II. LES DISPOSITIONS TECHNIQUES DE L'AVENANT
A. UN CONTEXTE SENSIBLE
1. La Suisse, paradis fiscal ?
La notion de paradis fiscal est relative. Un Etat peut présenter certains aspects d'un paradis fiscal alors que, par d'autres côtés, son régime fiscal peut être très rigoureux (c'est d'ailleurs en général le cas pour les habitants de l'Etat considéré, les avantages fiscaux étant réservés aux non-résidents).
Sous cette réserve, la Suisse présente clairement les trois caractéristiques classiques communes aux paradis fiscaux 1 ( * ) :
- un faible niveau d'imposition, du moins pour les non-résidents et pour certaines catégories de revenus ;
- une législation financière et commerciale attrayante, qui se traduit par un secret fiscal et bancaire rigoureux, ainsi que par le libéralisme avec lequel est acceptée la création de sociétés simplement domiciliées en Suisse, sans y avoir leur siège ni d'activité effective ;
- une sécurité politique et économique, qui se double, dans le cas de la Suisse, d'une grande stabilité monétaire et d'une organisation financière et bancaire bien structurée. Cette dernière caractéristique est essentielle, car elle seule garantit la sécurité des placements, sans laquelle les avantages du paradis fiscal risquent de se révéler largement illusoires.
Au moins aussi importantes que ces données de droit, sont les pratiques. A cet égard, ce n'est pas un hasard si la convention fiscale du 9 septembre 1966 liant la France et la Suisse est très limitée quant aux échanges de renseignements et à l'assistance au recouvrement. Dans les faits, la coopération entre les services douaniers et fiscaux français et leurs homologues suisses connaît des hauts et des bas, et ne fait pas toujours preuve de toute l'efficacité souhaitable.
Toutefois, le statut de paradis fiscal de la Suisse est en train de s'estomper, notamment dans la perspective de son adhésion à l'Union européenne. Ainsi, le secret bancaire suisse n'est plus ce qu'il était, et des flux considérables de capitaux se sont reportés vers le Luxembourg. De même, la Suisse accepte désormais de collaborer de meilleur gré avec les services fiscaux français, le présent avenant participant de cette nouvelle politique. Le Conseil d'Etat a récemment reconnu qu'il n'était plus possible de considérer la Confédération suisse, dans son ensemble, comme un paradis fiscal.
Dans son ouvrage de référence sur les paradis fiscaux 2 ( * ) . M, Edouard Chambort considère " qu'en réalité, la Suisse est un paradis bancaire déclinant et un pays raisonnable au niveau des impôts dont le paradis fiscal est le Liechtenstein ".
En effet, le Grand-Duché, qui est rattaché depuis 1924 à la Suisse pour les questions monétaires et douanières est connu pour l'abri qu'il offre aux placements immobiliers, par l'intermédiaire de ses 60.000 holdings, trusts et sociétés anonymes 3 ( * ) .
On rejoint ici le problème plus général, au sein de l'Union européenne, des micro-paradis fiscaux se situant dans la mouvance de grandes puissances qui ne sont pas elles-mêmes des paradis fiscaux (Monaco pour la France, Andorre pour la France et l'Espagne, Jersey et Guernesey ainsi que l'île de Man pour le Royaume-Uni, Campione d'Italia pour l'Italie).
2. Une négociation difficile
Dans un contexte aussi sensible, il n'est guère étonnant que la négociation de l'avenant ait été particulièrement difficile.
Un premier texte avait été signé le 11 avril 1983. qui portait notamment sur les points suivants : introduction de l'IGF ; insertion d'une charge anti-abus relative à la résidence ; aménagement du dispositif de transfert de l'avoir fiscal ; suppression de la retenue à la source sur les intérêts ; introduction d'une charge relative à l'assistance administrative pour l'imposition des sociétés suisses immobilières à la taxe de 3 %.
Toutefois, le Parlement suisse a refusé de ratifier ce premier texte en 1984, essentiellement pour des motifs politiques. Les relations entre la France et la Suisse connaissaient alors de vives tensions, en raison des investigations des douanes françaises et de fuites des fichiers bancaires suisses.
Par la suite, les nouvelles négociations engagées en 1988 et 1990 n'ont pas eu de résultats. Ce n'est donc qu'à l'issue d'un nouveau tour de discussions commencé en 1994 que le présent avenant a pu être signé le 22 juillet 1997.
Comme on le verra ci-après, les éléments de la version de 1983 se retrouvent dans celle de 1997, à l'exception de la clause anti-abus relative à la résidence.
3. Deux cas particuliers à régler
a) La Coupe du monde de football
Le point I de l'article 20 de l'avenant, complétant le protocole additionnel à la convention actuelle, comporte des dispositions qui permettent d'étendre le bénéfice de celle-ci aux organismes à but non lucratif établis dans un Etat contractant et exerçant leurs activités dans le "domaine scientifique, sportif, artistique, culturel, éducatif ou charitable".
Actuellement, ces entités exonérées d'impôt dans leur pays d'implantation ne peuvent pas bénéficier de la convention dès lors qu'elles ont un statut international, et ne sont donc pas des résidentes au sens fiscal. Ce régime ne leur est pas systématiquement favorable, puisqu'elles peuvent alors se voir imposer dans des conditions plus sévères que les résidents pour leurs revenus tirés de l'autre Etat contractant.
En pratique, l'aménagement proposé a été conçu pour faire bénéficier du régime conventionnel les versements de droits de retransmission et de droits commerciaux de source française perçus par la Fédération internationale de Football, qui est une association de droit suisse exonérée d'impôt, à l'occasion de la prochaine coupe du monde organisée par la France.
En l'absence de cette modification, la FIFA aurait à subir le prélèvement à la source de droit commun, au taux de 33,33 % sur ses revenus de source française. Si le présent avenant entre en vigueur en temps utile, le taux du prélèvement ne sera plus que de 5 %, comme pour les résidents de France transférant des redevances en Suisse.
Cet aménagement conçu pour la FIFA pourra évidemment bénéficier à d'autres organismes internationaux à but non lucratif domiciliés en Suisse. Mais la France a veillé à conserver un droit de regard, par un mécanisme d'agrément conjoint des deux Etats contractants.
b) La taxe professionnelle de l'aéroport de Bâle-Mulhouse
L'article 6 de l'avenant, modifiant l'article 8 de la convention actuelle, prévoit que la France dégrèvera d'office la taxe professionnelle due à raison de l'exploitation en trafic international d'aéronefs par des sociétés qui ont leur siège de direction effective en Suisse.
Le problème s'est posé à la suite du redressement fiscal des compagnies aériennes implantées dans la partie française de l'aéroport international de Bâle-Mulhouse, qui avaient omis pendant de longues années d'acquitter la taxe professionnelle dont elles étaient redevables. Bien que la Suisse n'ait jamais contesté le bon droit de la France, les contrôles fiscaux afférents se sont déroulés dans un climat tendu.
Une solution plus politique a pu être trouvée, sous la forme d'un accord pour le dégrèvement de la taxe professionnelle en transport aérien au profit des établissements de compagnies suisses domiciliés en France. Il convient de signaler que cette clause de dégrèvement ne s'appliquera pas uniquement sur l'aéroport de Bâle-Mulhouse, mais dans tous les aéroports français, y compris pour la compagnie Swissair implantée à Orly.
* 1 - Les développements suivants sont empruntés à l'ouvrage de M Bruno Gouthière "Les impôts dans les affaires internationales" - Editions Francis Lefèbvre - pp. 663 et suivantes
* 2 - M Edouard Chambort - « Guide des paradis fiscaux face à 1992 » - Sand.
* 3 Curiosité du droit liechtenstenois, l'Anstalt est une société intermédiaire entre la société par actions et la fondation, créée par une ou plusieurs personnes physiques ou sociales dans le but de gérer des intérêts financiers et de contrôler des entreprises étrangères. L'identité du ou des fondateurs n'est jamais divulguée, et le fonctionnement de l'Anstalt est couvert par l'anonymat le plus total. Fiscalement, la constitution de l'Anstalt n'est soumise qu'à des droits d'enregistrement et de timbres très réduits et, dés lors qu'elle n'exerce pas d'activité au Liechtenstein, elle n 'est redevable que de l'impôt de 0,1 % sur le capital