Capus, Thierry Cozic, Thomas Dossus, Albéric de Montgolfier, Didier Rambaud, Stéphane Sautarel, Pascal Savoldelli, vice-présidents ; Mmes Marie-Carole Ciuntu, Frédérique Espagnac, MM. Marc Laménie, Hervé Maurey, secrétaires ; MM. Pierre Barros, Arnaud Bazin, Grégory Blanc, Mmes Florence Blatrix Contat, Isabelle Briquet, M. Vincent Capo-Canellas, Mme Marie-Claire Carrère-Gée, MM. Raphaël Daubet, Vincent Delahaye, Bernard Delcros, Vincent Éblé, Rémi Féraud, Stéphane Fouassin, Mme Nathalie Goulet, MM. Jean-Raymond Hugonet, Éric Jeansannetas, Christian Klinger, Mme Christine Lavarde, MM. Antoine Lefèvre, Dominique de Legge, Victorin Lurel, Jean-Marie Mizzon, Claude Nougein, Olivier Paccaud, Mme Vanina Paoli-Gagin, MM. Georges Patient, Jean-François Rapin, Mme Ghislaine Senée, MM. Laurent Somon, Christopher Szczurek, Mme Sylvie Vermeillet, M. Jean Pierre Vogel.
Voir les numéros :
Assemblée nationale (17ème législ.) : |
768, 930 et T.A. 58 |
|
Sénat : |
380 et 690 (2024-2025) |
L'ESSENTIEL
Réunie le 4 juin 2025 sous la présidence de M. Claude Raynal, président, la commission des finances a examiné le rapport de M. Emmanuel Capus sur la proposition de loi n° 380 (2024-2025) instaurant un impôt plancher de 2 % sur le patrimoine des ultrariches, déposée à l'Assemblée nationale le 7 janvier 2025 par Mmes Eva Sas et Clémentine Autain et plusieurs de leurs collègues et adoptée en séance publique le 20 février 2025.
I. EN RÉPONSE À LA RÉGRESSIVITÉ SUPPOSÉE DE L'IMPOSITION DES REVENUS, LE TEXTE INTRODUIT UNE CONTRIBUTION DIFFÉRENTIELLE SUR LE PATRIMOINE DES FOYERS TRÈS AISÉS
A. LE CONSTAT D'UNE FORME DE RÉGRESSIVITÉ DE L'IMPOSITION DES REVENUS, QUI REPOSE SUR DES CHOIX MÉTHODOLOGIQUES PARTICULIERS
Dans une note parue en juin 20231(*), l'Institut des politiques publiques a constaté l'existence d'une forme de régressivité de l'imposition des revenus au sommet de la distribution. En effet, en retenant comme définition du revenu, non pas le revenu fiscal mais le revenu dit « économique », entendu comme l'ensemble des revenus réalisés et contrôlés effectivement par le foyer fiscal, les auteurs de cette étude estiment que le taux effectif d'imposition, tous impôts directs compris, devient régressif pour les 0,1 % de foyers fiscaux les plus aisés : ce taux passerait ainsi de 46 % à 26 % pour les 0,0002 % les plus aisés.
Ce constat n'est pas propre à la France puisque, comme le signale l'économiste Gabriel Zucman dans le rapport qu'il a publié en juin 2024 à la demande de la présidence brésilienne du G202(*), ce phénomène a également été documenté dans plusieurs pays développés.
L'explication principale de ce phénomène réside dans les caractéristiques du revenu de cette catégorie de population, lequel est majoritairement composé de revenus du patrimoine, et dans la possibilité de structurer ce patrimoine de façon à ce que ces revenus soient moins imposables. Ainsi, lorsqu'ils contrôlent les choix d'une entreprise, les plus aisés peuvent choisir de ne pas verser de dividendes de façon à ne pas subir l'imposition afférente. De même, pour gérer leur patrimoine, ils recourent fréquemment à des holdings ou des structures similaires, dont le régime fiscal est plus avantageux que celui de l'imposition des revenus sur les personnes physiques.
En contrepoint de ce constat, plusieurs points méritent d'être soulignés :
Tout d'abord, le choix de ne pas verser de dividendes peut ne pas procéder d'une volonté d'évitement de l'impôt, mais au contraire d'un choix de long terme axé sur le développement de l'entreprise, lequel repose sur l'investissement. Une entreprise qui souhaiterait revaloriser les salaires de ses employés pourrait également freiner le versement de dividendes.
Ensuite, le constat d'une régressivité de l'impôt au sommet de la distribution repose sur un choix méthodologique inédit qui n'a rien d'évident, à savoir : l'assimilation d'une personne physique avec la société qu'il contrôle pour déterminer la notion de revenu économique, contrairement au principe de personnalité de l'impôt qui sous-tend la fiscalité française.
Enfin, la notion-même de régressivité recouverte par cette étude peut être considérée comme contestable. En effet, si les personnes les plus aisées veulent dépenser ces revenus, ils doivent les sortir de leurs holdings - si c'est le choix de gestion qu'ils ont fait - sous forme de dividendes ou de plus-values, auquel cas ils sont assujettis au prélèvement forfaitaire unique. Il est donc problématique d'évaluer la progressivité de l'imposition des revenus du capital à partir d'une approche statique, c'est-à-dire en omettant l'imposition impliquée par la consommation future.
Malgré ces limites réelles, Gabriel Zucman a proposé, dans le rapport susmentionné, la mise en place d'une taxe différentielle de 2 % sur le patrimoine des milliardaires, voire des centi-millionnaires, au niveau mondial. Ce taux s'appuie sur le constat d'une forte progression du patrimoine des plus aisés sur les quarante dernières années - de l'ordre de 7,5 % par an en moyenne selon lui. Toutefois, ce constat est documenté, dans le rapport de M. Zucman, au niveau mondial, et non au niveau français. Surtout, la fiabilité des données sur lesquelles il s'appuie peut être remise en question puisqu'elles proviennent du classement du magazine Forbes, qui ne renseigne pas ses sources. Le taux envisagé pour la taxe ne tient pas compte non plus du fait que le rendement du patrimoine, s'il est positif sur le long terme, peut être négatif à court terme : la détention d'un patrimoine ne reflète donc pas systématiquement l'obtention d'un revenu associé.
B. UNE CONTRIBUTION DIFFÉRENTIELLE DOTÉ D'UNE LARGE ASSIETTE ET CONCENTRÉE SUR LES PATRIMOINES DE PLUS DE 100 MILLIONS D'EUROS
La présente proposition de loi crée un impôt plancher sur la fortune (IPF) prenant la forme d'une contribution différentielle sur le patrimoine, entendu au sens large, des plus grandes fortunes.
Elle fixe un seuil d'entrée à 100 millions d'euros de patrimoine, sans prévoir aucun mécanisme de décote permettant d'atténuer l'imposition des contribuables proches du seuil d'assujettissement. Sont concernées, les personnes fiscalement domiciliées en France, pour leurs biens situés en France et à l'étranger, et les personnes domiciliées à l'étranger, pour leurs biens situés en France3(*).
L'assiette de la nouvelle contribution vise à recouper le « revenu économique ». Elle correspond, de fait, à une vision élargie du patrimoine, incluant notamment les biens professionnels.
Un calcul différentiel permet de déterminer le montant de la nouvelle contribution. La somme due est égale à la différence, à condition qu'elle soit positive, entre :
- d'une part, le montant résultant de l'application d'un taux de 2 % à la valeur nette taxable du patrimoine du redevable ;
- d'autre part, la somme des montants effectivement acquittés par le contribuable sur ses revenus (impôt sur le revenu, impôt sur la fortune immobilière et une partie des prélèvements sociaux).
Les autrices de la proposition de loi ont prévu un dispositif d'échelonnement du paiement de l'impôt, en cas d'impossibilité pour le contribuable de s'acquitter du montant dû, en raison d'une situation de gêne, comme le fait de devoir aliéner une partie de leur patrimoine.
Selon Gabriel Zucman, le rendement de l'impôt pourrait représenter environ 20 milliards d'euros, avec une marge d'erreur de 5 milliards d'euros
II. UN NOUVEL IMPÔT PROBABLEMENT INCONSTITUTIONNEL ET ÉCONOMIQUEMENT NÉFASTE
A. SANS PLAFOND, L'IMPÔT PLANCHER RISQUE DE NE PAS FRANCHIR LA PORTE DU CONSEIL CONSTITUTIONNEL
Dans son contrôle de la loi fiscale, le Conseil constitutionnel s'assure que l'imposition prend en compte la faculté contributive des contribuables, de sorte qu'elle n'ait pas un caractère confiscatoire. Pour ce faire, le juge constitutionnel identifie un taux marginal maximal d'imposition. S'agissant de l'imposition de la fortune, il exige d'assortir l'imposition du patrimoine d'un mécanisme de plafonnement, sauf à fixer un taux suffisamment bas. Si le Conseil constitutionnel admet un taux de 0,5 %4(*) sans plafonnement, un taux de 1,8 %5(*) n'a été validé que sous la condition d'être assorti d'un tel dispositif.
Le Conseil constitutionnel serait donc amené à censurer un taux marginal d'imposition sur le patrimoine situé entre 0,5 % et 1,8 % s'il n'était pas assorti d'un dispositif de plafonnement sur les revenus. En ne prévoyant aucun plafonnement et en fixant un taux d'imposition à 2 %, l'impôt plancher sur la fortune s'expose à la censure du juge de la rue Montpensier.
Le taux proposé pour l'IPF ne paraît pas non plus suffisamment protecteur du principe d'égalité devant les charges publiques, dès lors qu'il n'écarte pas et implique même le risque d'aliénation, par le contribuable, d'une partie de son patrimoine pour s'acquitter de la nouvelle taxe.
En proposant un taux insuffisamment protecteur du principe d'égalité devant les charges publiques, l'impôt plancher sur la fortune s'expose à l'inconstitutionnalité
B. LE RISQUE DE CONSÉQUENCES ÉCONOMIQUES NÉFASTES
En outre, le dispositif proposé pose un certain nombre de questions d'ordre opérationnel, qui ne sont pas sans rejoindre les interrogations liées à sa constitutionnalité, et qu'aurait des conséquences économiques néfastes.
Tout d'abord, la valorisation, année par année, de l'ensemble du patrimoine détenu par les contribuables, constitue une gageure, que l'entreprise à laquelle sont adossées les actions détenues soient cotées ou non.
Plus problématique encore, en l'absence d'un mécanisme de plafonnement en fonction des revenus, il est impossible de garantir la liquidité des personnes imposées. En effet, l'IPF pourrait toucher des personnes dont le rendement du patrimoine est faible, voire négatif.
C'est en particulier le cas s'agissant d'entreprises qui viennent d'être lancées : les propriétaires d'actions qui, certes, peuvent être valorisées à hauteur de plusieurs milliards d'euros, ne perçoivent pas nécessairement un revenu aujourd'hui, puisque la valeur de ces actions est fondée sur les recettes futures estimées par les investisseurs en prévision des bénéfices à venir. On rappelle en effet que la valeur d'une action est théoriquement censée être égale à la valeur actualisée des dividendes auxquels elle donne droit.
Le dispositif pourrait obliger certaines personnes à revendre leurs actions pour s'acquitter d'un montant d'impôt supérieur à celui de l'impôt dû au titre du présent dispositif puisque les plus-values sont par ailleurs taxées au titre du PFU.
Si le présent texte prévoit un lissage du paiement de l'IPF en cas d'impossibilité pour le contribuable de s'acquitter du montant dû, l'échelonnement ne peut dépasser cinq ans, ce qui n'est pas nécessairement suffisant lors du lancement d'une entreprise. Il faut d'ailleurs noter ici que Gabriel Zucman propose, en cas de problème de liquidité, de payer l'imposition au moyen des actions elles-mêmes, ce qui indique en creux les limites du mécanisme sur les situations de « gêne », lequel n'apparaît donc pas suffisant pour régler le problème de liquidité posé par le texte.
D'autres faiblesses importantes sont à déplorer :
- Pour le calcul du montant de l'impôt plancher, le dispositif proposé ne prend pas en compte l'impôt sur les sociétés, pourtant acquitté par ceux qui contrôlent les entreprises visées : cela entraînerait pourtant une diminution conséquente du rendement de l'impôt, qui pourrait ne plus représenter que 2 à 3 milliards d'euros ;
- L'impôt pourrait entraîner un exil fiscal dont il est impossible d'anticiper l'ampleur. À la différence des impositions sur la fortune pour lesquels des études permettent d'indiquer qu'elles ont donné lieu à un exil fiscal négligeable, l'IPF inclut dans son assiette les biens professionnels. Or, dans la mesure où les fortunes visées sont fortement concentrées, l'exil d'un seul des contribuables parmi les plus riches de France entraînerait une baisse potentiellement très importante du rendement de l'impôt.
Par ailleurs, l'adoption de ce texte aurait des conséquences économiques néfastes non négligeables, ce qui justifie son rejet.
En poussant leurs propriétaires à céder leurs actions pour acquitter l'impôt, il aurait pour effet de dissuader la création de nouvelles entreprises, notamment de start-ups, ce que ne peut se permettre l'économie française.
Par ailleurs, ce sont les personnes ciblées par le dispositif qui sont les plus à même d'effectuer des investissements risqués au bénéfice des entreprises en croissance. Cette nouvelle imposition nuirait donc nécessairement au financement du capital-risque.
Enfin, comme précisé antérieurement, il n'apparaît pas nécessairement justifié de « sanctionner » par l'impôt des entrepreneurs qui, en empêchant la distribution de dividendes, ont fait le choix du développement de leur entreprise, contribuant par là-même à celui de l'économie française.
Au total, si des mécanismes minorant, peut-être artificiellement, l'imposition qui pourrait être due par certains contribuables peuvent exister en France, comme dans le reste du monde, l'impôt proposé par ce texte ne constitue pas une solution adéquate pour lutter contre ces phénomènes. D'autres pistes existent, comme la contribution différentielle sur laquelle travaille actuellement le Gouvernement, ou encore la taxation des holdings ou des dividendes non distribués - comme elle est pratiquée aux États-Unis.
Compte tenu de ces raisons, la proposition de loi n'a pas été adoptée par la commission. En conséquence, en vertu de l'article 42 de la Constitution, la discussion portera en séance sur le texte de la proposition de loi tel que transmis par l'Assemblée nationale.
EXAMEN DE L'ARTICLE
ARTICLE
UNIQUE
Instauration d'un impôt plancher sur la fortune
L'article unique de la proposition de loi prévoit la mise en place d'un impôt plancher sur la fortune pour les personnes dont le patrimoine est supérieur à 100 millions d'euros. Dès lors que la somme des impositions qu'elles versent au titre de l'impôt sur le revenu, de la contribution exceptionnelle sur les hauts revenus, de la contribution sociale généralisée, de la contribution au remboursement de la dette sociale et de l'impôt sur la fortune immobilière, serait inférieure à 2 % de leur patrimoine, ces personnes devraient verser la différence entre cette somme d'impositions et 2 % de leur patrimoine. Ce dispositif s'inspire d'une proposition établie par l'économiste Gabriel Zucman dans un rapport publié en juin 2024, en réponse à une commande de la présidence brésilienne du G20 en février 2024.
Si le système fiscal français pourrait entraîner une forme de régressivité au plus haut sommet de la distribution des revenus, ce qui serait susceptible de justifier la recherche d'un dispositif pour limiter l'intérêt des mécanismes qui conduisent à ce phénomène, le dispositif proposé comporte des faiblesses d'ordre constitutionnel, opérationnel et économique qui justifient son rejet.
En effet, certains contribuables pourraient ne pas disposer des revenus nécessaires pour s'acquitter de cet impôt, ce qui le rendrait, du fait d'un taux particulièrement élevé et de l'absence de plafonnement en fonction des revenus, très probablement inconstitutionnel. En outre, un tel impôt dissuaderait nécessairement la création d'entreprises, pourtant plus nécessaire que jamais à l'économie française.
La commission des finances n'a pas adopté cet article constituant l'ensemble de la proposition de loi.
I. FACE À UNE FORME DE RÉGRESSIVITÉ DE L'IMPOSITION DES REVENUS, L'ÉCONOMISTE GABRIEL ZUCMAN A PROPOSÉ LA MISE EN PLACE D'UN IMPÔT PLANCHER SUR LA FORTUNE AU NIVEAU MONDIAL
A. LES RÉFORMES SUCCESSIVES DE L'IMPOSITION DES FOYERS LES PLUS AISÉS DEPUIS 2017
1. La transformation de l'impôt de solidarité sur la fortune en impôt sur la fortune immobilière
L'article 31 de la loi n° 2017-1837 du 30 décembre 2017 de finances pour 2018 a, d'une part, supprimé l'impôt de solidarité sur la fortune (ISF) et, d'autre part et parallèlement, introduit un impôt sur la fortune immobilière (IFI).
L'impôt sur la fortune immobilière se distingue de l'ISF en ce qu'il constitue un impôt annuel sur les seuls actifs immobiliers. Son assiette se trouve définie à l'article 965 du code général des impôts (CGI) et correspond à la valeur nette, au 1er janvier de l'année :
- des biens et droits immobiliers des redevables ;
- et des parts ou actions des sociétés et organismes établis en France ou hors de France, à hauteur « de la fraction de leur valeur représentative de biens ou droits immobiliers », détenus directement ou indirectement par la société ou l'organisme.
Aux termes de l'article 974 du CGI, il est toutefois possible de déduire de cette assiette les dettes existantes au 1er janvier de l'année, sous réserve qu'elles soient afférentes à des actifs imposables et effectivement supportées par les redevables.
Le législateur a retenu différents régimes d'exclusion ou d'exonération, essentiellement au bénéfice de l'immobilier professionnel, des participations minoritaires et des biens agricoles. Il est ainsi possible de citer l'exclusion des biens immobiliers affectés à une activité opérationnelle de la société ou de l'organisme qui les détient directement6(*), l'exclusion des biens immobiliers détenus par une société opérationnelle et affectés à une activité opérationnelle au sein du groupe7(*), l'exonération des participations inférieures à 10 % dans les sociétés opérationnelles8(*), l'exonération des biens affectés à l'activité principale du redevable (qu'ils soient détenus directement ou indirectement)9(*) ou l'exonération partielle des bois et forêts, des biens donnés à bail à long terme, des biens ruraux et des parts de groupements fonciers agricoles.
S'agissant du calcul de l'IFI, l'article 977 du CGI reprend le barème et le mécanisme de décote prévus pour l'ISF.
Barème de l'impôt sur la fortune immobilière
(en euros et en pourcentage)
Fraction de la valeur nette taxable du patrimoine |
Tarif |
< 0,8 million d'euros |
0 |
> 0,8 million d'euros et <= 1,3 million d'euros |
0,5 % |
> à 1,3 million d'euros et <= à 2,57 millions d'euros |
0,7 % |
> à 2,57 millions d'euros et <= 5 millions d'euros |
1 % |
> à 5 millions d'euros et <= 10 millions d'euros |
1,25 % |
> à 10 millions d'euros |
1,5 % |
Source : commission des finances d'après le code général des impôts
Plusieurs travaux, menés par des parlementaires et des économistes, ont permis de dresser une évaluation de l'impact budgétaire et économique du remplacement de l'ISF par l'IFI.
Ainsi, le rapport d'information de Vincent Éblé et Albéric de Montgolfier sur l'évaluation de la transformation de l'ISF en IFI et de la création du prélèvement forfaitaire unique (PFU), remis en octobre 201910(*), avait établi une première estimation du coût de la réforme pour les finances publiques. À l'issue de l'exercice 2018, la minoration des recettes de l'État se serait élevée à 2,9 milliards d'euros. Le président et le rapporteur général de la commission des finances notaient, à l'issue de leurs travaux, que « la mise en place de l'IFI aboutit à exonérer totalement une part non négligeable de redevables très fortunés mais possédant un faible patrimoine immobilier. Près d'un cinquième des redevables (18 %) relevant de la dernière tranche de l'ISF, soit ceux dont le patrimoine taxable était supérieur à 10 millions d'euros, ne payent pas l'IFI »11(*).
De même, le comité de suivi de la réforme de la fiscalité du capital a conclu que le coût budgétaire du remplacement de l'ISF par l'IFI s'élevait, en 2022, à 4,5 milliards d'euros de pertes de recettes12(*).
Le rapport du comité indique, de plus, une baisse du nombre d'expatriations des foyers fiscaux domiciliés en France et une hausse des retours, sans que l'impact économique ait pu être mesuré.
2. La création d'une imposition forfaitaire sur les revenus du capital : une baisse de la fiscalité autofinancée
L'article 28 de la loi n° 2017-1837 du 30 décembre 2017 de finances pour 2018 a créé un prélèvement forfaitaire unique (PFU) sur certaines catégories de revenus : les revenus mobiliers (notamment les dividendes issus d'actions et part sociales et les revenus fixes d'obligations, de titres de créance, de comptes de dépôt et de comptes à terme), les plus-values de cession de valeurs mobilières et les revenus des plans d'épargne logement (PEL) ou des comptes d'épargne logement (CEL)13(*).
Cependant, le PFU ne s'applique pas aux revenus de l'épargne salariale, des produits d'épargne solidaire, et des stocks-options et s'applique de manière dérogatoire aux revenus issus des produits d'assurance-vie, pour un taux d'impôt sur le revenu de 7,5 % au lieu de 12,8 %.
Le PFU comprend un taux de 30 %, qui se décompose entre :
- l'impôt sur le revenu au taux de 12,8 % (article 200 A du CGI) ;
- des prélèvements sociaux pour un total de 17,2 %, dont la contribution sociale généralisée (CSG) sur les produits de placement au taux de 9,2 %, le prélèvement de solidarité de 7,5 % et la CRDS au taux de 0,5 %.
Le caractère forfaitaire du PFU lui permet d'assurer, de fait, une neutralité fiscale entre ces différents types de revenus. Le mode de prélèvement du PFU peut néanmoins varier selon les catégories de revenus.
À noter que le taux de 12,8 % peut être majoré par l'application du barème de la contribution exceptionnelle sur les hauts revenus (CEHR) qui prévoit un taux additionnel de 3 ou 4 points selon les seuils de revenus prévus par le barème de la CEHR.
Le contribuable conserve la possibilité d'opter pour une imposition au barème de l'impôt sur le revenu lors de sa déclaration d'impôt en année N+1. Cette option est applicable à l'ensemble des revenus intervenant dans le champ du PFU. En 2022, le nombre de foyers fiscaux disposant de revenus concernés par le PFU et ayant préféré l'imposition au barème de l'impôt sur le revenu s'élevait à 1,86 million. L'option pour l'imposition au barème de l'impôt sur le revenu permet au contribuable de bénéficier de l'abattement de 40 % sur le montant des dividendes14(*).
En 2022, le prélèvement forfaitaire unique concernait 13,5 millions de foyers fiscaux, pour un rendement de 7,2 milliards d'euros, répartis entre : 4,94 milliards d'euros sur les revenus mobiliers, 2,24 milliards d'euros sur les plus-values de cessions mobilières soumises à l'impôt sur le revenu et à 0,03 milliard d'euros sur les intérêts d'assurance-vie.
Le comité de suivi de la réforme de la fiscalité du capital15(*) a souligné que la hausse des dividendes versées à partir de 2018 (24 milliards d'euros sur 2018-2020) a induit une hausse des recettes fiscales, permettant de compenser le coût statique de la réforme, évalué à un milliard d'euros16(*). Selon France Stratégie, ces distributions additionnelles de dividendes sont concentrées sur les foyers fiscaux les plus aisés17(*).
3. L'introduction d'une contribution différentielle sur les hauts revenus, de nature temporaire, visant à mieux appréhender les capacités contributives des foyers les plus aisés
Suite à la forte dégradation des comptes publics observée au cours de la période 2023-2024, l'article 10 de la loi n° 2025-127 du 14 février 2025 de finances pour 2025 a introduit une contribution différentielle sur les hauts revenus (CDHR)18(*). Poursuivant un objectif de rendement, cette contribution présente un caractère temporaire puisqu'elle ne s'applique qu'aux revenus de l'année 2025.
Elle vise à assurer une imposition minimale des plus hauts revenus à hauteur de 20 % du revenu fiscal de référence, en appliquant un « filet de rattrapage fiscal » à l'ensemble des contribuables fiscalement domiciliés en France dont le revenu fiscal de référence, un agrégat ajoutant au revenu net imposable certains revenus exonérés, est supérieur à 250 000 euros pour une personne seule et 500 000 euros pour un couple.
La contribution différentielle repose sur la différence, si elle est positive, entre 20 % du revenu fiscal de référence et le montant total de l'impôt sur le revenu effectivement acquitté (soit la somme de l'impôt sur le revenu, de la contribution exceptionnelle sur les hauts revenus et des prélèvements libératoires).
L'assiette de cette contribution temporaire se trouve toutefois grevée par la rédaction retenue pour l'article 224 du CGI. Ce dernier prévoit en effet des dispositifs de lissage visant à atténuer l'entrée dans l'imposition (par une prise en compte des revenus exceptionnelles et de la composition du foyer fiscal et par un mécanisme de décote). Il permet, de plus, aux contribuables de mobiliser les avantages en impôt offerts par de nombreuses dépenses fiscales, au nom du respect des espérances légitimes.
Il en résulte que le rendement initialement annoncé par le Gouvernement de l'époque, d'un montant de deux milliards d'euros, a de fortes chances de ne pas être atteint en 2025. Le rapporteur général de la commission des finances, Jean-François Husson avait notamment souligné, à l'occasion des débats en première lecture au Sénat, que le rendement annoncé paraissait « entouré d'incertitudes, car il faut toujours se méfier des effets d'éviction »19(*).
B. AU SOMMET DE LA DISTRIBUTION DES REVENUS, LE TAUX D'IMPOSITION EFFECTIF DÉTERMINÉ EN FONCTION DU REVENU ÉCONOMIQUE DEVIENT RÉGRESSIF
1. En France comme dans d'autres pays, le taux d'imposition effectif, lorsqu'il est déterminé par rapport au revenu économique, devient régressif au sommet de la distribution des revenus
En juin 2023, une étude de l'Institut des politiques publiques20(*) portant sur des données de 2016 a permis d'identifier que le taux effectif d'imposition, tous impôts directs compris, s'il était progressif jusqu'à des niveaux élevés de revenu, devenait régressif, en passant de 46 % pour les 0,1 % de foyers fiscaux les plus riches, à 26 % pour les 0,0002 % les plus riches.
En effet, si le système est bien progressif lorsqu'on retient comme référence du revenu le revenu fiscal tel qu'il est déclaré au titre de l'imposition des revenus, il ne l'est plus lorsqu'on retient comme définition celle du revenu économique, entendu comme étant l'ensemble des revenus réalisés et contrôlés effectivement par le foyer fiscal.
Comme le détaille cette étude, le revenu économique, qui n'inclut ni les variations de patrimoine ni les revenus latents non encore réalisés, est construit en ajoutant au revenu fiscal deux types de revenus non imposés à l'impôt sur le revenu : les cotisations sociales non-contributives (maladie et famille), qui s'apparentent selon les auteurs à des impôts à la différence des cotisations contributives qui représentent une forme d'assurance obligatoire, et les pertes et profits non distribués des sociétés contrôlées par les foyers fiscaux au prorata de leur détention effective : il s'agit de cibler les cas où le ménage actionnaire influe réellement sur la politique de distribution de l'entreprise.
En rapportant les impôts payés directement par les ménages au revenu économique, les auteurs montrent que l'ensemble des impôts personnels reste progressif jusqu'à un niveau élevé de revenu (autour de 600 000 euros de revenu économique annuel, soit les 0,1 % les plus riches) mais devient régressif après ce niveau, ne représentant plus que 2 % du revenu économique des 0,0002 % les plus riches. Toutefois, cette forte régressivité des impôts personnels est en partie compensée par le paiement de l'impôt sur les sociétés, permettant au taux global d'imposition effectif de se situer à hauteur de 26 % du revenu économique.
Les auteurs identifient enfin que le taux qui pourrait être payé par ces ménages si leurs revenus économiques étaient intégrés dans le barème de l'imposition personnelle, laquelle s'avère progressive, s'élèverait non pas à 26 % mais à 59 %.
Taux d'imposition totaux des 10 % des foyers dont le revenu est le plus élevé, rapportés au revenu fiscal et au revenu économique en 2016 en France
Le constat de la régressivité de l'impôt en fonction du revenu économique n'est pas propre à la France. Comme le signale l'économiste Gabriel Zucman dans le rapport qu'il a publié en juin 2024 à la demande du G20 sous présidence brésilienne21(*), ce phénomène de régressivité a été également documenté dans plusieurs pays développés. Le taux d'imposition y est fortement régressif, sauf aux États-Unis où le taux d'imposition est par ailleurs plus faible, même si l'entrée dans la régressivité ne commence pas aux mêmes endroits de la distribution des revenus selon les pays.
Taux de taxation moyen par groupe de revenu et pour les milliardaires
Source : Gabriel Zucman : « A blueprint for a coordinated minimum effective taxation for ultra-high-net-worth individuals », juin 2024
2. La structuration du patrimoine des contribuables les plus aisés peut permettre de générer peu de revenu imposable
L'explication principale de ce phénomène de régressivité réside dans le fait que les plus aisés retirent la majorité de leurs revenus de leur patrimoine - bien souvent les entreprises qu'ils possèdent - et peuvent structurer ce patrimoine de façon à ce que les revenus économiques qu'il génère ne soient pas imposables.
Comme l'explique Gabriel Zucman dans son rapport, les deux moyens les plus répandus pour éviter de soumettre les revenus à l'imposition sont l'évitement de la distribution de dividendes et de réalisation de gains en capital, ainsi que l'utilisation de holdings22(*) et de structures similaires.
a) Lorsqu'ils contrôlent les choix de l'entreprise, les plus aisés peuvent choisir de ne pas verser de dividendes, même si cette décision ne résulte pas nécessairement d'une stratégie d'optimisation fiscale
En effet, lorsqu'une personne physique détient suffisamment de parts dans une société pour en assurer le contrôle, elle peut faire en sorte que celle-ci ne verse pas de dividendes et évite ainsi d'avoir à payer le prélèvement forfaitaire unique ou l'impôt sur le revenu. Les profits sont alors réinvestis, ce qui augmente la valeur de la société et soutient le prix de l'action. Lorsque ces actions sont vendues par une personne, elle réalise alors des gains en capital, ce qui entraîne une imposition des plus-values au titre du PFU (ou de l'impôt sur le revenu)23(*). Leur conservation permet d'éviter le paiement d'impôt sur ces gains en capital. La détention de parts dans une société ainsi que le contrôle des choix faits par cette société permettent de soustraire à l'imposition des revenus des sommes qui, autrement, auraient de fortes chances d'y être soumises puisque bien souvent, en effet, les actionnaires sont plutôt désireux de liquidité, et donc de dividendes. Toutefois, comme cela sera précisé ultérieurement, ces choix ne résultent pas nécessairement d'une volonté d'évitement fiscal mais peuvent relever d'une stratégie de développement économique de l'entreprise.
Le raisonnement très économique de Gabriel Zucman le conduit à affirmer que la part des profits réalisés par les sociétés détenues constitue bien un revenu économique, qui n'est ni virtuel ni bloqué, mais qui, au lieu d'être consommé, est épargné et réinvesti. Il peut même être consommé de façon indirecte par le biais d'un prêt, consenti grâce aux collatéraux constitués par les actions détenues : il y a alors rétention des profits dans l'entreprise, utilisée comme levier pour emprunter sans payer d'impôt.
Il faut toutefois bien souligner que la conservation de parts d'une société ne se traduit pas, par définition, par la perception de liquidités disponibles, en particulier pour le paiement de l'impôt. Si certains utilisent probablement ce moyen pour organiser leur illiquidité, cela ne saurait être érigé en règle générale.
b) Pour gérer leur patrimoine, les plus aisés recourent également fréquemment à des holdings ou des structures similaires dont le régime fiscal est beaucoup plus avantageux que celui de l'imposition des revenus sur les personnes physiques
Un autre moyen de structurer son patrimoine de façon à éviter l'imposition sur les revenus qu'il génère consiste à faire remonter les dividendes dans une holding familiale ou un trust.
En France, cela peut passer par l'usage d'une holding dite patrimoniale. Lorsqu'elle se limite à la gestion du portefeuille qu'elle détient, la holding est alors dite passive.
Dans ce cas, une part significative patrimoine de la personne physique peut être géré par cette holding, qui est une personne morale et qui est propriétaire des parts, et les dividendes qui sont reversés sur le compte de cette holding ne sont pas fiscalisés au titre de l'imposition sur les revenus, à la différence des dividendes perçus par les personnes physiques. Les dividendes perçus par la holding peuvent être ou bien réinvestis, ou bien soustraits à la holding à des fins de consommation personnelle. C'est alors le seul cas où ils sont imposés à l'imposition sur le revenu, à la différence de ce qui se produit pour une personne physique : même si elle choisit de réinvestir entièrement ses dividendes, elle aura préalablement versé le PFU à l'administration fiscale.
Pour peu que la holding ait opté pour le régime « mère-fille », elle est, en tant que société « mère » détenant en pleine propriété au minimum 5 % du capital de la filiale, exonérée du paiement d'impôt sur les dividendes issus de la ou des sociétés « filles », dans la mesure où ces dividendes sont réputés avoir déjà supporté l'impôt sur les sociétés lors de la réalisation des bénéfices par des sociétés filiales. L'article 216 du code général des impôts prévoit en effet que les produits de participations ouvrant droit à l'application du régime des sociétés mères prévu à l'article 145 du même code ne sont pas pris en compte dans le résultat imposable de la société qui perçoit ces produits, à l'exception d'une quote-part de frais et charges égale à 5 % du montant de ces produits, crédit d'impôt compris24(*). La holding paie alors l'impôt sur les sociétés sur ces 5 %. Il faut noter également que les plus-values générées lors de la cession par une holding des titres de ses filiales détenus depuis plus de deux ans ne sont fiscalisées que sur une quote-part de frais et charges de 12 % (niche « Copé »).
Ce n'est que lorsque la holding ne bénéficie pas, sur les titres qu'elle détient, du régime « mère-fille », que son résultat est soumis à l'impôt sur les sociétés au taux de 25 %.
Les revenus issus d'une holding, qui font l'objet d'une taxation des plus-values, peuvent n'être jamais imposés en tant que tels lorsque les parts de la holding sont transmises sous forme de donation ou de succession. Dans ce cas, les plus-values latentes sont effacées, et seuls les droits de mutation sont versés.
L'économiste Antoine Levy, lors de son audition par le rapporteur, notait aussi qu'une partie importante des revenus des personnes disposant des plus gros patrimoines est conservée dans des holdings, n'est jamais distribué, et ne donne jamais lieu à une imposition des personnes physiques.
Comme l'a signalé Laurent Bach au rapporteur, les stratégies qui consistent à utiliser une société holding de façon à y placer son patrimoine et le soustraire en grande partie à l'imposition, sont rendues possibles par une évolution du droit des sociétés effaçant quelque peu la distinction entre sociétés de personnes et sociétés de capitaux, et ayant permis, depuis une trentaine d'année, l'introduction de formes sociales juridiques offrant un contrôle total de la société aux personnes actionnaires, tout en disposant du statut de société de capitaux. Cela permet de bénéficier des avantages d'une société anonyme - en particulier le choix d'une taxation à l'impôt sur les sociétés, dont le taux marginal supérieur a significativement diminué depuis les années 1990 sous l'effet de la concurrence fiscale contrairement à l'impôt sur le revenu - tout en contrôlant les statuts de la société - par exemple pour conditionner la transmission des parts à l'accord de la personne qui contrôle la société.
L'impact de l'interposition des
sociétés holdings
dans le système d'imposition
français
Les très hauts revenus sont essentiellement composés de hauts revenus du capital. Leur taxation et celle des patrimoines en France repose sur trois piliers : 1° un impôt sur les sociétés plutôt dans la moyenne haute des pays de l'OCDE, 2° un impôt sur les revenus distribués du capital (dividendes et plus-value) de 30% (flat tax) auquel s'ajoute une contribution exceptionnelle sur les hauts revenus (jusqu'à 4%), et 3° un impôt sur la fortune immobilière.
Cette taxation est assez comparable au traitement des dividendes dans d'autres pays de l'OCDE, et un peu moins favorable en termes de traitement des plus-values. En revanche, la France permet de manière plus large que dans d'autres pays l'interposition de sociétés holdings entre le propriétaire et ses actifs professionnels, qui limitent la distribution de revenus a des personnes physiques et permettent donc de retarder (ou d'effacer) l'imposition des revenus personnels.
Source : commission des finances d'après les réponses d'Antoine Levy au questionnaire du rapporteur
3. Le constat de la régressivité de l'imposition repose toutefois sur un choix méthodologique qui méconnaît le principe de personnalité de l'impôt
Si l'étude précitée de l'IPP permet de mettre le doigt sur une certaine faiblesse du système fiscal français, il faut souligner qu'elle se limite à une seule année - 2016 - et qu'aucun travail supplémentaire, à la connaissance de la commission des finances, n'a été effectué pour confirmer ces résultats.
Il faut bien préciser également que ceux-ci reposent sur un choix méthodologique particulier, consistant à assimiler une personne physique avec la société qu'il contrôle pour déterminer la notion de revenu économique, contrairement au principe de personnalité de l'impôt qui sous-tend la fiscalité française, et selon lequel une société de capitaux, bien que contrôlée par une personne physique, dispose d'une personnalité fiscale propre et est redevable en tant que telle de l'impôt. Dès lors, les individus ciblés par cette étude apparaissent comme appartenant au groupe des plus aisés car on leur assimile le patrimoine de l'entreprise, qui n'est pourtant pas le leur au sens propre. À ce titre, il est difficile d'arrêter définitivement que les revenus qui sont versés à une société de capitaux sous forme de dividendes appartiennent à celui qui détient le contrôle sur cette société.
Par ailleurs, cette notion de régressivité est contestable. Si les personnes les plus aisées veulent dépenser ces revenus, ils doivent les sortir de leurs holdings (sous forme de dividendes ou de plus-values) auquel cas ils sont assujettis au prélèvement forfaitaire unique. Il est donc problématique d'évaluer la progressivité de l'imposition des revenus du capital à partir d'une approche statique, c'est-à-dire en omettant l'imposition nécessairement impliquée par la consommation future25(*).
B. AUTEUR D'UN RAPPORT COMMANDÉ PAR LA PRÉSIDENCE BRÉSILIENNE DU G20, L'ÉCONOMISTE GABRIEL ZUCMAN A RECOMMANDÉ LA MISE EN PLACE AU NIVEAU MONDIAL D'UN IMPÔT PLANCHER SUR LA FORTUNE POUR CONTRECARRER CETTE RÉGRESSIVITÉ
Face au constat de la faible imposition effective personnelle des milliardaires, l'observatoire européen de la fiscalité, dont le directeur était alors Gabriel Zucman, avait proposé, dans son rapport d'octobre 2023 sur l'évasion fiscale globale (Global Tax Evasion Report 2024), la mise en place, au niveau mondial, d'une taxe pour les milliardaires représentant 2 % de leur richesse26(*).
Cette proposition d'un impôt minimum sur les milliardaires a par la suite été poussée par le président brésilien Lula lors du forum du G20 se déroulant au Brésil en février 2024, avec le soutien de la France27(*) sans avoir toutefois recueilli l'assentiment du G20.
À la demande de la présidence brésilienne du G20, Gabriel Zucman a détaillé et affiné sa proposition dans le cadre d'un rapport publié en juin 2024 : il recommande l'institution d'une taxe différentielle sur le patrimoine des milliardaires, voire des centi-millionnaires, représentant la différence entre 2 % de leur patrimoine total et ce qu'ils payent déjà au titre de leur imposition directe.
Selon M. Zucman, ce taux se justifie par le fait que, entre 1987 et 2024, le patrimoine des 0,0001 % les plus riches au niveau mondial - déterminé sur la base des données récoltées par un magazine, Forbes, - serait passé de l'équivalent de 3 % à plus de 13 % du PIB mondial, ce qui représenterait une croissance annuelle moyenne de 7,1 % par an, net de l'inflation, du taux d'imposition sur le capital (0,3 %) et de la consommation (0,1 % du patrimoine), soit un rendement brut du patrimoine de 7,5 % par an. Lors de son audition par le rapporteur, M. Zucman a estimé le chiffre d'une croissance des grandes fortunes depuis 40 ans de l'ordre de 8 % par an, sans s'expliquer sur ses sources.
La taxe est présentée comme une taxe sur les revenus présumés : une personne très riche qui reporte un faible revenu imposable est présumé gagner un revenu économique non capté par la loi fiscale. Certains pays ont pu ainsi instaurer des taxations de ce type : entre 1974 et 2021, la Colombie avait mis en place une taxe sur le revenu présumé, lequel était supposé représenter 8 % de la richesse.
En se fondant sur le chiffre d'une croissance moyenne du patrimoine de 7,5 % par an, le taux de 2 % peut être réinterprété comme un taux de 27 % sur les revenus du patrimoine.
Cette donnée, toutefois, semble ne résulter que d'un calcul appliqué au patrimoine des plus riches au niveau mondial, et non au niveau national. Il est possible que le rendement du patrimoine des plus aisés en France soit comparable au rendement de cette catégorie de population au niveau mondial, mais cela n'a rien d'évident.
Deux autres faiblesses peuvent être par ailleurs avancées : d'une part, il s'agit du taux moyen de croissance pour l'ensemble des milliardaires, lequel n'exclut pas des pertes sur certaines années pour certains d'entre eux ; d'autre part, il s'agit d'un taux moyen sur 40 ans, qui n'exclut pas, comme l'indique le graphique suivant, des diminutions certaines années.
Patrimoine des 0,0001 % les plus riches au
niveau mondial,
en pourcentage du PIB mondial
Source : Gabriel Zucman : « A blueprint for a coordinated minimum effective taxation for ultra-high-net-worth individuals », juin 2024
Il faut enfin noter que le taux de la taxe a été choisi par Gabriel Zucman pour contrecarrer la régressivité de l'imposition pour les centi-millionnaires, comme l'indique le graphique suivant.
Taux d'imposition moyen par groupe de revenu, avec une taxe minimum de 2 % sur le patrimoine des centi-millionaires
Source : Gabriel Zucman : « A blueprint for a coordinated minimum effective taxation for ultra-high-net-worth individuals », juin 2024
II. LE DISPOSITIF PROPOSÉ : UNE IMPOSITION DIFFÉRENTIELLE SUR LES TRÈS HAUTS PATRIMOINES
La présente proposition de loi a été déposée le 7 janvier 2025 par Mmes les députées Éva Sas - qui en a également été la rapporteure - et Clémentine Autain, et les membres du groupe écologiste et social. Elle a été examinée en commission des finances de l'Assemblée nationale le 12 février 2025 et en séance publique le 20 février 2025, où elle a été adoptée.
A. UNE IMPOSITION DIFFÉRENTIELLE ASSISE SUR LE PATRIMOINE
Le I du présent article rétablit, au sein du titre IV de la première partie du livre Ier du code général des impôts (CGI), un chapitre Ier bis intitulé « Impôt plancher sur la fortune »28(*). Il rétablit les articles 885 A à 885 O du CGI et détermine le champ d'application, l'assiette ainsi que les règles de calcul et de déclaration de cette nouvelle imposition.
1. Une assiette large, qui vise à capter la notion de « revenu économique »
Les articles 885 B à 885 K définissent l'assiette de l'impôt plancher sur la fortune IPF.
D'une part, l'article 885 B du CGI dispose que l'IPF est assis et que ses bases d'imposition sont déclarées selon les mêmes règles et sous les mêmes sanctions que les droits de mutation par décès. Il reprend, en ce sens, une rédaction similaire à l'ancien article 885 D, s'agissant de l'impôt de solidarité sur la fortune. Il précise toutefois que les exonérations prévues en matière de droits de mutation par décès ne s'appliquent pas à l'IPF.
D'autre part, l'article 885 C précise que l'assiette de l'impôt est constituée de l'ensemble des biens, droits et valeurs imposables appartenant aux personnes mentionnées à l'article 885 A et à leurs enfants mineurs lorsqu'elles ont l'administration légale de leurs biens. Ici encore, les autrices de la présente proposition de loi s'inspirent d'une rédaction relative à l'ISF, l'ancien article 885 E.
Les biens entrant dans le patrimoine des redevables de l'IPF
Dès lors que l'impôt plancher sur la fortune est, aux termes de l'article 885 B, est assis et les bases d'imposition sont déclarées selon les mêmes règles que les DMTG, peuvent entrer dans le patrimoine retenu pour le calcul de l'IPF, selon une liste non exhaustive établie par la doctrine fiscale29(*) pour le calcul des DMTG :
- les immeubles non bâtis (terrains à bâtir, terres agricoles, bois et forêts, landes, pâtures, etc.) ;
- les immeubles, bâtis, quelle que soit leur affectation, que les immeubles soient loués ou que le propriétaire s'en réserve la jouissance et sans qu'il y ait à distinguer selon qu'il s'agit de la résidence principale ou secondaire ;
- immeubles en cours de construction ;
- droits réels immobiliers (usufruit, droit d'usage, droit du preneur d'un bail à construction, etc.) ;
- entreprises industrielles, commerciales, artisanales ;
- exploitations agricoles ;
- fonds de commerce et clientèles ;
- charges et offices ;
- droits de propriété industrielle (brevets d'invention, marques de fabrique, dessins et modèles) ;
- droits de propriété littéraire ou artistique ;
- meubles meublants ;
- bons du Trésor, bons de caisse, bons de capitalisation et tous titres de même nature ;
- parts sociales, parts de fonds communs de placement, valeurs mobilières cotées ou non cotées, y compris celles figurant dans les comptes d'épargne à long terme ;
- créances, dépôts de toute nature (y compris les livrets de caisse d'épargne) et avoirs en espèces ;
- les voitures automobiles, motocyclettes, yachts et bateaux de plaisance à moteur fixe, hors-bord ou à voile, avions de tourisme, chevaux de course, chevaux de selle ;
- les bijoux, or et métaux précieux ;
- les unités de compte virtuelles stockées sur un support électronique (notamment les « bitcoins »).
Source : commission des finances, d'après le bulletin officiel des finances publiques
Plusieurs articles du nouveau chapitre Ier bis viennent préciser l'assiette de la nouvelle contribution.
En premier lieu, le nouvel article 885 D du CGI, comme l'ancien article 885 F, prévoit que les primes versées après 70 ans au titre de contrats d'assurance non rachetables, ainsi que la valeur de rachat des contrats d'assurance rachetables, sont ajoutées au patrimoine du souscripteur, de façon à éviter que les premiers soient utilisés pour transmettre un patrimoine en échappant à l'impôt, et que les seconds soient utilisés comme moyen de conservation de capitaux non déclarés.
Par ailleurs, l'article 885 D dispose que la créance que conserve le souscripteur sur l'assureur, lorsqu'un contrat est temporairement non rachetable, est intégrée dans le patrimoine imposable pour éviter que de tels contrats ne soient utilisés pour faire échapper des fonds à l'assiette de l'imposition.
En second lieu, l'article 885 E, reprenant la rédaction de l'ancien article 885 G, prévoit que les biens ou droits grevés d'usufruit sont, sauf exceptions, compris, au titre de l'IPF, dans le patrimoine de l'usufruitier pour leur valeur en toute propriété.
Dans le même sens :
- l'article 885 F intègre dans le patrimoine du constituant, pour leur valeur vénale nette, les biens ou droits transférés dans un patrimoine fiduciaire ou ceux éventuellement acquis en remploi, ainsi que les fruits tirés de l'exploitation de ces biens ou droits30(*) ;
- l'article 885 G intègre, sauf exception, dans le patrimoine du constituant, les biens ou droits placés dans un trust défini à l'article 792-0 bis ainsi que les produits qui y sont capitalisés31(*) ;
- l'article 885 H vise à appliquer l'article 754 B du CGI relatif à la présomption de propriété de titres de la part des gérants et du président du conseil d'administration ou du directoire des sociétés émettrices à l'IPF32(*).
L'article 885 I prévoit que la valeur des biens est déterminée suivant les règles en vigueur en matière de droits de mutation par décès et institue un abattement d'un million d'euros sur la valeur vénale de la résidence principale - un seul immeuble pouvant bénéficier de l'abattement en cas d'imposition commune.
Pour terminer, l'article 885 J détermine les modalités d'évaluation des titres cotés, tandis que l'article 885 K interdit la déduction, pour déterminer la valeur nette du patrimoine, des créances détenues par des personnes n'ayant pas leur domicile fiscal en France sur une société à prépondérance immobilière.
Si la rédaction du nouveau chapitre Ier bis s'inspire très largement de plusieurs articles applicables à l'ancien ISF, il importe de souligner une différence notable : l'absence de dispositif d'exonération des biens professionnels. Pour mémoire, le dernier alinéa de l'article 885 A du CGI excluait de l'assiette de l'ISF les biens professionnels, tels que définis à la section IV de l'ancien chapitre Ier bis du même code. Dans cette acception, les biens professionnels comprenaient notamment les biens nécessaires à l'exercice à titre principal, tant par leur propriétaire que par son conjoint, d'une profession industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale, les parts ou actions de sociétés soumises à l'impôt sur le revenu ou de sociétés soumises à l'impôt sur les sociétés ainsi que certaines catégories de biens ruraux.
2. Un champ d'application limité par un seuil d'entrée fixé à 100 millions d'euros
L'article 885 A du CGI détermine le champ d'application de l'IPF. Il s'applique aux personnes physiques dont la valeur nette du patrimoine, définie dans les conditions exposées supra, est supérieure à 100 millions d'euros. À titre de comparaison, l'ancien ISF s'appliquait aux personnes physiques dont le patrimoine net excédait 1,3 million d'euros au 1er janvier de l'année d'imposition.
Entrent dans le champ d'application de cette imposition :
- aux termes du 1° de l'article 885 A, les personnes physiques fiscalement domiciliées en France, au titre de leurs biens situés en France comme à l'étranger. Cependant, les personnes physiques fiscalement domiciliées en France depuis moins de cinq ans ne sont redevables de l'IPF que sur leurs biens situés en France ;
- aux termes du 2° du même article, les personnes physiques fiscalement domiciliées hors de France, au titre de leurs biens situés en France.
Un amendement de la rapporteure Eva Sas, exposé infra (III), est venu élargir ce champ d'application afin de limiter les risques de comportements d'exil fiscal. Les couples mariés33(*) et les partenaires liés par un pacte civil de solidarité (Pacs) font l'objet d'une imposition commune.
À noter que le présent article ne prévoit aucun mécanisme de décote visant à atténuer l'imposition des contribuables proches du seuil d'assujettissement à l'impôt plancher sur la fortune.
3. Le calcul de la contribution différentielle
L'article 885 L précise les modalités de calcul de l'impôt plancher sur la fortune. Le montant de la contribution est déterminé selon un calcul différentiel, proche de la rédaction retenue par le III de l'article 224 du CGI s'agissant de la contribution différentielle sur les hauts revenus (CDHR).
La somme due est égale à la différence, à condition qu'elle soit positive, entre, d'une part, le montant résultant de l'application d'un taux de 2 % à la valeur nette taxable du patrimoine du redevable et, d'autre part, de la somme des montants effectivement acquittés par le contribuable sur ses revenus, sur l'exercice en cours, au titre :
- de l'impôt sur le revenu ;
- de l'impôt sur la fortune immobilière ;
- de la contribution sociale sur les revenus d'activité et sur les revenus de remplacement, prévue à l'article à l'article L. 136-1 du code de la sécurité sociale ;
- des contributions au remboursement de la dette sociale prévues au chapitre II de l'ordonnance n° 96-50 du 24 janvier 199634(*) ;
- de la contribution exceptionnelle sur les hauts revenus (CEHR), prévue à l'article 223 sexies du CGI.
À noter que ce calcul n'intègre pas les montants acquittés au titre de la contribution différentielle sur les hauts revenus, prévue à l'article 224 du CGI dont l'application est limitée à l'exercice 2025. De même, et alors que l'objectif affiché par le présent article unique est d'intégrer l'intégralité des prélèvements sociaux, la somme des impositions acquittées ne comprend pas le prélèvement de solidarité prévu à l'article 235 ter du CGI.
Il importe également de souligner que le présent article ne prévoit aucune modalité de plafonnement du montant acquitté au titre de la nouvelle imposition.
4. La déclaration, par les contribuables, de leur fortune
S'agissant des modalités de déclaration, le nouvel article 885 M du CGI dispose que les redevables souscrivent, pour le 23 septembre de chaque année, une déclaration de fortune. Cette dernière indique la valeur brute et la valeur nette taxable de leur patrimoine. Elle doit être déposée au service des impôts au 1er janvier et accompagnée du paiement de l'impôt. Cet article est complété par un nouvel article 885 0 qui prévoit une déclaration des dettes dont la déduction est opérée.
Par ailleurs, le nouvel article 885 N du CGI introduit un dispositif à vocation anti-fraude. Il dispose, en effet, sauf exceptions, que le service des impôts peut exiger la désignation d'un représentant en France « autorisé à recevoir les communications relatives à l'assiette, au recouvrement et au contentieux de l'impôt »35(*), de la part :
- d'une part, des personnes non fiscalement domiciliées en France mais redevables de l'IPF au titre de leurs biens en France ;
- d'autre part, des agents de l'État qui exercent leurs fonctions ou sont chargés de mission dans un pays étranger sans y être soumis à un impôt personnel sur l'ensemble de leurs revenus36(*).
B. L'ACQUITTEMENT DE LA NOUVELLE CONTRIBUTION
1. Des règles de recouvrement et d'acquittement similaires à celles applicables aux droits de mutation par décès
Le II du présent article rétablit l'article 1723 ter-00 A du CGI. Ce nouvel article dispose que l'IPF est recouvré et acquitté selon les mêmes règles et sous les mêmes garanties et sanctions que les droits de mutation par décès. Il précise que les contribuables mentionnés au I de l'article 885 M ne peuvent bénéficier des dispositifs d'acquittement de l'impôt en valeurs du Trésor (article 1715 du CGI) ou en créances sur l'État (article 1716 A du même code), de dation en paiement (article 1716 bis), de paiement fractionné (article 1722 bis) et de paiement différé (article 1722 quater).
Le dernier alinéa du III du présent article complète l'article 1723 ter-00 B du CGI pour prévoir que, comme pour l'IFI, les partenaires d'un Pacs sont solidaires pour le paiement de l'IPF.
2. Un dispositif d'échelonnement de l'acquittement de la nouvelle contribution
Le cinquième alinéa du nouvel article 1723 ter-00 A du CGI introduit un dispositif permettant le lissage du paiement de l'IPF, en cas d'impossibilité pour le contribuable de s'acquitter du montant dû, en raison d'une situation de gêne. Le contribuable doit justifier cette situation de gêne et l'échelonnement du paiement de l'IPF ne peut excéder une durée de cinq ans à compter de l'expiration du délai de souscription de l'impôt.
C. L'ENTRÉE EN VIGUEUR DE L'IMPÔT PLANCHER SUR LA FORTUNE
Le IV du présent article prévoit une entrée en vigueur au 1er janvier 2026.
III. LES MODIFICATION ADOPTÉES PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE : L'INTÉGRATION D'UN DISPOSITIF VISANT À PRÉVENIR L'EXIL FISCAL
Au stade de l'examen en commission du texte par la commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire de l'Assemblée nationale, les députés ont adopté un amendement de la rapporteure Eva Sas visant à prévenir les comportements d'exil fiscal qui pourraient découler de l'entrée en vigueur de cette imposition37(*).
L'amendement introduit ainsi un 3° au nouvel article 885 A du CGI afin de préciser que demeurent soumises à l'impôt plancher sur la fortune, sur leurs biens situés en France ou hors de France, les personnes physiques qui ont été domiciliées en France pendant plus de 10 ans, et pendant au moins l'une des cinq dernières années.
Concrètement, une personne, domiciliée en France pendant plus de 10 ans restera redevable de cette imposition sur une période de cinq ans suivant son départ de la France. Au-delà de cette période, elle ne sera plus redevable de l'IPF que sur ses biens situés en France, conformément au 2° de l'article 885 A.
Outre l'ajout de ce dispositif, la commission a adopté 16 amendements rédactionnels de la rapporteure.
En séance publique, la proposition de loi a été adoptée sans modification.
IV. LA POSITION DE LA COMMISSION DES FINANCES : UNE IMPOSITION INCONSTITUTIONNELLE ET ÉCONOMIQUEMENT NÉFASTE
A. SANS PLAFOND, L'IMPÔT PLANCHER SUR LA FORTUNE RISQUE LA CENSURE DU CONSEIL CONSTITUTIONNEL
1. La jurisprudence du Conseil constitutionnel veille à ce qu'une imposition ne présente pas un caractère confiscatoire
L'analyse de la constitutionnalité du dispositif de l'impôt plancher sur la fortune suppose un retour sur la jurisprudence constitutionnelle.
Dans son contrôle de la loi fiscale, le Conseil constitutionnel s'assure en effet que l'imposition prend en compte la faculté contributive des contribuables, de sorte qu'elle n'ait pas un caractère confiscatoire. Le raisonnement du juge constitutionnel s'appuie sur le principe d'égalité devant les charges publiques, garanti par l'article 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 178938(*). Le Conseil constitutionnel a précisé, dans une décision de 2005, que cette exigence ne serait pas respectée si « l'impôt revêtait un caractère confiscatoire ou faisait peser sur une catégorie de contribuables une charge excessive au regard de leurs facultés contributives »39(*).
En premier lieu, s'agissant de l'imposition des revenus, le Conseil constitutionnel a précisé, dans une décision de 201240(*), que, pour apprécier le respect du principe d'égalité devant les charges publiques, il convient de prendre en compte l'ensemble des impositions portant sur le même revenu et acquittées par le même contribuable. Cette appréciation permet au juge constitutionnel de déterminer un « taux marginal maximal » d'imposition applicable à un même revenu au-delà duquel l'imposition serait considérée comme confiscatoire.
La jurisprudence postérieure n'a pas permis d'identifier un seuil précis en matière d'imposition des revenus, permettant de déterminer le caractère confiscatoire d'une imposition. Pour autant, dans un avis en date du 21 mars 2013, le Conseil d'État a estimé « qu'il résulte de la décision n° 2012-662 DC du 29 décembre 2012 qu'un taux marginal maximal d'imposition des deux tiers, quelle que soit la source des revenus, doit être regardé comme le seuil au-delà duquel une mesure fiscale risque d'être censurée par le juge constitutionnel comme étant confiscatoire ou comme faisant peser une charge excessive sur une catégorie de contribuables en méconnaissance du principe d'égalité »41(*). Un taux marginal maximal d'imposition sur un même revenu pourrait donc, selon certains juristes, se situer entre 66,6 % et 75 %42(*).
Toutefois, le juge constitutionnel pourrait prendre en compte d'autres facteurs que le taux maximal marginal dans son appréciation du caractère confiscatoire d'une imposition sur les revenus43(*). À l'occasion d'une question prioritaire de constitutionnalité portant sur une majoration de 25 % de l'assiette de l'impôt sur le revenu applicable à des revenus de capitaux mobiliers particuliers, le Conseil constitutionnel a admis un taux de 73,6 %, en raison du haut niveau des revenus imposables et de leur nature44(*).
En second lieu, concernant l'imposition du patrimoine, qui intéresse plus particulièrement l'analyse de la présente proposition de loi, le taux maximal d'imposition susceptible de conférer à une imposition un caractère confiscatoire est plus aisément atteint. De fait, les capacités contributives attachées à l'assiette de la fiscalité du patrimoine sont plus difficiles à identifier.
Il en résulte une jurisprudence plus restrictive du juge constitutionnel, élaborée notamment à l'occasion de ses décisions successives sur l'ancien impôt de solidarité sur la fortune. Dans sa décision n° 2011-638 DC du 28 juillet 2011, le Conseil constitutionnel a admis une suppression du plafonnement de l'ISF concomitante à une baisse de son barème en jugeant « que le législateur, en modifiant le barème de l'impôt de solidarité sur la fortune, a entendu éviter que la suppression concomitante du plafonnement prévu par l'article 885 V bis du code général des impôts et du droit à restitution des impositions directes en fonction du revenu prévu par les articles 1er et 1649 0 A du même code aboutisse à faire peser sur une catégorie de contribuables une charge excessive au regard de leurs facultés contributives »45(*). Le juge constitutionnel a ainsi admis un taux marginal de 0,5 % sans plafonnement.
En revanche, dans une décision de 2012, il a considéré, à propos de l'introduction d'une contribution exceptionnelle sur la fortune, que « le législateur ne saurait établir un barème de l'impôt sur la fortune tel que celui qui était en vigueur avant l'année 2012 sans l'assortir d'un dispositif de plafonnement ou produisant des effets équivalents destiné à éviter une rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques »46(*), ce qui l'a conduit à censurer le dispositif. Combinée à sa décision du 28 juillet 2011, cette interprétation identifie une obligation d'assortir l'imposition du patrimoine d'un mécanisme de plafonnement, sauf à fixer un taux suffisamment bas. Quelques mois plus tard, le Conseil a eu l'occasion de confirmer cette position en considérant qu'en rétablissant un barème élevé de l'ISF, accompagné d'un plafonnement sur les revenus « le législateur a entendu éviter la rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques qui résulterait de l'absence d'un tel plafonnement »47(*).
Il résulte de cette jurisprudence que le Conseil constitutionnel serait amené à censurer un taux marginal d'imposition sur le patrimoine situé entre 0,5 % et 1,8 % s'il n'était pas assorti d'un dispositif de plafonnement sur les revenus. En l'espèce, en ne prévoyant aucun plafonnement et en fixant un taux d'imposition à 2 %, la présente proposition de loi s'expose à la censure du juge de la rue Montpensier.
En ce sens, interrogé à l'occasion d'un colloque organisé à l'École d'économie de Paris sur le thème « Taxing Billionaires »48(*), Bastien Lignereux, membre du Conseil d'État et enseignant en droit fiscal, a estimé qu'un taux de 2 %, en l'état de la jurisprudence du Conseil constitutionnel, impliquerait un plafonnement en fonction des revenus.
2. Les arguments avancés au soutien de la constitutionnalité de l'impôt plancher sur la fortune ne permettent pas d'écarter le risque de censure
À rebours de cette interprétation, la rapporteure de la présente proposition de loi de la commission des finances de l'Assemblée nationale a, dans son rapport, estimé que « les spécificités de cette imposition laissent ouverte la question de sa conformité avec la jurisprudence du Conseil constitutionnel »49(*). Au soutien de cette position, la rapporteure Eva Sas avance trois arguments :
- tout d'abord, le seuil particulièrement élevé d'entrée dans la nouvelle imposition, fixé à 100 millions d'euros, distinguerait l'IPF par rapport aux précédentes contributions sur la fortune ;
- ensuite, la récente littérature économique exposant les « stratégies de contournement de l'impôt et la faible contribution des très grandes fortunes à l'impôt »50(*) serait de nature à faire évoluer la jurisprudence du Conseil ;
- enfin, le taux de taxation retenu devrait être mis en perspective du taux de rendement moyen des hauts patrimoines, évalué par les travaux précités du professeur Zucman entre 7 % et 10 % par an. Par suite, « l'impôt proposé ne viendrait donc que minorer le rendement sans diminuer le patrimoine lui-même »51(*).
Le rapporteur estime, sans préjuger de l'appréciation du juge constitutionnel, que ces arguments, de nature économique davantage que juridique, écartent avec une diligence excessive la jurisprudence existante.
Premièrement, s'agissant de la présence d'un seuil de 100 millions pour l'entrée dans l'impôt plancher sur la fortune, jusqu'alors, le Conseil constitutionnel n'a jamais choisi la définition du champ d'application de l'imposition en termes de contribuables comme critère principal d'appréciation du caractère confiscatoire de l'imposition. La jurisprudence élaborée à partir des décisions successives portant sur l'imposition de la fortune (impôt sur les grandes fortune, impôt sur la fortune, contribution exceptionnelle sur la fortune puis impôt sur la fortune immobilière) s'est toujours appuyée sur une appréciation du taux marginal d'imposition, pondérée par la présence ou non de mécanisme de plafonnement du montant de l'impôt dû.
Deuxièmement, l'argument tiré des récentes analyses économiques ne permet pas d'anticiper une évolution des positions du Conseil.
D'une part, si les analyses précitées des économistes de l'Institut des politiques publiques mettent en lumière des comportements d'optimisation voire de suroptimisation fiscales, le dispositif proposé ne répond pas à cette problématique. Certes, l'objectif de valeur constitutionnelle de lutte contre la fraude et l'évasion fiscales a pu être retenu par le juge constitutionnel pour admettre des taux d'imposition majorés. Pour autant, les études citées ne visent pas des comportements de fraude mais bien d'optimisation ou de gestion prudente. De plus l'impôt plancher sur la fortune paraît insuffisamment ciblé sur les comportements reprochés et traite indifféremment les contribuables qui recourent ou non à des mécanismes d'optimisation agressive.
D'autre part, cette argumentation équivaut, en creux, à privilégier le principe de progressivité de l'impôt pour écarter le caractère confiscatoire de la présente contribution. Or, l'exigence de progressivité, identifiée par le Conseil constitutionnel, dans sa décision n° 93-320 DC du 21 juin 1993, comme « le caractère progressif du montant de l'imposition globale du revenu des personnes physiques »52(*) concerne en premier lieu l'imposition des revenus. S'agissant des différents impôts sur la fortune, aucun précédent dans la jurisprudence constitutionnelle ne semble indiquer une exigence de progressivité autre qu'un simple contrôle de l'erreur manifeste. Le juge de la rue Montpensier a, notamment, dans sa décision n° 2011-638 DC du 28 juillet 2011, admis « qu'en réduisant le nombre de tranches et en abaissant les taux de l'impôt de solidarité sur la fortune, le législateur n'a commis aucune erreur manifeste d'appréciation ; qu'en allégeant ainsi la charge pesant globalement sur les contribuables, il n'a pas créé de rupture caractérisée de l'égalité entre eux ; qu'en tout état de cause, il n'a pas supprimé toute progressivité du barème de cet impôt »53(*).
Troisièmement, l'argument selon lequel l'IPF ne ferait que diminuer le rendement du patrimoine sans éroder ce dernier paraît le plus contestable, au regard :
- de la rédaction même de la proposition de loi qui prévoit justement un dispositif de lissage du paiement de l'impôt plancher sur la fortune, prévu au nouvel article 1723 ter-00 A du CGI, en cas d'impossibilité pour le contribuable de s'acquitter du montant dû, en raison d'une situation de gêne. Cela concrétise le fait que des contribuables pourraient ne pas être en mesure de régler l'IPF sans amoindrir leur patrimoine ;
- des déclarations du professeur Zucman qui, dans un entretien publié dans Alternatives Économiques, a admis l'hypothèse de liquidités insuffisantes pour certains contribuables en proposant un paiement en actions54(*) ;
- et des effets différents, en termes de pression fiscale, de l'application d'un même taux d'imposition sur des actifs patrimoniaux différents, en raison de l'application d'autres impositions sur le même actif et des différences de rentabilité entre actifs55(*).
Au total, dès lors qu'il est « établi que l'instauration d'un plafonnement est la condition de la constitutionnalité de l'impôt sur le capital détenu dès lors que le risque d'absorption des revenus du contribuable ou d'aliénation de son patrimoine n'est pas écarté par l'application d'un barème suffisamment protecteur de l'égalité devant les charges publiques »56(*), il est probable que la présente proposition de loi ne puisse satisfaire aux exigences posées par le Conseil constitutionnel.
B. LA DIFFICILE VALORISATION DU PATRIMOINE ET LES PROBLÈMES DE LIQUIDITÉ POUVANT APPARAÎTRE LORS DU PAIEMENT DE L'IMPÔT RENDENT SA MISE EN oeUVRE COMPLEXE
1. Un rendement impossible à estimer compte tenu de la difficile valorisation du patrimoine financier
Une des faiblesses opérationnelles du dispositif réside dans la difficulté à valoriser le patrimoine des individus susceptibles d'être taxés et, en conséquence, à lever l'impôt ainsi qu'à en prévoir le rendement de l'impôt.
En effet, si l'entreprise est cotée en bourse, la base taxable fluctue au gré des marchés financiers et, en outre, cela donne une forte incitation aux entrepreneurs à sortir de la bourse. Si l'entreprise n'est pas cotée, il est encore plus difficile de la valoriser.
Il faut encore préciser que, dans le cas d'une holding, le patrimoine n'est pas détenu en propre par la personne physique redevable de l'impôt, mais par une personne morale distincte.
2. L'impossibilité de garantir la liquidité des personnes imposées n'est résolue qu'au moyen d'un mécanisme peu convaincant en cas de « situation de gêne »
L'une des autres faiblesses opérationnelles importantes du dispositif, liée d'une part au taux de 2 % qu'il prévoit et, d'autre part, à l'absence de plafonnement en fonction des revenus, réside dans l'impossibilité de garantir la liquidité des personnes imposées.
a) Certains contribuables, notamment ceux qui lancent leur entreprise, peuvent rencontrer des problèmes de liquidité
Le taux de 2 % se fonde sur un historique de rendement du patrimoine sur plusieurs années, de 1987 à 2024, mais celui-ci varie au cours du temps et selon les pays. Si, selon l'Autorité des marchés financiers, un placement diversifié semble pouvoir offrir, pour une durée de 15 à 20 ans, un rendement de 5 % à 7 %57(*), il n'en va pas de même du rendement, d'une année sur l'autre, des actifs détenus, lequel peut être plus faible, voire entraîner des pertes, d'autant que le portefeuille d'actifs d'une personne n'est pas nécessairement diversifié, en particulier s'il s'agit de la personne qui détient le contrôle de son entreprise, laquelle peut n'offrir un rendement que modéré. L'Association française des entreprises privées, entendue par le rapporteur, estime ainsi que plus de la moitié des entreprises du SBF 120 versent un dividende de moins de 3 %. Or le taux d'imposition d'une personne qui, certes détiendrait le contrôle de son entreprise au travers d'une holding à laquelle sont versés les dividendes seraient limités à un rendement de 3 %, aurait à verser de l'ordre de 67 % du rendement de son patrimoine en impôt. Si le rendement des actions détenues était de 2 %, ce qui peut évidemment se produire, cette personne aurait à reverser 100 % du rendement de son patrimoine, ce qui est très manifestement confiscatoire.
Gabriel Zucman le reconnaît d'ailleurs dans son rapport : la liquidité peut être un réel problème pour les personnes ayant un faible revenu économique, par exemple lorsque l'imposition vise des personnes propriétaires d'actions avec un faible rendement.
On peut consentir, avec M. Zucman, que les cas où se poseraient de réels problèmes de liquidité seraient probablement limités. Toutefois, il semble inenvisageable pour le rapporteur de le suivre lorsqu'il estime que ces personnes pourraient dès lors avoir accès aux liquidités nécessaires au moyen de prêts. En effet, il ne saurait être question, pour le législateur, d'adopter un dispositif nécessitant d'emprunter de l'argent pour payer son impôt. Cette argumentation vient d'ailleurs confirmer l'incompatibilité du dispositif avec la Constitution, comme évoqué antérieurement.
Par ailleurs, il faut souligner que la valorisation du patrimoine en actions est fondée sur les recettes futures estimées par les investisseurs en prévision des bénéfices à venir. Selon le raisonnement économique standard, la valeur d'une action est en effet censée être égale, si les marchés sont efficients, à la valeur actualisée des dividendes auxquels elle donne droit. Mais ces dividendes, notamment dans le cas d'entreprises qui viennent d'être lancées, ne sont pas toujours existants. Lors de son audition par le rapporteur, Antoine Levy a ainsi évoqué l'existence de « milliardaires de papier », propriétaires de parts qui, certes peuvent être valorisées à hauteur de plusieurs milliards d'euros, sans pour autant constituer le fondement possible d'un revenu aujourd'hui, dans la mesure où elles reflètent la valorisation potentielle des profits futurs de l'entreprise.
Dès lors, le dispositif conduirait certaines personnes à être obligées de revendre leurs parts pour régler leurs impôts, et un montant de parts supérieur au montant de l'impôt dû puisque les plus-values sont par ailleurs taxées à hauteur de 30 % au titre du prélèvement forfaitaire unique.
En tout état de cause, ce nouvel impôt dissuaderait les personnes souhaitant fonder leur entreprise de le faire en France et serait dès lors contraire aux intérêts de l'économie française.
b) Les mécanismes envisagés pour pallier ce problème de liquidité ne sont pas convaincants
Certes, le présent texte prévoit un lissage du paiement de l'IPF en cas d'impossibilité pour le contribuable de s'acquitter du montant dû, en raison d'une situation de gêne. Toutefois, l'échelonnement ne peut excéder cinq ans, ce qui n'est pas nécessairement suffisant lors du lancement d'une entreprise.
Il faut d'ailleurs noter ici que Gabriel Zucman, comme évoqué antérieurement, propose, en cas de problème de liquidité, de payer l'imposition au moyen des actions elles-mêmes, ce qui indique en creux la faiblesse opérationnelle du mécanisme sur les situations de gêne, lequel n'apparaît donc pas suffisant pour régler le problème de liquidité posé par le texte.
Comme l'a rappelé la direction de la législation fiscale, le paiement en nature d'un impôt n'est pas une idée nouvelle. Aux termes de l'article 1716 bis du CGI, les DMTG, l'IFI et le droit de partage peuvent être acquittés par la remise d'oeuvres d'art, de livres, d'objets de collection, de documents, de haute valeur artistique ou historique, ou de certains immeubles situés dans des zones spécifiques (procédé de dation en paiement).
Au cas présent, le paiement de l'impôt en nature, notamment par la cession d'actions de l'entreprise en cas de difficultés de paiement du contribuable, présente plusieurs difficultés, qui rejoignent en partie celles relatives à l'inclusion des biens professionnels dans l'assiette de l'impôt, lesquelles seront présentées plus loin.
Ainsi cette modalité de paiement pourrait se traduire par une perte partielle ou totale de contrôle de l'entreprise par le contribuable, au détriment de la stabilité de l'actionnariat, et au risque de rendre l'investissement dans l'entreprise peu attractif en fonction de l'assujettissement ou non du contribuable majoritaire à l'impôt plancher sur la fortune. Cette mesure soulève par ailleurs des interrogations sur la gestion des actions reçues par l'État au titre du paiement de l'impôt. Enfin, pour les sociétés non cotées, un tel dispositif soulèverait des problèmes de transparence puisque la valorisation des actions est difficile à établir de manière fiable et objective.
C. UN IMPÔT QUI RISQUE D'ÊTRE ÉCONOMIQUEMENT NÉFASTE
1. Une inclusion des biens professionnels dans le dispositif qui complique davantage sa mise en oeuvre et constitue un risque économique non négligeable
L'imposition prévoit l'inclusion des biens professionnels dans son assiette, ce qui risque de porter atteinte à la stabilité de l'actionnariat.
En effet, elle pourrait conduire certains contribuables, en particulier ceux pour lesquels leur outil de travail constitue l'essentiel ou l'unique patrimoine, à céder leur patrimoine pour s'acquitter de l'impôt, au détriment de la stabilité de l'actionnariat et/ou de la préservation économique d'entreprises en croissance.
Il est, à cet égard, observé que lors de l'instauration de l'impôt sur les grandes fortunes (IGF) en 1982, les biens professionnels n'étaient pas non plus exonérés. Toutefois, à compter de 1984, ils ont été exclus de l'assiette pour ces motifs.
Aussi, les arguments en faveur d'une exclusion des biens professionnels avancés à l'époque paraissent pouvoir être transposés au cas présent. Il s'agissait alors d'épargner l'outil de travail nécessaire à l'activité des assujettis et, comme tel, indispensable au développement économique national58(*), mais également de ne pas entraver l'investissement et la création d'emplois.
Considérant qu'il s'agirait d'une dénaturation du dispositif proposé et que d'autres défauts plus difficiles à corriger existent, le rapporteur n'a pas souhaité proposer d'amendement visant à exclure les biens professionnels.
2. Une absence contestable de prise en compte de l'impôt sur les sociétés dans le calcul de l'impôt plancher sur la fortune
Le dispositif proposé prend en compte, pour calculer le montant de l'impôt dû, uniquement les impôts directs, mais pas l'impôt sur les sociétés.
Or, comme l'a souligné lors de son audition M. Antoine Levy, un riche détenteur de sa propre entreprise ne paie pas d'impôt sur les dividendes non distribués, en partie parce qu'il a déjà payé l'impôt sous forme d'impôt sur les sociétés, ce qui l'a conduit à qualifier le fait de ne pas prendre en compte l'impôt sur les sociétés dans le calcul des impôts déjà payés - pris en compte pour le calcul de l'impôt plancher - de « tour de passe-passe ». Il est en effet contestable de ne pas prendre en compte l'impôt sur les sociétés dans le calcul de l'impôt plancher - la raison pour laquelle les dividendes et les revenus du travail sont traités différemment, c'est d'ailleurs qu'ils ont été imposés précédemment à l'IS.
Or la prise en compte de l'IS pour le calcul de l'impôt plancher conduirait à une franche diminution de son rendement, puisque selon les calculs de M. Levy, celui-ci n'atteindrait plus que 2 ou 3 milliards d'euros.
3. Un dispositif trop sensible au risque d'exil fiscal, ce qui complexifie l'estimation du rendement
Selon Gabriel Zucman, l'imposition prévue toucherait entre 1 600 et 1 800 foyers fiscaux. Elle pourrait, par ailleurs, générer entre 15 et 25 milliards d'euros.
En effet, le patrimoine des 500 personnes les plus aisés, selon Challenges, serait en 2024 de 1 228 milliards d'euros59(*), avec un seuil d'entrée dans cette liste de 245 millions d'euros, ce qui signifie qu'il existe davantage de personnes centi-millionnaires.
Selon M. Zucman, entendu par le rapporteur, les impôts directs qu'ils payent représentent de l'ordre de 0,3 % de ce patrimoine en moyenne, ce qui signifie que le taux résiduel qui leur serait appliqué serait, là aussi en moyenne, de l'ordre de 1,7 %.
Appliqué à un patrimoine de 1 228 milliards d'euros, cela représente un rendement de l'ordre de 20 milliards d'euros.
Compte tenu d'incertitudes dans la méthodologie du magazine Challenges, l'économiste estime que le rendement de l'impôt serait compris entre 15 et 25 milliards d'euros.
Ce calcul paraît toutefois sous-estimer les conséquences de l'imposition sur la domiciliation fiscale des contribuables. En effet, aucune autre imposition de ce genre n'existant aujourd'hui, il est possible que les personnes les plus aisées s'exilent pour éviter l'impôt.
M. Zucman note, dans son rapport ainsi que dans les réponses au questionnaire du rapporteur, que les conséquences de l'imposition sur les grandes fortunes sont faibles, tant sur l'exil fiscal que sur l'activité économique. En se fondant sur les études réalisées sur le sujet60(*), on peut ainsi estimer qu'une augmentation d'un point de l'imposition des grandes fortunes réduit ainsi à long terme le nombre de contribuables concernés de 2 %, ce qui paraît particulièrement faible. Par ailleurs, elle entraînerait une réduction de l'investissement de 0,07 % et de l'emploi de 0,05 %, ce qui est également très faible au regard du rendement attendu de la mesure et de ce que, conséquemment, elle permettrait de rapporter.
Comme l'a toutefois rappelé M. Levy lors de son audition par le rapporteur, il faut observer que ce raisonnement s'applique à des impositions qui, à chaque fois, excluaient les biens professionnels, ce qui n'est pas le cas de la présente proposition de loi.
Dès lors, le caractère résiduel de l'exil fiscal susceptible d'être entraîné par le présent texte n'est pas démontré, alors même que son rendement est, à la différence de l'ancien ISF dont l'assiette était beaucoup plus large, beaucoup plus sensible au moindre exil fiscal. Cet impôt concernerait certes, selon les autrices, de l'ordre de 1 600 à 1 800 foyers fiscaux, mais pour peu que les détenteurs de très gros patrimoines choisissent de s'exiler, l'impact sur le rendement attendu serait significatif et la mesure dès lors sensiblement moins intéressante.
Or les fortunes Challenges sont extrêmement concentrées (70 % dans le top 10), ce qui signifie que l'impact du moindre exil fiscal serait particulièrement important, et que le rendement de cet impôt serait très sensible au départ d'un ou deux seulement de ces contribuables. L'activité économique généré par ces entrepreneurs s'en trouverait également nécessairement atteinte.
4. Un impôt aux conséquences économiques dommageables
Comme indiqué précédemment, cet impôt pourrait avoir pour effet de conduire des entrepreneurs qui viennent de créer leur entreprise, dès lors qu'elle fait l'objet d'une importante valorisation, à vendre des parts de cette entreprise pour s'acquitter de l'impôt. Il aurait donc pour effet de dissuader la création de nouvelles entreprises, notamment de start-ups, ce que ne peut pas se permettre l'économie française.
Par ailleurs, le financement du capital-risque, en France, est peu développé et pourtant nécessaire. Or ce sont les personnes ciblées par le dispositif qui sont les plus à même d'effectuer des investissements risqués au bénéfice des entreprises en croissance. Cette nouvelle imposition nuirait donc nécessairement au financement du capital-risque.
Comme l'a également signalé M. Jean-Baptiste Michau, professeur d'économie à l'École Polytechnique, au rapporteur, une taxe sur le patrimoine pourrait conduire à augmenter les dépenses de consommation - via la consommation publique et via la consommation privée grâce à l'effet multiplicateur. À PIB inchangé, cela doit conduire à réduire l'investissement ou à creuser le déficit commercial. Selon M. Michau, « en dépensant l'argent qui aurait été épargné par un riche, l'État diminue la richesse nationale, menant inexorablement à un appauvrissement progressif de la France »61(*).
Enfin, comme précisé antérieurement, alors même que l'IPF entend cibler les personnes qui mènent des stratégies d'optimisation en organisant la sous-estimation de leur revenu fiscal, il apparaît que la décision de ne pas distribuer de dividendes peut ne pas relever uniquement d'une volonté de défiscalisation, mais bien d'une stratégie de développement économique de l'entreprise : les profits ne sont pas redistribués mais réinvestis. L'association française des entreprises privées, entendue par le rapporteur, a ainsi rappelé le cas de l'entreprise Seb, dont les dirigeants ont fait le choix de ne pas servir de dividendes pendant de nombreuses années de façon à redresser leur entreprise.
D. D'AUTRES PISTES EXISTENT
Les travaux menés par le rapporteur ont fait apparaître qu'en lieu et place de l'impôt plancher sur la fortune, prévu par la proposition de loi, d'autres dispositifs permettant d'éviter une trop forte optimisation fiscale au sommet de la distribution des revenus existent.
En particulier, comme elle l'a indiqué au rapporteur, la direction de la législation fiscale travaille sur plusieurs hypothèses visant à appréhender la taxation des détenteurs de patrimoines les plus élevés qui, par des stratégies de minimisation de leurs revenus ou de structuration de leur patrimoine, échappent en partie à l'impôt. La mise en place d'une contribution différentielle sur le patrimoine et la taxation des « holdings » de type patrimoniale, constituent à ce jour les deux pistes de travail identifiées.
La première devrait veiller à ce que son taux ne soit pas considéré comme confiscatoire et à exclure de son assiette les biens professionnels.
La seconde pourrait s'inspirer du dispositif qui existe aux États-Unis où, depuis 1934, les holdings dont les revenus sont principalement constitués de revenus financiers et qui sont contrôlés par un petit nombre de personnes physiques sont soumis à une taxe spécifique sur les revenus non distribués, dont le taux de 20 % a une visée dissuasive plutôt que budgétaire. Par ailleurs, depuis 1937, les résidents américains contrôlant des sociétés étrangères dont la majorité des revenus sont de nature financière sont soumis à une taxe sur le revenu non distribué par ces sociétés étrangères62(*). Notons également l'existence, depuis 1921, d'un impôt sur les bénéfices accumulés, assis sur les profits non distribués utilisés dans un but d'évasion fiscale63(*).
Autant de pistes qui pourraient entrer en contrariété avec la directive européenne « mère-fille », mais qui pourraient être étudiées pour faire échec à l'optimisation fiscale parfois agressive mise en oeuvre par les personnes les plus aisées, sans porter atteinte à l'attractivité et au développement économique de la France.
Décision de la commission : la commission des finances n'a pas adopté cet article unique constituant l'ensemble de la proposition de loi.
EXAMEN EN COMMISSION
Réunie le mercredi 4 juin 2025 sous la présidence de M. Claude Raynal, président, la commission des finances a examiné le rapport de M. Emmanuel Capus, rapporteur, sur la proposition de loi n° 380 (2024-2025), adoptée par l'Assemblée nationale, instaurant un impôt plancher de 2 % sur le patrimoine des ultrariches.
M. Claude Raynal, président. - Mes chers collègues, nous commençons notre réunion de ce matin par l'examen du rapport et du texte de la commission sur la proposition de loi instaurant un impôt plancher de 2 % sur le patrimoine des ultrariches.
M. Emmanuel Capus, rapporteur. - Mes chers collègues, il me revient ce matin de vous présenter mon rapport sur la proposition de loi de Mmes Eva Sas et Clémentine Autain instaurant un impôt plancher de 2 % sur le patrimoine des « ultrariches ». Sans plus de suspense, je vous en proposerai le rejet, pour des raisons que je vais vous exposer.
L'histoire de ce texte est assez récente.
Dans une note parue en juin 2023, l'Institut des politiques publiques (IPP) a constaté l'existence d'une forme de régressivité de l'imposition sur les revenus au sommet de la distribution. En effet, en retenant comme définition du revenu non pas le revenu fiscal, mais le revenu dit « économique », entendu comme l'ensemble des revenus réalisés et contrôlés effectivement par le foyer fiscal, les auteurs de cette étude estiment que le taux effectif d'imposition, tous impôts directs compris, deviendrait régressif pour les 0,1 % de foyers fiscaux les plus aisés : ce taux passerait de 46 % à 26 % pour les 0,0002 % les plus aisés.
Ce constat n'est pas propre à la France, puisque, comme le signale l'économiste Gabriel Zucman dans le rapport qu'il a publié en juin 2024 à la demande de la présidence brésilienne du G20, ce phénomène a également été documenté dans plusieurs pays développés.
L'explication principale de ce phénomène réside dans les caractéristiques du revenu de cette catégorie de population, lequel est majoritairement composé de revenus du patrimoine, et dans la possibilité de structurer ce patrimoine de façon que ces revenus soient moins imposables. Ainsi, lorsqu'ils contrôlent les choix d'une entreprise, les plus aisés peuvent choisir de ne pas verser de dividendes de façon à ne pas subir l'imposition afférente. De même, pour gérer leur patrimoine, ils recourent fréquemment à des holdings ou à des structures similaires, dont le régime fiscal est plus avantageux que celui de l'imposition sur les revenus des personnes physiques.
En contrepoint de ce constat, plusieurs points méritent d'être soulignés.
Tout d'abord, le choix de ne pas verser de dividendes peut ne pas procéder d'une volonté d'évitement de l'impôt, mais, au contraire, d'un choix de long terme axé sur le développement de l'entreprise, lequel repose sur l'investissement. Une entreprise qui souhaiterait revaloriser les salaires de ses employés pourrait également freiner le versement de dividendes.
Ensuite, le constat d'une régressivité de l'impôt au sommet de la distribution repose sur un choix méthodologique inédit qui n'a rien d'évident : l'assimilation d'une personne physique avec la société qu'il contrôle, pour déterminer la notion de « revenu économique » - les actions détenues par les sociétés dont les contribuables ont le contrôle majoritaire sont alors considérées comme génératrices de revenus pour ces derniers, contrairement au principe de personnalité de l'impôt qui sous-tend la fiscalité française.
Enfin, la notion même de régressivité recouverte par l'étude et par le rapport de Gabriel Zucman peut être considérée comme contestable. En effet, si les personnes les plus aisées veulent dépenser ces revenus, ils doivent les sortir de leurs holdings - si c'est le choix de gestion qu'ils ont fait - sous forme de dividendes ou de plus-values, auquel cas ils sont assujettis au prélèvement forfaitaire unique (PFU). Il est donc problématique d'évaluer la progressivité de l'imposition des revenus du capital à partir d'une approche statique, c'est-à-dire en omettant l'imposition impliquée par la consommation future.
Malgré ces limites réelles, Gabriel Zucman, que j'ai auditionné, a proposé, dans son rapport, la mise en place d'une taxe différentielle de 2 % sur le patrimoine des milliardaires, voire des centimillionnaires, au niveau mondial. Ce taux s'appuie sur le constat d'une forte progression du patrimoine des plus aisés sur les quarante dernières années - de l'ordre de 7,5 % par an en moyenne selon lui. Toutefois, ce constat est documenté au niveau mondial dans le rapport de M. Zucman, et non au niveau français. Surtout, la fiabilité des données sur lesquelles il s'appuie peut être remise en question, puisqu'elles proviennent du classement du magazine Forbes, qui ne renseigne pas ses sources.
Le taux envisagé pour la taxe ne tient pas compte non plus du fait que le rendement du patrimoine, s'il est positif sur le long terme, peut être négatif à court terme : la détention d'un patrimoine ne reflète donc pas systématiquement l'obtention d'un revenu associé.
J'en viens à la présentation du dispositif lui-même.
La présente proposition de loi crée un impôt plancher sur la fortune (IPF) prenant la forme d'une contribution différentielle sur le patrimoine, entendu au sens large, des plus grandes fortunes.
Elle fixe un seuil d'entrée à 100 millions d'euros de patrimoine - ce n'est pas nécessairement le seuil proposé par Gabriel Zucman -, sans prévoir aucun mécanisme de décote permettant d'atténuer l'imposition des contribuables proches du seuil d'assujettissement. Sont concernées les personnes fiscalement domiciliées en France, pour leurs biens situés en France et à l'étranger, et les personnes domiciliées à l'étranger, pour leurs biens situés en France.
L'assiette de la nouvelle contribution vise à capter la notion de « revenu économique ». Elle correspond, de fait, à une vision élargie du patrimoine, incluant notamment les biens professionnels.
Un calcul différentiel permet de déterminer le montant de la nouvelle contribution. La somme due est égale à la différence, à condition qu'elle soit positive, entre : d'une part, le montant résultant de l'application d'un taux de 2 % à la valeur nette taxable du patrimoine du redevable ; d'autre part, la somme des montants effectivement acquittés par le contribuable sur ses revenus - impôt sur le revenu, impôt sur la fortune immobilière et une partie des prélèvements sociaux.
Les autrices de la proposition de loi ont prévu un dispositif d'échelonnement du paiement de l'impôt, en cas d'impossibilité pour le contribuable de s'acquitter du montant dû, en raison d'une situation de gêne, comme le fait de devoir aliéner une partie de leur patrimoine.
Selon Gabriel Zucman, le rendement de l'impôt pourrait représenter environ 20 milliards d'euros, avec une marge d'erreur, selon lui, de 5 milliards d'euros.
Cet impôt présente, selon moi, trop de faiblesses - d'ordres constitutionnel, opérationnel et économique - pour être adopté, raison pour laquelle je vous propose le rejet de la proposition de loi. Je vais les développer.
Les autrices du texte ont bien repéré les faiblesses constitutionnelles - elles proposent de prendre le risque malgré tout, voire de modifier la Constitution en cas de censure du Conseil constitutionnel.
Dans son contrôle de la loi fiscale, le Conseil constitutionnel s'assure que l'imposition prend en compte la faculté contributive des contribuables, de sorte qu'elle n'ait pas un caractère confiscatoire. Pour ce faire, le juge constitutionnel identifie un taux marginal maximal d'imposition. S'agissant de l'imposition de la fortune, il exige d'assortir l'imposition du patrimoine d'un mécanisme de plafonnement, sauf à fixer un taux suffisamment bas. Si le Conseil constitutionnel a admis, dans une décision de 2011, un taux de 0,5 % sans plafonnement, un taux de 1,8 % n'a été validé, dans sa décision de 2012, que sous la condition d'être assorti d'un tel dispositif.
Le Conseil constitutionnel serait donc amené à censurer un taux marginal d'imposition sur le patrimoine situé entre 0,5 % et 1,8 % s'il n'était pas assorti d'un dispositif de plafonnement sur les revenus. En ne prévoyant aucun plafonnement et en fixant un taux d'imposition à 2 %, l'impôt plancher sur la fortune s'expose à la censure du juge de la rue Montpensier.
Le taux proposé pour l'IPF ne paraît pas suffisamment protecteur du principe d'égalité devant les charges publiques, dès lors qu'il n'écarte pas et implique même un risque d'aliénation, par le contribuable, d'une partie de son patrimoine pour s'acquitter de la nouvelle taxe. L'impôt plancher sur la fortune s'expose dès lors au risque d'inconstitutionnalité.
En outre, le dispositif proposé pose un certain nombre de questions d'ordre opérationnel, qui ne sont pas sans rejoindre les interrogations liées à sa constitutionnalité, et qui auraient des conséquences économiques néfastes.
Tout d'abord, la valorisation, année par année, de l'ensemble du patrimoine détenu par les contribuables, constitue une gageure, que l'entreprise à laquelle sont adossées les actions détenues soit cotée ou non.
Plus problématique encore, en l'absence d'un mécanisme de plafonnement en fonction des revenus, il est impossible de garantir la liquidité des personnes imposées. Les autrices ont d'ores et déjà prévu qu'elles pourraient étaler leur paiement sur cinq ans. Gabriel Zucman va plus loin, puisqu'il propose que l'État devienne actionnaire des sociétés détenues par ces milliardaires.
La situation est particulièrement problématique s'agissant des entreprises qui viennent d'être lancées, à savoir les start-up : les propriétaires d'actions qui, certes, peuvent être valorisées à hauteur de plusieurs milliards d'euros, ne perçoivent pas nécessairement un revenu aujourd'hui, puisque la valeur de ces actions est fondée sur les recettes futures estimées par les investisseurs en prévision des bénéfices à venir.
Le dispositif pourrait obliger certaines personnes à revendre leurs actions pour s'acquitter de l'impôt pour un montant supérieur à celui de l'impôt dû, puisque les plus-values sont par ailleurs taxées au titre du PFU.
Si le présent texte prévoit un lissage du paiement de l'IPF en cas d'impossibilité pour le contribuable de s'acquitter du montant dû, l'échelonnement ne peut dépasser cinq ans, ce qui n'est pas nécessairement suffisant lors du lancement d'une entreprise.
D'autres faiblesses importantes sont à déplorer.
Pour le calcul du montant de l'impôt plancher, le dispositif proposé ne prend pas en compte l'impôt sur les sociétés, pourtant acquitté par ceux qui contrôlent les entreprises visées. Ce choix des autrices - conforme à la proposition de Gabriel Zucman - paraît pour le moins surprenant.
Autre difficulté, l'impôt pourrait entraîner un exil fiscal dont il est impossible d'anticiper l'ampleur. En effet, à la différence des impositions sur la fortune, qui, d'après les études, ont donné lieu à un exil fiscal négligeable - de l'ordre de plusieurs centaines de contribuables -, l'IPF inclut dans son assiette les biens professionnels. Dans la mesure où les fortunes visées par l'IPF sont extrêmement concentrées - les autrices ignorent le nombre de personnes qui seraient concernées, mais les économistes que nous avons auditionnées considèrent qu'il y en aurait quelques centaines au maximum -, l'exil d'un seul des contribuables parmi les plus riches de France entraînerait une baisse potentiellement très importante du rendement de l'impôt. Ainsi, si les trois personnes les plus riches de France quittaient le territoire, le rendement de l'impôt baisserait de moitié, soit de 10 milliards d'euros. Si le risque d'exil fiscal est limité - le texte prévoyant des mécanismes pour continuer à imposer les exilés fiscaux pendant cinq ans après leur départ -, il n'est pas totalement négligeable.
Pour en terminer, l'adoption de ce texte entraînerait des conséquences économiques néfastes non négligeables.
En poussant leurs propriétaires à céder leurs actions pour acquitter l'impôt, il aurait pour effet de dissuader la création de nouvelles entreprises, notamment de start-up.
Au reste, il déstabiliserait l'actionnariat, puisque, par définition, il faudra vendre ses actions pour payer l'impôt - il faudra en vendre à une hauteur supérieure au montant de l'impôt exigé, du fait du PFU. Il en résulterait une inégalité entre les Français assujettis à cet impôt et les autres actionnaires.
Par ailleurs, ce sont les personnes ciblées par le dispositif qui sont les plus à même d'effectuer des investissements risqués au bénéfice des entreprises en croissance. Cette nouvelle imposition nuirait donc nécessairement au financement du capital-risque. Or nous avons besoin d'entrepreneurs qui prennent des risques et investissent dans les secteurs de l'innovation, extrêmement porteurs pour l'avenir.
Enfin, comme précisé antérieurement, il n'apparaît pas nécessairement justifié de « sanctionner » par l'impôt des entrepreneurs qui, en empêchant la distribution de dividendes, ont fait le choix du développement de leur entreprise, contribuant par là même à celui de l'économie française.
Au total, si des mécanismes minorant, peut-être artificiellement, l'imposition qui pourrait être due par certains contribuables peuvent exister en France, comme dans le reste du monde, l'impôt proposé par ce texte ne me paraît pas constituer une solution adéquate pour lutter contre ces phénomènes. À cet égard, d'autres pistes existent, comme la contribution différentielle sur laquelle travaille actuellement le Gouvernement - son taux serait plus bas et elle ne viserait pas les biens professionnels -, ou encore la taxation des holdings ou des dividendes non distribués, comme elle est pratiquée en Irlande ou aux États-Unis.
En conclusion, je vous propose de rejeter le présent texte, qui est composé d'un article unique.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Je remercie le rapporteur pour la qualité de sa présentation, qui va dans le détail.
Je souscris en totalité à la fois à l'analyse, aux points d'attention, aux alertes et à certaines objections, mais aussi aux propos conclusifs, qui laissent la porte entrouverte à une réflexion sur une imposition pour les plus grandes fortunes - la question est assez complexe.
La question du revenu économique est un sujet important. Il faut aussi faire attention, comme l'a dit Emmanuel Capus, au signal que nous envoyons en ces temps difficiles. Le débat n'est pas nouveau. Pour ma part, je continue de penser que la meilleure façon d'obtenir des recettes nouvelles serait d'avoir une économie en meilleure santé, c'est-à-dire produisant plus de croissance et de richesses et permettant d'augmenter les rémunérations, mais également les profits, ce qui créerait des recettes fiscales nouvelles.
Je sens revenir une fixation sur les plus riches - elle est assez habituelle dans notre pays - pour capter indûment une part de la richesse qui leur revient, sur laquelle certains considèrent que l'imposition est notoirement trop faible.
Je souscris évidemment aux conclusions du rapporteur. Nous verrons ce que donnera le débat en séance publique.
M. Thomas Dossus. - Comme l'a dit M. le rapporteur général, ce texte rouvre le débat, classique en France et typique de l'opposition entre droite et gauche, sur l'égalité devant l'impôt et sur ce que cette égalité implique.
Cette égalité existe-t-elle ? La grande richesse des travaux de Gabriel Zucman est de montrer qu'il y a, dans la plupart des grandes démocraties libérales occidentales, un évitement fiscal des plus grands patrimoines - en tout état de cause, un affaissement du taux d'impôt qu'ils paient.
Tocqueville, décrivant l'Ancien Régime, disait que l'impôt cible ceux qui sont capables de le payer et incapables de s'y soustraire. C'est exactement ce qui se passe aujourd'hui : certains arrivent à s'y soustraire par des montages financiers ou économiques.
Je pense que le constat est posé, mais je n'ai pas entendu, dans les propos qui ont été tenus, de solution pour corriger la situation, si ce n'est à la marge.
L'argumentaire avancé est exactement celui que l'on nous a tenu à Bercy - une forme de protection des personnes qui détiennent de très hauts revenus. Sauf que le chiffon rouge de l'effondrement de l'économie qu'engendrerait cette taxe vient d'être agité très fort ! Il faut raison garder.
Il y a un vrai problème d'égalité devant l'impôt. Tout le monde constate que ce problème n'est pas résolu. Mais, quand il s'agit de mettre les mains dans la mécanique, il n'y a plus grand monde.
Nous reviendrons en séance sur les argumentaires techniques. Je vous mets en garde : alors que les économies vont être cherchées partout, alors que l'heure sera à l'austérité, si nos concitoyens comprennent que certains échappent à l'impôt et peuvent accumuler de la richesse et que l'économie n'est pas en mauvaise santé pour tout le monde, nous risquons de faire monter encore plus les tensions.
Ce texte permet de trouver une solution à l'évitement de l'impôt. Je ne préjuge pas de son destin, mais, au moins, le débat aura lieu. Le débat sur l'égalité devant l'impôt sera important dans les prochains mois, vu l'état de nos finances publiques.
M. Thierry Cozic. - Je salue le talent oratoire du rapporteur pour justifier, par des arguments quelque peu caricaturaux, le rejet de cette proposition de loi.
La majorité sénatoriale fait régulièrement des procès en déconnexion à la partie gauche de l'hémicycle, mais, aujourd'hui, c'est vous qui faites abstraction de la réalité économique dans laquelle s'insère cette proposition de loi ! Les patrimoines des 500 plus grandes fortunes de France sont passés de 124 milliards d'euros en 2003 à 1 228 milliards, soit une augmentation de 890 % en vingt ans, et ces foyers à très haut patrimoine paient considérablement moins d'impôts que la moyenne des Français...
Vous avez cité l'étude de l'Institut des politiques publiques. Je rappelle que, selon ce dernier, pour 75 ménages de milliardaires, 97 % de leur revenu économique, soit l'ensemble des revenus réalisés et contrôlés effectivement par le foyer fiscal, échappe aujourd'hui au revenu fiscal.
La proposition de loi ne touche que les 0,01 % des foyers les plus riches - selon la direction générale des finances publiques (DGFiP), le patrimoine des 0,1 % s'élève, en moyenne, à 10 millions d'euros.
Pour Zucman, le nombre de foyers qui pourraient être touchés par la mesure est de 1 800.
Je suis très surpris que vous ne votiez pas cette proposition de loi, car le gouvernement français - que vous soutenez, si j'ai bien compris - a publiquement défendu la proposition contenue dans le rapport commandé par la présidence brésilienne du G20 à l'économiste Gabriel Zucman.
Il est temps, aujourd'hui, d'envisager concrètement la mise en oeuvre de cette proposition sur le territoire national. La réalité économique le justifie, et cela permettrait que la France joue un rôle précurseur en matière de taxation minimale des plus riches, comme elle a su le faire précédemment, notamment avec la taxe Gafam (Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft).
Mme Ghislaine Senée. - Nous ne sommes pas tout à fait étonnés de l'avis défavorable du rapporteur.
Les constats sont partagés - du moins je l'espère ! Même si vous utilisez le conditionnel, la rupture d'égalité devant l'impôt est réelle. Elle est factuelle. Elle ne concerne pas que la France - elle a été discutée au G20. Tout le monde en convient aujourd'hui. Il n'est absolument pas normal qu'au-delà d'un seuil de patrimoine, qui est de 100 millions d'euros, l'impôt soit régressif. C'est un vrai sujet. Mon collègue Thomas Dossus l'a rappelé : l'inégalité face à l'impôt pose un vrai problème pour notre pays.
Le système fiscal n'est aujourd'hui absolument plus adapté à l'explosion des richesses. Je vais vous en donner un exemple très concret : la richesse de Bernard Arnault est passée de 33 milliards d'euros en 2016 à 192 milliards d'euros en janvier 2025 - elle a été multipliée par cinq en neuf ans ! Nous savons que cette richesse, ce sont des actifs financiers, un patrimoine illiquide, dont le taux de rendement se situe entre 7 et 10 % - il est aujourd'hui plus près de 7 que de 10. Autrement dit, même si Bernard Arnault ne se lève pas le matin pour aller travailler, ses actifs financiers lui garantissent un taux de rendement de 7 %...
Le dispositif qui est proposé est un système anti-abus. Ce n'est pas une sanction par l'impôt, monsieur le rapporteur : il s'agit de s'assurer que le taux d'imposition des 350 plus grandes richesses soit d'au moins 2 %. Cela ne concerne que 0,01 % des ménages. On nous rétorquera que cela les mettra en difficulté, qu'il faudra qu'ils vendent leur entreprise... Mais, quand on voit qu'ils ne paient aucun impôt sur le revenu et qu'ils vivent dans des conditions qui sont tout sauf minimalistes, on peut penser qu'ils auront d'autres possibilités avant d'avoir à céder leurs actifs. Puisqu'ils placent tous leurs revenus dans des holdings, ils pourraient très bien, s'ils sont dans l'incapacité de payer leurs impôts, solliciter des prêts bancaires au travers de ces holdings.
Pour la majorité des Français, c'est 50 % du salaire qui passe dans les impôts - tous impôts confondus : revenus et consommation. Au travers de la présente proposition de loi, nous demandons simplement une imposition minimale de 2 %, ce qui est négligeable.
Il s'agit vraiment, à nos yeux, d'une question d'égalité devant l'impôt. Surtout, il s'agit de mettre fin aux stratégies de suroptimisation fiscale qui existent aujourd'hui. Je pense que, là aussi, nous pouvons tomber d'accord sur le fait qu'il n'est pas normal que des stratégies de suroptimisation permettent à des personnes qui ont autant de moyens - il y a tout de même, en France, une personne dont la richesse équivaut au PIB du Maroc, à savoir 191 milliards d'euros - d'échapper à l'impôt.
Nous devons en débattre, à l'heure où la situation financière est très compliquée.
Si l'on ne peut pas viser l'égalité devant l'impôt, j'aimerais vraiment que l'on m'explique pourquoi !
M. Marc Laménie. - Je remercie notre collègue de son travail, excellent comme d'habitude.
Quel est le nombre de sociétés ou de grandes fortunes concernées par cette proposition de loi ? Notre collègue Ghislaine Senée a cité le chiffre de 350.
On peut souscrire à certains des arguments qu'elle avance. Cependant, la proposition de loi m'inspire des réserves, en ce que les grandes fortunes sont souvent de grands employeurs qui contribuent à l'activité économique sur l'ensemble des territoires.
Avons-nous une idée de la manière dont le patrimoine serait quantifié pour le calcul de l'impôt plancher de 2 % ? Il n'est pas facile de savoir ce qui doit être pris en compte.
Comment parvenir à quantifier l'exil fiscal ?
Mme Nathalie Goulet. - Oui, il faut faire attention au signal que l'on envoie. Les personnes dont on parle sont aussi les mieux armées pour faire de l'évasion fiscale. Je voterai ce texte.
M. Grégory Blanc. - Nous débattrons en séance de nos conceptions respectives du monde.
Faisons attention aux arguments que nous employons et soyons le plus précis possible. Il me paraît imprudent de dire que taxer à 2 % les personnes dont le patrimoine dépasse 100 millions d'euros dissuaderait la création d'entreprises. Pour avoir créé une entreprise par le passé, je pense que la perspective de ne payer que 2 % d'impôts pour un patrimoine de 100 millions d'euros est de nature à réjouir n'importe quel entrepreneur ou porteur de projets.
De même, n'utilisons pas, pour les patrimoines de milliardaires, des arguments qui ne valent que pour les PME. L'argument sur le versement de dividendes n'est pas pertinent pour les entreprises cotées au CAC40 ! Pour celles-ci, ne pas verser de dividendes, c'est sous-valoriser la société. Il en va de même pour le capital-risque, qui est avantageux fiscalement. Pour une société, l'investissement dans le capital-risque a aussi un effet levier.
Prenons garde aux arguments techniques que nous avançons pour masquer des désaccords politiques sur ce que doit être la fiscalité dans le pays. Si les désaccords sont politiques, portons le débat à ce niveau, mais, de grâce, ne nous replions pas derrière des arguments qui sont plus que critiquables dans la façon dont ils sont posés.
M. Pascal Savoldelli. - Je suis sans doute utopiste, car je pensais que le rapporteur allait nous proposer un avis de sagesse. Je l'ai pensé pour deux raisons : d'abord parce que la proposition de loi a été adoptée par l'Assemblée nationale, ce qui n'est pas sans valeur ; ensuite, compte tenu de l'important engagement de la majorité sénatoriale, sous l'impulsion de son président, pour trouver 40 milliards d'économies. Mais je vois que ce n'est pas le choix qui a été fait.
Nous n'allons pas faire ici le débat que nous aurons en séance.
Toutefois, je veux rappeler que les risques d'inconstitutionnalité invoquée par le rapporteur étaient déjà ceux avancés en 2010 au sujet de l'impôt de solidarité sur la fortune (ISF). Or l'ISF a été constitutionnalisé, monsieur le rapporteur.
Par ailleurs, je vous invite à nous donner, en séance, les conséquences, non seulement quantitatives, mais aussi qualitatives, de l'exil lié à l'ISF - je pense que nous avons les mêmes sources. Nous verrons ce qu'il adviendra de ce second argument...
Je suis d'accord à 100 % avec la nécessité de protéger le principe d'égalité devant les charges publiques. Pensons au pacte Dutreil, à la suppression de l'ISF... Voulez-vous que je vous dise, avec un peu d'avance, ce que dira mon rapport sur la mission « Remboursements et dégrèvements » pour le patrimoine des plus riches ? Il y a un problème d'égalité devant les charges publiques pour nos concitoyens qui travaillent.
Le débat est politique, dont acte ! À l'heure où l'on convoque notre esprit de responsabilité, où l'on nous enjoint à trouver des compromis, reprenons des amendements qui ont été déposés, y compris par des groupes qui ne sont pas de gauche, pour leur redonner une actualité dans ce débat sur la taxe Zucman.
M. Christian Bilhac. - Je vous remercie, monsieur le président, de ne m'avoir pas donné la parole juste après le rapporteur : je pense que, submergé par l'émotion, la voix nouée par la compassion à l'égard des contribuables visés par ce texte, j'aurais été incapable de m'exprimer.
Nous n'allons pas revenir sur la situation financière du pays ni sur le niveau du déficit. Nous sommes tous d'accord pour dire qu'un redressement s'impose et que des économies doivent être réalisées. Dans cet effort, il faut que chaque euro versé par les contribuables soit utilisé de la manière la plus juste possible, que pas un euro ne soit dépensé inutilement. Cependant, ne nous leurrons pas : les économies ne seront pas suffisantes pour redresser les finances publiques. Dois-je rappeler les moyens que nous devons mettre sur les missions régaliennes de l'État, sur les forces armées, la police, la justice, sur l'éducation, sur les hôpitaux... ? On ne pourra pas faire des économies partout, sauf à sacrifier tous les secteurs régaliens de l'État, ce qui est impossible.
Ce redressement doit se faire dans la justice. Sinon, il sera rejeté par les Français, et cela risque de donner encore plus de voix à des partis politiques que nous combattons très largement. La présente proposition de loi procède de cet esprit de justice fiscale.
Vous avez, monsieur le rapporteur, souligné deux écueils. Le premier est l'exil. Oui, l'exil existe, mais personne ne s'exile par bonheur, ni les pauvres ni les riches ! Quand on s'exile, c'est que l'on ne peut vraiment pas faire autrement. À cet égard, je ne pense pas que la taxation proposée entraîne un grand exil de la part des contribuables concernés. Ce n'est tout de même pas un matraquage fiscal !
Ensuite, vous avez mis en avant les risques d'inconstitutionnalité de ce texte, vous appuyant sur différents rapports. Pour ma part, je me référerai simplement à l'article 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, qui, je le rappelle, fait partie du bloc de constitutionnalité. Cet article dispose que la contribution commune « doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés » : nous n'y sommes pas ! Et je ne vois pas comment l'on pourrait accepter que des personnes qui gagnent cent, voire mille fois plus que d'autres paient moins d'impôts. Il y a une injustice fiscale.
Écoutons les Français. Ils comprennent aujourd'hui qu'il faut redresser les comptes publics. Mais on ne saurait faire participer à l'effort des personnes qui gagnent 1 500 euros par mois et exonérer des personnes qui ont 500 millions d'euros de patrimoine. C'est une question de morale ! Comme le disait André Malraux, « on ne fait pas de politique avec de la morale, mais on n'en fait pas davantage sans. »
M. Bernard Delcros. - Je veux appuyer les propos de notre collègue. Nous avons voulu que les Français prennent conscience de la situation des finances publiques, du dérapage des déficits et de l'endettement, qui galope et devient insupportable, et je pense que nous y sommes parvenus, comme en témoignent les discussions que nous avons sur le terrain, dans nos départements. Cependant, nous ne parviendrons pas à faire adhérer les Français à la nécessité de faire un effort si des mesures claires ne sont pas prises en matière de justice fiscale.
J'ai entendu les arguments du rapporteur, notamment sur le risque constitutionnel, mais, de façon générale, n'oublions jamais que la justice fiscale est la condition de l'adhésion des Français à la nécessité de redresser les comptes publics.
M. Claude Raynal, président. - Je souhaite, à titre un peu exceptionnel, m'exprimer sur le fond.
C'est le rôle de la commission des finances que d'avoir une analyse technique des textes de loi. Cependant, le présent débat est beaucoup plus politique que purement technique.
Si certains arguments peuvent effectivement être invoqués, ils ne doivent pas servir systématiquement de repoussoirs, comme par exemple le risque d'inconstitutionnalité. Nous verrons bien ce que dira le Conseil constitutionnel, sans nous y substituer ! Il n'est pas du tout certain qu'il déclare le texte anticonstitutionnel.
Arguer de la possibilité d'un exil fiscal me pose aussi problème. D'une certaine façon, c'est admettre que l'on ne fait plus Nation ! D'ailleurs, les chefs d'entreprise à qui il arrive de s'exprimer maladroitement dans la presse à ce sujet se font très vite rattraper par la patrouille... Quand on a vécu dans un pays et qu'on a utilisé ses talents pour bâtir sa fortune, il est délicat de parler d'exil. Au reste, cette préoccupation n'est pas encore justifiée techniquement. Comme vous l'avez indiqué, l'imposition des grandes fortunes n'a pas provoqué d'exil...
Il faut donc être prudent sur ces questions d'inconstitutionnalité et d'exil fiscal.
Le rapporteur a dit qu'il croyait davantage à la richesse par la croissance. C'est aussi mon cas ! Tout le monde y croit. Sauf que cela fait trente ans que l'on fait des politiques pour augmenter la croissance et que ces politiques ne marchent pas - ou marchent peu... Il n'y a pas de croissance, si ce n'est très limitée - elle est à 1 % en moyenne.
Dans la période que nous connaissons, il faut faire attention aux signaux que l'on envoie. Ni le rapporteur ni le rapporteur général ne contestent qu'il y a une difficulté fiscale. Le constat est là. Mais que l'on n'essaie pas de corriger les choses me semble un vrai problème.
Je crois que nous sommes nombreux à penser que, si l'on veut résoudre notre problème de finances publiques, il faut une acceptation. Il faut que chacun ait l'impression que tout le monde fait des efforts « en fonction de ses capacités contributives », selon la formule consacrée.
L'argument du risque d'exil ne me paraît pas recevable. Il faut faire attention à ne pas trop mettre en avant l'idée que des élites risqueraient de quitter le pays, et, surtout, à ne pas l'encourager.
Enfin, moi qui ai été patron d'entreprise dans ma jeunesse, je n'aime pas beaucoup la fiscalisation sur l'entreprise. Pour moi, l'entreprise crée la richesse ! La participation des entreprises aux charges du pays est naturelle. Les routes, la formation, etc., de nombreuses choses justifient que l'entreprise doive contribuer, normalement, sans excès. C'est plutôt sur les dividendes, sur les revenus qu'il faut taxer.
Si on ne le fait pas, alors il faut le faire sur l'héritage. Mais il faut choisir ! On ne saurait le faire ni sur l'un ni sur l'autre.
Pour ma part, je ne suis pas hostile à ce que la taxation porte sur l'héritage. C'est la vision américaine : aux États-Unis, des fondations sont créées pour guider les héritages : les milliardaires américains leur laissent 99 % de leur fortune, à charge pour elles de la renvoyer dans les services publics. Ce n'est pas notre formule, mais on peut en discuter : cela a du sens.
Nous devons avoir cette réflexion aujourd'hui. À tenir des positions trop raides sur ces sujets, nous risquons de nous heurter à une incompréhension du pays. Or, s'il n'y a pas d'acceptation par la population, nous allons au-devant de très grandes difficultés.
M. Emmanuel Capus, rapporteur. - Mes chers collègues, loin d'être seulement technique, je constate que le débat passionne politiquement.
Je remercie le rapporteur général de ses remerciements et de son soutien. Je partage son analyse : je crois beaucoup plus à la richesse par la croissance qu'à la richesse par le prélèvement, notamment sur les plus riches.
Plus globalement, je crois que nous partageons l'analyse qu'il ne faut pas envoyer de signal négatif aux investisseurs étrangers : dans le choix d'acheter ou non une entreprise qui vaut plusieurs centaines de millions d'euros, la façon dont ce patrimoine est taxé en France joue incontestablement.
Thomas Dossus a cité Tocqueville ; je l'en remercie.
J'espère que personne n'a cru que je cherchais à défendre les milliardaires ! Je veux dire très sincèrement que je ne connais pas de milliardaires. Je n'en vois que dans les magazines... Nous parlons là de gens qui sont très éloignés du monde dans lequel nous, parlementaires, vivons sur nos territoires.
Mon but n'est pas de protéger une partie de la population, minime d'ailleurs - celle qui dispose des plus hauts revenus. Il est d'éviter que nous ne votions un texte qui risquerait d'être censuré par le Conseil constitutionnel ou qui nuirait à l'activité. Risque-t-il d'être contre-productif et de présenter des difficultés en termes d'efficacité ? C'est la seule question qu'il me paraît intéressant de se poser, en dehors de celle de l'égalité devant l'impôt.
Mon objectif principal est de m'attacher aux répercussions du dispositif sur l'économie, en termes de retombées et de stabilité de l'actionnariat, étant précisé que, selon l'un des enseignants de l'École polytechnique que j'ai auditionnés, son vote aurait un rendement fiscal négatif : on y perdrait plus que ce que l'on prélèverait. C'est ma principale préoccupation.
Je veux préciser à Thierry Cozic que c'est Bruno Le Maire, s'exprimant au nom du précédent gouvernement, qui s'était déclaré favorable à une taxe de ce type. Cet engagement ne lie pas le gouvernement actuel.
Thomas Dossus a évoqué le caractère mondial de la taxe. De fait, Gabriel Zucman lui-même, quand il a inventé la taxe, est parti du postulat qu'elle devait, idéalement, être mondiale.
Je pense qu'Amélie de Montchalin, défendra, elle aussi, au nom du Gouvernement, une taxe du même ordre - même si son mécanisme ne sera pas forcément le même -, mais touchant toutes les personnes dans le monde. Cela évitera les effets négatifs liés à l'évitement de l'impôt que j'ai évoqués : des personnes qui quittent la France ou qui ne s'y installent pas.
J'ai interrogé Gabriel Zucman ici même sur ce point : il considère qu'il ne serait pas grave que la taxe ne soit pas mondiale, que nous allons donner l'exemple. Je ne partage pas cette analyse : cela me paraît risqué. Si l'on crée cette taxe, il faut la créer au niveau mondial. En ce cas, il n'y aurait pas de risque d'évitement, pas de risque de concurrence. La France a déjà, sur à peu près tout, une fiscalité lourde, plus lourde que tous les autres pays du monde ; il ne faut pas en rajouter.
Madame Senée, je partage le constat, mais je n'ai pas non plus de certitudes : la mesure proposée est fondée sur une analyse de l'IPP de 2023 et sur des chiffres de 2016 basés sur les déclarations d'impôt de solidarité sur la fortune. Ces chiffres sont étayés, mais il n'y a pas non plus foison de documentation. J'ai auditionné Laurent Bach, de l'IPP, ainsi que les coauteurs, mais nous ne disposons pas de beaucoup d'éléments.
Le taux de rendement du patrimoine est de 6 % à 7 % ; c'est un taux moyen, qui connaît des fluctuations. Si nous connaissions, dans notre vie quotidienne, des taux de rendement de ce niveau, nous serions ravis !
La proposition vise-t-elle à instaurer un dispositif anti-abus ? Non ! Elle crée un dispositif de rendement qui entend prélever 20 milliards d'euros et qui touche de manière identique tous les contribuables disposant de plus de 100 millions d'euros, quels que soient leurs comportements - qu'ils fassent de l'optimisation ou pas.
D'ailleurs, je ne suis absolument pas certain qu'elle permettrait de rétablir une forme d'égalité ! Il faudrait un miracle pour que son rendement équivaille au taux marginal qui frappe ceux qui ne sont que très riches...
Enfin, je répète que d'autres dispositifs anti-optimisation sont possibles, notamment sur les holdings.
En réponse à Marc Laménie, les autrices estiment approximativement le nombre à 1 800 personnes concernées, sans pouvoir expliquer comment elles arrivent à ce chiffre - l'une d'entre elles m'a dit espérer que nous les aidions à établir ce chiffrage. La direction de la législation fiscale ne le connaît pas non plus.
Le seul chiffre dont nous disposons réellement aujourd'hui est celui de l'étude de l'IPP : Laurent Bach, lorsque je l'ai auditionné, estimait que 350 contribuables disposaient d'un patrimoine de plus de 100 millions d'euros en 2016. Par extrapolation, Gabriel Zucman arrive à peu près à 1 600 ou 1 800 aujourd'hui.
Ce constat rend extrêmement humble sur la façon dont on légifère dans ce pays. On ne sait pas clairement de combien de personnes on parle, en réalité. Quoi qu'il en soit, c'est sur très peu de personnes que l'on prélèverait ces 20 milliards d'euros. Et, parmi celles-ci, une dizaine de personnes dispose d'une très grande part de ces ressources - l'une d'elles a été citée tout à l'heure.
Nathalie Goulet, oui, les personnes les mieux armées pour faire de l'évasion fiscale sont les personnes qui seraient assujetties à cette contrainte supplémentaire, mais c'est justement parce que ces personnes sont les mieux armées que je crains leur exil fiscal ! Je pense comme vous qu'elles ont les moyens de trouver des biais qui leur permettront d'échapper à cette fiscalité nouvelle en France.
Cher Grégory Blanc, je l'ai dit, on ne parle pas ici d'entreprises comme celles que nous avons pu créer. On ne parle pas de TPE, de PME. J'ai échangé avec les autrices, avec Gabriel Zucman : ils nous disent qu'il n'y a pas tant de sociétés qui seraient concernées. Les cas sont très précis et connus.
Parmi ceux-ci, il y a notamment la société Mistral AI, qui, aujourd'hui, est valorisée à des centaines de millions, voire à des milliards d'euros. Or, en réalité, Mistral ne vaut rien pour le moment ! Je parle des licornes, qui ne sont pas très nombreuses : il y en a moins de 10 par an. Si l'on créait cet impôt, il n'y aurait aucun intérêt à créer de telles sociétés en France, puisque la taxation serait plus forte qu'ailleurs. Je ne dis pas que c'est massif, mais c'est une réalité.
Un autre exemple nous a été cité, celui de la société Seb. Ce fleuron français a su traverser les crises grâce à un capital extrêmement solide. La famille détentrice des actions ne s'est pas versé de dividendes pendant des années, ce qui lui a permis de continuer à investir. Aujourd'hui, on fabrique encore des robots Seb ou Moulinex en France du fait du modèle capitalistique de ces sociétés. Ce modèle, on risque de le déstabiliser si l'on force la famille à vendre une partie de ses actions pour payer cet impôt.
Cher Pascal Savoldelli, le vote de l'Assemblée nationale joue-t-il favorablement ? Cette question m'a été posée par l'une des autrices du texte. Le Sénat étant souverain, je ne suis pas sûr que cela influence sa décision. Je note que le RN s'est abstenu, ce qui ne me pousse pas forcément à soutenir le texte...
L'impôt n'a rien à voir avec les 40 milliards d'euros d'économies du Gouvernement ! Il vise à engranger 20 milliards d'euros de recettes supplémentaires.
Monsieur Bilhac, vous avez raison d'être ému ! Je répète que le but n'est pas de défendre les milliardaires - le rapporteur général l'a très bien dit. Mais je ne voudrais pas non plus que l'on soit tenté de trouver des boucs émissaires et que l'on pense que c'est en prélevant sur les milliardaires que l'on résoudra les problèmes de notre pays. Je ne crois pas que ce soit une solution.
Contrairement à ce que vous avez dit, les milliardaires ne s'exonèrent pas de l'imposition. Ils paient déjà beaucoup d'impôts. L'imposition du milliardaire le plus riche de France atteint 26 %. Autant dire que ce dernier paie beaucoup plus que nombre de nos concitoyens ! Il paie effectivement moins, en pourcentage, que les millionnaires, qui, pour la plupart, sont au taux marginal de 46 %. Mais on ne peut pas dire qu'il ne paie pas d'impôts.
Je souscris au message de justice fiscale de Bernard Delcros, mais, comme je l'ai indiqué, d'autres dispositifs anti-optimisation sont en train d'être examinés en vue du prochain projet de loi de finances, et d'autres dispositifs pourront être proposés par le Gouvernement. Bien évidemment, il faut de la justice fiscale, mais, en réalité, le problème n'est pas du tout un problème d'égalité devant l'impôt - le Conseil constitutionnel s'exprimera sur le risque que l'impôt soit confiscatoire. C'est un problème de régressivité de l'impôt pour une part minime des contribuables, ce qui n'est pas la même chose.
Enfin, vous avez raison, monsieur le président, le débat que nous aurons en séance publique sera extrêmement politique.
Bien évidemment, nous ne nous substituons pas au Conseil constitutionnel. Je note cependant qu'au titre de l'article 40 de la Constitution, vous contrôlez régulièrement la constitutionnalité, ou en tous les cas la recevabilité d'un certain nombre d'amendements...
Au reste, je dirais que le principal risque soulevé par ce texte, c'est le caractère confiscatoire de cet impôt nouveau, dès lors que, pour pouvoir le payer, il faudra, par définition, aliéner une partie de son patrimoine. Si les personnes concernées paient un taux d'impôt moins élevé en théorie, c'est parce qu'elles ne consomment pas les dividendes, qui restent dans la société mère. Pour payer leur impôt, il faudra qu'elles les vendent... Par construction, l'impôt sera confiscatoire.
M. Claude Raynal, président. - En application du vade-mecum sur l'application des irrecevabilités au titre de l'article 45 de la Constitution, adopté par la Conférence des présidents, je vous propose de considérer que le périmètre de la proposition de loi comprend les dispositions relatives à la détermination du taux, de l'assiette et des modalités de recouvrement des impositions visant le patrimoine.
Il en est ainsi décidé.
EXAMEN DE L'ARTICLE UNIQUE
Article unique
L'article unique constituant l'ensemble de la proposition de loi n'est pas adopté.
Conformément au premier alinéa de l'article 42 de la Constitution, la discussion en séance portera en conséquence sur le texte de la proposition de loi adoptée par l'Assemblée nationale en première lecture.
RÈGLES RELATIVES À L'APPLICATION DE L'ARTICLE 45 DE LA CONSTITUTION ET DE L'ARTICLE 44 BIS DU RÈGLEMENT DU SÉNAT
Si le premier alinéa de l'article 45 de la Constitution, depuis la révision du 23 juillet 2008, dispose que « tout amendement est recevable en première lecture dès lors qu'il présente un lien, même indirect, avec le texte déposé ou transmis », le Conseil constitutionnel estime que cette mention a eu pour effet de consolider, dans la Constitution, sa jurisprudence antérieure, reposant en particulier sur « la nécessité pour un amendement de ne pas être dépourvu de tout lien avec l'objet du texte déposé sur le bureau de la première assemblée saisie »64(*).
De jurisprudence constante et en dépit de la mention du texte « transmis » dans la Constitution, le Conseil constitutionnel apprécie ainsi l'existence du lien par rapport au contenu précis des dispositions du texte initial, déposé sur le bureau de la première assemblée saisie65(*).
Pour les lois ordinaires, le seul critère d'analyse est le lien matériel entre le texte initial et l'amendement, la modification de l'intitulé au cours de la navette restant sans effet sur la présence de « cavaliers » dans le texte66(*). Pour les lois organiques, le Conseil constitutionnel considère comme un « cavalier » toute disposition organique prise sur un fondement constitutionnel différent de celui sur lequel a été pris le texte initial67(*).
En application de l'article 44 bis du Règlement du Sénat, il revient à la commission saisie au fond de se prononcer sur les irrecevabilités résultant de l'article 45 de la Constitution, étant précisé que le Conseil constitutionnel les soulève d'office lorsqu'il est saisi d'un texte de loi avant sa promulgation.
En application du vademecum sur l'application des irrecevabilités au titre de l'article 45 de la Constitution, adopté par la Conférence des Présidents, la commission des finances a arrêté, lors de sa réunion du 4 juin 2025, le périmètre indicatif de la proposition de loi n° 380 (2024-2025) instaurant un impôt plancher de 2 % sur le patrimoine des ultrariches. Ce périmètre comprend les dispositions relatives à la détermination du taux, de l'assiette et des modalités de recouvrement des impositions visant le patrimoine.
LISTE DES PERSONNES ENTENDUES
Mme Clémentine AUTAIN, députée (Seine-Saint-Denis - Écologiste et Social) et autrice de la proposition de loi.
Mme Éva SAS, députée (Paris - Écologiste et Social) et autrice de la proposition de loi.
Direction de la législation fiscale
- M. Laurent MARTEL, directeur de la législation fiscale ;
- Mme Agathe LIEFFROY, cheffe du bureau de la fiscalité du patrimoine et de l'épargne ;
- Mme Stéphanie TOKATLIAN, inspectrice principale.
Direction générale des finances publiques
- M. Thomas LAURENT, chef du pôle statistique publique, rédacteur en chef de la collection DGFIP Analyses et adjoint du chef du Département des études et statistiques fiscales ;
- M. Olivier ARNAL, co-rédacteur de la note DGFIP Analyses n° 8 de janvier 2025 « Revenus et patrimoine des foyers les plus aisés en France » ;
- M. Vincent VICAIRE, co-rédacteur note DGFIP Analyses n° 8 de janvier 2025 « Revenus et patrimoine des foyers les plus aisés en France ».
Institut national de la statistique et des études économiques (Insee)
- M. Michel DUÉE, chef du département des ressources et des conditions de vie des ménages ;
- Mme Aurélie GOIN, cheffe de la division logement et patrimoine.
Économistes
- M. Gabriel ZUCMAN, directeur de l'Observatoire européen de la fiscalité et économiste à l'origine de la proposition de loi ;
- M. Quentin PARRINELLO, directeur des politiques publiques EU Tax et membre de l'Observatoire européen de la fiscalité ;
- M. Jean-Baptiste MICHAU, professeur au département d'économie de l'École Polytechnique ;
- M. Antoine LEVY, professeur au sein de la Haas School of Business de l'Université de Californie (UC Berkeley).
Institut des politiques publiques (IPP)
- M. Laurent BACH, co-responsable du pôle Entreprises, professeur associé à l'ESSEC Business School ;
- M. Clément MALGOUYRES, économiste senior, professeur associé à Paris School of Economics, chercheur au centre de recherche en économie et statistique (CREST).
Association française des entreprises privées
- Mme Stéphanie ROBERT, directrice générale ;
- M. Nicolas RAGACHE, chef économiste.
LA LOI EN CONSTRUCTION
Pour naviguer dans les rédactions successives du texte, visualiser les apports de chaque assemblée, comprendre les impacts sur le droit en vigueur, le tableau synoptique de la loi en construction est disponible sur le site du Sénat à l'adresse suivante :
https://www.senat.fr/dossier-legislatif/ppl24-380.html
* 1 Laurent Bach, Antoine Bozio, Arthur Guillouzouic et Clément Malgouyres, « Quels impôts les milliardaires paient-ils ? », note IPP n° 92, juin 2023.
* 2 Gabriel Zucman : « A blueprint for a coordinated minimum effective taxation for ultra-high-net-worth individuals », juin 2024.
* 3 Un dispositif d'exit tax permet d'assujettir à l'IPF les personnes domiciliées en France plus de dix ans les cinq années suivant leur départ.
* 4 Conseil constitutionnel, n° 2011-638 DC du 28 juillet 2011, Loi de finances rectificative pour 2011.
* 5 Conseil constitutionnel, n° 2012-662 DC du 29 décembre 2012, Loi de finances pour 2013.
* 6 Prévue au a du 2° de l'article 965 du CGI.
* 7 Prévue au b du 2° de l'article 965 du même code.
* 8 Prévue au troisième alinéa du 2° de l'article 965 du même code.
* 9 Prévue à l'article 975 du même code.
* 10 Rapport d'information n° 42 (2019-2020) fait par Vincent Éblé et Albéric de Montgolfier, au nom de la commission des finances, sur l'évaluation de la transformation de l'impôt sur la fortune (ISF) en impôt sur la fortune immobilière (IFI) et de la création du prélèvement forfaitaire unique (PFU), 9 octobre 2019.
* 11 Ibid, p. 88.
* 12 France Stratégie, Rapport final du Comité d'évaluation des réformes de la fiscalité du capital, octobre 2023.
* 13 Pour une analyse plus détaillée de la réforme du PFU, le lecteur est invité à se reporter, au sein du tome II du rapport général n° 108 (2017-2018) fait par Albéric de Montgolfier, rapporteur général, au nom de la commission des finances sur le projet de loi de finances, adopté par l'Assemblée nationale, pour 2018, au commentaire de l'article 11.
* 14 L'objectif de cet abattement est d'éviter une double imposition de cette catégorie de revenus, en tenant compte de leur imposition préalable à l'impôt sur les sociétés.
* 15 Premier (2019), deuxième (2020), troisième (2021) et quatrième (2023) rapports du Comité d'évaluation des réformes de la fiscalité du capital, France Stratégie.
* 16 La réforme du PFU constituait en effet une baisse de la fiscalité dès lors que le taux de 30 % est inférieur de 11,2 points aux effets de la mise au barème progressif de l'IR en 2013.
* 17 64 % des dividendes sont perçus par des foyers déclarant plus de 100 000 euros de dividendes en 2020.
* 18 Pour une analyse plus détaillée de la CDHR, le lecteur est invité à se reporter, au sein du tome II du rapport général n° 144 (2024-2025) fait par Jean-François Husson, rapporteur général, au nom de la commission des finances sur le projet de loi de finances, considéré comme rejeté par l'Assemblée nationale, pour 2025, au commentaire de l'article 3.
* 19 Sénat, compte-rendu intégral des débats, séance du 26 novembre 2024.
* 20 Laurent Bach, Antoine Bozio, Arthur Guillouzouic et Clément Malgouyres, « Quels impôts les milliardaires paient-ils ? », note IPP n° 92, juin 2023.
* 21 Gabriel Zucman : « A blueprint for a coordinated minimum effective taxation for ultra-high-net-worth individuals », juin 2024
* 22 Une holding est une société qui détient des participations dans d'autres sociétés sans intervenir directement dans leurs activités.
* 23 Lorsqu'une personne est titulaire d'un plan d'épargne en actions, les gains réalisés lors d'un retrait après un délai de cinq ans sont seulement soumis aux prélèvements sociaux à un taux de 17,2.
* 24 Sous certaines conditions, ce taux peut être ramené à 1 %.
* 25 Réponses de M. Jean-Baptiste Michau, économiste, au questionnaire du rapporteur.
* 26 Global Tax Evasion Report 2024, octobre 2023, Observatoire européen de la fiscalité.
* 27 « Nous sommes pleinement engagés à accélérer le processus de mise en place au niveau international, au niveau de l'OCDE, au niveau du G20, et je l'espère au niveau des pays européens, d'une taxation minimale des particuliers afin de combattre toute forme d'optimisation fiscale des personnes à travers le monde. Aujourd'hui vous avez la possibilité, pour les personnes les plus riches, d'éviter de payer le même montant d'impôt sur le revenu que d'autres personnes pourtant moins riches. Nous voulons éviter cette optimisation fiscale, nous voulons le faire au niveau international parce que c'est la seule voie efficace (...). La France sera en pointe sur ce sujet » avait affirmé le ministre de l'économie et des finances de l'époque, Bruno Le Maire.
* 28 Antérieurement à la loi n° 2017-1837 du 30 décembre 2017 de finances pour 2018, cet emplacement du CGI rassemblait les dispositions relatives à l'ISF.
* 29 Bulletin officiel des finances publiques, BOI-ENR-DMTG-10-10-20-10, publié le 11 juillet 2014.
* 30 Ancien article 885 G bis du CGI.
* 31 Ancien article 885 G ter du CGI.
* 32 Ancien article 885 C du CGI.
* 33 Sauf, dans les hypothèses prévues par l'article 6 du CGI, lorsque les époux sont séparés de biens et ne vivent pas sous le même toit ou en cas d'abandon du domicile conjugal.
* 34 Ordonnance n° 96-50 du 24 janvier 1996 relative au remboursement de la dette sociale.
* 35 Article 164 D du CGI.
* 36 Mentionnés au 2 de l'article 4 B du CGI.
* 37 Amendement n° CF30, présentée par Mme Eva Sas, rapporteur.
* 38 « Pour l'entretien de la force publique, et pour les dépenses d'administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés ».
* 39 Conseil constitutionnel, n° 2005-530 DC, 29 décembre 2005, Loi de finances pour 2005.
* 40 Conseil constitutionnel, n° 2012-662 DC, 29 décembre 2012, Loi de finances pour 2013.
* 41 Conseil d'État, avis n° 387402, 21 mars 2013.
* 42 Marc Pelletier, « Le contrôle de constitutionnalité et l'évolution de la protection du contribuable », Titre VII, hors-série, juillet 2024.
* 43 Bastien Lignereux, Précis de droit constitutionnel fiscal, LexisNexis, 2e édition, 2023.
* 44 Conseil constitutionnel, n° 2019-793 QPC du 28 juin 2019, Époux C.
* 45 Conseil constitutionnel, n° 2011-638 DC du 28 juillet 2011, Loi de finances rectificative pour 2011, considérant 18.
* 46 Conseil constitutionnel, n° 2012-654 DC, du 9 août 2012, Loi de finances rectificative pour 2012 (II), considérant 33.
* 47 Conseil constitutionnel, n° 2012-662 DC du 29 décembre 2012, Loi de finances pour 2013, considérant 93.
* 48 Conférence sur « La taxation des milliardaires », organisée par le PSE Stone Center on Global Wealth Dynamics, en collaboration avec l'Institut des politiques publiques, l'Observatoire européen de la fiscalité et le World Inequality Lab, 8 et 9 avril 2025. Pour consulter le passage cité : https://www.youtube.com/watch?v=35EtMufMPrA.
* 49 Rapport n° 930 (XVIIe législature) fait par Mme Eva Sas, au nom de la commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire sur la proposition de loi instaurant un impôt plancher de 2 % sur le patrimoine des ultrariches, 12 février 2025, p. 33.
* 50 Idem.
* 51 Ibidem.
* 52 Conseil constitutionnel, n° 93-320 DC du 21 juin 1993, Loi de finances rectificative pour 1993, considérant 32.
* 53 Conseil constitutionnel, n° 2011-638 DC du 28 juillet 2011, Loi de finances rectificative pour 2011, considérant 19.
* 54 Alternatives Économiques, Entretien avec Gabriel Zucman, « Débattons sérieusement de la taxation des milliardaires ! », 12 avril 2025.
* 55 Conseil des prélèvements obligatoires, « Les prélèvements obligatoires sur le capital des ménages », rapport particulier n° 2 « Le cadre juridique des prélèvements sur le capital », Ophélie Champeaux et Lucile Poivert, juin 2017.
* 56 Ibid.
* 57 Autorité des marchés financiers, « Repères utiles sur les rendements de l'épargne », août 2022.
* 58 Exposé des motifs, article 19-VI-1 du texte n° 1726 déposé à l'Assemblée nationale le 3 octobre 1983 (projet de loi de finances pour 1984).
* 59 Challenges, Les 500 plus grandes fortunes de France, juillet 2024.
* 60 Karine Jakobsen, Henrik Kleven, Jonas Kolsrud, Camille Landais et Mathilde Muñoz : « Taxing Top Wealth : Migration Responses and their Aggregate Economic Implications », NBER Working Paper, 2024 ; Arun Advani, David Burgherr et Andy Summers : « Taxation and Migration by the Super-Rich », CESifo Working Papers, 2025 ; Rapport final du comité d'évaluation des réformes de la fiscalité du capital, France Stratégie, 2023.
* 61 Réponses de Jean-Baptiste Michau au questionnaire du rapporteur.
* 62 Laurent Bach, Antoine Bozio, Arthur Guillouzouic et Clément Malgouyres, « Quels impôts les milliardaires paient-ils ? », note IPP n° 92, juin 2023.
* 63 Gabriel Zucman, rapport cité.
* 64 Cf. commentaire de la décision n° 2010-617 DC du 9 novembre 2010 - Loi portant réforme des retraites.
* 65 Cf. par exemple les décisions n° 2015-719 DC du 13 août 2015 - Loi portant adaptation de la procédure pénale au droit de l'Union européenne et n° 2016-738 DC du 10 novembre 2016 - Loi visant à renforcer la liberté, l'indépendance et le pluralisme des médias.
* 66 Décision n° 2007-546 DC du 25 janvier 2007 - Loi ratifiant l'ordonnance n° 2005-1040 du 26 août 2005 relative à l'organisation de certaines professions de santé et à la répression de l'usurpation de titres et de l'exercice illégal de ces professions et modifiant le code de la santé publique.
* 67 Décision n° 2011-637 DC du 28 juillet 2011 - Loi organique relative au fonctionnement des institutions de la Polynésie française, confirmée par les décisions n° 2016-732 DC du 28 juillet 2016 - Loi organique relative aux garanties statutaires, aux obligations déontologiques et au recrutement des magistrats ainsi qu'au Conseil supérieur de la magistrature, et n° 2017-753 DC du 8 septembre 2017 - Loi organique pour la confiance dans la vie politique.