II. LA COMMUNICATION DES COPIES DES PIÈCES DU DOSSIER PAR L'AVOCAT À SON CLIENT N'EST ENVISAGEABLE QUE DANS LE CADRE D'UNE RÉFLEXION GLOBALE SUR LA TRANSPARENCE DE LA MISE EN ÉTAT
La question ponctuelle de la remise des copies doit être replacée dans son contexte : celui des droits de la défense, mieux respectés dans le cadre d'une procédure que l'on peut hésiter à qualifier d'inquisitoire tant le contradictoire y est omniprésent ; celui du respect de la présomption d'innocence des autres parties ; celui de la confidentialité nécessaire à la bonne fin des investigations ou à la protection des témoins ; celui de la liberté de communication.
Au regard de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, contrairement à ce qui est souvent prétendu, la Cour de cassation affirme avec raison, dans ces arrêts du 30 juin que les actuelles dispositions de l'article 114 du code de procédure pénale ne se sont pas incompatibles avec l'article 6-3 de la convention.
En effet, l'article 6-3 prévoit que « tout accusé a droit notamment à (...) disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense » - et à « se défendre lui-même ou avoir l'assistance d'un défenseur de son choix... ».
Et la Cour européenne des droits de l'Homme a décidé que, « aux fins de l'article 6, il n'est pas incompatible avec les droits de la défense de réserver à l'avocat d'un accusé l'accès au dossier de la juridiction saisie » (« Kremzow contre Autriche », 21 septembre 1993).
Dans cette affaire, comme dans l'arrêt Kamasinski du 19 décembre 1989 ou l'arrêt Lamy du 30 novembre 1989, la Cour examine globalement les conditions de l'accès au dossier et se refuse à focaliser le respect des droits de la défense sur la remise de copies à la partie.
A. L'ARTICULATION NÉCESSAIRE
Dans le cadre de la procédure pénale française, il importe, de même, de prendre en compte l'équilibre d'ensemble des règles qui régissent l'accès aux pièces et l'utilisation du dossier. Sans insister sur les aspects matériels, deux points permettent d'éclairer l'imbrication de ces questions : l'étendue du secret de l'instruction et la nature des pièces du dossier.
1. Avocats et parties ne sont pas soumis aux mêmes obligations
En l'état actuel de la rédaction de l'article 11 du code de procédure Pénale, seules les personnes concourant à l'instruction sont soumises au secret de l'instruction.
Ce texte s'applique donc aux magistrats, aux fonctionnaires de justice ou de police ainsi qu'aux experts.
Les avocats et les parties, malgré le caractère de plus en plus contradictoire de la procédure pénale, ne sont pas considérés comme « concourant à la procédure ».
En revanche, les avocats sont soumis au secret professionnel sous les Peines prévues à l'article 226-13 du code pénal, auquel se réfère également l'article 11.
L'article 160 du décret du 27 novembre 1991 fait la synthèse de ces textes en précisant que l'avocat doit « respecter le secret de l'instruction en matière pénale, en s'abstenant de communiquer, sauf à son client pour les besoins de la défense, des renseignements extraits du dossier ou de publier des documents, pièces ou lettres intéressant une information en cours ».
La partie, elle, n'est pas soumise en l'état des textes au secret de l'instruction.
Peut-on imaginer de lui remettre des copies des pièces du dossier de l'instruction sans s'interroger sur l'usage qu'elle pourrait en faire alors qu'elle n'est pas tenue au secret ? Pourrait-elle la remettre à des tiers aux fins d'expertise ? Pourrait-elle les présenter publiquement ? Le mis en examen et la partie civile doivent-ils être mis sur le même plan ?
La réponse à ces questions est indissociable des règles de transparence de la procédure pénale au cours de l'instruction.
2. La nature des pièces n'est pas indifférente
Doit-on, comme le font la plupart des propositions ponctuelles, considérer l'ensemble du dossier de l'instruction de manière homogène ou bien certaines pièces sont-elles plus facilement « communicables » que d'autres ?
Ainsi la thèse a-t-elle été soutenue, par M. le Professeur Jean Pradel, notamment, d'une limitation de la communication aux pièces techniques, c'est-à-dire aux expertises dont seules les conclusions sont actuellement communiquées aux parties (art. 167 du code de procédure pénale), à l'exclusion des raisonnements et analyses y ayant conduit.
Ces pièces apparaissent en effet, en raison de leur volume dans certaines affaires, comme les plus difficiles à examiner sans disposer de la copie.
A l'inverse, l'accès de la partie aux minutes d'un témoignage ou au détail des coordonnées des témoins apparaît, notamment aux magistrats instructeurs, comme susceptible d'accroître les risques de pression sur les témoins et d'aller à l'encontre des nécessités de l'enquête, par exemple en matière de crime organisé ou de terrorisme.
Doit-on en conséquence prévoir un filtre du juge d'instruction pour réserver la possibilité de s'opposer à la communication de certaines pièces ou de préserver les témoins ?