EXAMEN EN COMMISSION
Réunie le mardi 4 novembre 1997 sous la
présidence de M. Christian Poncelet, président, la
commission la commission a procédé à l'examen des
principaux éléments de l'équilibre du projet de loi de
finances pour 1998, sur le rapport de M. Alain Lambert, rapporteur
général.
M. Alain Lambert, rapporteur général, a tout d'abord
présenté l'environnement macro-économique dans lequel
s'inscrivait ce budget. Il a souligné que le "consensus", qui
régnait encore au début de l'été, commençait
à s'effriter, et que l'hypothèse de 3 % de croissance en 1998
tendait plus à relever du "volontarisme" que du "réalisme",
tant
les aléas s'étaient accumulés, liés à des
phénomènes externes ou aux mesures de politique économique
prises ou envisagées par le Gouvernement.
Dans ces conditions, il apparaît que le pari du budget de 1998, celui
d'une relève des exportations par la consommation et l'investissement,
n'est pas gagné d'avance. En effet, pour atteindre le taux de croissance
affiché, l'investissement des entreprises doit s'accroître de plus
de 4 %. Plusieurs indices économiques militent incontestablement en ce
sens, mais l'investissement exige un cadre fiscal et institutionnel stable et
prévisible qui semble compromis par les effets conjoints du
prélèvement fiscal supplémentaire, des incertitudes sur le
passage aux 35 heures, de la baisse de la ristourne dégressive sur les
bas salaires et de l'absence de maîtrise effective des dépenses
publiques.
M. Alain Lambert, rapporteur général, a estimé
également que des craintes sérieuses pouvaient être
émises sur le partage du revenu entre l'épargne et la
consommation, sans parler de l'inquiétude croissante manifestée
par les Français sur l'avenir de leurs retraites et qu'au total, cette
sensibilité rendait fragile l'objectif d'un solde budgétaire
fixé à 3,05 % du produit intérieur brut qui est pourtant
le garant de notre crédibilité vis-à-vis de nos principaux
partenaires. Or, cette crédibilité est déjà
relative dans la mesure où la France occupe, au regard du critère
du déficit public, l'avant-dernier rang parmi les pays de l'Union
européenne.
M. Alain Lambert, rapporteur général, a rappelé
l'intérêt pour l'Etat de respecter le critère de
plafonnement à 3 % du PIB pour les déficits publics : en
effet, 3 % du PIB représentent 16 % des dépenses de l'Etat, ce
qui revient à dépenser 16 % de plus que ce qu'il est possible de
prélever sur les contribuables ; c'est aussi un solde qui, pour
simplement stabiliser la dette de l'Etat, devrait être
amélioré de 98,7 milliards de francs ; enfin, c'est un niveau de
déficit qui aboutira encore à accroître le stock de la
dette de 257 milliards de francs en 1998.
M. Alain Lambert, rapporteur général, a souligné que ces
indications confirmaient qu'au-delà du respect de nos engagements
européens, la réduction du déficit était une
nécessité incontournable, et un impératif absolu qui
devait être partagé par toute la Nation et rassembler toutes les
sensibilités politiques républicaines.
M. Alain Lambert, rapporteur général, a ensuite estimé que
les dépenses de l'Etat n'apparaissaient pas maîtrisées : en
effet, la croissance des charges réelles sera supérieure en 1998
à celle prévue pour l'année en cours (+ 1,87 % pour les
charges réelles contre + 0,81 % dans le projet de loi de finances pour
1997), et ce alors même que le surcroît de croissance prévu
devrait donner une marge de manoeuvre supplémentaire.
Cette augmentation de 21,3 milliards de francs correspond, au franc
près, aux conséquences des dérives spontanées des
frais de personnel (+ 19 milliards) et de la charge de la dette (+ 2,2
milliards).
Face à ce constat, M. Alain Lambert, rapporteur général, a
rappelé que la préconisation constante de la commission de mener
à bien une remise en ordre des finances publiques n'était pas
reprise par ce projet de budget.
En effet, alors même que la commission avait salué la diminution
des effectifs opérée par la loi de finances pour 1997, le projet
de budget pour 1998 se caractérisait par un nouveau renversement de
tendance en créant 6.500 emplois nouveaux, dont 490 au titre des budgets
civils. Cette nouvelle pression sur la dépense s'accroîtra en
outre considérablement à terme, tant par la création
annoncée de 350.000 emplois-jeunes que par le refus de réexaminer
les régimes spéciaux de retraite. Dans ces conditions, il est
à redouter qu'à l'instar des années 80, le Gouvernement
recrée les conditions d'un emballement de la dépense publique. En
effet, les crédits civils de rémunérations et charges
sociales se sont accrus de près de 120 milliards de francs entre 1987 et
1996, les retraites totales augmentant, elles, de 56 milliards sur la
période (soit + 52 % environ).
De la même manière, M. Alain Lambert, rapporteur
général, a estimé que les transferts sociaux
n'étaient toujours pas sous contrôle, comme en témoignent
les crédits consacrés au revenu minimum d'insertion, à
l'allocation pour adultes handicapés et aux aides personnelles au
logement, qui continuent de s'accroître sensiblement (de 5 milliards de
francs en 1998), portant ainsi leur augmentation, depuis 1992, à
près de 70 %.
M. Alain Lambert, rapporteur général, a souligné que,
dès lors que l'ajustement ne s'opérait ni sur les frais de
personnel, ni sur les transferts sociaux, c'était l'investissement,
notamment militaire, qui devenait la variable d'ajustement et continuait
d'être amputé de 8 milliards de francs en 1998. Le rapporteur
général a souligné également que la politique
d'allégement du coût du travail peu qualifié était
sérieusement infléchie (de - 6,5 milliards de francs) et que les
économies présentées comme telles n'étaient en fait
que des jeux d'écriture, par le truchement de transferts de
dépenses vers les comptes spéciaux du Trésor, de
prélèvements sur diverses trésoreries, de prises en charge
de dépenses de compensation démographique par le régime
général...
M. Alain Lambert, rapporteur général, a estimé qu'au
total, il n'y avait pas de véritable maîtrise des dépenses.
Il a insisté par ailleurs sur le fait qu'un certain nombre d'actions
annoncées n'étaient pas budgétées, en tout ou
partie, telles que la prise en charge de 20 milliards de francs de dette de la
SNCF, le financement du nouveau plan textile, le financement de la future loi
sur l'exclusion, de la loi d'orientation agricole, des conséquences du
passage aux 35 heures.
M. Alain Lambert, rapporteur général, a estimé que la
commission ne pouvait adhérer à ces choix qui vont à
l'encontre de ses conclusions constantes, sans cesse réaffirmées
depuis 1992 : aussi, a-t-il annoncé qu'il recommanderait de proposer au
Sénat de marquer, sans ambiguïté, sa volonté et sa
constance dans la voie de la maîtrise des dépenses et d'inscrire
l'oeuvre de redressement dans la durée en ramenant le montant des
dépenses du budget général à celui de la loi de
finances initiale pour 1997 et en opérant, par voie de
conséquence, une réduction de dépenses de 21,3 milliards
de francs.
Afin d'atteindre ce montant d'économies, M. Alain Lambert, rapporteur
général, a estimé qu'il pourrait être proposé
au Sénat d'engager deux démarches complémentaires : en
premier lieu, la réalisation d'"économies ciblées" sur des
crédits consacrés à des politiques du Gouvernement qu'il a
estimées contestables, comme la fonction publique, l'emploi,
l'éducation nationale et, en second lieu, une réduction
forfaitaire appliquée aux autres budgets, à l'exception des
budgets présentés en diminution et des "budgets
régaliens", qui porterait sur les dépenses des titres III et IV,
à l'exclusion des dépenses en capital.
M. Alain Lambert, rapporteur général, a ensuite estimé
que, contrairement à la présentation faite par le Gouvernement,
les prélèvements obligatoires ne baisseraient pas en 1998.
Les recettes fiscales nettes pour 1998, comparées aux estimations
révisées de 1997, sont en progression en valeur de 43 milliards
de francs. La loi portant mesures urgentes à caractère fiscal et
financier permet optiquement de réduire cette progression : sans
l'intervention de ces mesures urgentes, l'augmentation de recettes
s'élèverait à 66,5 milliards de francs. La prise en compte
de ce projet de loi permet d'ailleurs de comprendre comment un budget
réputé "infaisable" en début d'année 1997 devient
un budget presque "simple" à boucler à l'automne.
Si l'on exclut l'effet de la soulte de 37,5 milliards de francs de France
Telecom, l'amélioration du déficit entre 1997 et 1998 est de 59,3
milliards de francs.
Afin d'expliquer le bouclage du budget de 1998, M. Alain Lambert, rapporteur
général, a estimé qu'il convenait de mettre en perspective
les effets de l'abandon de la deuxième année du plan quinquennal
de baisse de l'impôt sur le revenu, les effets de la loi portant mesures
d'urgence à caractère fiscal et financier, les effets des
augmentations d'impôts associés au projet de loi de finances pour
1998 et enfin, la diminution des dépenses militaires. En effet,
l'addition de ces éléments donne un total voisin de 51 milliards
de francs.
Si l'on tient compte ensuite de l'effet favorable de la croissance sur les
recettes, il apparaît que ce sont l'accroissement de la fiscalité
et l'abandon de la trajectoire de la loi de programmation militaire qui
permettent d'atteindre l'équilibre du budget pour 1998, alors qu'aucune
maîtrise des dépenses civiles n'est engagée.
M. Alain Lambert, rapporteur général, a souligné que la
concomitance des discussions du projet de loi de finances et du projet de loi
de financement de la sécurité sociale obscurcissait
singulièrement le débat en créant une incertitude sur
l'étendue de la déductibilité de la contribution sociale
généralisée, et sur les effets sur la consommation de la
surtaxation de l'épargne par des prélèvements sociaux.
M. Alain Lambert, rapporteur général, a insisté sur le
fait qu'à législation constante, les prélèvements
sur les entreprises s'accroîtraient de 23,7 milliards de francs en 1998,
avant prise en compte des aggravations adoptées par l'Assemblée
nationale (environ 2 milliards de francs) avec des effets nuisibles tels que la
recherche de productivité au détriment de l'emploi, les hausses
de prix dans les secteurs abrités, l'attentisme en matière
d'investissement et la dégradation de notre compétitivité
fiscale par rapport à nos grands concurrents étrangers.
Pour les ménages, et selon les mêmes hypothèses,
l'aggravation serait de 10 milliards de francs au titre du projet de loi de
finances et de 23 milliards de francs supplémentaires au titre du projet
de loi de financement de la sécurité sociale, soit 8 milliards de
francs de plus que le gain de 15 milliards de francs induit par le basculement
de la cotisation d'assurance maladie sur la contribution sociale
généralisée.
M. Alain Lambert, rapporteur général, a estimé que ces
choix fiscaux aboutissaient à renier les engagements de l'Etat puisque
l'abandon du processus quinquennal d'allégement de l'impôt sur le
revenu, adopté l'année dernière, ajouterait (au poids
déjà élevé de l'impôt), la nuisible
réputation d'instabilité et d'absence de lisibilité de
notre fiscalité. Il a annoncé qu'il proposerait donc le
rétablissement du dispositif de réduction de l'impôt sur le
revenu adopté l'an dernier, tel qu'il avait été
configuré pour 1998. A l'inverse, il ne proposerait pas de revenir sur
les mesures d'urgence, bien que rejetées par le Sénat, mais
adoptées récemment par l'Assemblée nationale, dans le
souci de ne pas changer à tout moment la règle fiscale, ce qui
découragerait les contribuables.
M. Alain Lambert, rapporteur général, a précisé
qu'il proposerait, au Sénat, de réduire les
prélèvements sur les Français, au titre du budget pour
1998, de 22,450 milliards de francs, dont 18 milliards de francs environ pour
la baisse de l'impôt sur le revenu engagée en 1997, afin de
marquer ainsi la volonté du Sénat de poursuivre la décrue
des impôts amorcée l'année dernière.
M. Alain Lambert, rapporteur général, a conclu en rappelant que
la politique du Gouvernement, telle qu'elle se traduit dans le projet de loi de
finances pour 1998, aurait pu justifier, comme en 1992, un rejet du budget pour
exprimer clairement le désaccord du Sénat. Toutefois, cette
démarche aurait eu pour effet d'empêcher la Haute Assemblée
de proposer les alternatives souhaitables et possibles aux choix du
Gouvernement. Aussi, la solution préconisée par le rapporteur
général sera d'adopter un "budget infléchi" comportant les
corrections nécessaires, c'est-à-dire une vraie réduction
des dépenses, pour prélever moins d'impôts, grâce
à la mise en oeuvre d'une nécessaire et urgente réforme de
l'Etat.
Un large débat s'est ensuite instauré au sein de la commission.
En réponse à M. Roland du Luart, le rapporteur
général a estimé à 43 milliards de francs le
montant des prélèvements fiscaux prévus dans le projet de
loi de finances pour 1998, tandis que le projet de loi de financement de la
sécurité sociale pour 1998 préconisait des
prélèvements supplémentaires de 12,7 milliards de francs.
M. Alain Lambert, rapporteur général, a ensuite souligné
que le respect des critères de Maastricht en 1998 supposait une
hypothèse optimiste d'amélioration des comptes spéciaux.
Il a, par ailleurs, annoncé qu'il soumettrait à l'examen de la
commission, après vérifications techniques, une
présentation du budget de l'Etat en sections de fonctionnement et
d'investissement pour 1997 et 1998.
S'agissant des dépenses de fonction publique, M. Alain Lambert,
rapporteur général, a souligné qu'elles progressaient de
3,3 % en 1998, pour atteindre 610 milliards de francs, et que l'administration
française, dont le poids était manifestement excessif, se devait
d'améliorer son efficacité. Il a insisté sur la
nécessité pour l'Etat de moderniser la gestion de ses ressources
humaines, une étude récente de l'OCDE montrant que la France, par
rapport à ses partenaires, avait très nettement
privilégié l'emploi public tout en aggravant la situation du
chômage.
Répondant à M. Marc Massion, le rapporteur général
a insisté sur le fait que ses positions s'inscrivaient dans la
continuité des positions prises sur les précédents
budgets, et il a estimé que les précautions prises par le
Gouvernement pour afficher les prévisions économiques
n'étaient en rien une garantie contre une fragilisation du solde
budgétaire. Il a enfin souligné que le niveau et l'affectation
des effectifs publics ne devaient pas être figés dans un contexte
où les missions de l'Etat évoluaient fortement.
M. Alain Lambert, rapporteur général, a, par ailleurs,
précisé que des informations sur l'augmentation des
prélèvements obligatoires au cours des années
passées figureraient dans le rapport général sur le projet
de loi de finances pour 1998. Il a souligné que les hausses
d'impôts opérées par le précédent
Gouvernement n'avaient pas été remises en cause par le
Gouvernement actuel.
En réponse à M. Maurice Blin, le rapporteur général
a adhéré à la suggestion de séparer, dans
l'appréciation portée sur la fonction publique, les agents
affectés à la gestion de l'Etat traditionnel de ceux
affectés aux nouveaux problèmes économiques et sociaux.
Répondant à MM. Roland du Luart et Philippe Marini, le rapporteur
général est convenu de la nécessité de
réexaminer les méthodes d'examen du projet de loi de financement
de la sécurité sociale, afin, ou bien de "consolider" ce texte
avec celui du projet de loi de finances, ou bien d'affecter l'examen des
dépenses sociales à la commission des affaires sociales, en
réservant l'examen des recettes à la commission des finances.
Répondant à M. Jean-Philippe Lachenaud, le rapporteur
général a rappelé que les recommandations de l'audit
réalisé au mois de juillet dernier par MM. Nasse et Bonnet, quant
à la nécessité de rendre plus efficiente la dépense
publique, avaient été perdues de vue dans l'élaboration du
projet de loi de finances pour 1998.
En réponse à M. Joël Bourdin, le rapporteur
général est convenu de la surestimation possible du taux de
croissance pour 1998.
M. Alain Lambert, rapporteur général, a ensuite approuvé
l'observation de M. Yann Gaillard, soulignant que la note récente de M.
Jean Choussat sur la fonction publique, commentée dans la presse,
était un document interne à l'inspection générale
des finances. Il a estimé indispensable d'approfondir le contrôle
sur les crédits dévolus aux dépenses de fonction publique,
en passant outre aux réticences éventuelles des ministères.
Répondant à M. Philippe Adnot, le rapporteur
général a estimé que le rôle des rapporteurs
spéciaux était de contrôler très
précisément l'utilisation des crédits des budgets
concernés. Il est convenu de l'existence de doublons dans
l'administration, à ses divers échelons.
En réponse à M. Denis Badré, le rapporteur
général a rappelé que les travaux menés l'an
passé par la commission sur la dépense fiscale avaient
été complétés par des études menées
par la Cour des Comptes. Il a précisé que les dépenses de
remboursements et dégrèvements ne pouvaient être
considérées comme dépenses fiscales, n'ayant pas d'objet
économique ou social.
Répondant à M. Paul Loridant, le rapporteur général
a souligné la différence de principe entre la démarche
qu'il préconisait sur la maîtrise de la dépense et la
recherche d'économies, en cours de discussion budgétaire,
à laquelle s'était livrée l'Assemblée nationale
lors de l'examen du projet de loi de finances pour 1997.
En conclusion, M. Christian Poncelet, président, a insisté sur
l'intérêt de la démarche de maîtrise de la
dépense publique préconisée par le rapporteur
général, et a rappelé la nécessité de
pouvoir faire le point chaque année de l'utilisation des crédits
du budget de l'Etat en cours d'exercice, sur présentation des
rapporteurs spéciaux de la commission.