N° 20
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2025-2026
Enregistré à la Présidence du Sénat le 14 octobre 2025
RAPPORT
FAIT
au nom de la commission des lois constitutionnelles,
de législation, du suffrage universel, du Règlement et
d'administration générale (1) sur la proposition de loi organique
visant à reporter le
renouvellement général des
membres du congrès
et des assemblées de
province de la Nouvelle-Calédonie
pour permettre
la mise
en oeuvre de
l'accord du 12 juillet 2025
(procédure accélérée),
Par Mmes Agnès CANAYER et Corinne NARASSIGUIN,
Sénateur et Sénatrice
VERSION PROVISOIRE
(1) Cette commission est composée de : Mme Muriel Jourda, présidente ; M. Christophe-André Frassa, Mme Marie-Pierre de La Gontrie, M. Marc-Philippe Daubresse, Mmes Isabelle Florennes, Patricia Schillinger, Cécile Cukierman, MM. Dany Wattebled, Guy Benarroche, Michel Masset, vice-présidents ; Mmes Marie Mercier, Jacqueline Eustache-Brinio, M. Olivier Bitz, secrétaires ; M. Jean-Michel Arnaud, Mme Nadine Bellurot, MM. François Bonhomme, Hussein Bourgi, Mme Sophie Briante Guillemont, M. Ian Brossat, Mme Agnès Canayer, MM. Christophe Chaillou, Mathieu Darnaud, Mmes Catherine Di Folco, Françoise Dumont, Laurence Harribey, Lauriane Josende, MM. Patrick Kanner, Éric Kerrouche, Henri Leroy, Stéphane Le Rudulier, Mme Audrey Linkenheld, MM. Alain Marc, David Margueritte, Hervé Marseille, Mme Corinne Narassiguin, M. Paul Toussaint Parigi, Mmes Anne-Sophie Patru, Salama Ramia, M. Hervé Reynaud, Mme Olivia Richard, MM. Teva Rohfritsch, Pierre-Alain Roiron, Mme Elsa Schalck, MM. Marc Séné, Francis Szpiner, Mmes Lana Tetuanui, Dominique Vérien, M. Louis Vogel, Mme Mélanie Vogel.
Voir les numéros :
Sénat : |
876 (2024-2025) et 21 (2025-2026) |
L'ESSENTIEL
Plus d'un an après les violentes émeutes qui ont éclaté sur le territoire de la Nouvelle-Calédonie à la suite de l'adoption d'un projet de réforme constitutionnelle tendant à dégeler partiellement le corps électoral spécial pour l'élection du Congrès et des assemblées provinciales, l'accord préliminaire signé à Bougival le 12 juillet 2025 entre l'ensemble des partenaires politiques calédoniens et l'État constitue une étape décisive dans le processus de négociation politique en vue du retour à la concorde civile et à la stabilité institutionnelle par la consécration d'un nouveau statut pour la Nouvelle-Calédonie.
Prévoyant la création d'un État de Nouvelle-Calédonie, qui serait inscrit dans la Constitution française ainsi que l'instauration d'une nationalité calédonienne, que les Calédoniens détiendraient en plus de la nationalité française, l'accord vise également à modifier la composition du corps électoral spécial pour l'élection des assemblées de province et du Congrès. Conformément au calendrier indicatif de mise en place de l'accord figurant à la fin de l'accord1(*), les élections provinciales auraient lieu en « mai-juin 2026 ».
Visant à traduire ce calendrier indicatif et ainsi à « accompagner la mise en oeuvre de l'accord » signé à Bougival le 12 juillet 2025, la proposition de loi organique n° 876 (2024-2025), déposée le 13 août 2025 par six des huit présidents de groupe politique du Sénat tend à reporter les élections aux assemblées provinciales et au Congrès de Nouvelle-Calédonie au plus tard au 28 juin 2026. Initialement prévues pour le mois de mai 2024, ces élections se verraient ainsi reportées pour la troisième fois, après le premier report intervenu en mai 20242(*), dans le cadre de la réforme du corps électoral3(*), et le deuxième report décidé en novembre 20244(*), dans le contexte de la crise économique et sociale traversée par la Nouvelle-Calédonie.
À la lumière notamment de l'avis rendu, à la demande du Président du Sénat, par le Conseil d'État le 4 septembre dernier5(*) et de l'avis rendu par le Congrès de Nouvelle-Calédonie le 15 septembre, la commission des lois a estimé que ce nouveau report était justifié par un but d'intérêt général et qu'il ne méconnaissait aucune exigence constitutionnelle.
Si le report d'un scrutin est tout sauf anodin en démocratie, la commission souscrit, en l'espèce, à la nécessité de reporter des élections dont l'accord signé à Bougival a prévu de modifier un certain nombre de paramètres, et souligne que la composition du corps électoral spécial constitue une question préalable qui doit être tranchée avant la tenue de tout nouveau scrutin.
De surcroît, reporter les élections offrirait davantage de temps pour compléter, préciser et si besoin amender l'accord de Bougival, lequel constitue une base précieuse de discussion sur laquelle il convient désormais de poursuivre les échanges avec l'ensemble des parties prenantes dans la perspective d'aboutir au plus large consensus possible.
La commission a ainsi approuvé le report des élections provinciales au 28 juin 2026 au plus tard, jugeant cette date cohérente avec le calendrier indicatif prévu par l'accord signé à Bougival.
La commission a adopté le texte sans modification et a appelé à son adoption définitive rapide.
I. UN NOUVEAU REPORT DES ÉLECTIONS AUX ASSEMBLÉES DE PROVINCE ET AU CONGRÈS DE NOUVELLE-CALÉDONIE AFIN D'ACCOMPAGNER LA MISE EN oeUVRE DE L'ACCORD DE BOUGIVAL
A. DES ÉLECTIONS DÉJÀ REPORTÉES DEUX FOIS, POUR DES RAISONS DIFFÉRENTES
Organisées pour la dernière fois le 12 mai 2019, les élections provinciales de Nouvelle-Calédonie, qui permettent de renouveler intégralement les membres des assemblées délibérantes de chacune des trois provinces de Nouvelle-Calédonie ainsi que, de façon concomitante, les membres du Congrès, auraient dû se tenir le 12 mai 2024 au plus tard6(*).
1. La loi organique n° 2024-343 du 15 avril 2024 a repoussé au 15 décembre 2024 au plus tard la tenue des élections provinciales afin de tenir compte de la réforme de la composition du corps électoral spécial
Afin de corriger les distorsions induites sur le plan démographique par le « gel » du corps électoral spécial pour les élections aux assemblées de province et au Congrès, fixé en référence à la situation existante au 8 novembre 1998, le Gouvernement a déposé au Sénat le 29 janvier 2024 un projet de loi constitutionnelle visant à modifier la composition du corps électoral spécial, de manière à permettre à l'ensemble des électeurs inscrits sur la liste électorale générale de Nouvelle-Calédonie y étant nés ou y étant domiciliés depuis au moins dix années d'y participer.
Le projet de loi organique déposé concomitamment par le Gouvernement visait à reporter les élections provinciales au 15 décembre 2024 au plus tard, afin de pouvoir appliquer à ce scrutin la réforme constitutionnelle. Déclarée conforme à la Constitution par le Conseil constitutionnel, qui a considéré que ce report poursuivait un but d'intérêt général et présentait un caractère limité7(*), la loi organique n° 2024-343 a été proclamée le 15 avril 2024.
2. La loi organique n° 2024-1026 du 15 novembre 2024 a de nouveau reporté les élections provinciales, jusqu'au 30 novembre 2025 au plus tard, afin de permettre la reprise du dialogue entre les partenaires politiques de l'accord de Nouméa face à un contexte économique et social dégradé
L'examen et l'adoption par le Parlement du projet de loi constitutionnelle portant modification du corps électoral pour les élections au Congrès et aux assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie, qui mettait fin au « gel » du corps électoral spécial induit par la référence au tableau annexe de 1998 et prévoyait l'introduction d'un corps électoral « glissant », ont provoqué de violentes émeutes en Nouvelle-Calédonie à compter du 13 mai 2024, entraînant la déclaration de l'état d'urgence sur son territoire le 15 mai 2024 au soir.
Au regard notamment de la dégradation de la situation sociale, économique et sanitaire entraînée par les émeutes, des difficultés matérielles compromettant la bonne tenue des opérations électorales, et de l'absence d'accord politique sur l'avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie ainsi que sur le nouveau périmètre du corps électoral, Patrick Kanner et plusieurs de ses collègues du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain ont déposé, le 16 septembre 2024, une proposition de loi organique visant à reporter les élections provinciales de onze mois supplémentaires, soit au 30 novembre 2025 au plus tard.
Dans son avis du 10 octobre 2024, le Conseil d'État a estimé que ce nouveau report ne méconnaissait aucune exigence constitutionnelle et qu'il répondait à un but d'intérêt général, ce qu'a confirmé le Conseil constitutionnel en relevant cependant que la durée cumulée du report des élections, « revêt[ait] un caractère exceptionnel et transitoire »8(*). Les élections des assemblées de provinces de Nouvelle-Calédonie et des membres du Congrès ont ainsi été repoussées, une deuxième fois, par la loi organique n° 2024-1026 du 15 novembre 2024.
* 1 L'accord de Bougival a été publié au Journal officiel de la République française du 6 septembre 2025.
* 2 Loi organique n° 2024-343 du 15 avril 2024.
* 3 Portée par l e projet de loi constitutionnelle déposé au Sénat le 29 janvier 2024.
* 4 Loi organique n° 2024-343 du 15 avril 2024.
* 5 Avis n° 409959 du Conseil d'État du 4 septembre 2025.
* 6 La durée du mandat des membres des trois assemblées de province est en effet fixée à cinq ans par l'article 186 de la loi organique n° 99-209 du 19 mars 2009.
* 7 Décision n° 2024-864 DC du 11 avril 2024.
* 8 Décision n° 2024-872 DC du 14 novembre 2024, paragr. 11.