N° 114
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 1996-1997
Annexe au procès-verbal de la séance du 3 décembre 1996.
RAPPORT
FAIT
au nom de la commission des Lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale (1) sur la proposition de loi, ADOPTÉE PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE, renforçant la protection des personnes surendettées en cas de saisie immobilière,
Par M. Jean-Jacques HYEST,
Sénateur.
(1)Cette commission est composée de : MM. Jacques Larché, président ; René-Georges Laurin, Germain Authié, Pierre Fauchon, François Giacobbi, Charles Jolibois, Robert Pagès, vice-présidents ; Michel Rufin, Jacques Mahéas, Jean-Jacques Hyest, Paul Masson, secrétaires ; Guy Allouche, Jean-Paul Amoudry, Robert Badinter, José Balarello, François Blaizot, André Bohl, Christian Bonnet, Mme Nicole Borvo, MM. Philippe de Bourgoing, Charles Ceccaldi-Raynaud, Raymond Courrière, Jean-Patrick Courtois, Charles de Cuttoli, Luc Dejoie, Jean-Paul Delevoye, Christian Demuynck, Michel Dreyfus-Schmidt, Patrice Gélard, Jean-Marie Girault, Paul Girod, Daniel Hoeffel, Lucien Lanier, Guy Lèguevaques, Daniel Millaud, Georges Othily, Jean-Claude Peyronnet, Bernard Piras, Claude Pradille, Louis-Ferdinand de Rocca Serra, Jean-Pierre Schosteck, Alex Türk, Maurice Ulrich.
Voir les numéros :
Assemblée nationale (10ème législ.) : 141, 1356, 2680, 2704 et T.A. 519 .
Sénat : 319 (1995-1996).
Créances et privilèges.
CONCLUSIONS DE LA COMMISSIONRéunie le 3 décembre 1996 sous la présidence de M. Jacques Larché, président, la commission a examiné, sur le rapport de M. Jean-Jacques Hyest, la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, renforçant la protection des personnes surendettées en cas de saisie immobilière. Le rapporteur a indiqué que cette proposition de loi trouvait son origine dans les initiatives conjointes de plusieurs députés soucieux d'assurer la vente à un meilleur prix du logement principal du débiteur surendetté. Il a ensuite précisé que le dispositif comportait cinq articles destinés principalement à renforcer l'information de la personne saisie sur ses droits, à lui ouvrir la faculté de contester le montant de la mise à prix en cas de sous-évaluation manifeste, enfin à mieux articuler le traitement du surendettement avec les procédures de saisie immobilière. Après s'être interrogé sur l'opportunité d'examiner une proposition de loi anticipant sur la prochaine réforme annoncée par le Garde des Sceaux de l'ensemble du droit des saisies immobilières, le rapporteur a considéré que le débat parlementaire permettrait d'indiquer certaines orientations au Gouvernement. Il a toutefois estimé qu'il était nécessaire, en l'état des réflexions, de recentrer la proposition de loi sur son objet initial, la vente à la barre du logement principal du débiteur surendetté. En conséquence, la commission a adopté, sur sa proposition, cinq amendements. A l'article premier, elle a complété la liste des informations devant être fournies au saisi personne physique en y ajoutant, par coordination avec l'article 2, la faculté de contester le montant de la mise à prix. Elle a en revanche supprimé le caractère automatique de la nullité sanctionnant le défaut de ces mentions sur le commandement. A l'article 2, elle a réservé au débiteur dont le logement principal était saisi la faculté de contester le montant de la mise à prix et précisé que le juge tranchait la contestation, sans que sa décision put être contestée en appel, en tenant compte des conditions du marché. Elle a en outre introduit un article additionnel après l'article 3 pour prévoir qu'à défaut d'enchère sur le montant ainsi fixé par le juge, le bien était immédiatement remis en vente sur baisses successives du prix, le cas échéant jusqu'au montant de la mise à prix initiale. A défaut d'enchère le créancier poursuivant est alors adjudicataire pour ce montant. Aux articles 4 et 5, elle a adopté deux amendements de clarification rédactionnelle. |
Mesdames, Messieurs,
C'est à la suite des initiatives convergentes de plusieurs de nos collègues députés 1 ( * ) que l'Assemblée nationale a adopté une proposition de loi dont l'objet est de renforcer la protection des personnes surendettées en cas de saisie immobilière.
Sans entrer dans le détail du dispositif de chacune de ces propositions de loi 2 ( * ) , on observera qu'elles tendaient toutes trois à mieux encadrer les conditions de la vente forcée du logement principal des débiteurs surendettés.
Dans nombre de situations insurmontables d'accumulation de dettes à la suite de la perte d'un emploi ou de l'éclatement de la cellule familiale, la vente du logement principal du débiteur, s'il en est propriétaire, s'avère souvent inéluctable.
Point n'est besoin d'insister sur les conséquences sociales dramatiques de telles ventes que les difficultés économiques actuelles ont malheureusement multipliées.
De surcroît, la saisie du logement du débiteur et les conditions de sa vente forcée s'effectuent selon des règles qui peuvent donner au saisi le sentiment d'être spolié, dès lors qu'à défaut d'enchère son bien est vendu au créancier poursuivant -souvent l'organisme prêteur- et au prix fixé par celui-ci.
La proposition de loi adoptée par l'Assemblée nationale apporte un correctif substantiel à ce dernier principe en ouvrant au débiteur la faculté de formuler un dire sur la mise à prix. En effet, à défaut d'enchère, le créancier poursuivant se retrouverait alors adjudicataire d'office à un prix fixé par le juge et qui pourrait être fort éloigné du montant de la mise à prix initiale.
Le bouleversement introduit par cette disposition est, on le voit, de grande conséquence dans la mesure où il rompt avec la règle traditionnelle qui veut que le prix d'adjudication au créancier poursuivant, à défaut d'enchère, soit celui du montant de la mise à prix fixée par l'intéressé.
La mise en oeuvre de cette règle a en effet suscité certains abus, le créancier poursuivant se contentant parfois de fixer le montant de la mise à prix à celui de sa créance, en tout cas suffisamment bas pour éviter de se retrouver acquéreur d'office d'un bien dont il n'aurait pas l'usage. C'est ainsi qu'à défaut d'enchère, l'immeuble peut être vendu à un prix anormalement bas donnant ainsi au débiteur le sentiment d'un spoliation, d'autant plus insupportable que la vente ne lui permet pas de désintéresser ses autres créanciers et encore moins de disposer des quelques ressources nécessaires pour prévenir le risque d'exclusion sociale.
Avant d'analyser plus avant ce dispositif et les autres mesures que comporte le texte adopté par l'Assemblée nationale, notamment en vue d'une meilleure articulation entre la saisie immobilière et le traitement du surendettement, votre commission des Lois s'est interrogée sur l'opportunité d'examiner la proposition de loi alors que le Garde des Sceaux a annoncé une réforme d'ensemble de la saisie immobilière et que, d'après les informations recueillies par votre rapporteur auprès des services de la Chancellerie, l'avant-projet de loi, qui a pris il est vrai quelque retard par rapport au calendrier initialement annoncé, devrait être soumis à consultation dès le début de l'année 1997 avant d'être déposé devant le Parlement à la fin de la présente session.
Une anticipation sur cette réforme, dont l'économie générale est certes d'ores et déjà dessinée mais pas définitivement arrêtée, peut paraître de mauvaise méthode législative. Elle peut à l'inverse constituer un signe à l'attention du Gouvernement afin que, dans l'élaboration du projet de loi, il tienne compte des orientations retenues par la représentation nationale, même si celles-ci devront bien entendu faire l'objet d'ajustements ultérieurs afin d'assurer la pleine cohérence de la matière refondue.
C'est dans cet esprit que votre commission des Lois a examiné la proposition de loi adoptée par l'Assemblée nationale et y a apporté certaines modifications. Celles-ci ont essentiellement pour effet de recentrer le texte sur son objet initial -la saisie du logement principal du débiteur surendetté-, sans préjudice de la refonte de l'ensemble des procédures et du sort à réserver aux régimes dérogatoires de saisie immobilière 3 ( * ) .
* *
*
1. Le texte adopté par l'Assemblée nationale
Le dispositif retenu par l'Assemblée nationale, sur proposition de sa commission des Lois et, singulièrement, de son rapporteur, notre collègue, M. Jérôme Bignon, comporte cinq articles d'inégale portée qui apportent des compléments utiles à chacune des étapes de la procédure de saisie immobilière et en améliorent l'articulation avec le dispositif de traitement des situations de surendettement des particuliers institué en 1991, dernièrement modifié par la loi du 8 février 1995 4 ( * ) et codifié sous le titre III du code de la consommation.
a) L'amélioration de l'information de débiteur saisi
L'article premier complète l'article 673 du code de procédure civile, qui énonce les mentions devant figurer sur le commandement signifié au débiteur, pour y ajouter trois mentions nouvelles :
- l'indication que s'il est en situation de surendettement, le
débiteur a
la faculté de saisir la commission de
surendettement des particuliers ;
- l'indication qu'il peut bénéficier, pour la
procédure de saisie, de
l'aide juridictionnelle, sous réserve
de remplir les conditions de ressources fixées par la loi du
10 juillet 1991 ;
- l'indication qu'il peut demander la conversion de la saisie
en vente
volontaire dans les conditions prévues à l'article
744 du code de
procédure civile.
Un dernier alinéa est inséré à la fin de l'article 673 pour sanctionner par la nullité tout commandement ne comportant pas l'ensemble des formalités prescrites.
b) L'introduction d'une faculté de contestation de la mise à prix
L'article 2 ouvre à tout débiteur (surendetté ou non) la faculté de contester auprès du juge le montant de la mise à prix fixé par le créancier poursuivant. La requête doit être fondée sur l'insuffisance manifeste du prix ou tout autre motif. Le tribunal statue au regard de deux critères : la valeur vénale de l'immeuble et les conditions du marché. Il peut ordonner une expertise.
S'il produit les effets attendus par le débiteur, c'est-à-dire le relèvement du montant de la mise à prix, le dire a une conséquence très lourde à l'égard du créancier poursuivant à défaut d'enchère : celui-ci est en effet adjudicataire d'office du bien mais non pas, comme c'est le cas aujourd'hui, au prix qu'il avait lui-même fixé, mais au prix fixé par le juge, c'est-à-dire, par hypothèse, à un prix plus élevé.
c) Une meilleure articulation avec la procédure de traitement du surendettement
Une fois engagée, la procédure de saisie immobilière suit ses propres règles sans prendre en compte l'ouverture, le cas échéant, d'une procédure devant la commission de surendettement. Dans ces conditions, elle paralyse l'efficacité de l'action de la commission et interdit tout règlement collectif, amiable ou non, de la situation du débiteur.
La proposition de loi apporte deux aménagements susceptibles d'améliorer cette situation :
- l'article 3 ouvre à la commission de surendettement la faculté de demander la remise de l'adjudication « pour causes graves et dûment justifiées » , ce qui devrait lui permettre de régler la situation avant toute vente du bien au profit, le plus souvent, d'un seul créancier ;
- l'article 4 permet au débiteur, qui est devant la commission de surendettement, de bénéficier effectivement d'une suspension des procédures d'exécution immobilière, même si le commandement aux fins de saisie immobilière a déjà été publié.
d) Une plus grande efficacité du dispositif de réduction de la dette immobilière
L'article 5 offre au débiteur dont le logement principal a été saisi la faculté de demander la réduction, dans les conditions prévues par la loi de 1991, de la fraction de la dette immobilière restante, non plus dans l'année qui suit la vente mais dans les deux mois suivant la sommation de payer cette fraction.
Pourraient ainsi bénéficier de cette réduction, les personnes dont le créancier se manifeste tardivement, au-delà du délai actuel d'un an.
* 1 Voir documents AN (dixième législature) :
- n° 141 de M. Charles Miossec et plusieurs de ses collègues, tendant à préciser les conditions de vente du logement principal d'un débiteur soumis aux dispositions de la loi n° 89-1010 du 31 décembre 1989 relative à la prévention et au règlement des difficultés liées au surendettement des particuliers et des familles ;
- n° 1356 de M. Gérard Hamel et plusieurs de ses collègues, tendant à apporter certaines garanties aux ménages surendettés en cas de saisie immobilière affectant leur résidence principale ;
- n° 2680 de M. Michel Péricard et plusieurs de ses collègues, renforçant la protection des personnes surendettées en cas de saisie immobilière de leur résidence principale.
* 2 Voir leur présentation par le rapport de M. Jérôme Bignon (n° 2704).
* 3 Les procédures relatives aux prêts du Crédit Foncier de France et à certains prêts du Crédit Agricole relèvent d'un régime dérogatoire, qui interdit par exemple tout report de la vente, dont le bien fondé n'apparaît plus. De même, conviendra-t-il d'engager une réflexion sur les saisies fiscales.
* 4 Cette loi a modifié la deuxième phase de la procédure initiale et introduit une troisième phase. Désormais :
- dans une première phase amiable, le débiteur peut saisir la commission départementale de surendettement des particuliers afin de rechercher un accord avec ses créanciers pour un remboursement étalé et réduit de l'ensemble de ses dettes non professionnelles. La commission établit le plan conventionnel de redressement d'un commun accord avec les créanciers après avoir demandé au juge, le cas échéant, la suspension pour un an au plus des procédures d'exécution engagées à l'encontre du débiteur ;
- en cas d'échec s'ouvre une deuxième phase, à la demande du débiteur, au cours de laquelle la commission formule des recommandations propres à permettre l'apurement de la situation du débiteur ;
- dans une troisième phase, le juge donne force exécutoire à ces recommandations si elles sont acceptées par les parties, à défaut d'acceptation, il réexamine le dossier et le règle.