II. LES OBSERVATIONS DU RAPPORTEUR SPÉCIAL SUR LES CRÉDITS RELATIFS AU LOGEMENT ET À L'URBANISME
Les programmes suivis par le rapporteur spécial en charge des crédits relatifs au logement et à l'urbanisme sont les programmes 177 « Hébergement, parcours vers le logement et insertion des personnes vulnérables », 109 « Aide à l'accès au logement », 135 « Urbanisme, territoires et amélioration de l'habitat » et 147 « Politique de la ville ».
A. SUR LE PROGRAMME 177, LE PARC D'HÉBERGEMENT SE MAINTIENT À UN NIVEAU RECORD EN 2024
Le programme 177 « Hébergement, parcours vers le logement et insertion des personnes vulnérables » porte la politique d'hébergement et d'accès au logement des personnes sans abri ou mal logées. Elle se compose de trois actions dont les crédits sont très inégaux. S'agissant pour l'essentiel de dépenses d'intervention, versés notamment aux acteurs du secteur de l'hébergement et de l'insertion, les crédits sont pratiquement égaux en autorisations d'engagement et en crédits de paiement.
L'action 11 « Prévention de l'exclusion » (36,7 millions d'euros en crédits de paiement) finance une aide au logement temporaire (dite « ALT 2 ») servie aux gestionnaires des aires d'accueil des gens du voyage et des actions en faveur de la résorption des bidonvilles et de la prévention des expulsions locatives, ainsi que des subventions à des associations en faveur des gens du voyage.
L'action 12 « Hébergement et logement adapté » (3,0 milliards d'euros, soit 98 % des crédits de paiement du programme) comprend les politiques de veille sociale, d'hébergement d'urgence et de logement adapté.
L'action 14 « Conduite et animation des politiques de l'hébergement et de l'inclusion sociale » (19,3 millions d'euros en crédits de paiement) finance des actions de pilotage du secteur de l'accueil, de l'hébergement et de l'insertion (AHI), ainsi qu'un soutien aux fédérations locales des centres sociaux.
Les crédits consommés en 2024 sont au total de 3,1 milliards d'euros en autorisations d'engagement et autant en crédits de paiement. En crédits de paiement, ils sont en hausse de 225,9 millions d'euros, soit 7,9 %, par rapport à la prévision en loi de finances initiale et croissent de 221,1 millions d'euros, soit 7,7 %, par rapport aux crédits consommés en 2022.
La hausse importante des crédits entre 2019 et 2021 - de 2,1 milliards d'euros à 2,9 milliards d'euros - semble ainsi se stabiliser en tendance.
Évolution des crédits par action du programme 177
(en millions d'euros et en %)
2023 |
2024 |
Exécution / prévision 2024 |
Exécution 2024 / 2023 |
|||||
Exécution |
LFI |
Exécution |
en volume |
en % |
en volume |
en % |
||
11 - Prévention de l'exclusion |
AE |
37,3 |
31,8 |
41,6 |
+ 9,8 |
+ 31,0 % |
+ 4,3 |
+ 11,6 % |
CP |
36,7 |
31,8 |
43,0 |
+ 11,2 |
+ 35,2 % |
+ 6,3 |
+ 17,1 % |
|
12 - Hébergement et logement adapté |
AE |
3 011,5 |
2 860,9 |
3 046,2 |
+ 185,4 |
+ 6,5 % |
+ 34,8 |
+ 1,2 % |
CP |
3 020,4 |
2 885,6 |
3 073,8 |
+ 188,2 |
+ 6,5 % |
+ 53,4 |
+ 1,8 % |
|
14 - Conduite et animation des politiques de l'hébergement et de l'inclusion sociale |
AE |
20,0 |
8,3 |
15,7 |
+ 7,4 |
+ 89,7 % |
- 4,3 |
- 21,5 % |
CP |
19,3 |
8,3 |
14,6 |
+ 6,3 |
+ 76,0 % |
- 4,8 |
- 24,7 % |
|
Total programme |
AE |
3 068,7 |
2 900,9 |
3 103,5 |
+ 202,6 |
+ 7,0 % |
+ 34,8 |
+ 1,1 % |
CP |
3 076,5 |
2 925,7 |
3 131,3 |
+ 205,6 |
+ 7,0 % |
+ 54,8 |
+ 1,8 % |
Note : LFI : loi de finances initiale. La budgétisation inclut les prévisions de fonds de concours (FDC) et d'attribution de produits (ADP), ce qui n'est pas le cas des crédits votés en LFI. L'exécution constatée dans le projet de loi de règlement ou de résultats de la gestion inclut les FDC et ADP constatés.
Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires
Comme les années précédentes, le programme a fait l'objet d'ouvertures de crédits importantes à hauteur de 250 millions d'euros supplémentaires en autorisations d'engagement et en crédits de paiement, afin de pallier la sous-budgétisation du programme par la loi de finances de fin de gestion3(*).
Cette sous-budgétisation chronique est néfaste à la conduite de la politique publique car l'avance de trésorerie pèse sur les associations intervenant dans l'hébergement d'urgence. La délégation interministérielle à l'hébergement et à l'accès au logement (DIHAL) et la direction du Budget semblent avoir un différend méthodologique sur les besoins de financement, comme l'indique la Cour des comptes dans son analyse de l'exécution budgétaire. Le rapporteur appelle ainsi à les faire converger d'ici le prochain projet de loi de finances afin que la bonne information du Parlement et la sincérité budgétaire soient respectée.
Évolution des crédits en cours d'exercice
(en millions d'euros)
Source : commission des finances, données Chorus
1. Malgré la stabilisation du nombre de places d'hébergement ouvertes, l'exécution du programme 177 continue sa croissance
Le parc d'hébergement d'urgence a été stabilisé en 2024 au nombre record de 203 000 places, après plusieurs années de forte hausse.
La ligne « hébergement d'urgence » a connu des crédits en hausse en lien avec la crise sanitaire avec une consommation passant de moins de 900 millions d'euros en 2019 à 1 500 millions d'euros en 2021, puis une décrue entamée en 2022 et un palier en 2023 et en 2024 : elle atteint cette année 1 441 millions d'euros.
Le budget du logement adapté, qui a également augmenté de plus de moitié entre 2019 et 2022 en lien avec la mise en oeuvre d'une politique désignée comme prioritaire pendant le quinquennat 2017-2022, continue à croître, dans le cadre du deuxième plan Logement d'abord. Le logement adapté devient ainsi la brique budgétaire qui a connu le taux de croissance le plus élevé (+ 106,5 %) entre 2017 et 2024, année où 576 millions d'euros y ont été consommés.
Évolution des crédits des principaux dispositifs du programme 177
(en millions d'euros)
Source : commission des finances du Sénat (à partir des rapports annuels de performances)
S'agissant des crédits destinés aux centres d'hébergement et de réinsertion sociale (CHRS), l'augmentation constatée en 2022 - + 60,6 millions d'euros - et en 2023 - + 60,1 millions d'euros - se réduit pour atteindre + 26,6 millions d'euros. Elle intègre la compensation des employeurs par l'État du coût du « Ségur social » ainsi que le coût d'ouverture de places en CHRS.
2. La politique d'accueil des réfugiés ukrainiens est en cours de transition vers le droit commun en 2024 et devrait à l'avenir peser moins fort sur le programme
La France a accueilli près de 115 000 personnes déplacées d'Ukraine depuis le déclenchement de la guerre en février 2022, dont 32 000 ont bénéficié d'un logement au cours de l'année 2024. Si près d'un tiers de ces réfugiés sont hébergés au domicile de particuliers avec l'appui de l'État via l'association « hébergement citoyen », 22 000 bénéficiaient de solutions d'intermédiation locative portées par le programme 177.
La stratégie d'accompagnement vers le droit commun du logement pour les Ukrainiens semble porter ses fruits sur le plan budgétaire. En effet, le coût de l'accueil des réfugiés d'Ukraine est passé de 65,4 millions d'euros en 2023 à 39,4 millions d'euros en CP en 2024, soit une baisse de 40 %.
Le rapporteur salue cette évolution vers le droit commun.
La budgétisation n'était toutefois pas satisfaisante : aucun crédit n'avait été ouvert en loi de finances pour 2024 sur ce thème. Les crédits consommés cette année sont venue pour 25 millions d'euros de reports depuis l'exercice 2023 et de 29 millions d'euros en loi de finances de fin de gestion, qui ont pour une part été reportés.
Ces pratiques de budgétisation peu planifiées ne sont pas satisfaisantes : l'inscription en loi de finances de crédits réalistes et l'annulation de ceux non consommés serait le gage d'une meilleure visibilité pour les associations. Ceci devrait avoir lieu d'autant plus que le conflit en Ukraine s'ancre dans le temps.
3. La mise en place du deuxième plan quinquennal « un logement d'abord » permet plusieurs évolutions favorables, malgré les limites persistantes de cette politique
Face à l'accroissement important du nombre de personnes sans domicile en France - passé de 141 500 en 2012 à près de 330 000 en 20244(*)-, le Gouvernement a mis en place le plan « un logement d'abord » en 2018. Sa première mouture, arrivée à échéance en 2022, a été remplacée en juin 2023 par un nouveau plan quinquennal.
Les quatre premières années de cette politique ont permis d'accroître de 118 % le nombre de places d'intermédiation locative et de 48 % les places en pensions de famille. Le second plan cherche à poursuivre dans cette voie, en visant l'ouverture d'ici 2027 de 30 000 places en intermédiation locative, 10 000 en pension de famille et l'agrément de 20 000 logements en résidences sociales généralistes et en foyers de jeunes travailleurs.
Pour l'année 2024, plusieurs évolutions favorables peuvent ainsi être relevées :
- 1 376 places ont été ouvertes en pensions de famille, soit 81 % de l'objectif annuel et 27 % de l'objectif de 10 000 places d'ici 2027 ;
- les places en intermédiation locative sont en hausse de 7 % par rapport à 2023 et l'objectif quinquennal est rempli à 45 % ;
- le décompte des places en résidences sociales sera améliorée en 2025 avec la réforme des modalités d'octroi de l'aide à la gestion locative sociale (AGLS). En 2022, lors du dernier recensement, 150 423 places en résidences sociales et 28 888 places en foyers étaient ouvertes.
Le nombre de nuitées en hébergement d'urgence en hôtel croît de 1,4 % entre 2023 et 2024 et que le nombre de places en centre d'hébergement et de réinsertion sociale (CHRS) augmente de 3,0 %. Il convient de continuer la politique d'accroissement du parc en CHRS, gage d'un accompagnement plus efficace vers un retour au logement.
Composition du parc d'hébergement
au
31 décembre 2024
(en nombre de places)
Source : commission des finances, à partir du rapport annuel de performances 2024
L'objectif de nombre de places demeure à 203 000 en 2024, soit autant que le record historique atteint en 2023, mais pour autant le taux de réponses positives du service intégré d'accueil et d'orientation (SIAO) ne diminue pas.
Ce service, qui a connu un début de refonte en 2021 sous l'égide de la DIHAL, a pour mission de placer des personnes vulnérables qui ont besoin d'un logement. Le tassement du taux de réponses positives, passé de 66 % en 2023 à 54,9 % en 2024, s'explique par un accroissement de la demande liée aux flux migratoires et au contexte de crise du logement.
Dans ce contexte de demande accrue et de difficulté à répondre positivement aux besoins, le gouvernement échoue à résorber la taille du parc, ce qui empêche l'amélioration du pilotage budgétaire de cette brique.
Le rapporteur constate ainsi, comme il le fera pour les autres aspects de la politique du logement5(*), que les gouvernements qui se sont succédés depuis les élections législatives du printemps 2022 n'ont pas su définir des moyens adéquats pour répondre aux besoins d'hébergement et de logement adapté.
* 3 Loi n° 2024-1167 du 6 décembre 2024 de finances de fin de gestion pour 2024.
* 4 Estimation Fondation pour le logement (Abbé Pierre), Rapport annuel 2024. La Cour des comptes, dans le Rapport annuel 2021, retenait une estimation de 300 000 personnes sans domicile.
* 5 Voir infra l'analyse de l'exécution des programmes 109, 135 et 147.