II. LE CONTENU ET L'APPLICATION DE LA CONVENTION DU 13 JANVIER 1993 : UNE MISE EN OEUVRE SATISFAISANTE MALGRÉ D'INÉVITABLES LIMITES.
La convention du 13 janvier 1993 a constitué
l'aboutissement d'un processus diplomatique qui a commencé en 1899. Elle
s'est inspirée, en les développant, de stipulations de
traités antérieurs relatifs au désarmement et, plus
particulièrement, du
Traité de non-prolifération des
armes nucléaires
(1er juillet 1968), pour ce qui concerne la
coopération internationale en vue de l'utilisation à des fins
pacifiques de l'énergie nucléaire, dont les stipulations ont
été transposées aux produits chimiques. Le
Traité sur l'élimination des missiles à portée
intermédiaire
(8 décembre 1987), figure également
parmi les sources de l'inspiration des auteurs de la convention du
13 janvier 1993, en ce qui concerne la mise en place de procédures
contraignantes de vérification et de destruction.
La convention sur l'interdiction des armes chimiques constitue un
accord
exemplaire en matière de désarmement
. Il s'agit, en effet, du
premier traité international visant la destruction complète et
irréversible d'une catégorie entière d'armements
dans
une période donnée et qui, dans le même temps, est
non-discriminatoire
(contrairement au TNP), et
vérifiable par
un organisme international
,
sa ns droit de refus
de la part des
Etats inspectés.
La convention sur l'interdiction des armes chimiques s'appuie donc sur
l'universalité des obligations
consentie par les Parties. Elle a
à son tour
inspiré d'autres traités
, qu'il s'agisse
du
Traité d'interdiction des essais nucléaires
, de la
Convention d'interdiction des mines antipersonnel
, ou encore des travaux
actuellement conduits en vue d'ajouter à la convention d'interdiction
des
armes bactériologiques
ou à toxines un
protocole de
vérification.
Les
vingt-quatre articles
de la convention sont complétés
par trois
annexes.
La première
(Annexe sur les produits
chimiques)
définit trois catégories de produits toxiques en
fonction de critères liés à leurs utilisations plus ou
moins importantes dans l'industrie civile. La deuxième
(Annexe sur la
vérification)
détaille très précisément
les modalités du contrôle de la convention dans les Etats Parties.
La troisième (
Annexe sur la confidentialité)
définit les modalités de protection des informations
confidentielles.
Votre rapporteur rappellera ci-après l'historique de
l'élaboration de cette convention, l'étendue des obligations
souscrites par les Parties, l'importance du dispositif de vérification
et de contrôle, qui constitue une avancée sensible de la
convention de 1993 par rapport aux précédentes tentatives de
désarmement, les aspects institutionnels originaux dont est assortie la
mise en place de la convention, ainsi que les inévitables limites de
celles-ci.
A. GENÈSE ET MISE EN OEUVRE DE LA CONVENTION
Après l'échec des précédentes tentatives diplomatiques (1899 et 1925) de mettre les armes chimiques hors la loi, c'est à la fin des années 1980 que remonte, sous l'impulsion des Etats-Unis et de l'Union soviétique, la relance des pourparlers internationaux en vue de l'élimination des gaz de combat.
1. L'échec des tentatives de 1899 et 1925
. A la demande de la Russie, la question de l'interdiction
des
projectiles contenant des "gaz asphyxiants et délétères"
fut soulevée dès 1899, dans le cadre de la
première
conférence de La Haye sur la limitation des armements et le
règlement des conflits internationaux.
La proposition russe ne fut
pas retenue, du fait notamment de l'opposition des Etats-Unis, qui estimaient
que les gaz de combat constituaient des armes "plus humaines" que les
obus et
les balles. La "Déclaration concernant l'interdiction de l'emploi des
projectiles qui ont pour but unique de répandre des gaz asphyxiants ou
délétères" fut donc limitée par son objet, car elle
ne visait que le recours à des projectiles ne pouvant avoir d'autres
usages que l'envoi de gaz de combat.
Ainsi a-t-il été estimé que l'offensive chimique allemande
d'Ypres, en avril 1915, ne constituait pas une infraction à la
Déclaration de 1899, car les Allemands avaient procédé par
épandage de chlore à partir de
bouteilles
, sans recourir
à des
projectiles
. De même les obligations souscrites par
les Parties devenaient-elles sans objet en cas de guerre
contre un Etat non
Partie
: les Etats-Unis et le Canada n'ayant ni signé, ni
ratifié cette déclaration, l'Allemagne aurait pu
éventuellement justifier ainsi le recours aux gaz de combat contre ces
pays.
. Le
protocole du 17 juin 1925
sur la "prohibition d'emploi à la
guerre de gaz asphyxiants, toxiques ou similaires et de moyens
bactériologiques", adopté par trente-huit pays en réaction
à l'horreur suscitée par le recours aux armes chimiques pendant
le premier conflit mondial, ne devait pas jouer un rôle préventif
plus efficace que la Déclaration de 1899, en raison des
nombreuses
failles
que présente ce texte.
Celui-ci, en effet, se borne à
prohiber l'usage en premier
des
gaz de combat,
sans exclure la production ou la constitution de stocks
d'armes chimiques.
Le protocole de 1925 ne comporte, par ailleurs,
ni
sanctions ni dispositif de vérification.
Enfin, 35 parties, sur les 115 que compta finalement cet accord, recoururent
à une
réserve stipulant leur droit de riposter par l'arme
chimique à une attaque aux gaz de combat.
Ces réserves
allaient conduire à la constitution de stocks et à la fabrication
d'armes chimiques par certaines Parties, dont témoigne le recours
régulier aux gaz de combat lors de conflits régionaux, dès
les années 1920-1930 (voir supra, I A-1).