ARTICLE 4 - Champ d'application de l'abattement de 8.000 /16.000 F applicable aux revenus de capitaux mobiliers
Commentaire : cet article a pour objet de réduire le champ d'application de l'abattement applicable actuellement à la plupart des revenus mobiliers. Afin de recentrer la dépense fiscale au profit de placements à risque, celui-ci serait désormais réservé aux seuls dividendes et intérêts de comptes courants d'associés assimilables à des fonds propres.
I - LE DISPOSITIF EN VIGUEUR
L'article 158-3 du code général des impôts prévoit que certains revenus mobiliers sont pris en compte pour déterminer le revenu imposable après déduction d'un abattement de 8.000 francs pour un célibataire et de 16.000 francs pour un couple marié. Ces revenus sont :
- les dividendes d'actions de société françaises, cotées ou non, à l'exclusion de celles dont la souscription a donné lieu à la réduction d'impôt prévue en faveur des investissements Outre-mer (11 ( * )) ;
- les revenus d'obligations, titres participatifs et autres titres d'emprunt négociables (par exemple les emprunts d'État) émis par une entreprise ou une collectivité française, à condition que ces valeurs ne soient pas assorties d'une cluse d'indexation visée à l'article 6 ter de l'annexe IV du code général des impôt ;
- les revenus des fonds salariaux, des obligations des sociétés nationalisées et des parts de fonds commun de créance ;
- les intérêts et plus-values des titres de créance négociables, de bons du Trésor et assimilés, de bons de caisse émis par les établissements de crédits et de comptes à terme définis par le comité de réglementation bancaire, pour l'imposition des revenus de 1994 et des années suivantes ;
- - pour les mêmes années, les produits de parts de SARL ou d'EARL et les produits de parts des bénéficiaires ou des fondateurs si les produits correspondants sont encaissés par des personnes détenant directement ou indirectement moins de 35 % des droits sociaux de l'émetteur ;
- pour les mêmes années, les gains nets retirés des cessions de titres d'OPCVM monétaires ou obligataires de capitalisation ;
- enfin, à compter du 1 er août 1995, les intérêts des comptes courants d'associés qui sont destinés à être incorporés au capital dans un délai de cinq ans.
II - LE PROJET DE LOI
Le présent article propose, dans son paragraphe I, de ne réserver désormais l'abattement de 8.000 / 16.000 francs qu'à trois catégories de revenus parmi celles actuellement exigibles :
- les dividendes d'actions françaises, tels que définis précédemment. Ceux-ci pourront continuer à être perçus directement ou indirectement par le biais de sociétés fiscalement transparentes telles que les sociétés de personnes. Dans le cadre des sociétés immobilières d'investissements et des OPCVM actions, seule la fraction de la distribution provenant de dividendes d'actions de sociétés françaises pourra logiquement bénéficier de l'abattement ;
- les produits de parts de SARL ou d'EARL tels que définis précédemment ;
- les intérêts des sommes inscrites en comptes courants bloqués d'associés et qui sont destinées à être incorporées au capital dans un délai de cinq ans.
Les autres catégories de revenus réintègrent en quelque sorte le régime de droit commun et seront donc désormais taxés au premier franc, sur option, au prélèvement forfaitaire libératoire de 15 % majoré des prélèvement sociaux (2 %) et de la contribution sociale généralisée (2,4%), soit 19,4 %.
Les gains nets retirés de la cession de parts ou actions d'OPCVM de titres de taux de capitalisation seront imposés selon les règles de l'article 92 B du code général des impôts, c'est à dire au taux proportionnel de 16 % auquel s'ajoutent le prélèvement social (1%) et la CSG (2,4 %) soit 19,4 %.
Le nouveau champ d'application de l'abattement prend effet pour l'imposition des revenus de l'année 1996 et des années suivantes.
Le rendement budgétaire attendu de cette mesure est de l'ordre de 2,5 milliards de francs en année pleine. Toutefois, ce chiffrage ne tenant pas compte de l'intégration dans le prélèvement de produits nouveaux (TCN...), on peut penser que le rendement réel sera plus élevé.
Le paragraphe II du présent article a une portée rédactionnelle. En effet, l'article 125 A du code général des impôts qui organise le prélèvement libératoire dresse la liste des revenus et produits éligibles. S'agissant des obligations, il exclut du champ du prélèvement celles qui sont visées au premier paragraphe du troisième alinéa du 3 de l'article 158 du même code, c'est à dire celles qui sont assorties d'une clause d'indexation et dont la liste est fixée par arrêté. Ces dernières dispositions étant abrogées par le paragraphe I du présent article, il est proposé d'harmoniser la rédaction de l'article 125 A et de faire simplement référence aux obligations dont le capital et l'intérêt sont indexés, avec une formulation déjà utilisée au sein du même article.
L'Assemblée nationale a adopté cet article sans modification.
III - LA POSITION DE VOTRE COMMISSION
Le présent article réforme de façon substantielle la fiscalité de l'épargne et prend, apparemment, le contre-pied des objectifs poursuivis en la matière depuis près de dix ans.
En effet, le maître mot des réformes fiscales qui se sont succédées depuis le milieu des années 1980 était celui de la neutralité. Cet objectif repose sur l'idée que si la fiscalité est impuissante pour susciter une augmentation du volume de l'épargne, en revanche elle permet d'influer très directement sur sa structure. Or l'action de la fiscalité en ce domaine peut être néfaste en engendrant une hiérarchie des placements sans rapport avec leur utilité économique.
Sur ces fondements théoriques, l'action des différents Gouvernements qui se sont succédés a été d'aller vers le maximum de neutralité en matière de fiscalité de l'épargne. C'est ainsi que les articles 81 de la loi de finances pour 1994 et 4 de la loi de finances rectificative pour 1995 ont permis d'intégrer dans "l'enveloppe" constituée par l'abattement des 8.000/16.000 F, les revenus de l'épargne qui ne l'étaient pas encore : intérêts et plus values des titres de créance négociables, de bons du Trésor et assimilés (...) , les produits de parts de SARL ou d'EARL, les gains nets retirés des cessions des titres d'OPCVM et enfin, les intérêts des comptes courants d'associés, destinés à être incorporés au capital dans un délai de cinq ans.
Poursuivant dans cette logique, la Commission d'études des prélèvements fiscaux et sociaux, plus connue sous le nom de son Président, M. Bernard Ducamin, avait proposé l'an dernier, de poursuivre cette orientation jusqu'à son terme en suggérant de faire entrer dans le champ de l'abattement l'ensemble des revenus mobiliers, y compris les produits des livrets défiscalisés et l'ensemble des plus-values de cession.
A rebours de ces orientations, le présent article participe d'une logique plus interventionniste, puisqu'il vise à inciter les épargnants à détenir telle forme d'épargne, en l'occurrence les actions, plutôt que d'autres.
La nouvelle fiscalité de l'épargne apparaît ainsi de façon claire :
- les produits des actions et des titres assimilés bénéficient d'une fiscalité avantageuse dont les deux éléments sont le plan d'épargne en actions et l'abattement de 8.000 / 16.000 francs ;
- les produits de taux sont taxés au premier franc soit à 19,4 %, au titre du prélèvement libératoire s'il s'agit de revenus distribués, au titre de l'impôt à taux proportionnel, dans le cas de revenus capitalisés, soit au taux marginal d'imposition lorsque il est inférieur.
Votre Rapporteur général émet pour cet article, les mêmes réserves que celles émises pour l'article précèdent.
D'une part, il est regrettable que cette réforme ponctuelle, mais importante, ne soit pas liée à la réforme d'ensemble de l'impôt sur le revenu et que le Parlement soit ainsi conduit à effectuer des choix irrévocables sur un projet dont il ignore l'essentiel.
D'autre part, il est dommageable pour la stabilité du cadre fiscal de l'épargne et le principe de sécurité juridique invoqué précédemment, que cette réforme intervienne un an après que la longue marche vers la neutralité fiscale ait seulement commencé à porter ses fruits. Il y a là, un changement radical d'orientation de nature à désorienter plus d'un épargnant.
En outre, votre Rapporteur général craint qu'une telle réforme ne soit que peu efficace.
En effet, les placements en actions bénéficient d'ores et déjà d'un avantage substantiel par l'intermédiaire des plans d'épargne en actions (PEA), qui permettent à un épargnant célibataire de placer, à condition de les détenir pendant au moins cinq ans, 600.000 francs en actions, (1,2 million pour un couple marié) en exonération totale d'impôt sur le revenu. Il s'agit là d'un instrument fiscal intelligent qui concerne environ 2,8 millions d'épargnants. (12 ( * ))
Maintenir, dans ces conditions, l'abattement de 8.000 / 16.000 francs au profit des seuls placements en actions et assimilées, supposerait que les épargnants saturent déjà ce dispositif ce qu'il faut en convenir, ne s'adresse pas forcément à la petite épargne. De surcroît, il faudrait pour bénéficier à plein de cet abattement investir, sur la base des informations fournies par le ministère de l'économie et des finances, 250.000 francs supplémentaires en actions. Il y a donc un risque fort que la mesure ne permette pas de réorienter de façon substantielle l'épargne française vers le placement en fonds propres.
Surtout, une telle réforme aboutirait à ce que l'épargne liquide, celle placée sur les livrets A de la Poste, les livrets de caisse d'épargne, les comptes pour le développement industriel (CODEVI) et les comptes d'épargne logement, soit beaucoup mieux traitée, parce que totalement défiscalisée, que les obligations qui constituent le socle de l'épargne longue en France.
On pourrait objecter à cela que les obligations et les autres produits de taux continueront de bénéficier du prélèvement libératoire, et qu'aux niveaux actuels de taux, le rendement après impôt des obligations reste supérieur à celui des produits défiscalisés.
Mais une telle objection ne prend pas en compte l'évolution tendancielle des taux d'intérêt à long terme qui, quoiqu'on en dise, reste fondamentalement orientée à la baisse. Ainsi, depuis le début de l'année, le taux d'émission des obligations assimilables du Trésor (OAT) émises à 10 ans a décru régulièrement de 8,18% à 7,41 %, ce qui représente un taux de rendement après impôts de 5,97 %. Un différence d'ores et déjà aussi faible et appelée de surcroît à diminuer suffira-t-elle à payer le "renoncement à la liquidité" ? On peut en douter.
Il est vrai qu'en théorie, une baisse des taux de l'épargne administrée, au fur et à mesure de la décrue tant espérée des taux d'intérêt, dans le but de maintenir l'écart de rendement entre l'épargne longue et l'épargne liquide est toujours envisageable. Mais une mission d'information de la Commission des finances du Sénat a mis en évidence, il n'y a pas si longtemps, le caractère politique inhérent à la gestion de ces taux (13 ( * )) Les récentes déclarations du ministre de l'économie, estimant que la baisse de rémunération des taux du livret A n'était pas d'actualité, ne font, hélas, que conforter ces conclusions.
Enfin, une telle mesure fait courir un risque non négligeable de fragilisation du marché primaire des obligations au moment même où l'État a besoin de recourir à l'emprunt pour financer ses déficits. L'exemple récent du Trésor britannique, embarrassé pour placer ses obligations, montre que, passé un certain seuil, même les États peuvent rencontrer des difficultés pour emprunter.
Il y a donc dans cette réforme une cohérence discutable, qui suscite des interrogations et appelle un vrai débat.
Pour ces raisons votre Rapporteur général vous proposera un amendement tendant à supprimer l'article 4 dans sa rédaction actuelle.
Toutefois, afin de ne pas aggraver le déséquilibre du projet de loi de finances, votre Rapporteur général vous propose également de compenser la perte de recettes résultant du rétablissement de l'abattement des 8.000 / 16.000 francs par une augmentation de un point du taux du prélèvement libératoire. Une telle mesure présente en outre l'avantage par rapport au projet du Gouvernement, de ne pas porter atteinte au principe de la neutralité fiscale, si péniblement atteint.
Décision de la commission : la commission a décidé de reporter à une date ultérieure sa décision sur les amendements proposés.
* 11 Pour les sociétés non cotées, les dividendes perçus depuis le 1 er janvier 1988 sont exclus du bénéfice de l'abattement lorsque le contribuable détient directement ou indirectement plus de 25 % des droits de la société distributrice.
* 12 Selon la dernière enquête effectuée par la Banque de France, la valeur moyenne d'un PEA était de l'ordre de 61.000 francs en mars 1995. Par comparaison, celle du compte-titres moyen dans l'enquête titres était d'environ 140.000 francs.
* 13 Rapport Sénat n° 298,1994-1995 annexé au procès-verbal de la séance du 24 mai 1995, : "Les CODEVI une nécessaire remise en ordre"par MM. Paul Loridant et Philippe Marini.-