Rapport n° 37 (1997-1998) de M. Denis BADRÉ , fait au nom de la commission des finances, déposé le 16 octobre 1997
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INTRODUCTION
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I. LA TVA SUR LES TÉLÉCOMMUNICATIONS :
UN CAS D'ÉCOLE
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II. LE RÉGIME COMMUN DE TVA : UNE AMBITION
IMPOSSIBLE
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III. LE RÉGIME ACTUEL DE TVA
INTRACOMMUNAUTAIRE : DES AMÉLIORATIONS INDISPENSABLES
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IV. LES PROPOSITIONS DE VOTRE RAPPORTEUR
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I. LA TVA SUR LES TÉLÉCOMMUNICATIONS :
UN CAS D'ÉCOLE
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ANNEXE
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EXAMEN EN COMMISSION
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TEXTE DE LA PROPOSITION DE
RÉSOLUTION
ADOPTEE PAR LA COMMISSION
N° 37
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 1997-1998
Annexe au procès-verbal de la séance du 16 octobre 1997 |
RAPPORT
FAIT
au nom de la commission des Finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la Nation (1) sur la proposition de résolution , présentée en application de l'article 73 bis du Règlement par M . Denis BADRÉ sur la proposition de directive du Conseil modifiant la directive 77/388/CEE en ce qui concerne le régime de taxe sur la valeur ajoutée applicable aux services de télécommunications (n° E-785),
Par M. Denis BADRÉ,
Sénateur.
(1) Cette commission est composée de : MM. Christian Poncelet, président ; Jean Cluzel, Henri Collard, Roland du Luart, Mme Marie-Claude Beaudeau, MM. Philippe Marini, René Régnault, vice-présidents ; Emmanuel Hamel, Gérard Miquel, Michel Sergent, François Trucy, secrétaires ; Alain Lambert, rapporteur général ; Philippe Adnot, Bernard Angels, Denis Badré, René Ballayer, Bernard Barbier, Jacques Baudot, Claude Belot, Mme Maryse Bergé-Lavigne, MM. Roger Besse, Maurice Blin, Joël Bourdin, Guy Cabanel, Auguste Cazalet, Michel Charasse, Jacques Chaumont, Yvon Collin, Jacques Delong, Yann Gaillard, Hubert Haenel, Claude Haut, Jean-Philippe Lachenaud, Claude Lise, Paul Loridant, Marc Massion, Michel Mercier, Michel Moreigne, Joseph Ostermann, Jacques Oudin, Maurice Schumann, Henri Torre, René Trégouët.
Voir le numéro :
Sénat : 265 (1996-1997).
Union européenne.
INTRODUCTION
Mesdames, Messieurs,
L'objet de la présente proposition de résolution, issue des travaux de la délégation pour l'Union européenne du Sénat, est double.
D'une part, elle tend à exprimer la position du Sénat sur la proposition de directive n o 785 présentée par la Commission européenne le 29 janvier 1997, modifiant le régime de TVA applicable aux services de télécommunications, soumise au Parlement en application de l'article n o 88-4 de la Constitution.
D'autre part, elle tend à formaliser les conclusions du rapport d'information de la délégation sur les propositions pour un système commun de TVA faites par la Commission européenne dans une communication en date du 22 juillet 1996 qui, ne s'agissant pas d'un projet d'acte communautaire stricto sensu , n'a pas été officiellement transmise au Parlement.
En effet, le cas particulier du régime de TVA applicable aux services de télécommunications est apparu, à l'examen, lié aux propositions plus générales de la Commission européenne pour le passage au régime définitif de TVA.
Sous des aspects techniques, ces questions sont de nature à entraîner des bouleversements économiques, et leur enjeu pour la construction européenne est important. C'est pourquoi votre rapporteur estime qu'il convient de faire preuve à leur sujet d'une certaine prudence et du plus grand pragmatisme.
I. LA TVA SUR LES TÉLÉCOMMUNICATIONS : UN CAS D'ÉCOLE
La question du régime de TVA applicable aux prestations de télécommunications constitue un véritable cas d'école, à un double titre. D'une part, elle est emblématique des distorsions de concurrence pouvant résulter de la confrontation de systèmes de TVA différents. D'autre part, elle est révélatrice d'une certaine tendance de la Commission européenne à faire preuve en matière fiscale d'un volontarisme qui ne ménage pas toujours les intérêts des États membres.
A. UN PROBLÈME LIÉ AUX ÉVOLUTIONS TECHNOLOGIQUES
1. L'inadaptation des règles traditionnelles de territorialité aux nouvelles techniques de télécommunications
Jusqu'à cette année, la règle de territorialité en matière de TVA applicable aux prestations de télécommunications était celle commune à toutes les prestations de services, qui prévoit que la taxe est due au lieu d'établissement du prestataire (article 259 du CGI, conforme à l'article 9, paragraphe 1 de la sixième directive TVA).
Cette règle de territorialité est devenue progressivement inadaptée, à mesure que l'évolution des technologies dans le secteur des télécommunications a permis la délocalisation des prestataires. En effet, il est désormais techniquement possible de fournir des prestations à des consommateurs situés au sein de l'Union européenne, sans que le prestataire soit établi en Europe, ni même utilise un réseau européen. L'utilisation des satellites de télécommunications pour le trafic téléphonique international permet ainsi à des opérateurs européens de faire transiter leurs communications par des prestataires établis dans des pays tiers.
Or, dans l'hypothèse de telles délocalisations, les règles communautaires conduisent à ce que les taxes applicables aux prestations de télécommunications soient déterminées en fonction de la législation du pays où est établi l'opérateur international.
Dès lors, il est extrêmement avantageux pour un consommateur européen de recourir au services d'opérateurs établis dans un pays qui ne soumet pas les télécommunications internationales à la TVA, on applique des taux très bas. C'est notamment le cas des États-Unis, où la législation autorise les opérateurs établis sur le territoire européen à facturer à leurs clients européens des prestations hors TVA.
Ces considérations fiscales expliquent l'essor des services de "call back", qui permettent à un consommateur européen de localiser aux États-Unis une communication vers la destination de son choix. Outre l'exonération de TVA, ce consommateur européen bénéficie des tarifs de télécommunications américains extrêmement bas à l'international.
Ces évolutions technologiques sont favorables aux intérêts des particuliers qui, en tant que non-assujettis, ne peuvent pas récupérer la TVA sur leurs télécommunications, mais elles sont plus systématiquement exploitées par les banques et les compagnies d'assurance, qui sont assujetties partielles et grosses consommatrices de télécommunications. La plupart des banques ont ainsi organisé la délocalisation "électronique" de leur salle des marchés hors de l'Union européenne.
L'obsolescence des règles communautaires de TVA applicables aux télécommunications présente toutefois de graves inconvénients.
2. Un risque d'évasion fiscale et de perte de maîtrise technologique
Le premier inconvénient est évidemment l'évasion fiscale résultant de la non imposition à la TVA de prestations de télécommunications dont la consommation effective a pourtant bien lieu au sein de l'Union européenne. Pour la France, la perte de recettes fiscales afférente était ainsi évaluée à 100 millions de francs l'an dernier.
Le second inconvénient, plus grave que le premier, est la position d'infériorité structurelle qui résulte de l'inadéquation des règles de taxation pour les opérateurs de télécommunications européens vis-à-vis de leurs concurrents de pays tiers.
En effet, dès lors qu'un opérateur est établi en Europe, ses prestations sont soumises à la TVA, aussi bien à l'intérieur de l'Union qu'à destination du reste du monde.
A l'inverse, un opérateur établi dans un pays tiers bénéficie de la non applicabilité de la TVA sur le marché européen, mais également d'un avantage compétitif sur les marchés non européens, si son pays d'origine applique un faible taux de TVA aux prestations de télécommunications, voire les exonère à l'international.
Certains opérateurs européens ont réagi en utilisant les armes de l'adversaire, tels France Télécom et Deutsche Telekom qui ont créé, avec l'opérateur américain Sprint, une filiale commune Global One, implantée aux États-Unis.
Mais, au-delà de la délocalisation des prestations et des recettes afférentes de TVA, cette distorsion de concurrence d'origine fiscale risquait d'entraîner à terme une délocalisation des technologies, ce qui serait grave dans un domaine d'excellence européenne et pour un secteur hautement stratégique.
Ces considérations ont amené les États membres de l'Union européenne à chercher une solution dans la modification des règles communautaires de TVA applicables aux prestations de télécommunications.
B. UNE SOLUTION SATISFAISANTE MAIS JURIDIQUEMENT FRAGILE
1. Une procédure dérogatoire et provisoire
Les opérateurs de télécommunications européens se sont mobilisés dès 1993 pour attirer l'attention des gouvernements et de la Commission européenne sur la question.
Devant l'urgence du problème, il a été décidé en 1996 plutôt que de modifier dans les formes la sixième directive TVA, d'autoriser immédiatement les États membres à y déroger.
En effet, l'article 27, paragraphe 1, de la sixième directive TVA autorise un État membre à déroger aux dispositions de la directive afin d'éviter l'évasion fiscale. Il doit, pour cela, transmettre à la Commission sa demande, qui en informe alors les autres États membres dans un délai d'un mois. La décision du Conseil est réputée acquise si, dans un délai de deux mois, ni un État membre, ni la Commission ne demande l'évocation de ce dossier devant le Conseil. Dans le cas inverse, le Conseil doit se prononcer à l'unanimité pour autoriser la dérogation demandée.
Ainsi, entre septembre et décembre 1996, chacun des quinze États membres a saisi la Commission d'une demande tendant à déroger, pour les prestations de télécommunications, aux règles de territorialité fixées par la sixième directive TVA.
La dérogation demandée est la suivante : la TVA sur les prestations de télécommunications est désormais due au lieu d'établissement du preneur, et non plus du prestataire.
La Commission a alors présenté, le 5 février 1997, quinze propositions de décisions tendant à autoriser chacun des États membres à déroger en ce sens à l'article 9, paragraphe 1, de la sixième directive TVA (Com (97) 42 final - n o E 790). Enfin, cet ensemble de dérogations a été autorisé par le Conseil Ecofin du 17 mars 1997 (décision du Conseil 97/205/CE).
La plupart des États membres ont modifié en conséquence leur législation interne le 1er avril 1997, et le 1er juillet au plus tard. Toutefois, l'Allemagne et la France ont fait application des nouvelles règles de territorialité par anticipation, à compter du 1er janvier 1997. Dans le cas de la France, cette adaptation du code général des impôts a été faite par l'article 19 de la loi de finances pour 1997 (n o 96-1181 du 30 décembre 1996).
Il convient de relever que la modification des règles ainsi réalisée est juridiquement fragile. En effet, l'ensemble formé par les quinze demandes identiques de dérogation équivaut en pratique à une modification de fond de la directive, et se situe à la limite du détournement de procédure. Or, une telle modification ne peut pas juridiquement, en vertu de l'article 99 du traité, entrer en vigueur sans que le Parlement européen ait été préalablement consulté -ce qui n'a pas été le cas.
C'est pourquoi, soucieuse du respect des procédures, la Commission a veillé, dans ses propositions de décisions autorisant les dérogations, à ce que celles-ci ne soient accordées qu'à titre transitoire intérimaire, jusqu'au 31 décembre 1998, dans l'attente d'une modification en bonne et due forme de la sixième directive TVA.
Cette modification fait l'objet de la proposition de directive présentée par la Commission le 29 janvier 1997 (Com (97) 4 final - n o E 785).
2. Une correction destinée à rétablir la neutralité fiscale
La solution qui a été ainsi mise en oeuvre par voie de dérogation aux règles classiques de la sixième directive TVA permet de rétablir une égalité des conditions fiscales de concurrence entre les opérateurs européens de télécommunications et les opérateurs de pays tiers.
L'article 19 de la loi de finances pour 1997 a classé les prestations de télécommunications parmi les prestations énumérées à l'article 259 B du code général des impôts, c'est-à-dire les prestations qui sont soumises à la TVA au lieu d'établissement du preneur et non pas du prestataire, par dérogation à l'article 259 du CGI. L'article 259 B ne s'applique qu'aux preneurs assujettis à la TVA, mais l'article 259 C en étend le champ d'application aux preneurs non-assujettis, dès lors que le service est utilisé en France. La combinaison des articles 259, 259 B et 259 C du CGI permet ainsi de distinguer trois cas de figures.
Prestataire établi en France
- Les prestations de télécommunications sont taxables en France en application des dispositions des articles 259 et 259 B du CGI lorsqu'elles sont rendues à un preneur établi en France, qu'il soit assujetti ou non, ou à un preneur établi dans un autre État membre sans être assujetti. Dans ces situations, les règles de territorialité n'ont pas été modifiées et la TVA due doit être acquittée par le prestataire conformément à l'article 283-1 du CGI.
- Les prestations de télécommunication ne sont pas soumises à la taxe en France lorsqu'elles sont rendues à un preneur établi dans un pays tiers ou à un preneur assujetti dans un autre État membre, en application de l'article 259 B. L'égalité des conditions de concurrence est donc rétablie à "l'exportation" depuis la France.
Prestataire établi dans un autre État membre
- Les prestations de télécommunications effectuées par un prestataire qui n'est pas établi en France au sens de l'article 259 du CGI sont taxables en France lorsque le preneur est assujetti à la TVA en France, en application de l'article 259 B du CGI. La TVA doit être acquittée par le preneur conformément à l'article 283-2 du CGI. L'égalité des conditions de concurrence est donc également rétablie à "l'importation" depuis un autre État membre.
- Lorsque le preneur établi en France n'est pas assujetti à la TVA, la prestation n'est pas taxable en France (mais elle l'est dans l'État membre d'établissement).
Prestataire établi hors de la Communauté européenne
- Les prestations de télécommunications rendues à un preneur assujetti à la TVA en France sont soumises à la taxe, en application de l'article 259 B du CGI. Le redevable est le preneur, conformément à l'article 283-2 du CGI.
- Les prestations de télécommunications rendues à un preneur établi ou domicilié en France sans y être assujetti sont soumises à la taxe dès lors que le service est utilisé en France, en application de l'article 259 B du CGI. Le redevable est l'entreprise étrangère, conformément à l'article 283-1 du CGI.
L'égalité des conditions de concurrence est donc rétablie à "l'importation" depuis un pays tiers à la Communauté européenne.
Le tableau ci-après résume les différents cas de figure.
Nouvelles règles de taxation des prestations de télécommunication |
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Lieu d'établissement du prestataire |
Lieu d'établissement et qualité du preneur |
Lieu de taxation |
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France ou non-assujetti État membre |
France |
Prestataire |
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Articles |
France |
Assujetti État membre |
État membre |
Preneur |
259 |
Pays tiers |
Pas de taxation en France |
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et |
Assujetti France |
France |
Preneur |
|
259 B |
État membre |
Non-assujetti France |
État membre |
Prestataire |
Pays tiers |
Assujetti France |
France |
Preneur |
|
Article 259 C |
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Non-assujetti France et service utilisé en France |
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Représentant fiscal du prestataire |
|
Non-assujetti France et service non utilisé en France |
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Pour être complète, cette présentation du nouveau régime d'imposition à la TVA des prestations de télécommunication appelle encore quelques précisions.
Dans le cas des prestations rendues à des assujettis par des opérateurs établis dans des pays tiers ou d'autres États membres, celles-ci sont facturées hors TVA, les assujettis européens étant autorisés à autoliquider la TVA, sous réserve de leurs droits à déduction. Ce mécanisme, dit de "reverse charge", constitue un gain de trésorerie appréciable pour les entreprises concernées, qui n'ont plus à décaisser les sommes dues au titre de la TVA dans l'attente d'un remboursement ultérieur.
Pour les prestations rendues à des non-assujettis par un opérateur établi dans un pays tiers, celui-ci devra se faire connaître à l'administration fiscale française et désigner obligatoirement un représentant fiscal.
Enfin, il convient de souligner que la modification des règles de taxation n'assure une parfaite égalité de concurrence entre les opérateurs européens que pour les prestations rendues à des assujettis.
Dans cette hypothèse, la TVA est due dans le pays du preneur. Ainsi, une prestation fournie par Deutsche Telekom à un assujetti français est soumise à la TVA au taux de 20,6 %, et non plus au taux allemand de 15 % comme dans le régime antérieur.
Mais, dans l'hypothèse d'une prestation rendue à un non-assujetti, la TVA reste due dans le pays de l'opérateur. Ainsi, Deutsche Telekom peut offrir aux non-assujettis français des prestations au taux de 15 %, ce qui lui donne un avantage compétitif sur France Télécom. Néanmoins, cette distorsion de concurrence, qui ne joue que sur les écarts de taux de TVA et à l'égard des non-assujettis, reste bien moins grave que celle qui résultait de la non-imposition des prestations fournies depuis des pays tiers.
Ainsi, la solution qui a été mise en place dans l'urgence pour réduire les distorsions de concurrence résultant du régime de TVA applicable aux prestations de télécommunications apparaît globalement satisfaisante. Il n'en reste pas moins que des difficultés s'annoncent encore pour l'avenir.
C. DES DIFFICULTÉS ENCORE À VENIR
1. Le délicat contrôle de prestations en voie de dématérialisation complète
L'examen de la question des prestations de télécommunications a été pour votre rapporteur l'occasion d'entrevoir d'autres difficultés d'imposition à la TVA qui découleront dans un futur très proche des évolutions technologiques en cours. En particulier, le développement des prestations de services à distance par le biais de réseaux pose un véritable problème d'appréhension de la base taxable.
Actuellement, les abonnements permettant l'accès à un réseau de type Internet et offrant un bouquet de services pour un prix global sont assimilés à des prestations de télécommunications et imposés à ce titre à la TVA. Mais, d'ores et déjà, une partie des prestations sur Internet est en fait de la vente par correspondance.
Ainsi, le remarquable rapport de la mission commune d'information du Sénat sur l'entrée dans la société de l'information 1 ( * ) indique que les analystes estiment qu'il y aura d'ici à trois ans entre 40 et 60 millions de clients potentiels dans le monde pour le commerce électronique, certains chiffrant les prévisions d'achats à 600 milliards de dollars sur les cinq à six prochaines années. Dès le tournant du siècle, le commerce électronique devrait représenter en France 8 milliards de francs de ventes pour les particuliers et 48 milliards de francs pour le commerce inter-entreprises.
Si le preneur est une entreprise, le fisc peut vérifier tous ses paiements, mais un problème de contrôle se pose pour les particuliers. Toutefois, dans la mesure où le développement des transactions via Internet est actuellement freiné par la sécurité des paiements, la mise en place d'un système de sécurisation pourrait permettre au fisc de mieux appréhender celles-ci.
En tout état de cause, le commerce électronique apparaît incompatible avec la différenciation des taux de TVA en fonction de la nature des biens ou services échangés. S'il est à la rigueur concevable de saisir les échanges électroniques au niveau des paiements, il est impossible d'en contrôler le contenu : à terme, un taux unique de TVA pour ce type de prestations semble inévitable.
2. Des divergences d'appréciation persistantes entre les États membres et la Commission
La procédure de dérogation à la sixième directive TVA a fait apparaître une première divergence de point de vue entre la Commission et les États membres sur le régime applicable aux prestations de télécommunication.
En effet, dans ses propositions d'autorisation présentées le 5 février 1997 (document E 790), la Commission, comme elle en a le droit, n'avait pas totalement suivi les demandes de dérogations qui lui avaient été adressées par les États membres. Dans le cas de prestations rendues par des opérateurs européens à des assujettis établis au sein de l'Union, elle avait souhaité le maintien des règles de territorialité de droit commun : ainsi, ces prestations auraient été soumises au taux de TVA du pays du prestataire et non pas du preneur, comme pour les non-assujettis.
Cette proposition de la Commission aurait abouti à faire jouer les différences de taux de TVA dans la concurrence entre les opérateurs de l'Union européenne.
Par ailleurs, elle aurait introduit une double procédure de déduction de la TVA : simple et instantanée, par le biais de l'autoliquidation, pour les prestations fournies par des opérateurs de pays tiers, coûteuse en trésorerie et lente pour les prestations fournies par des opérateurs communautaires, par le biais d'une demande de remboursement auprès de l'administration fiscale de l'État du prestataire.
Fort heureusement, les États membres ont été unanimes pour obtenir de la Commission qu'elle modifie ses propositions initiales afin de les rendre conformes aux demandes qui lui avaient été adressées, et le système dérogatoire autorisé par le Conseil Ecofin du 16 mars 1997 est, comme on l'a vu, plus satisfaisant au regard de l'égalité des conditions de concurrence.
Toutefois, des divergences entre les États membres et la Commission se font encore jour dans la proposition de modification de la sixième directive TVA que celle-ci a présentée le 29 janvier 1997 (document E 785).
Le régime définitif ainsi proposé par la Commission pour les prestations de télécommunication diffère du régime dérogatoire et transitoire actuellement en vigueur sur trois points :
Les opérateurs européens factureraient leurs prestations au taux de TVA du pays dans lequel ils sont établis, que leurs clients soient assujettis ou non assujettis. Cette règle réintroduirait les distorsions de concurrence liées aux différences de taux que le régime dérogatoire a permis de supprimer pour les prestations rendues aux assujettis.
Les opérateurs de pays tiers n'auraient plus à s'identifier que dans un seul État membre, dans un souci de simplification. Dès lors, les prestations fournies à ses clients européens par un opérateur de pays tiers seraient imposées au taux de TVA de l'État dans lequel il est identifié à la TVA pour l'ensemble de l'Union. Cette disposition aggraverait les distorsions de concurrence, en encourageant les opérateurs de pays tiers à s'identifier à la TVA dans les États membres appliquant les taux les plus bas.
Les mécanismes d'autoliquidation de la taxe prévus dans le régime dérogatoire au profit des assujettis seraient abandonnés, et les mécanismes de remboursement en vigueur jusqu'au 31 décembre 1996 rétablis. Il en résulterait un alourdissement des procédures administratives et un coût de trésorerie pour les entreprises.
Le tableau ci-contre, repris de l'excellent rapport fait sur le sujet par la délégation de l'Assemblée nationale pour l'Union européenne 2 ( * ) , résume les avantages comparés du régime dérogatoire en vigueur et du régime définitif proposé par la Commission, au regard du régime antérieur au 31 décembre 1996.
Ainsi, les propositions avancées par la Commission européenne rétabliraient dans une large mesure les distorsions de concurrence entre opérateurs de télécommunications qui ont été tout récemment corrigées. De surcroît, elles autoriseraient des détournements de flux de taxe entre les États membres, puisque les recettes de TVA réalisées sur les consommateurs dans les États voisins resteraient acquises à l'État d'implantation de l'opérateur.
En fait, pour comprendre les motifs d'une position si contraire aux règles communautaires actuelles de la TVA, il faut savoir que la Commission a voulu appliquer par anticipation au secteur des télécommunications les solutions qu'elle préconise par ailleurs pour le futur régime commun de TVA.
Mécanismes communautaires mis en oeuvre jusqu'au 31 décembre 1996 règle = TVA de l'État du prestataire |
Mécanismes dérogatoires en vigueur
(sauf pour les prestations fournies par des opérateurs communautaires à des non-assujettis où règle = TVA de l'État du prestataire) |
Mécanismes définitifs à compter de l'an 2000 proposés par la Commission (E 785) règle = TVA de l'État du prestataire (sauf pour les prestations fournies par des opérateurs communautaires à des clients établis dans un pays tiers, où règles = TVA de l'État du preneur) |
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Prestation
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à un assujetti français |
ATT facture une prestation non taxable dans l'Union européenne, et donc non taxable en France |
La TVA n'est plus décaissée, et ne représente donc plus un coût de trésorerie pour l'entreprise. Dans le cas d'assujettis partiels, la TVA, facturée au taux français de 20,6 %, reste acquise au fisc français. |
La TVA vient alimenter le budget du Luxembourg.
La TVA représente un coût de trésorerie pour l'assujetti.
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à un non-assujetti français |
ATT facture une prestation non taxable dans l'Union européenne, et donc non taxable en France. |
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à un client établi dans un pays tiers |
FT facture la prestation au taux de TVA français
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Prestation fournie par un opérateur établi dans un État membre de l'Union européenne (ex. FT) |
à un assujetti allemand |
FT facture ses prestations au taux de TVA français (20,6 %) L'assujetti allemand règle la facture TTC : il y a donc décaissement de la TVA. La TVA vient alimenter le budget français. L'assujetti allemand demande au Trésor français le remboursement de la TVA auquel il peut prétendre. Il doit, en général, attendre plusieurs mois avant d'obtenir satisfaction. La TVA représente donc un coût de trésorerie pour l'assujetti allemand. Dans le cas d'assujettis partiels, la TVA non déductible reste acquise au fis français. |
La TVA n'est plus décaissée, et ne représente donc plus un coût de trésorerie pour l'entreprise. Dans le cas d'assujettis partiels, la TVA non déductible reste acquise au fisc allemand et vient donc alimenter le budget allemand. |
La TVA représente donc un coût de trésorerie pour l'assujetti allemand.
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à un non-assujetti allemand |
FT facture la prestation TTC au taux de TVA français (20,6 %) Le non-assujetti allemand règle la facture TTC, sans possibilité de déduction. FT collecte la TVA et la reverse au fisc français. |
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II. LE RÉGIME COMMUN DE TVA : UNE AMBITION IMPOSSIBLE
Dès 1987, la Commission européenne avait fait des premières propositions pour un système commun de TVA sur le fondement de l'article 99 du traité de Rome, qui lui donne compétence pour soumettre au Conseil des propositions d'harmonisation dans l'intérêt du marché commun.
Toutefois, ces propositions n'ont pas été retenues et les États membres ont décidé, à l'occasion du Conseil européen de Rome en décembre 1990, de mettre en place un régime transitoire de TVA à compter du 1er janvier 1993, devant aboutir au régime définitif au 1er janvier 1997.
La Commission européenne a donc rendu public le 22 juillet 1997 un nouveau projet de régime définitif, dans un document COM (96) 328 final intitulé "un système comme de TVA : un programme pour le marché unique". Votre rapporteur a eu l'honneur de faire, au nom de la délégation à l'Union européenne du Sénat, un rapport d'information 3 ( * ) sur ce projet de système commun de TVA, dont il reprendra ci-après les principales conclusions.
A. LES PROPOSITIONS DE LA COMMISSION EUROPÉENNE
1. Un système parfaitement cohérent :
Le projet de la Commission européenne, qui a le mérite de la cohérence, repose sur quatre principes essentiels :
La suppression de toute distinction entre opérations nationales et opérations intracommunautaires, ce qui implique la taxation des produits dans leur pays d'origine.
L'instauration d'un lieu unique de taxation au sein de l'Union européenne pour un même opérateur, sans distinction selon l'État membre où sont réalisées les opérations.
L'harmonisation quasi parfaite des taux de TVA afin d'éviter des distorsions de concurrence entre les opérateurs communautaires, pouvant conduire à des détournements de flux commerciaux et des délocalisations d'activités.
La mise en place d'un mécanisme de redistribution des recettes entre les États membres, sur la base statistique de leurs consommations respectives. En effet, en l'absence d'un tel mécanisme de compensation, les États-membres structurellement exportateurs à l'égard du reste de l'Union capteraient les recettes de TVA facturées par leurs entreprises aux consommateurs des pays voisins.
Les quatre principes du projet de régime définitif de TVA apparaissent étroitement liés et découlent logiquement les uns des autres.
2. Un programme de travail volontaire
Pour la mise en place du régime définitif de TVA, la Commission européenne s'est fixé un programme de travail volontaire, encadré par un calendrier précis :
1997 : présentation de propositions quant aux grands principes généraux de fonctionnement du régime commun de TVA et à ses caractéristiques essentielles (détermination du champ d'application de la taxe, définition de la notion d'assujetti à la T.V.A. ; détermination de la base d'imposition et des exonérations, détermination des droits à déduction).
fin 1997 : proposition relative à la deuxième étape du rapprochement des taux de TVA entre les États membres.
mi 1998 : propositions sur le champ d'application territorial de la TVA et sur le lieu unique d'imposition des opérations entrant dans ce champ.
fin 1998 : propositions relatives au mécanisme d'attribution du produit de la TVA, aux régimes particuliers et aux mesures de transition.
mi 1999 : dernière étape de l'harmonisation des taux.
Toutefois, ce calendrier des propositions de la Commission européenne ne préjuge pas de leur date d'adoption par le Conseil.
Par ailleurs, les nouvelles dispositions ne devraient pas entrer en vigueur moins de deux années après leur adoption, afin de laisser aux opérateurs économiques et aux administrations le temps d'anticiper leur mise en oeuvre.
Au total, dans l'hypothèse du calendrier le plus serré, le régime définitif de TVA pourrait entrer en vigueur dès 2001.
B. DES CONSÉQUENCES INSOUTENABLES
1. Des distorsions de concurrence majeures
Le point central du projet de régime commun de TVA présenté par la Commission européenne est le lieu unique d'imposition pour les entreprises. Les exportations intracommunautaires ne seraient plus détaxées, mais les biens circuleraient librement dans la Communauté, toutes taxes comprises.
Du point de vue des entreprises, le marché communautaire fonctionnerait exactement comme un marché national.
La proposition de la Commission aurait donc pour conséquence d'introduire des distorsions de concurrence de nature fiscale entre les entreprises communautaires. En effet, dans un système où les biens circulent toutes taxes comprises, la compétitivité des entreprises qui s'adressent au consommateur final dépend du taux de TVA appliqué par le pays où elles sont assujetties. En l'absence d'un alignement des taux entre États membres, on assistera à des détournements de flux commerciaux au bénéfice des États pratiquant les taux les plus bas.
A terme, cette distorsion de concurrence incitera les entreprises à se délocaliser fiscalement, ce qui sera plus ou moins aisé selon le critère retenu pour la détermination du lieu unique d'imposition. S'il leur faut pour cela délocaliser leur production, c'est la répartition de l'activité économique au sein de la Communauté qui s'en trouvera modifiée.
Il convient de souligner que seules les grandes entreprises pourront aisément profiter de cette opportunité de se localiser à l'étranger, ce qui leur procurera un avantage décisif sur les petites entreprises contraintes de supporter une fiscalité plus lourde sans pouvoir la répercuter dans leur prix.
2. La proscription d'une harmonisation rapide des taux
Dans son projet de régime commun, la Commission européenne a pris en compte ce risque de détournement des flux commerciaux et de délocalisation des entreprises en préconisant un alignement des différents taux de TVA appliqués par les États membres. Une première étape de cette harmonisation des taux a été franchie en 1996 avec l'adoption d'une directive fixant à 15 % le niveau minimal du taux normal de la TVA.
Cette harmonisation des taux n'est pas neutre macro-économiquement, mais constituerait un choc, par nature asymétrique, pour les États membres.
Dans l'étude réalisée sur le sujet à la demande de la délégation à l'Union européenne, reproduite en annexe de mon rapport d'information précité, le Centre d'Etudes Prospectives et d'Informations Internationales (CEPII) a cherché à simuler l'impact macro-économique d'un alignement des taux de TVA en Europe.
Les enchaînements sont les suivants : une baisse du taux de TVA augmente le revenu réel des ménages et stimule la consommation, puis l'investissement. Au départ, elle diminue l'inflation, ce qui tend à infléchir la politique monétaire, mais cet effet n'est que temporaire. Enfin, elle dégrade durablement la situation des finances publiques. Les enchaînements sont bien sûr inverses dans l'hypothèse d'une hausse de la TVA.
Trois hypothèses sont retenues : alignement sur le taux le plus bas, celui du Royaume-Uni / alignement sur la moyenne des taux, définie comme celle qui maintient constantes les recettes globales / alignement sur le taux le plus élevé parmi les grands pays, celui de la France.
Les effets sur les PIB nationaux sont retracés dans le tableau ci-dessous :
Effets d'un alignement des taux de TVA sur les PIB
nationaux
(écarts relatifs en %)
Taux le plus bas |
Moyenne des taux |
Taux le plus haut |
||||
1 an |
4 ans |
1 an |
4 ans |
1 an |
4 ans |
|
Allemagne |
0,6 |
0,6 |
0,0 |
0,0 |
- 0,7 |
- 0,9 |
France |
0,7 |
1,3 |
0,1 |
0,6 |
- 0,5 |
- 0,2 |
Italie |
0,3 |
0,4 |
- 0,4 |
- 0,9 |
- 1,2 |
- 2,5 |
Royaume-Uni |
0,1 |
0,2 |
- 0,7 |
- 0,5 |
- 1,8 |
- 1,4 |
Ensemble de l'UE |
0,5 |
0,7 |
- 0,1 |
0,1 |
0,8 |
- 0,7 |
Globalement, pour l'ensemble de la Communauté, la production serait modifiée : l'alignement vers le haut aurait un effet récessif, l'alignement vers le bas un effet expansionniste, qui serait pour l'essentiel acquis dès la première année. La politique monétaire européenne réagirait à cette situation globale, mais ne pourrait pas, par définition, être adaptée à la situation particulière de chacun des pays, qui subiraient un choc asymétrique.
Par ailleurs, une harmonisation des taux de TVA, quel que soit le niveau retenu, nécessiterait des modifications importantes du reste de la fiscalité et ajouterait une contrainte supplémentaire à des politiques budgétaires soumises à l'impératif de réduire le déficit pour stabiliser la dette. Le rapprochement forcé des taux de TVA apparaît ainsi difficilement compatible avec les politiques budgétaires engagées pour la réalisation de la monnaie unique.
3. La fiabilité douteuse du mécanisme de compensation
En l'absence d'une compensation, le passage de la taxation des échanges intracommunautaires d'un système d'origine à un système de destination se traduirait par d'importantes modifications des recettes de TVA des États membres. En effet, la TVA serait collectée non plus sur les biens importés, mais sur les biens exportés. Ce phénomène est indépendant de l'effort de rapprochement des taux qui peut être consenti par ailleurs.
Dans l'étude précitée, le CEPII s'est attaché à évaluer ces modifications des recettes de TVA en multipliant le solde commercial intracommunautaire de chaque État membre par son taux de TVA. Les chiffres disponibles sont ceux de 1995, dans une configuration de la Communauté européenne à douze. Deux hypothèses ont été retenues : dans un cas, les taux de TVA sont harmonisés à la moyenne communautaire, soit 18,6 % pour le taux normal et 6,8 % pour le taux réduit ; dans l'autre cas, les taux de TVA appliqués sont à leurs niveaux respectifs de 1996. Les résultats de cette simulation, purement macro-économique, sont retracés dans le tableau ci-après.
Très logiquement, les résultats obtenus dépendent fortement du solde de la balance des échanges intracommunautaires. Les pays qui subissent une perte de recettes seraient ceux qui ont des déficits importants : Espagne, Grèce, France, Portugal et Royaume-Uni. Les bénéficiaires du principe de taxation à l'origine seraient les Pays Bas, l'Allemagne, la Belgique, le Luxembourg, l'Irlande, l'Italie et le Danemark.
Les différences des taux de TVA ont un effet amplificateur : les pays qui appliquent des taux supérieurs au taux de TVA moyen de la Communauté auraient des gains plus importants en cas d'excédents commerciaux ou, inversement, des pertes de recettes plus importantes en cas de déficits. Mais cette simulation est faite toutes choses égales par ailleurs, sans tenir compte des changements des flux commerciaux qui pourraient résulter des différences de taux. |
Le mécanisme de compensation proposé par la Commission européenne est donc indispensable afin de préserver les ressources fiscales des États membres et de conserver un caractère national à l'attribution du produit d'un impôt dont le fonctionnement serait devenu purement communautaire.
Toutefois, la Commission européenne estime qu'une réattribution des recettes entre les États membres ne devra en aucun cas être fondée sur des données provenant des déclarations fiscales des assujettis. En effet, une telle solution réintroduirait le suivi physique des biens et nécessiterait de rétablir à des fins de réattribution la distinction entre opérations domestiques et opérations intracommunautaires qui aurait été supprimée au stade de l'imposition.
C'est pourquoi la Commission européenne a proposé de déterminer les recettes revenant à chaque État membre en fonction de la base statistique de la consommation finale taxée sur son territoire.
En pratique, cette réattribution sur une base macro-économique des recettes de TVA serait mise en oeuvre en utilisant les modalités de comptabilisation de la ressource propre TVA, une régularisation a posteriori des montants répartis sur une première estimation intervenant avec un décalage de deux ans.
Toutefois, ce mécanisme de compensation n'apparaît pas suffisamment fiable. Tout d'abord, la détermination de l'assiette de la consommation taxable nécessite de retraiter les données de la comptabilité nationale afin d'en exclure les consommations finales non soumises à la TVA. Ces modalités de calcul conventionnelles pourront toujours être contestées, tandis que les données de base elles-mêmes apparaissent sujettes à caution, tant les différentes comptabilités nationales prennent en compte inégalement l'économie souterraine.
Par ailleurs, au-delà de la question de la qualité statistique des indicateurs, le système de compensation envisagé risque d'avoir pour effet d'inciter les États membres commercialement excédentaires vis-à-vis du reste de la Communauté à relâcher leur vigilance fiscale. En effet, leurs administrations n'auraient plus directement intérêt à veiller à la bonne perception de recettes qui seraient attribuées à d'autres États membres.
Ainsi, compte tenu des montants en jeu, qui pourraient porter sur plus d'un point de PIB pour les pays les plus ouverts aux échanges, cette double incertitude rend inacceptable le mécanisme de compensation proposé par la Commission européenne.
En résumé, le projet de régime commun de TVA présenté par la Commission est, dans son principe, parfaitement en ligne avec l'objet de la Communauté européenne et particulièrement adapté au fonctionnement du marché unique. Il pourrait convenir à un État fédéral mais, en l'état actuel de la construction européenne, il aurait pour chacun des États membres des conséquences insoutenables.
Son entrée en vigueur aujourd'hui entraînerait à la fois des délocalisations d'activités, des pertes de recettes fiscales et une réduction des marges de manoeuvres budgétaires des États membres.
Ainsi, une mise en oeuvre prématurée du régime définitif apparaît de nature à compromettre sérieusement le succès de l'Union économique et monétaire. Or, toute précipitation ou tout défaut de rigueur se retournerait contre la construction européenne en alimentant les critiques de ses détracteurs.
La cohérence du système proposé par la Commission européenne est telle qu'il n'est pas concevable de renoncer à un seul de ses éléments sans devoir renoncer à l'ensemble. C'est pourquoi la présente proposition de résolution demande au Gouvernement de ne pas retenir les propositions de la Commission tant que les conditions pour le passage au régime définitif ne seront pas réunies.
Du reste, au cours de ses entretiens, votre rapporteur a pu constater que cette attitude pragmatique, seule à même de progresser vers une Europe solide, était de plus en plus largement partagée à Bruxelles. Ainsi, le commissaire européen chargé de la fiscalité, M. Mario Monti, semble également considérer que le passage au régime définitif ne peut être aujourd'hui engagé sans risques et que, dès lors, le délai ouvert est suffisamment long pour qu'on ne puisse plus refuser de le consacrer à améliorer le régime transitoire.
III. LE RÉGIME ACTUEL DE TVA INTRACOMMUNAUTAIRE : DES AMÉLIORATIONS INDISPENSABLES
Dès lors que l'on renonce jusqu'à nouvel ordre à passer au régime définitif de TVA, il apparaît urgent d'améliorer le régime dit provisoire, qui semble finalement appelé à durer. La Commission européenne, qui a investi beaucoup de sa capacité de réflexion dans le projet de régime commun, devrait s'y consacrer sans réserve car les améliorations apportées au régime transitoire ne peuvent que profiter à terme au régime définitif.
Sans prétendre être en mesure de définir les mesures nécessaires, votre rapporteur a pu, grâce aux auditions auxquelles il a procédé, identifier certaines pistes d'amélioration qui peuvent être regroupées sous trois rubriques : prévenir la fraude ; combler les lacunes ; réduire les divergences.
A. PRÉVENIR LA FRAUDE
1. Des possibilités de fraude accrues
Le système transitoire de TVA intracommunautaire, tel qu'il a été défini par la directive du Conseil n o 91/680 du 16 décembre 1991, repose sur trois principes essentiels :
La fin des restrictions à l'achat pour les particuliers, qui sont imposés à la TVA dans le pays d'origine des biens qu'ils achètent, sauf pour l'achat des véhicules neufs et les ventes par correspondance ;
L'abolition des contrôles aux frontières pour les entreprises, qui ont ainsi bénéficié de la suppression des frais d'accomplissement des formalités douanières (rémunération des commissionnaires en douane, cautionnement, charges administratives) et du préfinancement de la TVA à l'importation ;
Le maintien de la taxation dans le pays de destination, qui a permis de préserver les recettes de chaque État membre.
La TVA intracommunautaire est avant tout une notion comptable. Il s'agit de la taxe liquidée par un opérateur assujetti dans un État membre sur ses acquisitions en provenance d'autres États membres de la Communauté. La TVA due sur ces acquisitions intracommunautaires est alors déductible par l'opérateur dans les mêmes conditions que la TVA sur ses achats réalisés auprès d'entreprises nationales.
Ainsi, l'entreprise assujettie déclare, liquide et déduit sur un même formulaire la TVA due au titre de ses acquisitions intracommunautaires. L'essentiel de la TVA intracommunautaire déclarée par les entreprises ne donne donc lieu à aucun paiement effectif, exception faite des assujettis partiels et des achats non déductibles.
La contrepartie de la disparition des formalités aux frontières se trouve dans de nouvelles obligations déclaratives des entreprises :
- par la déclaration d'échange de biens (DEB), les entreprises doivent communiquer chaque trimestre un état récapitulatif de leurs livraisons intracommunautaires par client et retracer dans une déclaration statistique détaillée leurs mouvements de marchandises avec les autres pays européens. Les informations collectées par la DEB permettent d'établir les statistiques du commerce extérieur et, grâce à des recoupements bilatéraux, de détecter les fraudes à l'acquittement de la TVA ;
- le numéro d'identification communautaire, attribué à chaque entreprise, permet au fournisseur de s'assurer que son client est bien assujetti à la TVA dans son pays et peut donc recevoir une livraison exonérée de taxe.
Le régime transitoire de TVA intracommunautaire, système déclaratif où la taxe est autoliquidée par les entreprises, se prête à des fraudes d'un type nouveau. Le rapport sur l'évolution de la TVA depuis la mise du marché unique présenté par le Gouvernement en juin 1996 a recensé trois principaux mécanismes de fraude liés au système de TVA intracommunautaire :
La non-déclaration d'acquisitions intracommunautaires, qui permet d'alimenter un circuit de commercialisation occulte ou de déduire abusivement la TVA sur des marchandises acquises hors taxe auprès d'un fournisseur communautaire.
La déclaration d'acquisitions intracommunautaires fictives, alors que les biens concernés sont écoulés sur le territoire national. L'entreprise fraudeuse peut alors soit s'octroyer un avantage concurrentiel en facturant les biens hors taxe, soit encaisser pour son propre compte la TVA facturée à ses clients.
La constitution de montages juridiques plus complexes. Certains de ces montages, dits carrousels, reposent sur des circuits commerciaux entre entreprises éphémères établies dans différents États membres, qui permettent de constituer des droits à déduction sans fondement. D'autres montages exploitent les failles des régimes particuliers de TVA intracommunautaire, tels que ceux des automobiles, des ventes par correspondance, ou des travaux à façon.
2. Une faiblesse préoccupante des recettes de TVA
Les craintes suscitées par les possibilités de fraudes nouvelles semblent confirmées par la faiblesse des recettes de TVA en France depuis l'entrée en vigueur du régime transitoire intracommunautaire.
Certes, la diminution marquée des recettes de TVA intracommunautaire enregistrée entre 1992 et 1993, qui sont passées de 104,9 milliards de francs à 83,8 milliards de francs, n'est pas significative.
En effet, cette baisse s'explique à la fois par le changement du mode de perception de la TVA intracommunautaire qui, au lieu d'être due lors de l'entrée sur le territoire national, est désormais déclarée à la fin du mois suivant la livraison, et par la récession traversée par l'économie française en 1993, qui a réduit sensiblement les importations en provenance du reste de la Communauté. Mais ces raisons conjoncturelles n'expliquent pas le manque de dynamisme préoccupant du produit de la TVA en France.
Depuis 1992, les recettes nettes de TVA progressent à un rythme inférieur à celui des indicateurs économiques pertinents que sont le PIB, la consommation finale des ménages et les emplois taxables. Ce phénomène peut s'expliquer par des raisons d'ordre économique, telles que la déformation de la structure de consommation des ménages en faveur des biens les moins taxés ou le fait que la croissance soit tirée par des exportations exonérées de taxes. Mais il pourrait également recouvrir un développement de la fraude fiscale dans le cadre du régime intracommunautaire.
L'analyse de la Cour des Comptes des Communautés européennes, dans son dernier rapport de novembre 1996, est sur ce point sans appel. En effet, la Cour estime que "l'instauration du régime transitoire de TVA sur les échanges intracommunautaires en 1993 s'est accompagnée, pour cette année, d'une stagnation des recettes nettes TVA qu'on ne peut expliquer par des facteurs tels que la croissance économique, l'inflation ou les changements de taux et d'assiette. La question est de savoir si ce phénomène est dû uniquement à des délais techniques liés à ce nouveau régime ou s'il a d'autres causes... Les données disponibles pour la période 1989-1994 confirment que l'arrêt de la croissance des recettes en 1993 ne peut être expliqué au niveau général par la modification de trois principaux facteurs d'évolution des recettes de TVA (changements de taux et de base de TVA, inflation, croissance du volume de l'activité économique). Elles indiquent une perte de recettes TVA potentielle, de l'ordre de 5 à 6 % pour 1993. Ce manque à gagner pour l'ensemble des États membres serait de l'ordre de 18 milliards d'écus en 1993, compte non tenu des fluctuations du taux de l'écu 4 ( * ) ".
En tout état de cause, il serait curieux que le phénomène de fraude à la TVA intracommunautaire soupçonné à l'échelle européenne par la Cour des Comptes des Communautés épargne la France. Si des facteurs économiques de fond peuvent expliquer la stagnation des recettes de TVA, votre rapporteur doit constater que ces facteurs sont bien mal anticipés dans les prévisions de recettes fiscales soumises au Parlement.
En effet, les prévisions des recettes brutes de TVA des dernières lois de finances ont constamment été démenties. Le tableau ci-dessous permet de comparer les prévisions de recettes présentées en loi de finances initiale, les prévisions de recettes modifiées en loi de finances rectificative, et les recettes effectives constatées en loi de règlement.
Bien sûr, l'écart entre les prévisions et les réalisations de recettes de TVA s'explique principalement par les erreurs sur la prévision de croissance, notamment en 1993. Mais ce facteur joue beaucoup moins à compter de 1994, où les taux de croissance prévus par les lois de finances initiales ont été assez proches de la réalité. Il est remarquable de constater qu'en 1995, les recettes de TVA effectivement encaissées s'établissent à un niveau inférieur de 4 milliards de francs aux prévisions de la loi de finances initiale, alors même qu'un relèvement de deux points du taux normal de la TVA est intervenu en cours d'année.
3. Un dispositif de contrôle perfectible
En même temps que le régime transitoire de TVA intracommunautaire, un dispositif de contrôle spécifique a été mis en place.
Les États membres ont mis en place un système d'échange d'informations sur leurs transactions commerciales qui comporte une base informatique européenne des assujettis à la TVA, consultable tant par les administrations que par les entreprises, et un réseau informatisé de recoupement des acquisitions communautaires dit VIES (pour VAT information exchange system ), à l'usage des administrations.
Chaque État membre enregistre sur le système VIES les déclarations de livraisons intracommunautaires de ses entreprises. Les administrations fiscales peuvent alors recouper les données de VIES avec les montants des acquisitions intracommunautaires déclarées par leurs opérateurs nationaux pour identifier les discordances éventuelles. En cas d'anomalie, elles peuvent demander l'assistance de leurs homologues des autres États membres, dans le cadre d'une coopération administrative élargie.
En France, un instrument juridique de contrôle supplémentaire a été mis à la disposition des administrations fiscales. Il s'agit du droit d'enquête, qui permet à la DGI et aux douanes d'effectuer des contrôles de facturation inopinés, en matière de TVA intracommunautaire uniquement. Par ailleurs, les contrôles à la circulation pratiqués par les douanes contribuent au contrôle des échanges intracommunautaires, sans leur être réservés.
Un service commun à la douane et à la DGI a été créé pour développer les échanges d'informations entre les deux administrations, assurer l'assistance administrative due aux services fiscaux des autres États membres, et exploiter systématiquement les données intracommunautaires disponibles.
Ce dispositif de contrôle des échanges intracommunautaires apparaît encore très perfectible.
Tout d'abord, il reste difficile pour l'administration fiscale de faire la preuve de la fraude, une simple discordance entre les données VIES et les données nationales ne suffisant pas. Il est alors nécessaire de faire appel à l'assistance administrative internationale, dont la durée apparaît peu compatible avec les délais enserrant l'intervention sur place du vérificateur. Dans le cas des livraisons intracommunautaires, l'administration fiscale doit expertiser un faisceau d'indices pour contrôler la sortie effective du bien du territoire, ce qui aboutit en pratique à faire peser sur elle la charge de la preuve. Sur ce point, l'instauration d'un document d'accompagnement de la marchandise constituerait une amélioration notable.
D'autre part, la fréquence des contrôles apparaît faible au regard de la masse des transactions intracommunautaires. En 1996, il a été procédé en France à 800 droits d'enquête par les douanes et 1.500 par la DGI, à 6.000 contrôles de DEB, et à 12.000 contrôles à la circulation. Ces contrôles sont en outre beaucoup plus axés sur les acquisitions que sur les livraisons (dans un rapport de un à cinq). Or, les contrôles sur acquisitions sont largement des contrôles "pour ordre", puisque la TVA intracommunautaire redressée reste déductible. Ce sont les livraisons intracommunautaires non déclarées ou fictives qui alimentent les circuits occultes hors TVA ou les demandes de remboursement indues.
Au-delà des contrôles nationaux, les instruments de recoupement communautaires présentent des faiblesses constitutives.
D'une part, les données enregistrées sur le système VIES ne sont pas suffisamment stables dans le temps pour être correctement exploitables. Elles font l'objet de rectifications de la part des États membres sur des périodes trop longues et pour des montants trop importants. Ces corrections tardives et répétées sont de nature à décourager les administrations fiscales de vérifier des discordances qui se révéleraient seulement apparentes. Il serait donc souhaitable que la Commission européenne fixe des dates butoirs plus contraignantes aux services chargés d'alimenter le système VIES.
D'autre part, le système VIES souffre d'avoir été conçu sur un mode unilatéral. En effet, il n'enregistre que les déclarations d'acquisitions intracommunautaires alors que pour permettre des recoupements vraiment efficaces, il faudrait qu'il enregistre systématiquement les déclarations de livraisons intracommunautaires. Mais ce "bouclage" du système VIES a été rejeté lors de sa création, car une majorité d'États membres a souhaité ne pas imposer trop d'obligations déclaratives à leurs entreprises. En effet, pour être accepté et efficace, le régime de TVA intracommunautaire doit rester simple et économique.
B. COMBLER LES LACUNES
1. Rétablir une base taxable pour les transports de personnes internationaux
Les transports de personnes intracommunautaires aériens, maritimes et ferroviaires sont actuellement exonérés de TVA. Aucune raison de principe ne motive cette exonération, autre que l'incapacité des États membres à se mettre d'accord sur une règle de partage des recettes pour une prestation de transport intéressant plusieurs pays.
Pour les transports de personnes intracommunautaires par route, qui sont imposables lorsqu'il ne s'agit pas de transit, les recettes de TVA sont proratisées en fonction de la longueur des trajets effectués sur les différents territoires d'États membres.
Mais la proratisation n'apparaît pas gérable pour les autres modes de transport, toute la difficulté étant de trouver des règles simples de taxation. Ainsi, une taxation au lieu d'émission du billet ne serait possible que si les taux de TVA étaient identiques, sauf à mettre en place un système complexe de contrôle pour s'assurer que le lieu d'émission est bien en rapport avec le trajet effectué.
Outre les pertes de recettes résultant de cette exonération pour l'ensemble des États membres, celle-ci est de nature à entraîner des distorsions de concurrence. Ainsi, sur les liaisons transmanche, les ferries sont rentabilisés par les ventes hors taxe à bord, qui restent pour l'instant interdites à Eurostar.
2. Définir des règles pour les opérations intracommunautaires en chaîne
Des règles de taxation ont été définies pour la plus simple des opérations intracommunautaires en chaîne, l'opération triangulaire. Une opération intracommunautaire triangulaire est réalisée lorsqu'un premier assujetti à la TVA dans un État membre vend un bien à un deuxième assujetti établi dans un autre État, membre ou non de la Communauté, qui lui même le revend à un troisième assujetti établi dans un État membre, et que le bien est directement transporté de l'État membre du premier assujetti dans celui du troisième assujetti.
Dans cette hypothèse, le lieu de la livraison du bien est réputé situé dans l'État membre de départ et le lieu de l'acquisition est situé dans l'État membre d'arrivée, la transaction intermédiaire étant exonérée de TVA.
Toutefois, pour les opérations intracommunautaires en chaînes plus longues, qui impliquent plus de deux transactions successives, aucune règle de simplification n'est prévue et tous les participants sont tenus de s'identifier à la TVA dans un même État membre en y désignant un représentant fiscal.
C. RÉDUIRE LES DIVERGENCES
1. L'harmonisation du statut de la représentation fiscale
Lorsque des opérations imposables à la TVA sont effectuées par un assujetti non établi, les États exigent la nomination d'un représentant fiscal sur leur territoire, chargé de remplir les obligations fiscales aux lieu et place de l'assujetti.
Conçue pour assurer aux États membres le recouvrement de la taxe et pour faciliter l'accomplissement de leurs obligations par les opérateurs non établis, la représentation fiscale est apparue en pratique comporter des inconvénients pour les entreprises. Celles-ci sont confrontées à la très grande diversité des procédures de représentation fiscale applicables selon les États (documents requis, étendue de la responsabilité, fourniture d'une caution), à la lourdeur du système et à son coût de gestion.
En effet, l'étendue de la responsabilité solidaire du représentant fiscal conduit celui-ci à répercuter sur l'opérateur le coût du risque qu'il supporte, amplifié par celui de la garantie financière exigée par certains États membres. Une solution pour diminuer ces coûts pourrait consister à supprimer le principe de la responsabilité solidaire du représentant fiscal et à garantir le recouvrement aux administrations nationales par un fonds communautaire.
2. L'harmonisation des droits à déduction et des seuils d'exonération
La proposition de douzième directive du 25 janvier 1983 fixant la liste des dépenses n'ouvrant pas droit à déduction n'est toujours pas adoptée. Il serait pourtant urgent d'harmoniser les règles de récupération de la TVA, notamment sur les frais de représentation. Ainsi, la France interdit la déduction de la TVA afférente aux acquisitions d'automobiles par les entreprises ainsi qu'aux frais de restauration et d'hébergement, tandis que l'Allemagne admet la déduction intégrale de ces dépenses et que la Belgique et le Royaume-Uni en autorisent la déduction pour moitié. Ces divergences dans la définition des droits à déduction compliquent les procédures de remboursement de la TVA afférente aux frais engagés par les entreprises dans d'autres États membres que le leur.
Les seuils d'exonération des petites entreprises sont très variables selon les États membres. Ainsi, ce seuil a été fixé relativement bas en France, à 70.000 francs de chiffre d'affaires, dans le souci d'amener un maximum d'opérateurs économiques à tenir une comptabilité. Par comparaison, le seuil d'exonération est de 460.000 francs au Royaume-Uni. Ces différences perturbent le fonctionnement du régime de TVA intracommunautaire, puisqu'une entreprise exonérée dans un État membre peut se retrouver imposable lorsqu'elle opère dans un autre. Néanmoins, le niveau auquel devrait se faire l'harmonisation n'est pas aisé à définir. En effet, en relevant le seuil, on allège les coûts de gestion des petites entreprises mais on réduit parallèlement leurs droits à déduction. Ainsi, le niveau élevé du seuil d'exonération des PME au Royaume-Uni serait globalement bénéficiaire pour le fisc britannique.
3. L'adaptation des textes à la jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes
L'article 2 de la sixième directive TVA de 1977 donne une définition particulièrement laconique du champ d'application de la taxe, qui recouvre toute livraison de bien ou prestation de services "effectuée à titre onéreux à l'intérieur du pays par un assujetti en tant que tel". Cette définition en termes très généraux a rendu possible une évolution jurisprudentielle de la Cour de justice des Communautés européennes (CJCE) qui a progressivement réduit le champ de la TVA.
Ainsi, par l'arrêt "Apple and Pear Development Conseil" de 1988, la CJCE a exigé, pour qu'il y ait opération économique entrant dans le champ d'application de la TVA, l'existence d'un lien direct individualisé entre la prestation fournie et la contrepartie versée par le bénéficiaire. En conséquence, le Comité des pommes et poires britannique, financé par cotisations obligatoires des producteurs et poursuivant des actions de promotion très générales, s'est retrouvé hors du champ de la TVA.
Plus récemment, par l'arrêt "SATAM" de 1993, la CJCE a estimé que les dividendes perçus par une société-mère sur ses filiales sont hors du champ de la TVA et, par conséquent, ne peuvent pas entrer dans le calcul des droits à déduction.
Dernièrement, dans l'arrêt "Harnas et Helm" du 6 février 1997, la CJCE a considéré que la simple acquisition et la simple détention d'obligations, et la perception des revenus qui en découlent, ne constituent pas des activités économiques entrant dans le champ de la TVA et ne peuvent donc pas entrer dans le calcul des droits à déduction.
Cette jurisprudence de la CJCE, diversement interprétée par les administrations fiscales et par les juridictions nationales, rend fort complexes et incertaines juridiquement les modalités de calcul au prorata des droits à déduction par les assujettis partiels que sont les établissements financiers et les organismes publics 5 ( * ) . Il apparaît donc opportun de modifier le texte de la sixième directive de 1977 afin de donner une définition stable et sûre du champ d'application de la TVA, en précisant les notions de l'activité économique, du lien direct, et de l'assujetti agissant en tant que tel.
IV. LES PROPOSITIONS DE VOTRE RAPPORTEUR
Votre rapporteur vous recommande d'adopter la présente proposition de résolution, en lui apportant des précisions et des compléments sur certains points.
Alinéas 1 à 4
Visas
Sans modification.
Alinéa 5
Constat de l'obsolescence du régime de TVA applicable aux télécommunications
Sans modification.
Alinéa 6
Règles proposées par la Commission européenne pour les services de télécommunications
Sans modification.
Alinéa 7
Rappel des risques de distorsion de concurrence
La proposition de résolution rappelle qu'au sein même de l'Union européenne, les différences de taux de TVA entre États membres peuvent conduire, dans le secteur des télécommunications, à d'importants détournements de trafic du fait de la libéralisation et des progrès technologiques.
Votre rapporteur vous suggère de bien préciser que la proposition de la Commission européenne n'apporte pas de solution à ce problème dans le cas d'une prestation de télécommunications rendue par un opérateur établi dans la Communauté à un client européen.
Il vous suggère également de considérer que la proposition de la Commission européenne est à cet égard moins satisfaisante que le régime dérogatoire qui a été autorisé par le Conseil le 17 mars dernier.
Alinéas 8 à 10
Projet de système commun de TVA proposé par la Commission européenne
Sans modification.
Alinéa 11
Inconvénients de la règle de taxation sur un lieu unique
Votre rapporteur vous suggère de compléter cet alinéa en relevant que la proposition de taxation sur un lieu unique dans la Communauté apparaît contradictoire avec le souci affiché par la Commission européenne de réduire la concurrence fiscale dommageable entre les États membres.
Alinéa 12
Inconvénients du rapprochement substantiel des taux de TVA
Votre rapporteur vous propose un amendement rédactionnel.
Alinéas 13 et 14
Inconvénients du mécanisme de compensation entre les États membres
Sans modification.
Alinéas 15 et 16
Modification de la proposition de la Commission européenne pour le régime de TVA applicable aux télécommunications
Votre rapporteur vous propose d'exprimer de façon plus explicite le fait que la proposition de la Commission européenne sur le régime de TVA applicable aux télécommunications n'est que partiellement adaptée et que le Gouvernement doit plaider en faveur de la solution actuellement mise en oeuvre par voie dérogative.
Alinéas 17 à 20
Nécessité d'améliorer le régime de TVA transitoire
Ces alinéas tendent à affirmer que la seule voie de progrès est l'amélioration du régime transitoire, et à demander au gouvernement qu'il sollicite l'adoption et la mise en oeuvre des mesures nécessaires à l'élimination des lacunes et fraudes qui ont pu apparaître lors des premières années d'application de ce régime en Europe.
Votre rapporteur vous propose de compléter le texte de la résolution par un alinéa recensant les mesures d'harmonisation qui mériteraient d'être adoptées, ainsi que par un aliéna proposant de redéfinir le champ d'application de la TVA en fonction de la jurisprudence de la CJCE.
Alinéa 21
Rejet des propositions de la Commission européenne pour le système commun de TVA
Sans modification.
ANNEXE
PERSONNES AUDITIONNEES PAR LE RAPPORTEUR
M. Jean-Louis JOURNET , sous-directeur de la TVA au service de la législation fiscale.
M. Bruno ROBINE , membre de la commission fiscale de la Chambre de commerce et d'industrie de Paris.
M. Etienne BAREL , inspecteur des finances.
M. Christophe BRESSON , directeur fiscal de France Télécom.
M. Bernard PAYS, sous-directeur du contrôle fiscal de la direction générale des impôts.
M. Michel DERRAC, sous-directeur des affaires juridiques et contentieuses de la direction générale des douanes et droits indirects.
M. Mario MONTI , commissaire européen chargé de la fiscalité
EXAMEN EN COMMISSION
Réunie le mercredi 15 octobre 1997 la commission a procédé, sur le rapport de M. Denis Badré, à l'examen de sa proposition de résolution n° 265 (1996-1997), présentée en application de l'article 73 bis du règlement, sur la proposition de directive du Conseil modifiant la directive 77/388/CEE en ce qui concerne le régime de taxe sur la valeur ajoutée applicable aux services de télécommunications (n° E 785).
Rappelant l'origine de la proposition de résolution, M. Denis Badré, rapporteur, a indiqué qu'une proposition de directive E 785 relative au régime de TVA applicable aux services de télécommunications avait été transmise au Parlement en application de l'article 88-4 de la constitution, et que par ailleurs, la commission européenne avait présenté, en juillet 1996, un projet pour le passage au régime définitif de TVA. La délégation à l'Union européenne du Sénat a examiné ce projet, qui a fait l'objet d'un rapport d'information assorti de la présente proposition de résolution.
S'agissant de la TVA sur les télécommunications, le rapporteur a constaté qu'il s'agissait d'un problème lié à l'évolution des technologies, qui a rendu inadaptée la règle de droit commun selon laquelle la TVA est due au lieu du prestataire, les prestations de télécommunications pouvant maintenant être délocalisées hors de l'Union européenne. Les particuliers profitent de cette faille du système pour bénéficier de prestations de télécommunications hors TVA mais ce sont les banques et les compagnies d'assurance, assujetties partielles, qui en font un usage le plus systématique. Il en résulte à la fois un phénomène d'évasion fiscale et de graves distorsions de concurrence entre les opérateurs de télécommunications européens et les opérateurs de pays tiers.
M. Denis Badré, rapporteur, a indiqué qu'une solution avait déjà été apportée en début d'année par voie dérogatoire, consistant à appliquer la TVA au lieu du preneur et non plus du prestataire, quinze demandes identiques de dérogations en ce sens ayant été présentées par les États membres et acceptées par Bruxelles. Il a indiqué que la proposition de directive E 685 avait pour objet de modifier sur le fond la sixième directive de TVA. Le rapporteur a observé que la proposition faite par la commission était pour partie satisfaisante en ce qu'elle admet la règle de l'imposition au lieu du preneur pour les prestations rendues à un client situé hors de l'Union européenne. Pour les prestations rendues à des clients établis au sein de l'Union européenne, la commission propose d'en rester à la règle de droit commun, c'est-à-dire l'imposition au lieu du prestataire. Le rapporteur a affirmé que cette proposition de la commission rétablirait de graves distorsions de concurrence, que la proposition de résolution refuse.
M. Denis Badré, rapporteur, a souligné que la commission européenne avait en fait voulu appliquer par anticipation au secteur des télécommunications les solutions qu'elle préconise par ailleurs pour le futur régime commun de TVA. Dans ce régime commun, dit également régime définitif, la TVA serait due dans le pays d'origine des biens et non plus dans le pays de consommation. Il a rappelé que la délégation à l'Union européenne du Sénat avait été amenée à repousser ce régime commun pour deux raisons principales, la première de ces raisons étant les distorsions de concurrence et les délocalisations d'entreprises qui en résulteraient, la seconde étant que ce régime suppose un mécanisme de redistribution des recettes de TVA entre les États membres au prorata de leurs statistiques de consommation. Or, le bon fonctionnement d'un tel mécanisme de compensation serait tributaire de la fiabilité des statistiques disponibles, qui semblent encore très insuffisante. C'est pourquoi la proposition de résolution conclut qu'il est prématuré de passer au régime définitif dans les délais proposés par la commission européenne, c'est-à-dire d'ici à l'an 2001.
Le rapporteur a fait part d'un net changement d'attitude de la commission européenne depuis l'an dernier et a souligné que le commissaire européen en charge de la fiscalité, M. Mario Monti, fait preuve en la matière d'un grand pragmatisme en reconnaissant que le passage au régime définitif devait être reporté et qu'il était nécessaire d'améliorer le régime transitoire dans l'attente.
Le rapporteur a considéré qu'en effet le régime transitoire, globalement satisfaisant sous la réserve des fraudes auxquelles il se prête, mérite d'être amélioré sur plusieurs points.
M. Denis Badré, rapporteur, a alors proposé aux membres de la commission d'apporter plusieurs amendements au texte de la résolution de façon à y faire mention des derniers développements de la réflexion de la commission européenne en matière de concurrence fiscale dommageable, d'exprimer de façon plus explicite le désaccord avec sa proposition en matière de TVA applicable aux prestations de télécommunications, et de recenser les améliorations susceptibles d'être apportées au régime transitoire.
La commission a alors adopté le texte de la résolution ainsi modifié et complété.
Enfin, la commission a fixé au lundi 20 octobre, à 17 heures, le délai limite pour le dépôt, auprès de son secrétariat, d'éventuels amendements à ses conclusions et au mardi 21 octobre, à 17 heures 30, la date de sa réunion pour l'examen de ces amendements.
TEXTE DE LA PROPOSITION
DE RÉSOLUTION
ADOPTEE PAR LA COMMISSION
Le Sénat,
Vu l'article 88-4 de la Constitution,
Vu la proposition de directive du Conseil modifiant la directive 77/388/CEE en ce qui concerne le régime de taxe sur la valeur ajoutée applicable aux services de télécommunications (E 785),
Vu le document présenté par la Commission au Conseil le 22 juillet 1996 (COM (96) 328 final) "un système commun de TVA, un programme pour le Marché unique",
Considérant que la proposition d'acte communautaire E 785 vise à modifier les règles de T.V.A. applicables aux services de télécommunications ; que les règles en vigueur ne prennent en effet pas en considération les progrès technologiques qui permettent de fournir des services de télécommunications à l'intérieur de l'Union à partir de pays tiers (système dit du "call back") ;
Considérant que la proposition E 785 prévoit qu'à partir du 1er janvier 1999, le lieu des prestations de services de télécommunications sera l'endroit où le client est installé et non plus le lieu où est établi le prestataire de services lorsque ce prestataire est situé en dehors de la Communauté ; qu'elle dispose en outre que si un prestataire établi en dehors de la Communauté est identifié à la T.V.A. dans un État membre pour y avoir rendu un service de télécommunications, il sera considéré comme établi dans cet État membre ;
Considérant qu'au sein même de l'Union européenne, les différences de taux de T.V.A. entre États membres peuvent conduire, dans le secteur des télécommunications, à d'importants détournements de trafic du fait de la libéralisation et des progrès technologiques précédemment évoqués ; que la proposition de directive E 785 n'apporte pas de solution à ce problème en maintenant la règle de l'imposition des prestations de télécommunication au lieu d'établissement du prestataire lorsque celui-ci est établi au sein de la Communauté ; qu'elle est à cet égard moins satisfaisante que le régime dérogatoire autorisé par la décision du Conseil 97/205/CE en date du 17 mars 1997 ;
Considérant que la proposition de directive E 785 tend à appliquer d'ores et déjà la solution esquissée pour le régime futur de T.V.A., à savoir le principe d'une seule identification à la T.V.A. à l'intérieur de l'Union européenne pour toutes les prestations de services de télécommunications ;
Considérant que le "système commun de T.V.A." proposé par la commission européenne relève bien des dispositions de l'article 99 du traité de Rome qui lui ont fait l'obligation de présenter au Conseil des mesures d'harmonisation des législations relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires, et qu'il va bien dans le sens de la construction européenne ;
Considérant que ce système, qui est conforme, dans son ambition, à l'intérêt du marché unique, pose néanmoins un problème d'une tout autre ampleur que la simple harmonisation de la T.V.A. en Europe dans la mesure où il exige un rapprochement substantiel des taux et un bon fonctionnement du système de compensation entre les États ;
Considérant que les propositions de la Commission sur un lieu unique de taxation pourraient être à l'origine de nouvelles fraudes contre lesquelles il serait difficile aux États membres de lutter efficacement ; que ce mécanisme du lieu unique de taxation est par ailleurs de nature à encourager les détournements de trafic commercial et les délocalisations de sièges d'entreprises ; qu'il apparaît contradictoire avec le souci de réduction de la concurrence fiscale dommageable affiché par la Commission ;
Considérant que le rapprochement substantiel des taux, nécessaire pour éviter une concurrence fiscale dommageable, reviendrait à limiter la marge de manoeuvre fiscale des États membres à un moment où ceux-ci sont engagés dans des efforts budgétaires liés à la mise en place de la monnaie unique ; qu'un rapprochement des taux de T.V.A. ne peut donc être envisagé dans un avenir proche ;
Considérant en outre que le bon fonctionnement du système de compensation entre les États membres reste plein d'incertitudes compte tenu des faiblesses des moyens statistiques révélées par la Cour des Comptes des Communautés européennes ;
Considérant que le mécanisme de compensation envisagé par la Commission pourrait avoir pour contrepartie une perte de recettes publiques dont l'ampleur ne peut être appréciée à ce stade ;
1. Sur la proposition de directive concernant la TVA. applicable aux services de télécommunications :
Approuve les règles de territorialité de la taxe proposées par la Commission pour les services rendus par les prestataires communautaires à des clients établis en dehors de la Communauté ;
Demande au Gouvernement qu'il sollicite l'extension de ces règles aux services rendus par les prestataires communautaires à des clients établis au sein de la Communauté.
2. Sur le régime commun de T.V.A. en Europe :
Estime que la seule voie de progrès reste, aujourd'hui, dans l'amélioration du régime dit transitoire ;
Demande par conséquent au Gouvernement :
- qu'il sollicite l'adoption et la mise en oeuvre des mesures nécessaires à l'élimination des lacunes et fraudes qui ont pu apparaître lors des premières années d'application du régime actuel de T.V.A. en Europe ;
- qu'il sollicite l'adoption de mesures d'harmonisation portant, notamment, sur le statut de la représentation fiscale, sur les droits à déduction et sur les seuils d'exonération ;
- qu'il sollicite la redéfinition du champ d'application de la TVA en fonction de la jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes ;
- qu'il ne retienne pas, au stade actuel, les propositions de la Commission sur le système commun tant que les conditions pour le passage au régime définitif ne seront pas réunies.
* 1 Rapport d'information n o 436 (1996-1997) - "Maîtriser la société de l'information: quelle stratégie pour la France ?".
* 2 Rapport d'information n o 3418 (1996-1997) sur des propositions d'actes communautaires soumises par le Gouvernement à l'Assemblée nationale du 14 février au 6 mars 1997.
* 3 Rapport d'information n° 264 (1996-1997) "Pour ou contre le futur système de TVA en Europe"
* 4 108 milliards de francs.
* 5 Les redevables partiels, qui ont à la fois des recettes taxées et des recettes non taxées, calculent leur TVA déductible à l'aide d'un prorata financier, égal au rapport des recettes taxées sur les recettes totales.