B. LA NÉCESSITÉ D'OBÉIR À DES RÈGLES PRÉCISES
Cependant, si la France choisit de développer les énergies renouvelables, ce choix devra être précédé d'une réflexion visant à préciser les types d'énergies renouvelables les mieux adaptés, la façon dont elles seront dédiées aux divers besoins, les moyens de soutien à utiliser et les voies à explorer pour améliorer leur technologie.
1. Un choix judicieux et des cibles précises
Les énergies renouvelables regroupent toutes les énergies tirées du soleil, du vent, de l'eau (centrales hydrauliques, usines marémotrices) des végétaux (bois, carburants verts, biogaz), ou de la chaleur de la terre (géothermie). Un ensemble disparate dans lequel l'hydroélectricité et le chauffage au bois occupent une place prépondérante tandis que l'usage du solaire, de l'éolien ou de la géothermie reste négligeable.
a) L'énergie éolienne
La
France dispose d'un fort potentiel d'énergie éolienne, compte
tenu d'une situation géographique particulièrement favorable
(côtes de la Manche et de la Mer du Nord, Golfe du Lion...). Le
ministère de l'industrie a lancé en 1996 le programme Eole 2005,
visant à porter le parc éolien français de 4 MW à
un niveau compris entre 250 et 500 MW.
L'énergie éolienne peut être utilisée pour le
pompage de l'eau et pour la production d'électricité. Cette
dernière utilisation peut se révéler intéressante
pour les sites éloignés de tout réseau de distribution,
compte tenu du coût d'extension du réseau. Il s'agit alors
d'aérogénérateurs domestiques (" petites
éoliennes ") qui peuvent fournir au maximum 25 kw pour des
besoins individuels.
Les coûts de stockage en batterie et de transformation sont assez
élevés et portent à 60-80 centimes le
kilowatt/heure ; toutefois cette solution est compétitive par
rapport au prix de l'électricité fournie par les groupes
électrogènes diesel fonctionnant au fioul.
On peut donc les
recommander pour les sites isolés des réseaux
(2 500
à 3 000 sur le territoire hexagonal),
pour la Corse ou les
départements et territoires d'outre-mer.
Lorsque les besoins sont relativement importants, il est
préférable d'avoir recours à des systèmes hybrides
associant une éolienne, une installation solaire photovoltaïque et
un groupe diesel. Ces systèmes sont intéressants à partir
de quelques centaines de watts, c'est-à-dire pour des petits
réseaux collectifs (la centrale mixte de l'île de la
Désirade, en Guadeloupe, produit 35 % de
l'électricité de l'île).
Il existe aussi des éoliennes de grande puissance, regroupées
dans des " fermes ", et raccordées au réseau. La France
en compte quatorze (neufs aérogénérateurs de 300 kw
à Dunkerque, une éolienne de 200 kw et quatre de 500 kw
dans l'Aude). Ce potentiel devrait nettement s'accroître à l'issue
du plan Éole 2005.
Toutefois
, même si le coût de cette énergie se situe
maintenant entre 30 et 50 centimes/kWh (30 centimes étant le
seuil de rentabilité),
on ne peut raisonnablement compter sur un
réel développement
d'une production centralisée
d'électricité "propre" en France,
tant que n'auront pas
été réduites les nuisances sonores et visuelles des
éoliennes
.
b) L'énergie solaire
La
filière thermique se compose essentiellement du chauffage solaire passif
qui permet de chauffer des habitations, des piscines et de produire de l'eau
chaude (particulièrement l'eau chaude sanitaire en habitat collectif).
La France était, en 1990, le pays d'Europe ayant le plus grand nombre
d'installations collectives
(hôpitaux, casernes, maisons de
retraite...). Il convient d'encourager les responsables des
collectivités locales à choisir cette solution car si le prix de
l'investissement de base (capteurs solaires et chaudière d'appoint au
bois) est supérieur à celui d'une chaudière au fioul, le
coût de fonctionnement est largement inférieur.
De plus, on peut envisager d'organiser une
campagne d'information
afin
de sensibiliser les responsables de collectivités locales à
l'intérêt du chauffage solaire pour les piscines.
La
filière photovoltaïque
mérite une attention
particulière. L'effet photovoltaïque, découvert par le
physicien Becquerel en 1839, permet la conversion directe du rayonnement
solaire en électricité : des cellules photovoltaïques
(photopiles) produisent un courant continu
32(
*
)
lorsqu'elles sont
éclairées par la lumière du soleil ; elles font appel
à des matériaux semi-conducteurs tels que le silicium.
La croissance des installations photovoltaïques dans le monde a
été en moyenne de 23 % par an de 1980 à 1995, ce qui
montre l'intérêt suscité par ce type d'énergie qui
offre trois principales voies d'utilisation :
- les petits appareils (montres, calculettes,
téléphones...) ;
- l'alimentation en électricité d'habitations, de villages,
d'équipements publics ou professionnels éloignés de tout
réseau de distribution (monuments isolés, arrêts de
ramassage scolaire, balises lumineuses, bouées maritimes, relais de
télécommunications...). Ce marché est en pleine
expansion ;
- la production d'électricité raccordée à un
réseau de distribution, soit par des toits ou murs photovoltaïques,
soit par des centrales électriques photovoltaïques.
En France, c'est le deuxième type d'utilisation
(générateurs photovoltaïque autonomes) qui est le mieux
adapté à notre économie et notre territoire.
À l'instar de l'énergie éolienne, et éventuellement
en se combinant avec elle, l'énergie photovoltaïque peut permettre
d'électrifier des sites isolés
: en effet, le
coût d'investissement du générateur photovoltaïque est
très inférieur à celui du raccordement au réseau
électrique
.
Le coût d'un km de ligne électrique
varie de 100 000 à 250 000 F et le prix du kilowatt
solaire a été divisé par vingt-cinq en vingt ans (de
100 dollars en 1975, le prix du watt photovoltaïque est passé
à 4 dollars). Les expériences menées dans l'Aude et dans
le Gard montrent que cette solution permet de revitaliser des zones rurales
désertées quelques décennies plus tôt.
Par ailleurs, les générateurs photovoltaïques autonomes ont
un marché potentiel mondial gigantesque pour l'électrification
des habitations non raccordables au réseau dans les pays en
développement (2 milliards d'hommes).
c) L'énergie hydraulique
En France, la " grande " hydraulique est presque totalement exploitée. En revanche, on peut envisager le développement de la " petite " hydraulique , grâce à des minicentrales : celles-ci sont techniquement performantes et permettent, en outre, aux entreprises françaises de prendre des parts de marché à l'exportation.
d) La géothermie
La géothermie -qui compte une cinquantaine d'installations en France représentant 200 000 logements en France - est hautement tributaire des incitations et garanties offertes par la puissance publique. Elle a été relativement marginalisée lorsque les cours du pétrole sont revenus dans une fourchette raisonnable, mais elle demeure une activité rentable lorsqu'elle est utilisée convenablement par des donneurs d'ordre compétents et intéressés à son succès. De plus, il convient de ne pas négliger les opportunités récemment découvertes des roches chaudes sèches (RCS).
e) La biomasse
Elle
représente le tiers de la production d'énergies renouvelables en
France et fait l'objet de quatre programmes : le plan bois-énergie,
le programme bois-déchet, la production d'électricité
à base de biomasse et le programme biogaz.
La
filière bois
produit 4 % de l'énergie
consommée
(près de 9 millions de tep), faisant de notre
pays le quatrième consommateur de ois-énergie en Europe. 7,2
millions de logements individuels sont équipés d'appareils de
chauffage au bois et 350 chaufferies collectives au bois sont installées
pour l'alimentation, directe ou en réseau, d'ensembles immobiliers ou
d'équipement publics.
Le bois est un combustible favorable à l'environnement. Pour l'ensemble
de la filière (approvisionnement, transformation et brûlage du
combustible), l'utilisation de bois contribue à l'effet de serre, pour
une même quantité produite :
- douze à quinze fois moins que le charbon ;
- sept à douze fois moins que les filières fioul ou gaz
naturel ;
- deux à quatre fois moins que la filière
électricité
33(
*
)
.
De plus cette filière utilise
nos ressources naturelles et valorise
les déchets forestiers
(cette valorisation facilite la gestion des
forêts en abaissant le coût des éclaircies et celui de la
conversion des taillis en futaies).
C'est pourquoi il serait utile de
réactiver le plan
énergie-bois lancé en 1994, de créer des filières
structurées d'approvisionnement en bois.
Cette filière est, en effet, défavorisée par rapport au
pétrole au gaz ou à l'électricité : le
succès, en Corse, de la société d'économie mixte
" Corse bois énergie " réunissant la région et
Elf est exemplaire.
Dans le cadre de la revalorisation de la filière bois,
on peut
s'interroger sur le bien-fondé de l'augmentation de la TVA (de
5,5 % à 20,6 %) sur les abonnements
énergétiques
, qui a beaucoup pénalisé les
réseaux de chaleur où l'abonnement représente la
moitié du prix.
En revanche, on peut se féliciter qu'au moment même où le
Sénat s'inquiétait de ce problème
34(
*
)
, les pouvoirs publics aient fait
paraître une instruction permettant l'application du taux réduit
de TVA à tout le bois de chauffage, et non au seul bois de chauffage
" à usage domestique ". Cette mesure favorise l'utilisation du
bois pour le chauffage des maisons de retraite, hôpitaux,
résidences universitaires et autres bâtiments publics qui
étaient pénalisés par une TVA élevée et non
récupérable.
On peut également se féliciter de ce que la loi de
décembre 1996 sur la qualité de l'air et l'utilisation
rationnelle de l'énergie ait prévu de rétablir
l'obligation de munir d'un conduit de fumée les logements nouvellement
construits, qui avait été abandonnée dans les
années soixante, ce qui empêchait les propriétaires de
maisons chauffées électriquement de basculer vers d'autres formes
de chauffage, soit à titre principal, soit même seulement en
appoint. Il importe désormais que les décrets d'application
soient publiés dans les meilleurs délais, faute de quoi cette
décision restera sans effet...
Enfin, on peut noter que la filière bois est en voie de modernisation
car on voit apparaître de nouveaux produits (plaquettes, sciures
compactées) et de nouvelles techniques de boisement, tels les taillis
à courte rotation (il s'agit de saules ou de peupliers
récoltés au bout de cinq à sept ans, permettant un fort
rendement de dix à treize tonnes de bois sec à l'hectare).
Le projet complémentaire visant à la valorisation
énergétique de déchets de la filière bois et des
résidus de l'exploitation des forêts, lancé au début
de l'année 1998, mérite lui aussi d'être soutenu.
La
biomasse moderne
présente le plus grand potentiel
probable d'énergie, selon l'analyse du Conseil mondial de
l'Énergie
35(
*
)
. Elle
comprend les résidus de culture (paille, rafles du maïs), les
déchets d'élevage, les déchets urbains et les
déchets agro-alimentaires (bagasse de la canne à sucre, liqueurs
noires des usines de pâtes à papier...). La
récupération et le traitement des déchets permet d'obtenir
du biogaz, pour une réaction de fermentation qui se produit dans un
digesteur en milieu anaérobie.
Le
biogaz
est utilisable à proximité de l'endroit
où il est produit mais il nécessite une épuration.
C'est une énergie de proximité non négligeable.
En
France, on dispose de trois millions de tonnes de déchets
agro-alimentaires qui ne sont pas valorisés
. De plus les
déchets de décharges et boues d'épuration pourraient
fournir 350 000 tep/an.
f) Les biocarburants
L'éthanol a été produit dès le
début des années 1980 aux États-Unis (à partir du
maïs) et au Brésil (à partir de la canne à sucre). En
Europe, la production des biocarburants a commencé au début des
années quatre vingt-dix, pour offrir un nouveau débouché
à l'agriculture et a pris deux directions principales :
- l'incorporation des esters d'huiles végétales (EMHV) dans
les gazoles à des taux variant de 5 à 100 % suivant les
orientations prises dans les différents pays. La France a choisi
d'incorporer l'ester à des taux réduits tandis que l'Allemagne et
l'Autriche l'incorporent au taux de 100 % dans des véhicules
adaptés ;
- l'incorporation d'ETBE (éthyl tertio butyl éther), obtenu
à partir d'éthanol et permettant d'oxygéner les essences
sans plomb.
En France, la production de biocarburants a été suscitée
par la " jachère stérile " imposée par la
politique agricole commune ; elle a été
particulièrement favorisée par des avantages fiscaux.
Dans l'état actuel, le coût des biocarburants est trois fois plus
élevé que celui des carburants d'origine fossile. Une
amélioration de la compétitivité pourrait venir d'un
accroissement de taille des unités de production (effet
d'échelle) et par un soutien de la recherche. Les États-Unis ont
ainsi réussi à diviser par deux le prix de revient de
l'éthanol en moins de dix ans.
En France, on peut notamment constater des progrès de
productivité :
L'amélioration de la compétitivité de la
filière biocarburants constitue un enjeu important, car la loi sur la
qualité de l'air prévoit l'incorporation obligatoire, pour les
véhicules des services de l'État et des collectivités
territoriales -notamment pour les flottes captives- d'un minimum
d'oxygène dans les carburants, ouvrant la voie à l'utilisation de
quantités significatives d'ETBE et d'EMHV.
Là encore, comme pour la filière bois, il importe que les
décrets d'application de la loi du 30 décembre 1996 soient
publiés dans les meilleurs délais.