III. LA SAISINE DE LA CJUE, ULTIME RECOURS POUR EMPÊCHER LA RATIFICATION D'UN ACCORD LARGEMENT DÉCRIÉ POUR SON IMPACT ENVIRONNEMENTAL ET SES CONSÉQUENCES PRÉJUDICIABLES POUR L'AGRICULTURE EUROPÉENNE

En dépit du caractère factice des garanties apportées par la Commission européenne, plusieurs États membres semblent désormais envisager un vote en faveur de l'accord. De son côté, la France n'a toujours pas défini sa position officielle ; comme l'a rappelé M. Benjamin Haddad, ministre délégué auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargé de l'Europe, devant le Sénat le 12 novembre dernier, c'est à l'aune de trois exigences que la France se déterminera sur la question du Mercosur.

Conditions posées par la France pour soutenir
l'accord UE-Mercosur

1. l'ajout d'une clause de sauvegarde « robuste, effective et activable » pour protéger les marchés agricoles européens contre les déstabilisations ;

2. l'instauration de mesures miroirs sur les pesticides et l'alimentation animale, empêchant l'importation en Europe de produits agricoles moins-disant que les normes européennes ;

3. un renforcement des contrôles sanitaires sur les produits importés et dans les pays exportateurs, pour s'assurer du respect effectif des normes européennes.

A. LA PROPOSITION DE RÉSOLUTION EUROPÉENNE DÉPOSÉE AU SÉNAT : UNE DÉMARCHE FORTE VISANT À DEMANDER AU GOUVERNEMENT FRANÇAIS DE RÉAFFIRMER SON OPPOSITION À L'ACCORD ET DE SAISIR LA COUR DE JUSTICE DE L'UNION EUROPÉENNE

MM. Jean-François Rapin, Cédric Perrin et Mme Dominique Estrosi Sassone, respectivement présidents de la commission des affaires européennes, de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, et de la commission des affaires économiques, ont déposé le 30 octobre dernier une proposition de résolution européenne (PPRE) visant à demander au Gouvernement français de saisir la Cour de justice de l'Union européenne pour empêcher la ratification de l'accord avec le Mercosur.

Une résolution similaire a été déposée le 14 novembre dernier au Parlement européen mais a été déclarée irrecevable. La PPRE examinée par le Sénat apparaît donc d'autant plus importante.

Alors que, s'agissant de l'accord UE-Mercosur, les récentes déclarations du Gouvernement français se sont révélées pour le moins ambivalentes, voire franchement alarmantes, la PPRE déposée au Sénat vise à clarifier la position de la France, en demandant au Gouvernement de s'opposer à la signature de l'accord et de saisir la CJUE au sujet de sa compatibilité avec les traités européens, comme l'y autorise l'article 218, alinéa 11, du TFUE. Cette demande de saisine se fonde sur trois moyens distincts.

1. La décision de scinder l'accord

Le premier moyen invoqué porte sur la conformité de la décision de scinder l'accord avec les traités et directives de négociations émises par le Conseil.

En effet, l'article 218 du TFUE stipule que le Conseil « autorise l'ouverture des négociations, arrête les directives de négociation » et peut « adresser des directives au négociateur ».

En l'espèce, les directives de négociation adoptées en 1999 autorisaient la négociation d'un accord d'association avec les pays du Mercosur, exigeant l'unanimité du Conseil et la ratification des parlements nationaux. Le Conseil a par ailleurs pris soin de rappeler, dans des conclusions adoptées en 201810(*), qu'il lui appartenait de « décider, au cas par cas, de la scission des accords commerciaux » et que les accords commerciaux « en cours de négociation, par exemple avec le Mexique, le Mercosur et le Chili rester[aient] des accords mixtes ».

Or, non seulement la Commission a choisi de scinder l'accord en présentant deux textes juridiques distincts, mais en plus, elle n'a pas proposé à la conclusion du Conseil un accord d'association avec les pays du Mercosur, mais un accord de partenariat, pour lequel la règle de vote retenue au Conseil est la majorité qualifiée et non l'unanimité.

Dès lors, l'architecture juridique retenue par la Commission pourrait être considérée comme incompatible avec les stipulations du TFUE relatives au respect des directives de négociation émises par le Conseil.

Elle pourrait également se révéler contraire aux principes de répartition des compétences, d'équilibre entre les institutions et de coopération loyale entre l'Union et ses États membres.

2. Le mécanisme de rééquilibrage

Le deuxième moyen invoqué concerne la conformité du mécanisme de rééquilibrage avec les articles des traités portant sur la protection des consommateurs, de l'environnement ou de la santé publique.

En effet, la menace d'un recours à ce mécanisme pourrait être utilisée par les pays du Mercosur pour faire pression sur l'Union afin qu'elle retire ou suspende la mise en oeuvre de la législation existante, ou s'abstienne d'adopter de nouvelles réglementations en matière de climat, d'environnement, de sécurité alimentaire ou encore de produits phytosanitaires, alors même que les traités européens imposent d'intégrer les exigences environnementales à l'ensemble des politiques publiques, de garantir un niveau élevé de protection de la santé humaine, de veiller à la défense des consommateurs et de promouvoir le développement durable à l'échelle mondiale.

3. Le principe de précaution

Le troisième et dernier moyen retenu se rapporte à la compatibilité de l'accord avec l'application du principe de précaution.

Il existe en effet des différences réglementaires importantes entre l'Union européenne et les pays du Mercosur, en matière de production alimentaire et de normes sanitaires et vétérinaires.

Or, non seulement l'accord ne comporte aucune disposition spécifique relative à l'alimentation des animaux, l'emploi de médicaments vétérinaires dans les élevages, le bien-être animal ou encore l'utilisation de produits phytosanitaires, mais en plus le chapitre relatif aux mesures sanitaires et phytosanitaires de l'accord prévoit une simplification et un allègement des contrôles.

Si l'accord UE-Mercosur mentionne explicitement la possibilité d'adopter des mesures fondées sur le principe de précaution, cette prérogative se révèle très encadrée :

• la définition retenue pour le principe de précaution demeure lacunaire, ne couvrant expressément ni la sécurité sanitaire des aliments, ni la santé humaine ;

• les stipulations du chapitre sur les mesures sanitaires et phytosanitaires - comme l'obligation de produire une justification scientifique ou de notifier les mesures envisagées - tendent à limiter l'application effective du principe.

Rien n'empêchera, par ailleurs, les pays du Mercosur de recourir au mécanisme d'arbitrage prévu par l'accord ou au mécanisme de règlement des différends de l'OMC pour contester l'application de mesures sanitaires ou phytosanitaires fondées sur le principe de précaution et obtenir leur retrait.


* 10 Conclusions du Conseil du 22 mai 2018.

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