2. La discipline budgétaire en débat

Une question fondamentale est de savoir si les règles de discipline budgétaire posées par le Traité sont cohérentes avec les objectifs d'une zone monétaire unifiée. Une autre question est de savoir si elles sont réalistes.

a) Le réalisme des règles

Cette question conduit à présenter des analyses nuancées.

Une première approche consiste à explorer l'histoire récente des finances publiques en Europe et à se demander si des déficits supérieurs à la norme posée auraient pu échapper à la procédure des déficits excessifs compte tenu des cas d'exemption prévus par elle.

Quelques considérations factuelles doivent d'abord être présentées.

Le tableau ci-après démontre que des déficits publics supérieurs à 3 % ont fréquemment été observés en Europe dans un passé proche.

Excédent/déficit des administrations publiques

(Capacité (+)/besoin (-) de financement des administrations

(en pourcentage du PIB)

 

1993

1994

1995

1996

1997

1998*

B

DK

D

EL

E

- 7,1

- 2,8

- 3,2

- 13,8

- 6,9

- 4,9

- 2,8

- 2,4

- 10,0

- 6,3

- 3,9

- 2,4

- 3,3

- 10,3

- 7,3

- 3,2

- 0,7

- 3,4

- 7,5

- 4,6

- 2,1

0,7

- 2,7

- 4,0

- 2,6

- 1,7

1,1

- 2,5

- 2,2

- 2,2

F

- 5,8

- 5,8

- 4,9 - 4,1 - 3,0 - 2,9

IRL

I

L

NL

A

P

FIN

S

UK

- 2,7

- 9,5

1,7

- 3,2

- 4,2

-6,1

- 8,0

- 12,2

- 7,9

- 1,7

- 9,2

2,8

- 3,8

- 5,0

- 6,0

- 6,4

- 10,3

- 6,8

- 2,2

- 7,7

1,9

- 4,0

- 5,2

- 5,7

- 4,7

- 6,9

- 5,5

- 0,4

- 6,7

2,5

- 2,3

- 4,0

- 3,2

- 3,3

- 3,5

- 4,8

0,9

- 2,7

1,7

- 1,4

- 2,5

- 2,5

- 0,9

- 0,8

- 1,9

1,1

- 2,5

1,0

- 1,6

- 2,3

- 2,2

0,3

0,5

- 0,6

EUR

- 6,1

- 5,4

- 5,0 - 4,2 - 2,4 - 1,9

* Budgets économiques du printemps 1998. Source : Services de la commission

On peut en outre estimer que les conditions à remplir pour qu'un déficit soit considéré comme exceptionnel et temporaire au sens du pacte de stabilité et de croissance sont particulièrement rigoureuses.

Il faut d'abord imaginer ce que pourrait être une circonstance inhabituelle indépendante de la volonté de l'Etat membre et ayant des effets sensibles sur la situation financière de ses administrations publiques
. Une catastrophe naturelle est souvent citée comme pouvant constituer un tel événement. Peut-être un conflit guerrier, mais à condition qu'il n'ait pas été déclenché par l'Etat concerné pourrait-il en constituer un aussi. Un événement aussi important et lourd de conséquences financières que l'unification allemande ne répondrait pas aux critères ainsi posés. Il n'y répondrait tout du moins pas pour l'Allemagne elle-même, puisqu'il a dépendu à l'évidence de sa volonté. En revanche, pour les autres Etats européens ou, pour certains d'entre eux, il pourrait être considéré comme tel.

La question se pose avec une particulière acuité pour les crises pouvant affecter tel ou tel secteur économique et, notamment, les établissements financiers. La crise du Crédit Lyonnais pourrait entrer dans le cadre ainsi défini..., mais rien n'est moins sûr.

Sans doute le Conseil disposera-t-il d'une marge d'appréciation, mais il reste à savoir comment il en usera.

Pour ce qui est de l'autre circonstance dans laquelle un déficit public excessif pourrait être absent, celle d'une "grave récession", l'exigence d'une baisse annuelle du PIB d'au moins 2 % en termes réels relève d'une démarche particulièrement rigoureuse là aussi . Seuls le Royaume-Uni en 1980 et 1991, la Suède en 1993 et la Finlande en 1991 et 1992 ont, parmi les pays européens, connu de telles récessions. Ce cas d'exemption pourrait donc -on peut d'ailleurs le souhaiter- ne se rencontrer que rarement.

Il est vrai que le Conseil pourra apprécier si une récession comprise entre 0,75 % et 2 % justifie une exemption. Mais, là également, on ne peut qu'observer que cette circonstance se rencontre rarement et que les finances publiques européennes ont connu des déficits supérieurs à la norme retenue dans des contextes économiques nettement moins dégradés.

Il est par conséquent probable que les règles d'exemption des disciplines instituées ne trouveront que rarement à s'appliquer mais qu'elles permettront d'absorber des chocs économiques de grande ampleur.

Une deuxième approche du "réalisme" des règles de discipline budgétaire conduit à examiner si les situations de finances publiques observées dans les Etats de la zone euro au moment où elle se constitue les garantissent contre l'éventualité de se trouver en situation de déficit excessif.


A cette question, l'analyse des programmes de convergence fournis par les différents Etats membres apporte une réponse plutôt rassurante.

Projections des programmes de convergence
concernant l'évolution de l'excédent/du déficit
des administrations publiques


(Capacité (+)/besoin (-) de financement des administrations publiques en % du PIB)

 

Date de présentation

1997

1998

1999

2000

2001

B

1/97

- 2,9

- 2,3

- 1,7

- 1,4

 

DK a)

06/97

0,7

0,7

0,9

1,1

 

D b)

1/97

- 2,9

- 2 ½

- 2

- 1 ½

 

EL

7/97

- 4,2

- 2,4

- 2,1

 
 

E

4/97

- 3,0

- 2,5

- 2,0

- 1,6

 

F

1/97

- 3,0

- 2,8

- 2,3

- 1,8

- 1,4

IRL

12/97

0,4

0,3

0,7

 
 

I

6/97

- 3,0

- 2,8

- 2,4

- 1,8

 

NL

12/96

- 2,2

- 2 ¼

 
 
 

A

10/97

- 2,7

- 2,5

- 2,2

- 1,9

 

P

3/97

- 2,9

- 2,5

- 2,0

- 1,5

 

FIN

9/97

- 1,3

- 0,1

0,3

1,0

1,9

S

9/97

- 1,9

0,6

0,5

1,5

 

UK c)

9/97

- 1,6

- 0,3

- 0,1/0,4

0,5/1,5

0,9/2,4

a) Un excédent des administrations publiques de 2,8 % du PIB est projeté pour 2005.

b) Les autorités allemandes ont présenté des estimations révisées en février 1997.

c) Années budgétaires.

Sources : Programmes de convergence nationaux

Mais ces programmes sont dépendants d'hypothèses dont certaines échappent à la volonté des gouvernements. Un accident conjoncturel qui ne revêtirait pas l'ampleur requise pour exempter des règles de discipline budgétaire l'Etat qui en serait victime mettrait en situation difficile les Etats dont le besoin de financement se situe aux alentours de 3 %. Il est à cet égard heureux que l'instauration de l'euro s'inscrive dans un contexte économique favorable, propice à un redressement des comptes publics.

De la même manière, un choc de taux d'intérêt mettrait en grande difficulté les finances publiques des Etats fortement endettés.

Ces programmes dépendent aussi d'une volonté politique qui conditionne leur mise en oeuvre.
A cet égard, on doit déplorer que les récentes orientations du gouvernement ne s'inscrivent pas dans les objectifs du programme présenté au mois de janvier de l'année dernière. Un objectif de déficit du budget de l'Etat de 2,5 % pour 1999 apparaît insuffisant pour garantir que la progression du poids de la dette publique sera stoppée. Compte tenu du degré inégal de maîtrise des comptes sociaux et du budget de l'Etat, il convient que celui-ci traduise mieux l'objectif nécessaire d'un retour à l'équilibre.

b) La pertinence des règles

La pertinence des règles de discipline budgétaire doit être examinée au regard d'abord de l'indicateur choisi et ensuite des valeurs retenues.

S'agissant du choix de l'indicateur , plusieurs observations doivent être faites.

L'objectif des règles du pacte de stabilité et de croissance étant essentiellement d'éviter qu'un accroissement de la demande d'épargne n'exerce des tensions sur le niveau des taux d'intérêt en Europe, certains ont pu considéré qu'il aurait été plus justifié de choisir d'encadrer le besoin de financement de l'ensemble des agents économiques plutôt que celui des seules administrations publiques -voir supra-. Mais, compte tenu de l'influence particulière exercée par celles-ci sur les conditions de formation de l'équilibre entre épargne et investissement et de leur propension à s'affranchir des règles de discipline financière au détriment des autres agents, une surveillance de leur politique financière apparaît nécessaire.

Le choix d'une norme imposée à chaque Etat plutôt que d'une norme tenant compte du besoin de financement de l'ensemble de la zone euro peut déboucher, en théorie, sur des "illogismes" financiers. Tel serait le cas si le besoin de financement des administrations publiques européennes se réduisant dans l'ensemble, un pays se trouvait pour des raisons propres en situation de devoir resserrer sa politique budgétaire pour satisfaire les conditions posées par le pacte plus que ne l'exigerait sa situation économique. Une autre difficulté vient de l'inégale influence sur la demande d'épargne dans la zone euro d'une norme uniforme exprimée en pourcentage du PIB de chaque Etat, compte tenu des écarts entre leurs niveaux de PIB.

Ce choix qui résulte beaucoup d'une absence de fédéralisme budgétaire en Europe est, en outre, justifié par le souci d'éviter la propagation dans la zone de comportements de "passagers clandestins". Autrement dit, il s'impose pour éviter que chacun, pariant sur la discipline de l'autre, tous pratiquent des politiques budgétaires laxistes, phénomène qui rendrait insoutenable la situation financière de l'Europe. Cette solution, réaliste, pourrait sortir améliorée d'un approfondissement de l'Union économique et monétaire. En l'état, elle a le mérite de proposer un compromis acceptable.

La procédure de prévention et de correction des situations où des finances publiques se trouveraient compromises traite, on l'a vu, avec plus de sévérité les déficits publics que les dettes publiques. Ce choix, fondé sur l'idée selon laquelle les contraintes imposées aux déficits publics garantissent contre une dérive des dettes publiques n'est pourtant pas entièrement satisfaisant. Il ignore qu'une même valeur de déficit national exprimée en pourcentage de PIB peut faire varier l'endettement public de la zone dans des conditions très variables. Il ignore aussi les effets que pourraient avoir des reprises de dette pratiquées par certains Etats sur le niveau de l'endettement de la zone. Une grande vigilance s'imposera donc afin de vérifier l'efficacité des limites imposées aux déficits publics sur la demande d'épargne dans la zone euro.

S'agissant des valeurs retenues pour apprécier les disciplines budgétaires
, on rappelle qu'elles sont inchangées par rapport aux valeurs choisies pour apprécier les performances des Etats candidats à l'euro, à savoir 3 % du PIB pour le déficit public et 60 % du PIB pour la dette publique.

Un bref rappel historique doit indiquer que ces chiffres correspondaient, pour l'un, à la moyenne de l'endettement public au moment de la signature du traité sur l'Union européenne et, pour l'autre, au niveau de déficit public compatible, dans le cadre d'une croissance de 5 %, avec une convergence des performances de chacun vers une stabilisation de la dette autour de 60 % du PIB.

Plusieurs conclusions intermédiaires doivent donc être formulées.

La référence posée en matière de dette publique est arithmétique plutôt que financière et économique. Elle ne doit pas servir de guide pour apprécier la soutenabilité de la dette publique. Compte tenu des effets potentiels d'une dette publique atteignant 60 % du PIB sur les marges de manoeuvre budgétaires, il faut se fixer un objectif plus ambitieux.

La référence posée en matière de déficit ne correspond plus à la situation des finances publiques de la zone non plus que, semble-t-il, aux conditions économiques prévisibles. Un déficit public atteignant 3 % n'assure pas la stabilité ou la réduction du poids de la dette publique dans le PIB autour des objectifs, d'ailleurs insuffisants, visés en la matière. C'est donc à juste titre qu'il doit être considéré comme exceptionnel.

Une seconde question est alors de savoir si, une situation exceptionnelle advenant, un Etat pourra user de sa politique budgétaire efficacement dans le respect des disciplines imposées par le pacte de stabilité et de croissance.


Une réponse affirmative doit être apportée à cette interrogation sous réserve que l'assainissement budgétaire ait été entrepris de telle sorte que le besoin de financement des administrations publiques tende vers l'équilibre lorsque la conjoncture est favorable.

Un exemple chiffré

Soit un équilibre des finances publiques réalisé moyennant des recettes et des dépenses publiques s'élevant, chacune, à 50 % du PIB. On suppose une baisse du PIB de deux points.

Les recettes de l'Etat sont alors réduites d'un point de PIB. Pour soutenir l'activité, on imagine que l'Etat ne réduit pas ses dépenses. Leur part dans le PIB s'accroît mécaniquement d'un point. La dégradation de l'équilibre budgétaire s'élève donc à deux points et compense comptablement la récession économique.

Il faut en conclure que, même en cas de difficultés exceptionnelles, la capacité pour un gouvernement de décider d'orienter sa politique budgétaire pour compenser des évolutions économiques défavorables sera entière dès lors qu'une politique budgétaire saine aura été entreprise auparavant.

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