B. SON APPRÉCIATION DES DISPOSITIONS DE LA PROPOSITION DE RÉSOLUTION N°91 VISANT DIRECTEMENT LE CONTENU DES ACTES COMMUNAUTAIRES EXAMINÉS
1. La réciprocité avec les pays tiers
La question de la réciprocité avec les pays tiers dans le domaine des télécommunications est, depuis longtemps, au coeur des préoccupations de votre commission des Affaires économiques lorsqu'elle examine le dossier des négociations commerciales menées, par la Communauté, avec ses partenaires extérieurs.
Elle a pris, ces dernières années, des positions très nettes sur ce sujet. A titre d'exemple, on peut citer les conclusions exprimées en son nom, à propos des discussions multilatérales sur les services de télécommunications menées parallèlement à « l'Uruguay Round », par l'avis budgétaire présenté par M. André Fosset en novembre 1993 ( ( * )18) . Dans le même esprit, le rapport d'information, publié peu de temps après par M. Gérard Larcher, sur l'avenir du secteur des télécommunications en Europe ( ( * )19) dénonçait les « dangers d'un ultra-libéralisme - naïf » dans l'ouverture commerciale du marché communautaire. Il estimait que ce dernier devait être « ouvert sans être offert » et préconisait pour se faire de « prendre les moyens d'assurer une juste réciprocité commerciale ».
Plus récemment, la résolution sur les propositions de directive relatives aux marchés publics des secteurs dits exclus, adoptée à l'unanimité en séance publique par le Sénat à l'initiative de votre commission ( ( * )20) , et le rapport présenté à ce sujet par M. Henri Revol ( ( * )21) faisaient de la nécessité de la réciprocité sur les marchés de télécommunications un des éléments majeurs des objections élevées à rencontre des projets communautaires.
Dans ces conditions, on comprendra que votre commission s'associe étroitement aux légitimes inquiétudes exprimées par le dernier alinéa de la proposition de résolution.
2. Calcul et financement du coût du service universel
a) L'exonération des nouveaux entrants du champ de la contribution
Sur ce point, votre commission des affaires économiques relève :
- d'une part, que le texte incriminé (16ème considérant du projet E-508) prévoit très explicitement que : « dans les cas où le service universel ne peut être assuré qu'à pertes ou contre une rémunération inférieure aux conditions commerciales usuelles, des plans de financement différents peuvent être envisagés pour assurer le service universel »
- et d'autre part, que c'est dans la seule mesure où ces systèmes de financement mettraient « les nouveaux entrants à contribution de façon disproportionnée » et partant renforcerait « la position dominante des organismes de télécommunications » qu'ils seraient « incompatibles avec l'article 90 en liaison avec l'article 86 du traité » .
Au total, quel que soit le plan de financement qu'ils décident de mettre en oeuvre, les États membres ont pour principale obligation en ce domaine d'« assurer que seuls les fournisseurs de services et de réseaux publics de télécommunications contribuent à la fourniture et/ou au financement des obligations de service universel et que la méthode de répartition entre eux est fondée sur des critères objectifs et non discriminatoires et est conforme au principe de proportionnalité » .
Ainsi, l'exemption de contribution au service universel pour les nouveaux contrats n'est qu'une simple possibilité laissée aux États membres. Elle n'est d'ailleurs évoquée que dans l'exposé des motifs du projet de directive et n'est pas reprise dans le dispositif. Son application paraît donc relever du principe de subsidiarité.
Bien entendu, en raison des lourds inconvénients qu'entraînerait l'application d'une telle orientation dans notre pays, cette option n'est pas retenue par le Gouvernement dans le document relatif à la réforme du droit français des télécommunications, qu'il a soumis à consultation publique en octobre dernier.
Cependant, ladite option n'est pas critiquable en tant que telle dès lors qu'elle demeure facultative. Bien plus, si certains de nos partenaires, moins soucieux que nous d'assurer un haut niveau de service public sur leur territoire, souhaitaient la mettre en oeuvre, elle pourrait à bénéficier à celles de nos entreprises qui sont désireuses de s'installer sur leurs marchés.
Aussi, sur cette question, votre commission sera-t-elle amenée à vous proposer d'infléchir quelque peu la rédaction actuelle de la proposition de résolution n° 91.
b) Le rééquilibrage des tarifs
En ce qui concerne le rééquilibrage des tarifs, les préoccupations qu'inspire le projet de directive « libéralisation complète » (E-508) à votre commission sont beaucoup plus vives.
En effet, non seulement l'orientation dénoncée par la délégation figure -ainsi qu'elle le fait observer- dans l'exposé des motifs du projet (17ème considérant précité : II A lb) mais elle se trouve en outre, reprise en filigrane à l'article 4 C du dispositif puisqu'il y est précisé :
- « Les États membres permettent à leurs organismes de télécommunications de rééquilibrer leurs tarifs, et en particulier d'adapter les montants qui ne sont pas liés aux coûts et augmentent les charges relatives à la fourniture du service universel. »
La Commission examinera, le 1er janvier 2003 au plus tard la situation des États membres, où le plan de financement consiste en un système de redevances d'accès à acquitter en plus des redevances versées pour se raccorder en certains points spécifiques du réseau téléphonique public commuté de télécommunications, et vérifiera notamment si ces plans ne se limitent pas l'accès aux marchés concernés. Dans ce cas, la Commission examinera les remèdes possibles et présentera les propositions nécessaires » .
La combinaison de cette rédaction et de celle précitée de l'exposé des motifs tend donc à démontrer la volonté de la Commission européenne d'imposer un réajustement brutal des tarifs téléphoniques avant 1998. Ceci laisse supposer un profond manque de compréhension des enjeux économiques et sociaux que représente, dans notre pays, le prix des communications locales et de l'abonnement au téléphone.
En France, comme partout ailleurs, les charges fixes engendrées par les réseaux locaux constituent la très grande majorité des coûts des réseaux de télécommunications. Mais, contrairement à d'autres pays et en dépit des réformes tarifaires vigoureuses engagées depuis 1994 ( ( * )22) , la structure des prix de France Télécom est encore assez sensiblement déconnectée de la réalité des coûts. Ainsi, aujourd'hui encore, une part substantielle des charges fixes du réseau local n'est pas prise en charge par l'abonnement -ainsi que cela devrait être le cas en stricte orthodoxie comptable- mais couverte par les excédents financiers dégagés sur les communications interurbaines qui sont, elles, facturées au delà de leur coût de production.
Ceci s'explique, en partie, par des raisons historiques : les anciennes techniques de commutation et de transmission ainsi que les coûts initiaux d'installation des réseaux rendaient, il y a encore une dizaine d'années, les coûts de communication beaucoup plus dépendants de la distance parcourue que maintenant. Aujourd'hui, sous l'effet des nouvelles techniques (commutation électronique, transmission numérique...) la durée de la communication davantage que l'éloignement du correspondant tend à devenir l'élément déterminant de la chaîne des coûts, tandis que la charge d'entretien du réseau filaire local demeure importante.
Des facteurs politiques et sociaux ont toutefois largement contribué à la situation actuelle : la grille tarifaire en vigueur permet aux particuliers, notamment aux plus démunis d'entre eux dont le nombre s'est accru avec la montée du chômage, de disposer du téléphone à moindre prix.
Cette logique tarifaire a jusqu'à présent, assuré le développement d'un service public de très haut niveau. Elle ne peut toutefois perdurer dans un environnement concurrentiel car les compétiteurs de l'opérateur public pourraient alors facilement lui soustraire sa clientèle passant beaucoup de communications interurbaines et ne lui laisser à gérer que les déficits des réseaux locaux.
Un ajustement des tarifs d'abonnement est donc indispensable. En raison du retard accumulé, il ne saurait toutefois être réalisé avant le 1er janvier 1998. Pour s'en persuader, il suffit de se rappeler que le coût mensuel de l'abonnement est d'un peu plus de 45 francs toutes taxes comprises en France contre 103 francs en Grande Bretagne et 94 francs en Allemagne.
Un alignement sur le tarif anglais, par exemple, induirait une hausse de près de 120 % sur moins de deux ans...
Par voie de conséquence, votre commission soutient l'exigence de progressivité du rééquilibrage tarifaire, affirmée par la proposition de résolution n° 91.
Elle est toutefois amenée à se demander si, à terme, il est logique d'envisager que les utilisateurs résidentiels payent la totalité des coûts fixes du réseau local, alors qu'une interprétation stricte ( ( * )23) des orientations retenues par la Commission de Bruxelles permettrait aux opérateurs concurrents du prestataire local, qui utilisent ce réseau de n'en payer aucune part. Si une fraction de ces coûts fixes n'était pas répercutée sur toute ou partie de la clientèle de l'opérateur en place -en l'espèce France Télécom-, ces orientations aboutiraient, en effet, à exiger de France Télécom qu'il subventionne ses concurrents en ne les chargeant en rien de cette fraction des coûts fixes.
Il serait, sans doute, plus équilibré de faire en sorte que tous les utilisateurs du réseau local (utilisateurs résidents et opérateurs l'empruntant) contribuent à ses coûts fixes dans une proportion qui soit juste pour tous.
Le prix d'accès au téléphone doit rester abordable pour toutes les couches de la population. Il ne doit pas, non plus, pénaliser les entreprises installées dans des zones défavorisées du territoire.
Il vous sera en conséquence proposé de modifier la proposition de résolution n° 91 en ce sens.
c) Calcul du coût du service universel
En cohérence avec la position qu'elle vient de développer sur les charges fixes du réseau local, votre commission estime souhaitable que soient prises en compte dans le calcul du coût du service universel toutes les charges correspondant aux composantes pertinentes de ce service.
Par conséquent, les investissements réalisés dans la construction du réseau public antérieurement à la libéralisation communautaire devraient pouvoir être intégrées dans l'assiette de ce calcul dès lors que cela est justifiée par l'obligation qui a pesé sur l'opérateur en charge du service universel avant cette libéralisation.
Aussi, votre commission des affaires économiques soutient-elle les positions exprimées sur ce point par la proposition de résolution n° 91.
* (18) Avis Sénat n° 103 (1993-1994), p. 34.
* (19) Rapport d'information Sénat n° 129 (1993-1994) : voir notamment p. 57 à 58 et p. 71 à 80.
* (20) Proposition de résolution n° 15 (1995-1996) adoptée en séance publique le 12 octobre 1995
* (21) Rapport Sénat n° 355 (1994-1995) : voir notamment p. 23 à 24 à propos de la réciprocité dans le secteur des télécommunications.
* (22) Pour plus de détail sur ces réformes, il est possible de se reporter au rapport pour avis déjà cité, établi par votre rapporteur, au nom de la Commission des Affaires économiques, sur le budget des Technologies de l'information et de la Poste (Avis Sénat n° 79 présenté par M. Pierre Hérisson, 1995-1996 ; p. 13 à 16)
* (23) Le 1 7° considérant du projet E-508 indique que « Les États membres devront supprimer toutes les restrictions au rééquilibre des tarifs » . On peut donc estimer qu'il n'est pas évident que soit injustifié de répercuter, par exemple, une partie des réductions d'abonnement pour les plus démunis dans le calcul du coût du service universel.