EXPOSÉ GÉNÉRAL
Mesdames, Messieurs,
Lors de l'examen du projet de loi de financement de la sécurité
sociale pour 1998, le Sénat a proposé de réduire le
déficit de la sécurité sociale de 33 à 12 milliards
de francs en maintenant les principes fondateurs de la protection sociale tels
qu'ils s'expriment à travers l'universalité des allocations
familiales, en contenant l'évolution des prélèvements et
en maîtrisant celle des dépenses.
La commission mixte paritaire, réunie le mercredi 19 novembre, a
révélé la profondeur des divergences de vues entre
l'Assemblée nationale et le Sénat.
Celle-ci n'a pas voulu retenir les arguments de la Haute Assemblée, ni
sur la nécessité de maintenir l'universalité des
allocations familiales, ni sur l'impact mal mesuré du transfert massif
des cotisations maladie sur la CSG, les profondes discriminations qui en
résulteront pour de nombreux Français et ses conséquences
désastreuses sur l'épargne, ni enfin, sur la
nécessité de poursuivre la maîtrise de l'évolution
des dépenses d'assurance maladie.
La commission mixte paritaire n'a donc pu parvenir à un accord.
En deuxième lecture, le mardi 25 novembre, l'Assemblée nationale
a rétabli, pour l'essentiel, le texte qu'elle avait adopté en
première lecture. Elle n'a retenu aucun des apports du Sénat,
allant même jusqu'à supprimer des modifications de
précision ou celles qui prévoyaient le dépôt de
rapports par le Gouvernement sur la situation des régimes
spéciaux de sécurité sociale, le bilan du basculement
d'une fraction des cotisations maladie sur la CSG résultant de la loi de
financement pour 1997 ou la distribution des médicaments remboursables.
Elle a aussi supprimé les deux articles adoptés par le
Sénat en faveur des jeunes avocats et des jeunes agriculteurs afin que
ces derniers ne soient pas pénalisés par le basculement des
cotisations maladie sur la CSG, tout en faisant parallèlement un geste
en faveur des casinos.
Elle a en revanche accepté deux amendements du Gouvernement d'une
exceptionnelle importance.
Le premier révèle que la discussion du projet de loi de
financement de la sécurité sociale pour 1998 s'est faite sur des
bases lacunaires et inexactes dans la mesure où le Gouvernement,
à l'évidence, a supposé acquise la validation de la base
mensuelle des allocations familiales pour 1996.
Cette validation, dont l'impact est évalué à
3,5 milliards de francs, n'a, pourtant, été introduit dans
le projet de loi qu'en nouvelle lecture à l'Assemblée nationale
par un amendement de séance du Gouvernement qui n'a pu être
examiné par la commission compétente de l'Assemblée
nationale.
En pratiquant de la sorte, le Gouvernement fait peu de cas des droits du
Parlement et conduit votre rapporteur à s'interroger sur le sens qu'a pu
revêtir, dans ces conditions, la discussion en première lecture du
projet de loi de financement de la sécurité sociale tant à
l'Assemblée nationale qu'au Sénat.
En outre, en refusant d'intégrer la revalorisation au titre de 1995 dans
le calcul de la base aujourd'hui en vigueur, le Gouvernement réalise une
nouvelle et substantielle " économie " sur la branche
famille
pour l'année 1998 et les années suivantes.
Le second révèle la faiblesse de la position des
défenseurs de la santé publique et de l'assurance maladie au sein
du Gouvernement.
En effet, le Gouvernement a proposé, en deuxième lecture, un
amendement défendu, non par Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et
de la solidarité, mais par M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de
l'économie, des finances et de l'industrie, qui supprime la taxe de
santé publique sur les tabacs instituée par l'article 5, et dont
la création au profit de l'assurance maladie constituait le seul point
d'accord important entre le Sénat et l'Assemblée nationale.
Le texte adopté par l'Assemblée nationale en deuxième
lecture est donc, pour votre commission, encore moins satisfaisant que celui
qu'elle avait adopté en première lecture.
L'essentiel demeure toutefois la suppression de l'universalité des
allocations familiales, à nouveau acceptée par l'Assemblée
nationale, et à laquelle votre commission vous propose de vous opposer
solennellement.
L'enjeu de cette mesure ne peut en effet être réduit aux seules
" économies " qu'elle entraînerait pour la branche.
Cette mesure remet en cause, à travers un principe fondateur de la
sécurité sociale, à la fois le socle du contrat social et
les principes constitutionnels qui l'ont placé au plus haut de la
hiérarchie des normes : votre commission considère que la mise
sous condition de ressources des allocations familiales est contraire à
la Constitution.
Dans la mesure où cette disposition constitue un élément
essentiel déterminant les conditions de l'équilibre de la
sécurité sociale soumis au Parlement, votre commission vous
propose d'adopter une motion tendant à opposer l'exception
d'irrecevabilité à l'ensemble du projet de loi de financement de
la sécurité sociale pour 1998.