- L'ESSENTIEL
- I. LA CRÉATION D'UNE COMMISSION
D'ENQUÊTE SUR LE FONDEMENT DU « DROIT DE
TIRAGE » D'UN GROUPE POLITIQUE
- II. LE CONTRÔLE DE LA RECEVABILITÉ
D'UNE PROPOSITION DE RÉSOLUTION TENDANT À CRÉER UNE
COMMISSION D'ENQUÊTE DANS LE CADRE DU « DROIT DE
TIRAGE »
- III. LA POSITION DE LA COMMISSION DES
LOIS : LA RECEVABILITÉ DE LA PROPOSITION DE
RÉSOLUTION
- I. LA CRÉATION D'UNE COMMISSION
D'ENQUÊTE SUR LE FONDEMENT DU « DROIT DE
TIRAGE » D'UN GROUPE POLITIQUE
- EXAMEN EN COMMISSION
N° 110
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2025-2026
Enregistré à la Présidence du Sénat le 5 novembre 2025
RAPPORT
FAIT
au nom de la commission des lois constitutionnelles,
de législation, du suffrage universel, du Règlement et
d'administration générale (1) sur la recevabilité de la
proposition de résolution tendant à la
création d'une
commission d'enquête
sur les marges des
industriels et de la grande
distribution,
Par Mme Muriel JOURDA,
Sénateur
(1) Cette commission est composée de : Mme Muriel Jourda, présidente ; M. Christophe-André Frassa, Mme Marie-Pierre de La Gontrie, M. Marc-Philippe Daubresse, Mmes Laurence Harribey, Isabelle Florennes, Patricia Schillinger, Cécile Cukierman, MM. Dany Wattebled, Guy Benarroche, Michel Masset, vice-présidents ; Mmes Marie Mercier, Jacqueline Eustache-Brinio, Lauriane Josende, M. Olivier Bitz, secrétaires ; M. Jean-Michel Arnaud, Mme Nadine Bellurot, MM. François Bonhomme, Hussein Bourgi, Mme Sophie Briante Guillemont, M. Ian Brossat, Mme Agnès Canayer, MM. Christophe Chaillou, Mathieu Darnaud, Mmes Catherine Di Folco, Françoise Dumont, MM. Patrick Kanner, Éric Kerrouche, Henri Leroy, Stéphane Le Rudulier, Mme Audrey Linkenheld, MM. Alain Marc, David Margueritte, Hervé Marseille, Mme Corinne Narassiguin, M. Paul Toussaint Parigi, Mmes Anne-Sophie Patru, Salama Ramia, M. Hervé Reynaud, Mme Olivia Richard, MM. Teva Rohfritsch, Pierre-Alain Roiron, Mme Elsa Schalck, MM. Marc Séné, Francis Szpiner, Mmes Lana Tetuanui, Dominique Vérien, M. Louis Vogel, Mme Mélanie Vogel.
Voir le numéro :
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Sénat : |
69 rect. (2025-2026) |
L'ESSENTIEL
Réunie le mercredi 5 novembre 2025, la commission des lois a examiné, sur le rapport de sa présidente, Muriel Jourda, la recevabilité de la proposition de résolution n° 69 rect. (2025-2026), présentée par Antoinette Guhl et les membres du groupe Écologiste - Solidarité et Territoires (GEST) tendant à la création d'une commission d'enquête sur les marges des industriels et de la grande distribution.
Ce groupe politique a fait savoir qu'il demandait la création de cette commission d'enquête au titre de son « droit de tirage ». Prévue à l'article 6 bis du Règlement du Sénat, cette procédure permet à chaque groupe politique d'obtenir, de droit, une fois par année parlementaire, la création d'une commission d'enquête ou d'une mission d'information.
Conformément à l'article 8 ter du Règlement, la commission des lois s'est prononcée sur la recevabilité de la proposition de résolution.
Constatant que l'objet de la commission d'enquête envisagée portait sur des faits déterminés, à savoir les marges des industriels et de la grande distribution et les pratiques qui entourent la constitution de ces marges, qui s'apprécient notamment au regard de la forte hausse de l'inflation alimentaire qu'a connue la France au cours des dernières années, et non sur la gestion d'un service public, le rapporteur a indiqué avoir saisi M. Gérard Larcher, président du Sénat, afin qu'il interroge le garde des sceaux sur l'existence d'éventuelles poursuites judiciaires en cours.
Le garde des sceaux a indiqué qu'aucune poursuite judiciaire n'était en cours, à sa connaissance, sur les faits ayant motivé le dépôt de la proposition de résolution. Le rapporteur a indiqué que la proposition de résolution entrait donc bien dans le champ défini par l'article 6 de l'ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires.
Le rapporteur a toutefois tenu à rappeler que le choix de recourir à une commission d'enquête, en raison des prérogatives et contraintes d'organisation liées à ce dispositif, devait être réservé par priorité aux sujets justifiant l'usage de pouvoirs d'enquête, d'autant que le « droit de tirage » peut aussi porter sur une mission d'information.
En conséquence, la commission des lois a constaté que la proposition de résolution était recevable. Il n'existe donc aucun obstacle à la création de cette commission d'enquête par la procédure du « droit de tirage ».
I. LA CRÉATION D'UNE COMMISSION D'ENQUÊTE SUR LE FONDEMENT DU « DROIT DE TIRAGE » D'UN GROUPE POLITIQUE
A. LA RECONNAISSANCE CONSTITUTIONNELLE DES COMMISSIONS D'ENQUÊTE PARLEMENTAIRES
Par l'introduction, dans la Constitution, d'un nouvel article 51-2 au sein de son titre V traitant des rapports entre le Parlement et le Gouvernement, la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 de modernisation des institutions de la Ve République a hissé au niveau constitutionnel l'existence des commissions d'enquête parlementaires, qui ne trouvaient jusqu'alors leur fondement juridique qu'à l'article 6 de l'ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, laquelle n'a que la valeur d'une loi ordinaire.
Article 51-2 de la Constitution
Pour l'exercice des missions de contrôle et d'évaluation définies au premier alinéa de l'article 24, des commissions d'enquête peuvent être créées au sein de chaque assemblée pour recueillir, dans les conditions prévues par la loi, des éléments d'information.
La constitutionnalisation des commissions d'enquête, participant d'une revalorisation du rôle de contrôle de l'action du Gouvernement et d'évaluation des politiques publiques dévolu au Parlement, s'est accompagnée, en parallèle, de l'obtention de nouveaux droits pour les groupes politiques minoritaires et d'opposition, formalisée à l'article 51-1 de la Constitution, également introduit lors de la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008.
Article 51-1 de la Constitution
Le règlement de chaque assemblée détermine les droits des groupes parlementaires constitués en son sein. Il reconnaît des droits spécifiques aux groupes d'opposition de l'assemblée intéressée ainsi qu'aux groupes minoritaires.
S'il n'était pas nécessaire, en tout état de cause, qu'une telle disposition figurât dans la Constitution pour que les règlements fussent en mesure de déterminer les droits des groupes - ce qu'ils font depuis le début du XXe siècle -, cette disposition assure la reconnaissance au niveau constitutionnel des groupes politiques et de leur rôle au sein des assemblées.
B. LE « DROIT DE TIRAGE » AU SÉNAT
Depuis la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 et sa transposition, en 2009, au sein du Règlement du Sénat, chaque groupe politique du Sénat a ainsi droit à la création d'une commission d'enquête ou d'une mission d'information par année parlementaire1(*).
Communément appelé « droit de tirage », ce droit attribué à chaque groupe du Sénat, qu'il se soit ou non déclaré d'opposition ou minoritaire, a donné une réelle consistance aux articles 51-1 et 51-2 de la Constitution.
Lorsqu'un groupe demande la création d'une commission d'enquête ou d'une mission d'information et fait connaître son intention d'utiliser à cette fin son « droit de tirage » annuel, la Conférence des présidents prend acte de la demande. Cette prise d'acte vaut création de la commission d'enquête ou de la mission d'information, sous la seule réserve du contrôle de sa conformité avec l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 (cf. infra).
Le groupe politique à l'origine de la demande de création a, en outre, le droit d'obtenir que la fonction de président ou de rapporteur soit confiée à l'un de ses membres2(*).
Ces règles figurent aux articles 6 bis et 6 ter du Règlement du Sénat.
Article 6 bis du Règlement du Sénat
« 1. - Chaque groupe a droit à la création d'une commission d'enquête ou d'une mission d'information par année parlementaire. La demande de création d'une commission d'enquête ou d'une mission d'information est formulée au plus tard une semaine avant la réunion de la Conférence des Présidents qui doit en prendre acte.
« 2. - La fonction de président ou de rapporteur est attribuée au membre d'un groupe minoritaire ou d'opposition, le groupe à l'origine de la demande de création obtenant de droit, s'il le demande, que la fonction de président ou de rapporteur revienne à l'un de ses membres. »
Article 6 ter du Règlement du Sénat
« 1. - La demande de création d'une commission d'enquête en application de l'article 6 bis prend la forme d'une proposition de résolution qui détermine avec précision, soit les faits qui donnent lieu à enquête, soit les services publics ou les entreprises nationales dont la commission d'enquête se propose d'examiner la gestion.
« 2. - Les alinéas 3, 4 et 5 à 7 de l'article 8 ter relatifs au contrôle de la recevabilité de la proposition de résolution, à la détermination de la composition, à la désignation des membres et au fonctionnement de la commission d'enquête sont applicables. »
Ce droit de tirage est désormais fréquemment utilisé, démontrant son appropriation par les groupes politiques du Sénat. Depuis juin 2009 et la création de ce dispositif, trente-neuf commissions d'enquête ont été créées sur le fondement du « droit de tirage »3(*), soit une moyenne de 2,5 par an, en augmentation sur les dernières années.
Les trente-neuf commissions d'enquête
créées au Sénat
sur le fondement du « droit
de tirage » :
- sur le rôle des firmes pharmaceutiques dans la gestion par le Gouvernement de la grippe A (H1N1), créée en 2010 ;
- sur l'évasion des capitaux et des actifs hors de France et ses incidences fiscales, créée en 2012 ;
- sur le coût réel de l'électricité afin d'en déterminer l'imputation aux différents agents économiques, créée en 2012 ;
- sur l'influence des mouvements à caractère sectaire dans le domaine de la santé, créée en 2012 ;
- sur l'efficacité de la lutte contre le dopage, créée en 2013 ;
- sur le rôle des banques et acteurs financiers dans l'évasion des ressources financières en ses conséquences fiscales et sur les équilibres économiques ainsi que sur l'efficacité du dispositif législatif, juridique et administratif destiné à la combattre, créée en 2013 ;
- sur les modalités du montage juridique et financier et l'environnement du contrat retenu in fine pour la mise en oeuvre de l'écotaxe poids lourds, créée en 2013 ;
- sur l'organisation et les moyens de la lutte contre les réseaux djihadistes en France et en Europe, créée en 2014 ;
- sur la réalité du détournement du crédit d'impôt recherche de son objet et de ses incidences sur la situation de l'emploi et de la recherche dans notre pays, créée en 2014 ;
- sur le fonctionnement du service public de l'éducation, sur la perte de repères républicains que révèle la vie dans les établissements scolaires et sur les difficultés rencontrées par les enseignants dans l'exercice de leur profession, créée en 2015 ;
- sur le coût économique et financier de la pollution de l'air, créée en 2015 ;
- sur le bilan et le contrôle de la création, de l'organisation, de l'activité et de la gestion des autorités administratives indépendantes, créée en 2015 ;
- sur les chiffres du chômage en France et dans les pays de l'Union européenne, ainsi que sur l'impact des réformes mises en place par ces pays pour faire baisser le chômage, créée en 2016 ;
- sur la réalité des mesures de compensation des atteintes à la biodiversité engagées sur des grands projets d'infrastructures, intégrant les mesures d'anticipation, les études préalables, les conditions de réalisation et leur suivi dans la durée, créée en 2016 ;
- sur les frontières européennes, le contrôle des flux des personnes et des marchandises en Europe et l'avenir de l'espace Schengen, créée en 2016 ;
- sur l'état des forces de sécurité intérieure, créée en 2018 ;
- sur l'organisation et les moyens des services de l'État pour faire face à l'évolution de la menace terroriste après la chute de l'État Islamique, créée en 2018 ;
- sur les mutations de la haute fonction publique et leurs conséquences sur le fonctionnement des institutions de la République, créée en 2018 ;
- sur la souveraineté numérique, créée en 2019 ;
- sur les réponses apportées par les autorités publiques au développement de la radicalisation islamiste et les moyens de la combattre, créée en 2019 ;
- sur les problèmes sanitaires et écologiques liés aux pollutions des sols qui ont accueilli des activités industrielles ou minières, et sur les politiques publiques et industrielles de réhabilitation de ces sols, créée en 2020 ;
- sur le contrôle, la régulation et l'évolution des concessions autoroutières, créée en 2020 ;
- sur l'influence croissante des acteurs du secteur privé sur la détermination et la conduite des politiques publiques, créée en 2021 ;
- sur les processus ayant permis ou pouvant aboutir à une concentration dans les médias en France et l'évaluation de l'impact de cette concentration dans une démocratie, créée en 2021 ;
- sur la situation de l'hôpital et le système de santé en France, créée en 2021 ;
- sur l'efficacité des politiques publiques en matière de rénovation énergétique des bâtiments, créée en 2022 ;
- sur la pénurie de médicaments et les choix de l'industrie pharmaceutique française, créée en 2022 ;
- sur l'utilisation du réseau social TikTok, son exploitation des données, sa stratégie d'influence, de propagande et de désinformation, créée en 2023 ;
- sur l'impact du narcotrafic en France et les mesures à prendre pour y remédier, créée en 2023 ;
- sur les moyens mobilisés et mobilisables par l'État pour assurer la prise en compte et le respect par le groupe TotalEnergies des obligations climatiques et des orientations de la politique étrangère de la France, créée en 2023 ;
- sur la production, la consommation et le prix de l'électricité aux horizons 2035 et 2050, créée en 2023 ;
- sur la paupérisation des copropriétés immobilières, créée en 2023 ;
- sur les politiques publiques face aux opérations d'influences étrangères visant notre vie démocratique, notre économie et les intérêts de la France sur le territoire national et à l'étranger afin de doter notre législation et nos pratiques de moyens d'entraves efficients pour contrecarrer les actions hostiles à notre souveraineté, créée en 2023 ;
- sur les pratiques des industriels de l'eau en bouteille et les responsabilités des pouvoirs publics dans les défaillances du contrôle de leurs activités et la gestion des risques, créée en 2024 ;
- sur l'évaluation des outils de la lutte contre la délinquance financière, la criminalité organisée et le contournement des sanctions internationales, en France et en Europe, créée en 2024 ;
- sur l'utilisation des aides publiques aux grandes entreprises et à leurs sous-traitants, créée en 2024 ;
- sur la libre administration des collectivités locales, créée en 2025 ;
- sur les coûts et les modalités effectifs de la commande publique et la mesure de leur effet d'entraînement sur l'économie française, créée en 2025 ;
- sur les missions des agences, opérateurs et organismes consultatifs de l'État, créée en 2025.
En outre, la commission des lois a constaté l'irrecevabilité de deux propositions de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête au titre du « droit de tirage » :
- en 2017, sur la prise en charge des djihadistes français et de leurs familles de retour d'Irak et de Syrie4(*), en raison de l'existence de plusieurs enquêtes et informations judiciaires en cours sur les faits ayant motivé le dépôt de la proposition de résolution (diligentées au principal sous la qualification d'association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste, au parquet de Paris ainsi qu'au pôle antiterroriste du tribunal de grande instance de Paris, concernant des individus de retour de la zone irako-syrienne) ;
- et en 2018, sur le traitement des abus sexuels sur mineurs et des faits de pédocriminalité commis dans une relation d'autorité, au sein de l'Église catholique, en France5(*), en raison de l'existence de plusieurs informations judiciaires en cours sur les faits ayant motivé le dépôt de la proposition de résolution (notamment sous les qualifications de corruption de mineurs, d'agressions sexuelles sur mineur de quinze ans par personne ayant autorité, de viols sur mineur de quinze ans par personne ayant autorité ou sur personne vulnérable, ou encore de non-dénonciation et de non-assistance à personne en péril).
Depuis juin 2009, deux commissions d'enquête ont été créées selon la procédure normale, hors droit de tirage :
- sur les conséquences environnementales, sanitaires et économiques de l'incendie de l'usine Lubrizol à Rouen, créée en 2019 ;
- et, en 2020, sur l'évaluation des politiques publiques face aux grandes pandémies à la lumière de la crise sanitaire de la covid-19 et de sa gestion.
C. UN DISPOSITIF SÉNATORIAL TRANSPOSÉ À L'ASSEMBLÉE NATIONALE
À titre de comparaison, l'Assemblée nationale a repris en 2014 le dispositif sénatorial du « droit de tirage »6(*), en instaurant un nouveau mécanisme similaire de création d'une commission d'enquête : chaque président de groupe d'opposition ou minoritaire obtient, de droit, une fois par session ordinaire, à l'exception de celle qui précède le renouvellement de l'Assemblée, la création d'une commission d'enquête ou d'une mission d'information, la Conférence des présidents prenant acte de cette création, sous réserve des règles de recevabilité applicables à la création d'une commission d'enquête7(*).
Auparavant, le mécanisme instauré à l'Assemblée nationale par la résolution du 27 mai 2009 permettait seulement à chaque président de groupe d'opposition ou minoritaire de demander, une fois par an, la mise d'office à l'ordre du jour d'une proposition de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête, à condition qu'elle fût recevable, mais celle-ci pouvait être modifiée par la commission saisie au fond de la proposition et rejetée en séance (à la majorité des trois cinquièmes des députés).
L'Assemblée nationale a également repris en 2019 un autre mécanisme déjà en vigueur au Sénat et vecteur de pluralisme : la possibilité offerte aux groupes d'opposition ou minoritaires de choisir la fonction - président ou rapporteur - qu'ils exerceront dans le cadre d'une commission d'enquête dont ils sont à l'origine8(*) (auparavant, à l'Assemblée nationale, il était seulement prévu que la fonction de président ou de rapporteur revienne de droit à un membre du groupe à l'origine de cette demande, mais c'était la majorité qui choisissait la fonction qu'elle préférait exercer, généralement celle de rapporteur9(*)).
II. LE CONTRÔLE DE LA RECEVABILITÉ D'UNE PROPOSITION DE RÉSOLUTION TENDANT À CRÉER UNE COMMISSION D'ENQUÊTE DANS LE CADRE DU « DROIT DE TIRAGE »
Lorsque le « droit de tirage » porte sur la création d'une commission d'enquête, l'article 6 ter du Règlement du Sénat prévoit que la demande prenne la forme d'une proposition de résolution qui « détermine avec précision, soit les faits qui donnent lieu à enquête, soit les services publics ou les entreprises nationales dont la commission d'enquête se propose d'examiner la gestion ».
L'exercice du « droit de tirage » pour la création d'une commission d'enquête ne dispense pas du contrôle de la recevabilité de la proposition de résolution tendant à cette création10(*).
Cette obligation de contrôle de recevabilité fut rappelée dès le rapport du sénateur Patrice Gélard sur la proposition de résolution ayant introduit le mécanisme du droit de tirage en juin 2009. Après avoir constaté que « la création de la commission d'enquête ne ferait pas l'objet d'un vote du Sénat » ; il indiquait ainsi que « la création de l'organe de contrôle serait donc automatique, sous réserve, pour les demandes de création d'une commission d'enquête, d'un contrôle de recevabilité minimal »11(*).
Elle a été fermement réaffirmée par le Conseil constitutionnel lorsqu'il a statué sur la conformité de ces dispositions à la Constitution12(*), et réitérée lors de l'introduction d'un dispositif similaire par l'Assemblée nationale13(*).
Aux termes de l'article 8 ter du Règlement du Sénat14(*), le contrôle de recevabilité d'une résolution tendant à la création d'une commission d'enquête est effectué par la commission des lois, qu'elle soit, ou non, saisie au fond de la proposition de résolution.
Article 8 ter du Règlement du Sénat
« 1. - Sous réserve de la procédure prévue à l'article 6 bis, la création d'une commission d'enquête par le Sénat résulte du vote d'une proposition de résolution, déposée, renvoyée à la commission permanente compétente, examinée et discutée dans les conditions fixées par le présent Règlement.
« 2. - Cette proposition détermine avec précision, soit les faits qui donnent lieu à enquête, soit les services publics ou les entreprises nationales dont la commission d'enquête se propose d'examiner la gestion.
« 3. - La commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale se prononce sur la recevabilité d'une proposition tendant à la création d'une commission d'enquête au regard des dispositions de l'article 6 de l'ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires.
« 4. - La proposition de résolution fixe le nombre des membres de la commission d'enquête, qui ne peut excéder vingt-trois.
« 4 bis. - Toutefois, lors de l'inscription à l'ordre du jour de l'examen de la proposition de résolution, la Conférence des Présidents peut décider de déroger à ce plafond, dans la limite de l'effectif minimal d'une commission permanente mentionné à l'article 7.
« 5. - Pour la désignation des membres des commissions d'enquête dont la création est décidée par le Sénat, une liste des candidats est établie par les présidents de groupe et le délégué des sénateurs ne figurant sur la liste d'aucun groupe, conformément à la règle de la proportionnalité. Il est ensuite procédé selon les modalités de constitution des commissions permanentes prévues aux alinéas 3 à 10 de l'article 8.
« 6. - Tout membre d'une commission d'enquête ne respectant pas les dispositions du IV de l'article 6 de l'ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 précitée relatives aux travaux non publics d'une commission d'enquête peut être exclu de cette commission par décision du Sénat prise sans débat sur le rapport de la commission après que l'intéressé a été entendu.
« 7. - En cas d'exclusion, celle-ci entraîne l'incapacité de faire partie, pour la durée du mandat, de toute commission d'enquête. »
Le contrôle de recevabilité par la commission des lois consiste à s'assurer du respect par la proposition de résolution de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 précitée, aux termes duquel :
- « les commissions d'enquête sont formées pour recueillir des éléments d'information soit sur des faits déterminés, soit sur la gestion des services publics ou des entreprises nationales » ;
- « il ne peut être créé de commission d'enquête sur des faits ayant donné lieu à des poursuites judiciaires et aussi longtemps que ces poursuites sont en cours » ;
- et les commissions d'enquête « ne peuvent être reconstituées avec le même objet avant l'expiration d'un délai de douze mois à compter de la fin de leur mission », l'emploi du terme « reconstitution » laissant à penser que ce principe de non bis in idem s'apprécie chambre par chambre et non à l'échelle du Parlement.
Enquête sur
des faits déterminés ou enquête sur la
gestion :
une procédure différenciée de
vérification de la recevabilité
En 1991, le législateur a regroupé15(*), sous l'unique dénomination globale de « commissions d'enquête », les anciennes commissions d'enquête et les commissions de contrôle (lesquelles avaient pour objet de contrôler spécifiquement le fonctionnement d'une entreprise nationale ou d'un service public).
Pour autant, cette unification d'ordre terminologique n'a pas remis en cause la dualité existante entre les anciennes commissions d'enquête stricto sensu, portant sur des faits, et les commissions d'enquête chargées de contrôler la gestion d'un service public ou d'une entreprise nationale, dualité qui entraîne une procédure différenciée de vérification de la recevabilité :
- en effet, dans la première hypothèse, c'est-à-dire en cas d'enquête sur des faits déterminés, la pratique traditionnellement suivie pour les anciennes commissions d'enquête continue d'être observée par la commission des lois : le président de la commission demande au Président du Sénat de bien vouloir interroger le garde des sceaux sur l'existence éventuelle de poursuites judiciaires concernant les faits en cause ;
- dans la seconde hypothèse, comme pour les anciennes commissions de contrôle, cette procédure de consultation du garde des sceaux ne s'impose pas en raison de l'objet même de la commission, qui est d'enquêter non sur des faits déterminés, mais sur la gestion d'un service public ou d'une entreprise nationale.
Par conséquent, lorsque la commission des lois est chargée d'examiner la recevabilité d'une proposition de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête, sa tâche consiste non seulement à déterminer si cette création entre bien dans le champ de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958, mais également si la consultation du garde des sceaux s'impose, ou non.
En outre, il convient de s'assurer que, conformément à l'alinéa 4 de l'article 8 ter du Règlement du Sénat, la proposition de résolution fixe le nombre des membres de la commission d'enquête, qui ne peut excéder vingt-trois.
Dans le cadre du « droit de tirage », ce contrôle de recevabilité doit s'opérer, le cas échéant, dans des conditions compatibles avec le délai, établi à l'alinéa 1 de l'article 6 bis du Règlement du Sénat, selon lequel la demande de création d'une commission d'enquête doit être formulée au plus tard une semaine avant la réunion de la Conférence des présidents qui doit prendre acte de cette demande.
III. LA POSITION DE LA COMMISSION DES LOIS : LA RECEVABILITÉ DE LA PROPOSITION DE RÉSOLUTION
Dans le cadre d'un « droit de tirage », la compétence de la commission des lois se limite strictement à l'examen de la recevabilité de la proposition de résolution, reposant sur l'évaluation du respect des critères précités.
A. UN EFFECTIF NE DÉPASSANT PAS VINGT-TROIS MEMBRES
L'article unique de la proposition de résolution n° 69 rect. (2025-2026), présentée par Antoinette Guhl et les membres du groupe Écologiste - Solidarité et Territoires (GEST), tend à la création d'une commission d'enquête de dix-neuf membres « sur les marges des industriels et de la grande distribution ».
L'effectif de la commission d'enquête n'excéderait donc pas la limite de vingt-trois membres fixée à l'article 8 ter du Règlement du Sénat.
B. UN OBJET NON TRAITÉ PAR UNE COMMISSION D'ENQUÊTE AU COURS DES DOUZE DERNIERS MOIS
À titre liminaire, il convient de noter que le Parlement bénéficie depuis le vote de la loi n° 2010-874 du 27 juillet 2010 de modernisation de l'agriculture et de la pêche des données et analyses de l'Observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires (OFPM), qui lui remet chaque année un rapport qui est rendu public. Le rapport pour l'année 2024, transmis au Parlement en juillet 2025, en constitue ainsi la quatorzième édition.
L'étude des marges des industriels et de la grande distribution et l'analyse de la formation des prix des denrées alimentaires ont déjà fait l'objet de nombreux travaux parlementaires, aussi bien dans le cadre de l'examen de projets ou de propositions de loi que dans le cadre des travaux de contrôle des commissions permanentes, en particulier la commission des affaires économiques.
Dans le domaine législatif, le Parlement a pu se prononcer à plusieurs reprises sur le sujet à l'occasion, notamment, de l'examen des lois n° 2018-938 du 30 octobre 2018 pour l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous et n° 2021-1357 du 18 octobre 2021 visant à protéger la rémunération des agriculteurs, dites « lois Égalim ». Ces lois ont notamment porté des mesures encadrant la formation des prix des produits agricoles. La commission des affaires économiques du Sénat a produit deux rapports de contrôle de suivi de l'application de ces lois, le premier publié en octobre 201916(*) et le second en novembre 202417(*).
En outre, un rapport d'information18(*) de la commission des affaires économiques du Sénat, publié en juillet 2022 et intitulé « Négociations commerciales et inflation : des tensions inédites, des pratiques contestables », a mis en avant « une baisse des marges [liée à l'inflation] affectant soit les agriculteurs, soit les industriels, soit les distributeurs ».
En parallèle des travaux de la commission des affaires économiques, la délégation sénatoriale aux outre-mer a étudié les marges de la grande distribution dans les territoires d'outre-mer, à l'occasion d'un rapport d'information19(*) publié en avril 2025 et consacré à la lutte contre la vie chère en outre-mer.
En revanche, aucune commission d'enquête formée au Sénat n'a porté à titre principal sur les marges des industriels et de la grande distribution20(*).
En conséquence, la proposition de résolution n° 69 rect. (2025-2026) ne saurait être considérée comme ayant pour objet de reconstituer une commission d'enquête ayant déjà achevé ses travaux au cours des douze derniers mois. Elle respecte, à cet égard, l'exigence posée par l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958.
Deux commissions d'enquête portant sur les marges de la grande distribution constituées à l'Assemblée nationale
Bien que cela n'ait pas de conséquence sur la recevabilité de la présente proposition de loi, peut être mentionnée, à titre informatif, la constitution, à l'Assemblée nationale, de deux commissions d'enquête sur les marges de la grande distribution. Toutes deux ont été formées au titre du « droit de tirage » des groupes politiques.
La première, demandée par le groupe alors nommé La République en marche, a rendu ses conclusions en 2019 et portait sur « la situation et les pratiques de la grande distribution et de leurs groupements dans leurs relations commerciales avec les fournisseurs ». Ce rapport d'enquête21(*) comportait de nombreux chiffres et analyses sur le niveau de marges de la grande distribution, le rapporteur, Grégory Besson-Moreau, estimant qu'elles étaient « structurellement faibles ».
Source : Assemblée nationale, commission d'enquête sur la situation et les pratiques de la grande distribution et de leurs groupements dans leurs relations commerciales avec les fournisseurs
La seconde, demandée par le groupe Socialistes et apparentés, a rendu ses conclusions en 2023 et portait sur « le coût de la vie dans les collectivités territoriales régies par les articles 73 et 74 de la Constitution ». Le rapporteur, Johnny Hajjar, concluait alors, en présentant des chiffres pour chaque groupe implanté dans les territoires d'outre-mer, qu'il était « indéniable que la concentration verticale de certains acteurs [de la grande distribution] leur permet une efficience et une accumulation de marges du fait de la puissance économique sur le marché »22(*).
C. UNE COMMISSION D'ENQUÊTE PORTANT SUR DES FAITS DÉTERMINÉS POUR LESQUELS AUCUNE PROCÉDURE JUDICIAIRE N'EST ENGAGÉE
Pour se prononcer sur la recevabilité de la proposition de résolution, la commission a également étudié, sans considération sur l'opportunité du contrôle, le champ d'investigation que prévoit la proposition de résolution pour la commission d'enquête, afin de vérifier s'il conduit à enquêter sur des faits déterminés ou sur la gestion d'un service public ou d'une entreprise nationale.
Dans son exposé des motifs, la proposition de résolution évoque les « réalités très concrètes » vécues par les « familles, [les] étudiants [et les] retraités, contraints de réduire la qualité de leur alimentation [et de] renoncer à certains produits de base » en raison de « l'explosion du coût de la vie » et, plus particulièrement, de « l'inflation alimentaire », que les auteurs de la proposition de résolution évaluent à 20 % entre 2021 et 2023.
Les auteurs estiment que cette situation « nourrit un sentiment d'injustice » dans la mesure où « les consommateurs paient plus chers [mais] les producteurs ne sont pas mieux rémunérés ». Autrement dit, les auteurs de la proposition de résolution s'interrogent sur les bénéficiaires finaux de cette hausse des prix alimentaires, étant souligné - toujours d'après les auteurs du texte - que « les marges des industriels et de la grande distribution demeurent opaques et leur poids dans le prix final reste insuffisamment connu ».
En conséquence, il est proposé, par cette commission d'enquête, de « disposer d'un état des lieux clair et actualisé de la formation des prix alimentaires » afin de « s'assurer que [ceux-ci] reflète[nt] une juste rémunération de tous les maillons de la chaîne, sans marges excessives au détriment des ménages ». Pour ce faire, la commission d'enquête devrait porter ses travaux sur « les marges des industriels, des supermarchés et des hypermarchés, y compris dans les filières bio » et devra « mesurer leur impact direct sur le pouvoir d'achat ».
Ces hypothèses et ces objectifs généraux étant fixés, le dispositif de la proposition de résolution confie avec plus de précision six « missions » à la commission d'enquête. De façon non exhaustive, celle-ci devra :
- analyser l'évolution et la constitution des prix de détail et des marges de la grande distribution ;
- mesurer l'écart entre le prix payé par le consommateur et la rémunération effectivement perçue par les producteurs et transformateurs ;
- examiner l'impact des pratiques commerciales et financières des distributeurs sur le prix final payé par les ménages ;
- évaluer si les dispositifs existants en matière de régulation de la concurrence protègent efficacement le consommateur contre les marges excessives et favorisent l'accès à une alimentation de qualité ,
- évaluer la contribution des représentants d'autres modèles de distribution à une meilleure transparence des prix, à une juste rémunération des producteurs et à l'accès des consommateurs à une alimentation de qualité ;
- et, enfin, formuler des recommandations pour garantir la transparence des prix, renforcer l'information des consommateurs et protéger leur pouvoir d'achat.
Bien que, au sein de ces six « missions », le dispositif de la proposition de résolution ne mentionne pas les industriels, ladite proposition de résolution a été rectifiée par ses auteurs le 31 octobre 2025 pour inclure dans le périmètre d'investigation de la commission d'enquête les marges réalisées par les industriels, à partir du constat selon lequel la formation des prix alimentaires peut aussi être déterminée par les marges desdits industriels.
Le rapporteur s'est interrogé sur la possibilité de créer une commission d'enquête sur un tel objet, dès lors que l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 précitée dispose qu'une commission d'enquête peut être constituée pour « recueillir des éléments d'information soit sur des faits déterminés, soit sur la gestion des services publics ou des entreprises nationales ». Ainsi, telle qu'elle est rédigée, l'ordonnance ne semble pas permettre la création d'une commission d'enquête sur tout sujet susceptible d'intéresser les parlementaires.
À l'évidence, les marges des industriels et de la grande distribution ne sont un sujet qui ne relève ni de la gestion d'un service public, ni de celle d'une entreprise nationale. Pour qu'elle soit recevable, la présente proposition de résolution doit donc se rattacher à des faits déterminés.
En premier lieu, le rapporteur a constaté que, si l'écrasante majorité des commissions d'enquête formées au Sénat au titre du droit de tirage a porté sur la gestion d'un service public lato sensu, deux précédents permettent d'éclairer l'appréciation de la recevabilité de la présente proposition de résolution au titre des « faits déterminés ».
En 2015, la commission des lois a déclaré recevable une proposition de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête portant sur le coût économique et financier de la pollution de l'air23(*), demandée par le groupe écologiste dans le cadre de son « droit de tirage ». La commission des lois, malgré quelques réserves émises par le rapporteur, Philippe Bas24(*) sur l'adéquation des pouvoirs d'enquête avec un tel sujet, a en effet estimé que le périmètre de la commission d'enquête portait bien sur des faits déterminés, « à savoir les coûts économiques et financiers de la pollution de l'air pour les collectivités publiques, les entreprises et la société dans son ensemble, liés notamment aux conséquences de la pollution de l'air sur la santé ». La commission avait notamment observé que « “le nombre inquiétant de morts prématurés chaque année, l'explosion des risques de pathologies cardiaques, vasculaires et respiratoires et l'augmentation concordante du nombre d'hospitalisations”, dont il [était] fait état dans l'exposé des motifs de la proposition de résolution, constitu[ai]ent bien des faits ».
En 2023, la commission des lois a également jugé recevable une proposition de résolution portant création d'une commission d'enquête sur l'utilisation du réseau social TikTok, son exploitation des données, sa stratégie d'influence, de propagande et de désinformation25(*), demandée par le groupe Les Indépendants - République et Territoires. Le rapporteur, François-Noël Buffet26(*) avait constaté que la commission devait porter ses investigations sur les contenus mis en avant par TikTok et les durées maximales d'utilisation de TikTok d'un territoire à l'autre, sur l'objet de ces différences de fonctionnement et sur le respect, par TikTok, de ses obligations en matière de protection des données à caractère personnel, ce qui constitue des faits déterminés.
En revanche, la commission des lois a jugé irrecevables deux propositions de résolution portant création d'une commission d'enquête portant sur des faits déterminés, non pas au motif que ces faits déterminés n'étaient pas suffisamment caractérisés, mais en raison de l'existence, signalée par le garde des sceaux, de procédures judiciaires engagées sur les faits justifiant la création de ces deux commissions d'enquête27(*).
En deuxième lieu, le rapporteur relève, bien que le Sénat ne soit pas lié par l'appréciation de l'Assemblée nationale, que celle-ci a, comme mentionné supra28(*), créé deux commissions d'enquête sur des sujets proches de celui qui est porté par la présente proposition de résolution. Ces deux commissions d'enquête ont été jugées recevables par la commission des lois de l'Assemblée nationale.
Enfin et surtout, le rapporteur constate que la proposition de résolution :
- respecte l'exigence de « précision » fixée à l'article 6 ter du Règlement du Sénat, le dispositif de la proposition de résolution établissant clairement le champ des investigations sur lesquelles reposeront les travaux de la commission d'enquête ;
- porte bien, au regard des précédents susmentionnés, sur des « faits déterminés » présentés aussi bien dans l'exposé des motifs que dans le dispositif de la proposition de résolution. En effet, la forte hausse de l'inflation alimentaire dont il est fait état dans l'exposé des motifs de la proposition de résolution, constitue bien un fait. De même, la proposition de résolution, en ciblant la constitution des prix et l'écart entre les prix payés par les consommateurs et par les producteurs et les consommateurs, vise des pratiques commerciales qui constituent, à nouveau des faits déterminés.
À ce titre, la proposition de résolution entre bien dans le champ défini par l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 précitée.
Il convient toutefois de vérifier que les faits en cause ne font pas l'objet de poursuites judiciaires les concernant. En sa qualité de président de la commission des lois, le rapporteur a sollicité le Président du Sénat, afin qu'il interroge le garde des sceaux sur l'existence éventuelle de poursuites judiciaires sur les faits en cause.
Par un courrier du 4 novembre 2025, le garde des sceaux a fait savoir au président du Sénat qu'aucune poursuite judiciaire, à sa connaissance, n'était en cours sur les faits ayant motivé le dépôt de la proposition de résolution.
Ainsi, la présente proposition de résolution entre bien dans le champ défini par l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 précitée, au titre de faits déterminés ne donnant pas lieu à des poursuites judiciaires.
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Dès lors, la commission des lois a constaté que la proposition de résolution n° 69 rect. (2025-2026) est recevable.
Il n'existe donc aucun obstacle à la création de cette commission d'enquête par la procédure du « droit de tirage ».
EXAMEN EN COMMISSION
Mme Muriel Jourda, présidente, rapporteur. - Le groupe Écologiste - Solidarité et Territoires a demandé la création d'une commission d'enquête au titre de son « droit de tirage » sur les marges des industriels et de la grande distribution.
Notre commission doit se prononcer sur la recevabilité de cette proposition de résolution, qui sera présentée à la Conférence des présidents cet après-midi.
Je précise, comme il est d'usage, que nous ne devons aucunement en examiner l'opportunité, bien que, compte tenu de son objet, nous puissions nous interroger sur le choix de créer une commission d'enquête plutôt qu'une mission d'information.
Ce texte respecte les conditions fixées à l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires et par le Règlement du Sénat.
En premier lieu, la proposition de résolution n'a pas pour effet de reconstituer une commission d'enquête sénatoriale ayant achevé ses travaux depuis moins de douze mois, notamment puisque, bien que la commission des affaires économiques ait souvent travaillé sur le sujet, aucune commission d'enquête n'a été créée au Sénat pour étudier spécifiquement les marges des industriels et de la grande distribution. À titre informatif, l'Assemblée nationale a formé deux commissions d'enquête sur des thèmes proches, l'une en 2019 sur « la situation et les pratiques de la grande distribution et de ses groupements dans leurs relations commerciales avec les fournisseurs » et l'autre en 2023 sur « le coût de la vie dans les collectivités territoriales régies par les articles 73 et 74 de la Constitution ».
Toutefois, outre que ces commissions d'enquête ont rendu leurs travaux depuis plus de douze mois, cette condition de recevabilité s'apprécie au sein de la seule chambre concernée, comme l'illustre l'emploi du terme « reconstituer » dans l'ordonnance du 17 novembre 1958.
En deuxième lieu, la proposition de résolution respecte la condition d'effectif, en ne dépassant pas la limite de vingt-trois membres fixée à l'article 8 ter de notre Règlement.
En troisième lieu, enfin, vous le savez, une commission d'enquête doit porter soit sur des faits déterminés, soit sur la gestion d'un service public ou d'une entreprise nationale. En l'espèce, et bien que cela soit plutôt rare en comparaison de l'écrasante proportion de commissions d'enquête portant sur la gestion d'un service public, la commission d'enquête demandée par nos collègues écologistes concerne bien des faits déterminés, à savoir les marges des industriels et de la grande distribution ainsi que les pratiques qui entourent la constitution de ces marges, lesquelles s'apprécient notamment au regard de la forte hausse de l'inflation alimentaire qu'a connue la France au cours des dernières années.
Par ailleurs, je note que la proposition de résolution confie, dans son dispositif, six « missions » détaillées que devra effectuer cette commission d'enquête. À ce titre, elle respecte l'exigence de « précision » qui résulte de l'article 6 ter du Règlement du Sénat, puisque le champ des investigations sur lesquelles reposeront les travaux de la commission d'enquête est clairement établi.
Lorsqu'une commission d'enquête porte sur des faits déterminés, la procédure prévoit qu'il y a lieu de solliciter le président du Sénat afin qu'il interroge le garde des sceaux sur l'existence éventuelle de poursuites judiciaires en cours, ce qui a été fait. Le garde des sceaux a estimé qu'il n'existait, à sa connaissance, aucune poursuite judiciaire sur les faits ayant motivé le dépôt de la proposition de résolution.
Je vous invite donc à constater la recevabilité de cette proposition de résolution.
La commission constate la recevabilité de la proposition de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête sur les marges de la grande distribution.
* 1 Introduites initialement le 2 juin 2009 à la suite de l'adoption de la résolution n° 85 (2008 - 2009) tendant à modifier le Règlement du Sénat pour mettre en oeuvre la révision constitutionnelle, conforter le pluralisme sénatorial et rénover les méthodes de travail du Sénat, ces dispositions figurent désormais à l'article 6 bis du Règlement du Sénat.
* 2 Dispositions introduites en mai 2015.
* 3 Ce chiffre n'inclut pas les travaux d'enquête conduits par les commissions permanentes auxquelles sont conférées, sur le fondement de l'article 22 ter du Règlement du Sénat, les prérogatives attribuées aux commissions d'enquête.
* 4 Proposition de résolution n° 101 (2017-2018) tendant à la création d'une commission d'enquête sur la prise en charge des djihadistes français et de leurs familles de retour d'Irak et de Syrie.
* 5 Proposition de résolution n° 24 (2018-2019) tendant à la création d'une commission d'enquête sur le traitement des abus sexuels sur mineurs et des faits de pédocriminalité commis dans une relation d'autorité, au sein de l'Église catholique, en France.
* 6 Résolution du 28 novembre 2014.
* 7 Articles 141, alinéa 2, et 145, alinéa 5, du Règlement de l'Assemblée nationale.
* 8 Articles 143, alinéa 3, et 145, alinéa 5, du Règlement de l'Assemblée nationale, dans leur rédaction résultant de la résolution n° 281 du 4 juin 2019.
* 9 Rapport n° 1955 (Assemblée nationale - XVe législature) de Sylvain Waserman sur la proposition de résolution de Richard Ferrand tendant à modifier le Règlement de l'Assemblée nationale, p. 142.
* 10 Comme le rappelle explicitement l'alinéa 2 de l'article 6 ter : « Les alinéas 3, 4 et 5 à 7 de l'article 8 ter relatifs au contrôle de la recevabilité de la proposition de résolution, à la détermination de la composition, à la désignation des membres et au fonctionnement de la commission d'enquête sont applicables. »
* 11 Ce rapport est consultable à l'adresse suivante : http://www.senat.fr/rap/l08-427/l08-427.html.
* 12 Décision n° 2009-582 DC du 25 juin 2009, Résolution tendant à modifier le règlement du Sénat pour mettre en oeuvre la révision constitutionnelle, conforter le pluralisme sénatorial et rénover les méthodes de travail du Sénat, considérants 5 et 6. Le Conseil constitutionnel appuie cette exigence sur « le principe de séparation des pouvoirs ».
* 13 Décision n° 2014-705 DC du 11 décembre 2014, Résolution tendant à modifier le règlement de l'Assemblée nationale.
* 14 Cet article a été amendé par la résolution n° 102 (2024 - 2025), présentée par Gérard Larcher, tendant à renforcer les moyens de contrôle des sénateurs, conforter les droits des groupes politiques, et portant diverses mesures de clarification et de simplification, et adoptée le 8 avril 2025. Les modifications apportées à cet article ont consisté à préciser les conditions dans lesquelles est contrôlée la recevabilité des créations de commissions d'enquêtes à l'aune des exigences posées par l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, en prévoyant expressément que ce contrôle est assuré par la seule commission des lois, qui se prononce de façon définitive.
* 15 Loi n° 91-698 du 20 juillet 1991 tendant à modifier l'article 6 de l'ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relatif aux commissions d'enquête et de contrôle parlementaires.
* 16 Rapport d'information n° 89 (2019-2020) fait par Daniel Gremillet, Michel Raison et Anne Catherine Loisier au nom de la commission des affaires économiques, dressant un bilan du titre Ier de la loi Egalim un an après sa promulgation, déposé le 30 octobre 2019.
* 17 Rapport d'information n° 156 (2024 - 2025) fait par Daniel Gremillet et Anne-Catherine Loisier au nom de la commission des affaires économiques, sur le suivi des lois Egalim, déposé le 20 novembre 2024.
* 18 Rapport d'information n° 799 fait par Daniel Gremillet et Anne-Catherine Loisier au nom de la commission des affaires économiques, relatif à l'inflation et aux négociations commerciales, déposé le 19 juillet 2022.
* 19 Rapport d'information n° 514 fait par Viviane Artigalas, Jocelyne Guidez, Micheline Jacques, Évelyne Perrot, Teva Rohfritsch et Dominique Théophile au nom de la délégation sénatoriale aux outre-mer, relatif à la lutte contre la vie chère en outre-mer, déposé le 3 avril 2025.
* 20 Toutefois, la commission d'enquête sur l'utilisation des aides publiques aux grandes entreprises et à leurs sous-traitants, qui a rendu ses conclusions en juillet 2025, a brièvement évoqué le sujet des marges dans la grande distribution en outre-mer, tout en soulignant que « la commission d'enquête [...] n'avait pas pour mission d'identifier les facteurs à l'origine des prix élevés dans ces territoires ».
* 21 Rapport n° 2268 (Assemblée nationale - XVe législature) fait par Grégory Besson-moreau au nom de la commission d'enquête sur la situation et les pratiques de la grande distribution et de ses groupements dans leurs relations avec leurs fournisseurs, déposé le 25 septembre 2019.
* 22 Rapport n° 1549 (XVIe législature) fait par Johnny Hajjar au nom de la commission d'enquête sur le coût de la vie dans les collectivités territoriales régies par les articles 73 et 74 de la Constitution, déposé le 20 juillet 2023.
* 23 Rapport n° 610 (2014 - 2015) fait par Leila Aïchi au nom de la commission d'enquête sur le coût économique et financier de la pollution de l'air, déposé le 8 juillet 2015.
* 24 Avis n° 292 (2014 - 2015) fait par Philippe Bas au nom de la commission des lois, sur la proposition de résolution tendant à créer une commission d'enquête sur le coût économique et financier de la pollution de l'air, déposé le 11 février 2015.
* 25 Proposition de résolution n° 303 (2022-2023), présentée par Claude Malhuret et les membres du groupe Les Indépendants - République et Territoires, tendant à créer une commission d'enquête sur l'utilisation du réseau social TikTok, son exploitation des données, sa stratégie d'influence.
* 26 Avis n° 325 (2022 - 2023), fait au nom de François-Noël Buffet au nom de la commission des lois, sur la proposition de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête sur l'utilisation du réseau social TikTok, son exploitation des données, sa stratégie d'influence.
* 27 Il s'agit des demandes de création d'une commission d'enquête portant :
- en 2017, sur la prise en charge des djihadistes français et de leurs familles de retour d'Irak et de Syrie. Des procédures judiciaires étaient alors diligentées sous la qualification d'association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste, au parquet de Paris ainsi qu'au pôle antiterroriste du tribunal de grande instance de Paris, concernant des individus de retour de la zone irako-syrienne ;
- et, en 2018, sur le traitement des abus sexuels sur mineurs et des faits de pédocriminalité commis dans une relation d'autorité, au sein de l'Église catholique en France. À nouveau, des procédures judiciaires étaient alors diligentées sous les qualifications de corruption de mineurs, d'agressions sexuelles sur mineur de quinze ans par personne ayant autorité, de viols sur mineur de quinze ans par personne ayant autorité ou sur personne vulnérable, ou encore de non-dénonciation et de non-assistance à personne en péril.
* 28 Voir le III-B.
