ARTICLE 57 - Modalités de contrôle des revenus résultant d'une activité occulte découverte lors d'un examen contradictoire de la situation fiscale personnelle
Commentaire : cet article tend à insérer, dans le livre des procédures fiscales, un article L. 47 C, afin de permettre à l'administration fiscale de tirer toutes les conséquences fiscales de l'exercice d'une activité occulte découverte lors d'un examen contradictoire de la situation fiscale personnelle .
I. L'INDÉPENDANCE RELATIVE DES PROCÉDURES D'ÉXAMEN CONTRADICTOIRE DE LA SITUATION FISCALE PERSONNELLE ET DE VÉRIFICATION DES COMPTABILITÉS
A. DEUX PROCÉDURES FORMELLEMENT DISTINCTES
1. Quant à leur objet
L'examen contradictoire de la situation fiscale personnelle, prévu à article L. 12 du livre des procédures fiscales, concerne les personnes physiques au regard de l'impôt sur le revenu. À l'occasion de cet examen, l'administration fiscale contrôle la cohérence entre, d'une part, les revenus déclarés du contribuable et, d'autre part, la situation patrimoniale, la situation de trésorerie et les éléments du train de vie des membres du foyer fiscal.
La vérification de comptabilité, prévue à l'article L. 13 du livre des procédures fiscales, ne concerne que les catégories de revenus pour lesquelles le contribuable est astreint à la tenue d'une comptabilité ou encore les sociétés soumises à l'impôt sur le revenu.
2. Quant aux règles de procédure
Certes, tout examen contradictoire de la situation fiscale personnelle et toute vérification de comptabilité doivent être précédés de l'envoi d'un avis de vérification qui doit mentionner les années soumises à vérification et le droit, pour le contribuable, de se faire assister du conseil de son choix. De même, avant le début de toute vérification, l'administration doit envoyer la « charte du contribuable vérifié ».
Mais chacune de ces procédures obéit également à des règles propres.
Ainsi, la durée du contrôle lors de l'examen contradictoire de la situation fiscale personnelle est limitée à un an, ce délai étant porté à deux années en cas de découverte d'activité occulte.
De même, l'article L. 49 du livre des procédures fiscales dispose qu'à la suite d'un examen contradictoire de la situation fiscale personnelle, l'administration doit en porter les résultats à la connaissance du contribuable, même en l'absence de redressement.
En outre, aux termes de l'article L. 50 du livre des procédures fiscales, lorsqu'elle a procédé à un examen contradictoire de la situation fiscale personnelle, l'administration fiscale ne peut plus procéder à des redressements pour la même période et pour le même impôt, à moins que le contribuable n'ait fourni à l'administration des éléments incomplets ou inexacts.
La vérification de comptabilité, elle, est soumise à des règles précises concernant l'exigence d'un débat oral et contradictoire et le lieu où elle doit s'opérer. En effet, il résulte de l'article L. 13 et L. 52 du livre des procédures fiscales que la vérification de comptabilité est un contrôle sur place. Elle doit donc avoir lieu au siège de l'entreprise ou à son principal établissement, selon le cas.
En outre, pour les entreprises de moindre importance, la vérification de comptabilité ne peut s'étendre sur une durée supérieure à trois mois.
B. DES INTERFERENCES NOMBREUSES ENTRE LES DEUX PROCÉDURE MAIS QUI NE NUISAIENT PAS À L'ACTIVITÉ DE CONTROLE DE L ADMINISTRATION
1. Des procédures concomitantes et imbriquées
Très souvent, l'examen contradictoire de la situation personnelle fiscale résulte d'une vérification de comptabilité ou, à tout le moins, est engagé simultanément à cette dernière procédure.
Tel est le cas de vérifications dites « étendues ». La vérification est dite étendue lorsque l'examen de la comptabilité de l'entreprise s'est déroulé parallèlement à un examen contradictoire de la situation personnelle fiscale de l'exploitant individuel ou des principaux exploitants. Il s'agit alors, pour le vérificateur, de confronter les résultats déclarés ou la valeur des résultats reconstitués et fixés au montant apparent des ressources que laissent supposer le train de vie et les autres dépenses ou acquisitions de l'exploitant individuel ou des principaux exploitants.
À priori, l'examen contradictoire de la situation personnelle se distingue aisément de la vérification de comptabilité en ce que, par définition, il ne comporte pas l'examen d'une comptabilité, les particuliers n'étant pas astreints à la tenue de comptes en vue de l'assiette de l'impôt sur le revenu.
Toutefois, la pratique bancaire permettant l'utilisation d'un compte financier professionnel à des fins personnelles conduit l'administration à être confrontée, lors d'un examen contradictoire de la situation personnelle, à des comptes mixtes.
C'est pourquoi l'article L. 47 B dispose que cette dernière peut examiner les opérations figurant sur ces comptes et demander aux contribuables tous éclaircissements ou justifications sur ces opérations sans que ces demandes constituent le début d'une procédure de vérification de comptabilité.
2. Une jurisprudence favorable à l'administration
Un arrêt du Conseil d'État (CE, 22 mai 1992, Andreani), avait précisé que l'administration qui découvre, à l'occasion d'un examen contradictoire de la situation personnelle, une activité occulte, peut la taxer d'office sans avoir à opérer préalablement une vérification de comptabilité qui devrait, bien entendu, respecter les garanties du contribuable si elle était effectuée. Le fait de s'être mis en situation d'être taxé d'office prive le contribuable du bénéfice des garanties attachées aux procédures contradictoires de redressement.
Cet arrêt s'est avéré, à l'usage, très favorable à l'administration. En effet, celle-ci a considéré que si le contribuable était en position d'être évalué d'office, à raison des bénéfices retirés d'une activité découverte au cours d'une vérification personnelle, elle pouvait fixer le montant du revenu catégoriel taxable sans procéder à l'envoi d'un avis de vérification de comptabilité.
Or, dans son arrêt du 2 février 1996 (ministre du budget arrêt Jean-Paul Talbourdel), le conseil d'État a opéré un revirement de jurisprudence.
En effet, il a jugé que " si l'administration est en droit d'examiner, à l'occasion d'une vérification approfondie de la situation fiscale d'ensemble d'un contribuable, les comptes qui retracent à la fois les opérations privées et les opérations professionnelles qu'il a effectuées, elle ne peut, pour contrôler, et, le cas échéant, redresser les bénéfices retirés par l'intéressé de son activité professionnelle, se fonder sur les données qu'elle a pu recueillir en prenant connaissance des éléments des comptes bancaires qui, se rapportant à l'exercice de cette activité, ont le caractère de documents comptables, sans avoir procédé, préalablement, à une vérification de comptabilité, en respectant les garanties prévues par la loi pour ce type de contrôle ; que le fait que le contribuable se soit placé dans une situation qui autorise l'administration à évaluer d'office ses bénéfices professionnels n'a pas pour effet de couvrir le vice résultant de l'absence d'une vérification de comptabilité régulière, dès lors que cette situation n'a été révélée que par les investigations conduites au cours de la vérification approfondie de situation fiscale personnelle. "
II. UN DISPOSITIF QUI VISE À REDONNER À L'ADMINISTRATION DES MOYENS EFFICACES POUR SON ACTION SANS PARVENIR À CLARIFIER LES RELATIONS ENTRE L'EXAMEN CONTRADICTOIRE DE LA SITUATION PERSONNELLE ET LA VÉRIFICATION DE COMPTABILITÉ
A. UN DISPOSITIF QUI VISE À REDONNER À L'ADMINISTRATION DES MOYENS EFFICACES POUR SON ACTION
1. Les arguments en faveur de cette modification législative
Désormais, l'administration ne peut effectuer un redressement fiscal à la suite des renseignements professionnels qu'elle a retirés de l'examen des comptes mixtes sans engager une procédure de vérification de comptabilité au préalable.
Or, comme le faisait remarquer le commissaire du Gouvernement dans ses conclusions sur l'arrêt Talbourdel, « dans ce cas, exiger de lui (le vérificateur) l'envoi d'un avis de vérification de comptabilité paraît exagérément formaliste, d'autant que l'intérêt d'une vérification de comptabilité est de permettre une discussion contradictoire et qu'un tel débat a bien lieu dans le cadre de la procédure d'établissement des évaluations administratives prévues aux articles L. 7 et L. 8 du livre des procédures fiscales. »
En outre, il convient de rappeler que la vérification de comptabilité permet à l'administration de s'assurer de la régularité des écritures comptables ou de confronter les déclarations du redevable avec les écritures comptables en vue de contrôler la sincérité de ses déclarations. Or, les activités occultes se caractérisent justement par l'absence de comptabilité. Dans ces conditions, l'obligation d'engager une vérification de comptabilité apparaît surtout comme une contrainte supplémentaire et peu justifiée vis-à-vis de l'administration.
Par ailleurs, elle entraîne un allongement des procédures préjudiciable à l'efficacité du contrôle de l'administration. En effet, un examen contradictoire de la situation personnelle ne peut s'étendre sur une période supérieure à un an, cette durée étant portée à deux ans en cas de découverte, en cours de contrôle, d'une activité occulte. En outre, l'article L. 50 du livre des procédures fiscale interdit à l'administration, lorsqu'elle a procédé à un examen contradictoire de la situation personnelle de procéder à des redressements pour la même période et pour le même impôt. Une véritable course contre la montre s'engage donc entre, d'une part, le contribuable, qui essaie de gagner le plus de temps possible pour limiter au maximum le montant de son redressement et, d'autre part, l'administration.
Les services fiscaux contactés par votre rapporteur ont cité l'exemple d'un trafiquant de drogue ; nonobstant le caractère illicite de cette activité, le trafic de produits stupéfiants est considéré comme l'exercice d'une activité commerciale au sens de l'article 34 du code général des impôts. Si l'administration fiscale, suite à un examen contradictoire de la situation personnelle, constate un enrichissement inexpliqué à partir des encaissements bancaires, elle va adresser à la personne concernée une demande d'éclaircissement puis, en l'absence de réponse, une notification de redressement pour enrichissement inexpliqué.
Toutefois, si un mois avant l'expiration du délai de clôture de l'examen contradictoire de la situation personnelle, le contribuable reconnaît qu'il s'agit bien de bénéfices industriels et commerciaux, non seulement elle sera obligée de prendre en compte les charges pour lesquelles le contribuable pourra prouver qu'elles sont liées à cette activité et devra les déduire du bénéfice imposable, mais la procédure risque d'être annulée parce que l'administration n'aura pas engager de vérification de comptabilité. Or, le délai d'un an sera alors dépassé et l'administration sera dans l'incapacité de taxer le contribuable sur son bénéfice imposable. La situation actuelle conduit donc à paralyser l'administration fiscale.
2. Le dispositif
Le I de cet article propose de dispenser l'administration fiscale lorsque, au cours d'un examen contradictoire de la situation personnelle, sont découvertes des activités occultes ou mises en évidence des conditions d'exercice non déclarées de l'activité d'un contribuable, d'engager une vérification de comptabilité pour régulariser la situation fiscale du contribuable au regard de cette activité. Cet article vise donc toutes les situations dans lesquelles soit l'activité ne serait pas déclarée, soit l'activité principale masquerait une activité occulte. Dans ce dernier cas, on pourrait au premier abord estimer que cette disposition n'a pas à s'appliquer puisque l'existence d'une activité officielle implique la présence d'une comptabilité. Mais c'est oublier le formalisme de la vérification de comptabilité. En effet, l'administration ne doit pas envoyer un avis unique de vérification, qui couvrirait l'ensemble de la procédure. Le juge exige que soit adressé au contribuable un avis par activité. Or, le vérificateur ne pourra évidemment pas envoyer un avis concernant une activité occulte de part la nature même de cette activité qui ne découvrira qu'au cours de la vérification de comptabilité,.
En revanche, les dispositions de cet article ne concernent pas la requalification d'un revenu déclaré dans la mauvaise catégorie d'imposition. C'est par exemple le cas lorsqu'un revenu catégoriel d'un contribuable est déclaré comme bénéfice industriel et commercial alors qu'il s'agit d'un bénéfice non commercial.
Le II dispose que seraient « réputés réguliers » les rappels notifiés selon les règles de cet article en tant qu'elles seraient contestées par le moyen tiré du défaut d'engagement d'une vérification de comptabilité.
Selon les informations fournies à votre rapporteur général, les rappels ainsi notifiés porteraient sur 4 milliards de francs. L'État souhaite donc se prémunir contre un afflux de contentieux déclenché par le changement de jurisprudence du Conseil d'État. Toutefois, votre rapporteur tient à souligne sa réticence à accepter cette validation. Le Parlement est en effet appelé, suite à une décision de justice, à revenir rétroactivement sur les règles applicables à des litiges en cours. Comme à l'accoutumée, une telle mesure tend à nier l'indépendance de la justice et à donner l'impression que l'administration fiscale peut échapper aux décisions de justice.
B. UN DISPOSITIF QUI NE RÈGLE PAS LE PROBLÈME DE LA FRONTIÈRE ENTRE EXAMEN CONTRADICTOIRE DE LA SITUATION PERSONNELLE ET VÉRIFICATION DE COMPTABILITÉ
Pour illustrer son propos, votre rapporteur voudrait reprendre les conclusions du commissaire du Gouvernement concernant l'arrêt Tramier du 6 janvier 1993 qui soulevait la question de la frontière entre l'examen contradictoire de la situation personnelle et la vérification de comptabilité.
"Celui-ci pose à nouveau la question lancinante de la distinction, à propos d'opérations déterminées, entre VASFE et vérification de comptabilité."
En effet, quoi qu'il soit fait au point de vue législatif pour réparer les atteintes successives portées par la jurisprudence à l'arsenal de contrôle de l'administration, la question ne cessera de se poser tant que le législateur et l'administration n'auront pas vraiment tiré au plan du contrôle toutes les conséquences du fait que l'impôt sur le revenu a été unifié en 1959 et qu'il est, par suite, suranné d'y appliquer les modes de contrôle mis au point au temps des anciens impôts cédulaires, c'est-à-dire des modes de contrôle propres à chaque catégorie de revenu imposable, en les faisant coexister avec une méthode de contrôle du revenu global connue mais innomée, au moins depuis l'instruction générale du 31 janvier 1928, mais seulement légalisée par l'article 67 de la loi du 30 décembre 1975, sous le nom de vérification approfondie de situation fiscale d'ensemble (VASFE), puis d'examen contradictoire de la situation fiscale personnelle (ESFP). Il en résulte que, dans la pratique la plus répandue, le contrôle de revenu d'ensemble se présente comme une suite ou un complément du contrôle des revenus catégoriels, alors qu'en bonne logique, le contrôle des divers revenus catégoriels devrait dériver de celui du revenu global. Mais les textes du Livre des procédures fiscales qui instituent les garanties du contribuable essentiellement au niveau du contrôle des revenus catégoriels (vérification de comptabilité par exemple), ne sont pas adaptés à une telle pratique.
Toutefois, seule une clarification de la procédure de l'examen contradictoire de la situation personnelle permettrait de clarifier le débat. Or, elle n'est pas souhaitée par l'administration qui a conscience que cette procédure pourrait éventuellement être remise en cause par le conseil institutionnel.
Décision de la commission : votre commission vous propose l'adoption de cet article sans modification .