II. LE TRAITÉ D'ENTENTE, D'AMITIÉ ET DE COOPÉRATION ENTRE LA FRANCE ET L'ALBANIE : RENFORCER DES RELATIONS TROP LIMITÉES
Seul pays occidental à avoir toujours entretenu une
ambassade à Tirana, même au plus fort de l'isolement du pays, la
France a essentiellement tissé avec l'Albanie des relations culturelles
fondées sur une
tradition ancienne et encore vivace de
francophonie.
A l'image des traités de même nature conclus entre la France et de
nombreux pays d'Europe centrale et orientale issus de l'ancien bloc communiste,
le traité d'entente, d'amitié et de coopération entre la
France et l'Albanie signé à Paris le 12 décembre 1994 ne
comporte pas de dispositions contraignantes et constitue surtout un cadre
général, symbolisant la volonté des deux pays de
développer leurs relations.
Les clauses de ce traité sont classiques. Elles illustrent la
volonté de la France de soutenir le
retour de l'Albanie dans
l'ensemble européen
et de diversifier des relations jusqu'à
présent trop limitées. A cet égard, les bases importantes
dont dispose la francophonie en Albanie constituent un atout pour renforcer nos
coopérations avec ce petit pays non dépourvu de
potentialités, malgré ses graves difficultés actuelles, et
qui suscite l'intérêt de plusieurs de nos partenaires
européens, qu'il s'agisse de ses voisins grecs ou italiens, ou aussi de
l'Allemagne et de l'Autriche.
Votre rapporteur présentera les principes généraux
affirmés dans le traité, qui définissent le cadre des
relations franco-albanaises, avant de détailler les différents
domaines dans lesquels les deux pays entendent développer leurs
coopérations.
A. LE CADRE GÉNÉRAL DES RELATIONS FRANCO-ALBANAISES
Les objectifs généraux du traité sont de
deux ordres :
- le renforcement de relations bilatérales fondées sur
l'amitié et des valeurs communes,
- l'ancrage de l'Albanie, avec l'appui de la France, au sein des diverses
institutions européennes.
1. Le renforcement des relations politiques : une attente forte de la part de l'Albanie, qui ne doit pas être déçue
Le Préambule et l'article premier du traité du
12 décembre 1994 prennent acte de la volonté des deux parties
"de prolonger la tradition de dialogue culturel entre les deux
Etats", de
"renforcer l'entente, la solidarité et l'amitié entre les peuples
des deux Etats",
et d'approfondir
"leur coopération dans un
esprit de compréhension, de respect et de confiance
réciproques".
Cette amitié s'appuie sur l'attachement des deux pays
"aux valeurs de
démocratie, de liberté et de justice, et leur volonté d'en
assurer le respect effectif".
Le traité comporte les clauses habituelles encourageant les parties
à organiser
"entre elles des consultations régulières,
dans un cadre bilatéral ou multilatéral, sur les questions
d'intérêt mutuel et les problèmes internationaux majeurs"
et précisent que
"des réunions de travail entre
représentants des deux ministères des affaires
étrangères se tiennent au moins une fois par an
"
(article 5). Ces consultations doivent permettre aux parties de
"mieux
organiser leur coopération, de se concerter sur leurs positions en
matière de politique étrangère, notamment sur la situation
en Europe, et de favoriser l'intégration de la République
d'Albanie dans la communauté des nations démocratiques".
De
même, des consultations entre les deux pays pourront être
organisées en cas de
"menace contre la paix"
ou de mise en
cause
d'un intérêt majeur de sécurité (article 7).
Ces principes étant posés, force est de constater que les
contacts de haut niveau
entre responsables politiques français et
albanais
ont jusqu'à présent été
limités.
Après les visites en France du Premier ministre M. Meksi en 1994, du
Président Berisha en 1996 et de plusieurs ministres du
précédent gouvernement, le nouveau Président de la
République, M. Meidani a rencontré le Président Chirac
à Strasbourg, en marge du sommet du Conseil de l'Europe le 11 octobre
1997. Le nouveau Premier ministre, M. Nano, a également rencontré
le Premier ministre français à l'occasion d'une visite
privée au mois d'octobre.
Parallèlement, la seule visite d'un ministre français en Albanie
est celle du ministre des affaires européennes, en 1993. Plus
récemment,
le Président du Sénat
s'était
rendu à Tirana et avait remis au président Berisha un message du
Chef de l'Etat évoquant notamment l'appui de la France pour le
rapprochement entre l'Albanie et l'Union européenne, l'octroi d'une aide
alimentaire et l'accord de principe des autorités françaises pour
la restitution à l'Albanie du stock d'or, d'une valeur de 150 millions
de F, qui avait été saisi par l'Allemagne durant la seconde
guerre mondiale et dont notre pays assurait la conservation avec le Royaume-Uni
et les Etats-Unis.
En ce qui concerne les contacts techniques, plusieurs commissions mixtes
relatives à la coopération culturelle, scientifique et technique,
à la coopération militaire et à la justice ont
commencé à se réunir.
La forte tradition francophone de l'Albanie, notamment au sein des
élites, et l'action particulièrement appréciée du
contingent français lors de l'opération Alba, créent un
terrain très favorable au développement de bonnes relations
bilatérales
,
ce que traduit mal la fréquence, encore
très modeste, des visites et contacts entre autorités politiques
des deux pays. Il importe de
ne pas décevoir les attentes
fortes
de l'Albanie à l'égard de notre pays.
2. L'ancrage de l'Albanie à l'ensemble européen : un rapprochement opéré par étapes, avec l'appui de la France
Le traité, à l'image de tous les textes de
même nature qui nous lient aux pays de l'ancien bloc de l'Est, place les
relations bilatérales dans le cadre de la
"construction d'une Europe
pacifique, solidaire et prospère"
(article 2).
En préambule, les deux parties se félicitent
"des
récentes évolutions en Europe centrale et orientale qui ont
permis la rétablissement des liens naturels qui unissent les
différentes parties du continent"
et se déclarent
"conscientes que l'avenir des rapports entre les deux Etats est
indissolublement lié au renforcement de la paix, de la
sécurité en Europe".
De même, les deux parties
entendent agir
"pour que l'Europe, dans son ensemble, se transforme en
une
communauté fondée sur l'état de droit, les principes de la
démocratie et assurant sa sécurité"
(article 2).
Aussi le traité évoque-t-il tour à tour différentes
institutions européennes : l'Organisation sur la sécurité
et la coopération en Europe, le Conseil de l'Europe et l'Union
européenne.
L'article 3 encourage les parties à soutenir la mise en place de
structures et de mécanismes propres à renforcer
l'efficacité de l'
OSCE
en matière de prévention des
conflits et de règlement pacifique des différends et à
oeuvrer, au sein de cette organisation, à la poursuite d'un processus
équilibré de désarmement conventionnel et
d'amélioration de la confiance. Il mentionne également
"l'importance primordiale d'un règlement satisfaisant de la question
des minorités nationales pour la stabilité et la
sécurité en Europe".
L'Albanie est
membre de l'OSCE depuis 1991
et les relations avec cette
institution ont d'abord concerné son Bureau des institutions
démocratiques et des droits de l'homme, chargé de veiller aux
conditions de déroulement des élections législatives de
1996 et de 1997. C'est également l'OSCE, qui a la fin du mois de mars
1997 a décidé l'envoi d'une mission d'assistance en
matière de démocratisation et de préparation des
élections, dont la mise en oeuvre supposait une présence
armée internationale et c'est donc en partie sous son mandat,
complété bien entendu par celui des Nations unies, qu'a
été déclenchée l'opération ALBA. Depuis
lors, l'OSCE s'est vu assigner une mission de "coordination" de
l'action de la
communauté internationale en Albanie, rôle qui n'apparaît
pas toujours très clairement, notamment au regard de l'action du Conseil
de l'Europe.
La France, comme elle s'y était engagée par l'article 4, a en
effet activement oeuvré à l'
admission de l'Albanie au sein du
Conseil de l'Europe
, effective depuis le 29 juin 1995. L'Assemblée
parlementaire du Conseil de l'Europe avait émis un avis favorable
assorti d'une série de considérations et d'engagements relatifs
à la démocratisation et au renforcement de l'état de droit.
Si l'OSCE et le Conseil de l'Europe suivent attentivement l'évolution
politique intérieure albanaise, avec une certaine difficulté de
délimiter leurs rôles respectifs, l'Albanie entend quant à
elle donner un relief particulier, au sein de ces institutions, à la
question du Kosovo.
Le rapprochement entre l'
Albanie et l'Union européenne
pose des
problèmes plus difficiles, en raison notamment du retard
économique du pays. La France, par l'article 2 du traité,
s'engage à favoriser ce rapprochement ainsi que le développement
de relations étroites avec l'Union européenne, plus
précisément en vue de conclure
"dans les meilleurs
délais"
un accord d'association. Elle
" considère de
manière positive la perspective de l'adhésion de la
République d'Albanie à l'Union européenne, lorsque les
conditions seront réunies ".
Le traité précise
également que le rapprochement avec l'Union européenne a vocation
à entraîner à son tour le rapprochement avec l'Union de
l'Europe occidentale.
L'établissement de relations entre l'Albanie et l'Union
européenne s'est concrétisé dès 1992 par un
accord de commerce et de coopération
, première
étape sur la voie d'un renforcement des relations.
L'Albanie est, de tous les pays en transition, celui qui a reçu la plus
forte aide par habitant de l'Union européenne. De 1991 à 1996,
l'Union européenne a dépensé 515 millions d'Ecus en
Albanie. Dans ce cadre, une "aide macro-financière" de 35 millions
d'Ecus a été décaissée en 1995 après la
levée du veto grec. L'Albanie est éligible au
programme
communautaire PHARE
qui a permis le versement d'une importante aide
humanitaire. Une aide de 210 millions d'Ecus pour les années 1996-1999 a
été prévue au titre de ce programme avec notamment pour
objectif des actions dans le cadre du crédit agricole, du soutien aux
PME, du tourisme et du développement des communautés locales.
Cette assistance, partiellement suspendue en avril, à l'exception des
programmes humanitaires, a été réorientée sur trois
actions d'urgence : l'assistance douanière, afin de rétablir la
perception des droits de douane, principale ressource du budget, la
reconstruction des écoles et la réfection des prisons. Des
crédits ont également été débloqués
pour la réhabilitation des bâtiments publics. Enfin, pour mieux
répondre aux besoins de l'Albanie après la sévère
crise de 1997, les priorités du programme Phare ont été
redéfinies autour de quatre axes : le soutien aux administrations
publiques, aux infrastructures, à l'agriculture et au
développement local.
L'Albanie a également demandé l'ouverture de négociations
sur un accord d'association similaire à ceux conclus avec les autres
pays d'Europe centrale et orientale. La Commission européenne souhaite
plutôt réactiver l'actuel accord de commerce et de
coopération avant d'envisager la conclusion d'un accord transitoire
"renforcé", l'association à l'Union européenne demeurant
cependant l'objectif à moyen terme.
Quant à la question du rapprochement entre l'Albanie et l'Union de
l'Europe occidentale, à laquelle elles souhaiterait dans un premier
temps être associée, elle est bien entendu étroitement
liée au calendrier qui sera envisagé pour l'accord d'association
à l'Union européenne et n'est donc pas pour le moment à
l'ordre du jour.