II. POUR UNE RÉORGANISATION DE L'ACTION AUDIOVISUELLE EXTÉRIEURE
Combien de foyers dans le monde regarderont, dans vingt ans, les programmes français ?
Cette interrogation doit inspirer toute politique de l'audiovisuel extérieur.
Depuis toujours, l'action culturelle de l'État a été conçue de façon missionnaire. La France se devait de faire don de sa culture aux peuples étrangers, en échange de quoi elle espérait gagner en prestige et en influence, mais n'attendait rien en devises.
Les États-Unis, en revanche, ont compris la place que l'exportation de produits et de services audiovisuels pouvait tenir dans leur balance commerciale. Ils n'entretiennent ni services culturels dans leurs ambassades, ni administration centrale des relations culturelles, ne financent aucun opérateur public dans l'action audiovisuelle extérieure. Malgré cela, la culture nord-américaine s'exporte mieux que toute autre et participe au rayonnement économique, politique et diplomatique de ce pays.
Dans le mesure où l'action audiovisuelle extérieure coûte au budget de l'État plus d'un milliard de francs et qu'elle est essentiellement le fait d'opérateurs publics, il est nécessaire d'examiner avec attention si cette dépense apparaît justifiée, utile et efficace.
11 est donc opportun de réfléchir sur ce qui a été fait et de proposer des orientations qui permettraient de :
- clarifier les objectifs,
- rendre l'action plus efficace, en éliminant les doublons,
- bien gérer les deniers publics.
A. QUELLE DOCTRINE POUR L'ACTION AUDIOVISUELLE EXTÉRIEURE ?
La France est l'un des rares États européens à s'être doté d'une diplomatie culturelle qu'est venue renforcer, depuis 1989, une politique audiovisuelle extérieure, dont le caractère prioritaire a été affirmé, en 1994, grâce au plan quinquennal pour l'audiovisuel extérieur 1994-1998, qui doit conduire au renforcement des moyens budgétaires passant de 900 millions de francs à 1 500 millions de francs.
L'audiovisuel est, en effet, un moyen d'affirmer la place de la France dans le monde. Les opérateurs doivent diffuser en Français, mais aussi dans d'autres langues, des programmes de qualité et adaptés aux besoins des publics visés.
La France s'est dotée d'opérateurs spécifiques pour l'action audiovisuelle internationale. En effet, les sociétés nationales ne sont pas armées pour la diffusion internationale en raison du contenu de leurs émissions et du coût des droits. Tels sont les deux principaux obstacles à leur action à l'étranger.
L'action audiovisuelle extérieure a donc été confiée à des sociétés de télévision et de radio créées au cours des années 1980 : TV5 d'abord, chaîne de télévision multilatérale diffusée par satellite sur les réseaux câblés ; Canal France International ensuite, banque d'images sur satellite ; enfin Radio France Internationale, la voix de la France à l'étranger.
Ces trois sociétés, auxquelles il convient d'ajouter les filiales radiophoniques de la SOFIRAD, ont effectué une percée remarquable à l'étranger. Mais elles sont encore fragiles et doivent être mieux coordonnées sans perdre la souplesse et leurs caractéristiques propres qui les ont servies jusqu'à présent.
L'action audiovisuelle extérieure doit se doter d'une doctrine cohérente et des moyens appropriés. Cette doctrine doit tenir compte des principes suivants :
- L'action audiovisuelle extérieure doit poursuivre un triple objectif : à côté des émissions de souveraineté, incarnées par le service mondial en français de RFI, doivent se développer des actions de coopération, d'expertises et d'appuis financiers ;
- Les programmes doivent être adaptés à des publics aussi nombreux que différents et la régionalisation des émissions doit constituer l'un des objectifs prioritaires Mais il ne faut guère se faire d'illusion : l'impact de diffuseurs étrangers est faible sur tous les marchés nationaux et n'occupent, au mieux que 1,5 % de parts de marché ;
- L'audiovisuel français doit refléter la culture et l'économie françaises. Il ne doit pas s'enfermer dans un « ghetto » culturel, mais doit, au contraire, s'insérer au sein de la panoplie de notre politique globale d'exportation.
- l'offre de programmes doit se diversifier grâce à la constitution de banquets satellitaires associant des chaînes musicales, sportives, informatives, documentaires. Cette action ne pourra se faire qu'avec l'appui du secteur privé et en coordination avec lui. Les budgets nécessaires dépassent, en effet, les possibilités de l'État seul et les contribuables n'ont pas les moyens de financer tous les programmes nécessaires pour concurrencer efficacement les milliers de chaînes existant à travers le monde.
Il est, par conséquent, nécessaire d'intégrer dans une réflexion sur l'audiovisuel extérieur le rôle joué par les opérateurs privés, comme Canalsatellite ou le Club RTL, bouquet numérique francophone que s'apprête à lancer sur Astra la CLT.
La France doit faire entendre sa voix en sachant bien qu'elle ne pourra être tonitruante et que, la plupart du temps, il s'agira d'une personne discrète. En effet, il ne faut guère se faire d'illusion : l'impact des diffuseurs étrangers est faible sur tous les marchés nationaux et n'occupent, au mieux que 1,5 % de parts de marché. Cependant, la France doit être présente ! Par conséquent, les pouvoirs publics ne peuvent qu'avoir un rôle d'incitation et d'accompagnement. L'exportation des programmes demeure l'affaire des producteurs privés.
Il est nécessaire, avant de penser à un « chef de file » pour cette action ou de choisir les diffuseurs, de déterminer quels publics on veut toucher :
- les français expatriés ou émigrés ?
- les étrangers francophones et francophiles ?
- les étrangers non francophones ?
L'audiovisuel extérieur n'est pas seulement le vecteur de la francophonie dans le monde. Il constitue également un formidable instrument pour mieux faire connaître la France et le style de vie français à l'étranger, mais également pour faire connaître le point de vue français des relations internationales dans le monde. Il permet également de soutenir les exportations de programmes français à l'étranger. Il doit favoriser les investissements des sociétés audiovisuelles françaises à l'étranger. Il peut enfin créer un environnement favorable au commerce extérieur de la France.
Faute d'avoir défini ces objectifs préalables, la France risquerait de ne pas bien « cibler » son action audiovisuelle extérieure.
Comme le souligne justement le Directeur de l'Action Audiovisuelle Extérieure :
« Ce projet ambitieux est au service du développement de la présence et de l'influence de la France dans le monde. Si l'objectif est naturellement d'accroître la diffusion de notre langue et de notre culture, il ne se limite pas à cet aspect, déjà essentiel.
Notre commerce extérieur, le rayonnement de notre technologie et, bien entendu, la mise en valeur de notre politique étrangère ne peuvent, en effet que bénéficier de l'effort important consenti par l'État en faveur de l'action audiovisuelle extérieure (46 ( * )) :
Encore serait-il nécessaire que cette action soit cohérente.
* 46 M. Stanislas de Laboulaye, EN A-Mensuel, L 'action audiovisuelle extérieure, décembre 1994.