N° 1618


ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE

 

N° 769


SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2024-2025

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale
le 24 juin 2025

 

Enregistré à la Présidence du Sénat le 24 juin 2025

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission mixte paritaire(1) chargée de proposer un texte sur la proposition de loi visant à réformer le mode d'élection des membres
du
conseil de Paris et des conseils municipaux de Lyon et Marseille,

PAR M. Jean-Paul MATTEI,
Rapporteur,

Député

PAR Mme Lauriane JOSENDE,
Rapporteure,

Sénatrice

(1) Cette commission est composée de : Mme Muriel Jourda, sénateur, présidente ; M. Florent Boudié, député, vice-président ; Mme Lauriane Josende, sénatrice, M. Jean-Paul Mattei, député, rapporteurs.

Membres titulaires : Mmes Catherine Di Folco, Isabelle Florennes, Audrey Linkenheld, MM. Pierre-Alain Roiron, Marc Laménie, sénateurs ; MM. Franck Allisio, Emeric Salmon, Bastien Lachaud, Stéphane Delautrette, Ian Boucard, députés.

Membres suppléants : MM. Stéphane Le Rudulier, Francis Szpiner, Hervé Marseille, Mme Marie-Pierre de La Gontrie, MM. Bernard Buis, Ian Brossat, Mme Mireille Jouve, sénateurs ; Mme Pascale Bordes, M. Jean Laussucq, Mme Nathalie Oziol, M. Jean Moulliere, Mme Martine Froger, députés.

Voir les numéros :

Assemblée nationale (17e législ.) :

Première lecture : 451, 1247 rect. et T.A. 98

Sénat :

Première lecture : 532, 648, 649 et T.A. 132 (2024-2025)
Commission mixte paritaire : 770 (2024-2025)

Mesdames, Messieurs,

Conformément au deuxième alinéa de l'article 45 de la Constitution et à la demande du Premier ministre, une commission mixte paritaire chargée d'élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi visant à réformer le mode d'élection des membres du conseil de Paris et des conseils municipaux de Lyon et Marseille s'est réunie au Sénat le mardi 24 juin 2025.

Elle a procédé à la désignation de son bureau qui a été ainsi constitué :

- Mme Muriel Jourda, sénateur, présidente

- M. Florian Boudié, député, vice-président

La commission a également désigné :

- Mme Lauriane Josende, sénatrice, rapporteure pour le Sénat

- M. Jean-Paul Mattei, député, rapporteur pour l'Assemblée nationale.

*

* *

La commission mixte paritaire procède ensuite à l'examen des dispositions restant en discussion.

Mme Muriel Jourda, sénateur, présidente. - Ce texte, déposé par nos collègues députés Sylvain Maillard, Olivia Grégoire, David Amiel et Jean Laussucq, a été adopté en première lecture par l'Assemblée nationale le 9 avril dernier.

Lors de sa séance du 3 juin dernier, le Sénat a supprimé l'ensemble des articles de la proposition de loi, après que la commission des lois eut, elle-même, rejeté le texte au stade de son examen.

Le Gouvernement a souhaité convoquer la commission mixte paritaire, comme le lui permet effectivement la Constitution. Il nous faut donc tenir cette réunion, pour déterminer s'il est envisageable de trouver un « texte commun » sur la totalité des dispositions restant en discussion, soit huit articles.

Comme c'est l'usage, préalablement à cette réunion, les deux rapporteurs du texte à l'Assemblée nationale et au Sénat se sont entretenus pour voir dans quelle mesure ils pourraient soumettre à notre commission des propositions de rédaction communes.

Je crois ne pas trahir leur position en disant d'ores et déjà qu'ils n'ont pas été en mesure d'y parvenir.

M. Jean-Paul Mattei, rapporteur pour l'Assemblée nationale. - Madame la présidente, madame la rapporteure, mes chers collègues, permettez-moi tout d'abord de vous remercier pour votre accueil au Palais du Luxembourg.

Comme vous l'avez rappelé, l'Assemblée nationale a adopté le 9 avril dernier la proposition de loi visant à réformer le mode d'élection des membres du conseil de Paris et des conseils municipaux de Lyon et Marseille avec un large soutien transpartisan, incluant le bloc central ainsi que des oppositions de tous bords. Elle a ainsi voté, car elle était convaincue, à l'issue de nombreuses auditions, consultations et réunions préparatoires, de la nécessité de mettre fin à un régime dérogatoire hérité de 1982 auquel il est souvent reproché d'être difficilement compréhensible - voire tout simplement illisible - pour les électeurs.

Cette proposition de loi déposée par nos collègues Sylvain Maillard, Olivia Grégoire, David Amiel et Jean Laussucq vise un objectif simple : instaurer pour les citoyens parisiens, lyonnais et marseillais le mode de scrutin qui s'applique partout ailleurs, dans l'ensemble des communes de France. Le Parlement a d'ailleurs adopté un texte - la loi du 21 mai 2025 visant à harmoniser le mode de scrutin aux élections municipales afin de garantir la vitalité démocratique, la cohésion municipale et la parité - qui concerne les petites communes et qui revêt, selon moi, un caractère plus systémique que la proposition de loi dont nous débattons aujourd'hui.

Cette dernière a donc pour ambition de mettre fin à une mécanique électorale complexe où l'électeur vote pour des listes d'arrondissement sans savoir clairement qui gouvernera la ville demain. Elle offre aux électeurs de Paris, Lyon et Marseille la possibilité de voter pour leur maire par un scrutin de liste à l'échelle de la ville.

Ce texte n'est néanmoins pas synonyme, loin s'en faut, de la fin des arrondissements. Bien au contraire, la proposition de loi conserve cet échelon apprécié des habitants de ces trois grandes villes et conforte les prérogatives des maires d'arrondissement dans le nouveau mode de scrutin. Le texte intègre également une réflexion relative aux transferts de compétences entre la mairie centrale et les mairies d'arrondissement.

Je regrette donc profondément que le Sénat ait choisi de rejeter cette proposition de loi qui a largement recueilli les suffrages de députés appartenant tant à la majorité qu'aux oppositions. Aussitôt le vote du Sénat connu, j'ai pris l'initiative de contacter la rapporteure du Sénat afin d'engager un dialogue : je tiens d'ailleurs à la remercier pour les échanges constructifs que nous avons eus tout au long de ces derniers jours.

Dans cet esprit de recherche d'un compromis, j'ai proposé plusieurs évolutions substantielles du texte destinées à répondre aux préoccupations légitimes exprimées par certains sénateurs lors des discussions en séance publique.

Premièrement, j'ai proposé d'inscrire dans la loi que les maires d'arrondissement siègent de droit au sein du conseil de Paris ou des conseils municipaux de Lyon et de Marseille, afin d'assurer une représentation directe des arrondissements au sein de l'organe délibérant central.

Deuxièmement, j'ai obtenu de la part du Gouvernement un engagement écrit en vue de conduire, d'ici à la fin de l'année et en cas d'adoption du texte, une mission flash sur les compétences des maires d'arrondissement. L'objectif consiste à évaluer les conditions du renforcement de leur rôle et de leurs prérogatives : cet engagement, qui est ainsi plus fort que la demande de rapport prévue à l'article 5, permet de lier le débat relatif aux compétences à celui qui porte sur l'évolution du mode de scrutin, ce qui était également une demande des opposants à ce texte à l'Assemblée nationale.

J'ai également obtenu l'engagement d'inscrire à l'ordre du jour des travaux du Parlement un projet de loi organique sur le mode de scrutin des élections sénatoriales, qui devra intégrer les conséquences de la réforme sur la désignation des grands électeurs dans les trois villes concernées.

Enfin, s'agissant du cas de Lyon, j'avais défendu, lors de l'examen du texte à l'Assemblée nationale, des amendements visant à sortir la ville du périmètre de la réforme, mais je retiens des consultations que j'ai menées ces derniers jours auprès des différents groupes politiques que le maintien du scrutin municipal et du scrutin métropolitain le même jour serait finalement envisageable. Je ne suis pas fermé sur ce sujet et nous pourrons donc débattre de ce point, comme du niveau de la prime majoritaire.

Toutes ces propositions ont été accueillies avec prudence, mais je tiens à dire que je reste pleinement disponible afin de poursuivre le dialogue avec nos collègues sénateurs et députés. Je n'ignore pas que la tâche est ardue, mais je reste éternellement optimiste et forme donc le voeu que cette CMP puisse parvenir à un accord respectueux des équilibres politiques dans nos assemblées.

Je suis persuadé qu'un chemin parlementaire existe pour avancer ensemble si nous nous en donnons les moyens. Je reste à votre écoute.

Mme Lauriane Josende, rapporteure pour le Sénat. - Comme annoncé par le rapporteur de l'Assemblée nationale, Jean-Paul Mattei, nous ne sommes pas parvenus à un accord à vous soumettre sur la proposition de loi visant à réformer le mode d'élection à Paris, Lyon et Marseille.

Ce texte a été massivement rejeté par le Sénat, comme en attestent les deux scrutins publics organisés, avec 217 voix - majorité et opposition comprises - contre la réforme proposée, ainsi que la suppression de l'ensemble des articles du texte, sans qu'aucune proposition alternative ne puisse parvenir à faire émerger un consensus parmi nous.

Comme je l'ai constamment souligné depuis que j'ai été chargée de ce dossier, le dispositif qui nous a été soumis pose d'innombrables difficultés, du point de vue tant de la méthode que du fond.

Sur le plan de la méthode, les travaux que j'ai conduits ont montré que la réforme envisagée avait été élaborée dans la précipitation, sans concertation des acteurs concernés - au premier chef desquels les maires d'arrondissement - et surtout en se limitant à la seule question du mode de scrutin, sans aborder la question fondamentale des compétences et du fonctionnement institutionnel actuel de ces trois villes, avec leurs innombrables particularités. Une telle précipitation n'était bien entendu pas tolérable pour la chambre des territoires.

Sur le fond, le dispositif pose de multiples difficultés liées, tout d'abord, à la fragilité juridique du texte dans son ensemble ; ensuite, à son coût financier inacceptable dans le contexte de dégradation des finances publiques que nous connaissons tous ; aux difficultés pratiques, en outre, que provoquerait l'entrée en vigueur de la réforme, notamment à Lyon, mais également dans les autres villes. Vous savez tout aussi bien que moi que l'organisation des élections est de plus en plus difficile dans l'ensemble des villes de France : l'organisation de deux élections simultanées à Paris et Marseille serait, dans ce contexte de démobilisation, plus que compliquée à mettre en oeuvre, quoi qu'en disent certains.

La dernière difficulté est liée à la suppression de l'échelon de proximité qu'induirait cette réforme, en effaçant de fait les arrondissements ou secteurs au profit du conseil central, alors que notre démocratie traverse une grave crise de confiance.

Toutes ces raisons ont conduit le Sénat à rejeter fermement la proposition de loi.

En dépit de ce large rejet du Sénat, j'ai souhaité échanger de manière constructive avec le rapporteur Jean-Paul Mattei, qui a formulé plusieurs propositions visant à répondre à certaines des critiques formulées en commission des lois comme en séance, et à atténuer certains aspects plus que problématiques du texte.

Ce dernier a ainsi proposé de sortir Lyon du champ de la réforme, comme il l'avait d'ailleurs déjà proposé en séance publique à l'Assemblée nationale, mais cette piste allait à l'encontre du souhait d'uniformisation du mode de scrutin dans l'ensemble des communes françaises, qui constitue le principal objectif de la réforme. Il est par ailleurs exact que certains acteurs lyonnais nous ont indiqué que l'organisation simultanée de trois scrutins était envisageable, dont acte.

Le rapporteur de l'Assemblée nationale a aussi suggéré de désigner les maires d'arrondissement comme membres de droit du conseil de Paris et des conseils municipaux de Lyon et Marseille, afin d'éviter une rupture totale du lien entre les arrondissements et la mairie centrale, qui constitue un point de crispation important, à la fois pour le Sénat et pour les élus concernés.

Avant toute chose, je tiens à remercier le rapporteur Jean-Paul Mattei de la qualité des échanges que nous avons eus et de l'esprit d'ouverture dont il a fait preuve pour tenter de parvenir à un compromis entre les deux chambres.

Toutefois, après les échanges que j'ai pu avoir avec les sénateurs potentiellement concernés par cette réforme, les inflexions réelles proposées par mon collègue ne m'ont pas paru de nature à me permettre de vous présenter, aujourd'hui, des rédactions communes.

La proposition de désignation des maires d'arrondissement comme membres de droit du conseil central, qui vise à corriger les effets de la dissociation des mandats de conseiller d'arrondissement et de conseiller municipal, et la déconnexion des réalités locales qui en résulterait, soulève en effet des problèmes multiples.

Premièrement, cette proposition aurait pour effet de faire participer des membres désignés automatiquement - et non pas des membres élus - au conseil municipal, ce qui me semble délicat d'un point de vue constitutionnel, et plus particulièrement au regard du principe de la libre administration des collectivités territoriales.

Deuxièmement, cette mesure garantirait un siège pour chaque arrondissement au conseil municipal. Toutefois, cette solution laisserait totalement de côté la question de la diversité des arrondissements au regard de leur population et ne résoudrait pas les problèmes de surreprésentation ou de sous-représentation de certains arrondissements par rapport à leur population. À Paris par exemple, les arrondissements les plus peuplés ont une population quatre fois plus importante que les arrondissements les moins peuplés. S'ils ne disposaient que d'un seul siège au conseil municipal, cela poserait un réel problème de représentativité pour le conseil municipal et par conséquent, un problème de gouvernance majeur.

Troisièmement, la coexistence au conseil municipal de membres élus à l'échelle de la commune et de membres désignés automatiquement après avoir été élus dans leur arrondissement ferait coexister plusieurs sources de légitimité au sein d'un même conseil, ce qui pourrait conduire à des blocages.

Enfin, cette modification ne règle aucun des autres problèmes soulevés par cette proposition de loi, à commencer par la question de la prime majoritaire de 25 %, mais aussi l'organisation simultanée de plusieurs élections le même jour, l'absence d'évaluation préalable et la limitation de la réforme à la seule question du mode de scrutin.

Toutes ces difficultés qui subsistent montrent que le texte qui nous est proposé, à supposer même qu'il soit modifié substantiellement, s'inscrit dans une volonté de réforme que je qualifierais de « mal emmanchée », qui s'intéresse d'abord au mode de scrutin et non aux compétences. Or comme le Sénat n'a eu de cesse de le rappeler, il faut au préalable conduire un véritable travail d'évaluation du fonctionnement de ces trois villes - elles ont de fortes particularités - pour élaborer une réforme plus ambitieuse, abordant compétences et mode de scrutin, et répondant aux difficultés et inquiétudes exprimées tant par les élus locaux que par la population.

J'insiste sur le fait que le Sénat n'a jamais dit qu'une réforme de ce type était illégitime ou inenvisageable ; en revanche, la réforme qui nous est proposée - tout comme le calendrier dans lequel elle s'inscrit - n'est pas satisfaisante.

Pour l'ensemble de ces raisons, je ne peux que confirmer, mes chers collègues, que nous ne sommes pas en mesure de vous proposer un texte commun.

Mme Muriel Jourda, sénateur, présidente. - Face à ce constat d'impossibilité des rapporteurs de parvenir à une proposition commune, j'invite ceux qui le souhaitent à prendre la parole. Personne ne semblant se manifester, nous ne pouvons que constater l'échec de cette CMP...

M. Jean-Paul Mattei, rapporteur pour l'Assemblée nationale. - Je regrette l'absence de discussion sur les propositions d'évolution du texte que j'ai présentées, notamment concernant les compétences des maires d'arrondissement. Je suis un peu étonné que nous ne puissions pas débattre.

Mme Muriel Jourda, sénateur, présidente. - Il n'est aucunement question de refuser le débat, mais personne n'a répondu à mon invitation à prendre la parole afin, justement, de nouer le débat. Comme l'a indiqué la rapporteure, vos propositions ont été prises en compte et une véritable concertation a été menée avec les élus concernés, conformément aux engagements du président Larcher. Cependant, cette concertation n'a guère donné de résultats.

Par ailleurs, je rappelle que le Sénat a été ferme sur ses positions, tant en commission qu'en séance : des propositions qui seraient adoptées ici n'auraient donc aucune chance d'être approuvées par nos deux assemblées.

Des efforts ont été fournis, et je peux vous assurer que vos propositions n'ont pas été balayées d'un revers de main, mais force est de constater que les positions des deux chambres sont très éloignées. Nous ne pouvons pas faire autrement que d'acter l'impossibilité de parvenir à un texte commun, même si j'entends votre dépit.

M. Jean-Paul Mattei, rapporteur pour l'Assemblée nationale. - J'aurais préféré que s'engage un dialogue entre nos deux assemblées au cours de cette commission mixte paritaire, afin d'éviter que l'Assemblée nationale décide seule in fine.

Je comprends les remarques du Sénat sur le délai court dont nous disposons pour légiférer. Je dirai, non sans une certaine impertinence, que je suis rassuré depuis que la proposition de loi visant à harmoniser le mode de scrutin aux élections municipales afin de garantir la vitalité démocratique, la cohésion municipale et la parité a été adoptée : elle vise les communes de moins de 1 000 habitants et aura des répercussions dans les territoires quand elle sera appliquée. Quant au texte qui nous occupe aujourd'hui, nous verrons donc ce que décidera le Gouvernement.

Mme Muriel Jourda, sénateur, présidente. - Lorsque nous pouvons nous mettre d'accord, nous le faisons, mais ce n'est pas le cas sur ce texte.

*

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La commission mixte paritaire constate qu'elle ne peut parvenir à l'adoption d'un texte commun sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi visant à réformer le mode d'élection des membres du conseil de Paris et des conseils municipaux de Lyon et Marseille.

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