III. RÉVISER LA FISCALITÉ PÉTROLIÈRE
Il
n'entre pas dans les intentions de votre commission d'enquête
d'intervenir dans la polémique sur les avantages et inconvénients
supposés des moteurs diesel par rapport aux moteurs à essence.
Elle constate simplement qu'en raison d'un traitement fiscal
privilégié des possesseurs de véhicules diesel et du
gazole, la pénétration des véhicules diesel sur le
marché français excède largement les besoins des
conducteurs qui réalisent un nombre important de kilomètres. En
outre, la demande de gazole moteur anormalement élevée qui en
résulte ne peut être satisfaite par le raffinage
français.
Un rééquilibrage de la taxation entre les
différents carburants semble dès lors justifié, à
condition qu'il soit effectué prudemment et qu'il soit programmé
sur le long terme.
A. L'ÉCART DE TAXATION ENTRE LES DIFFÉRENTS CARBURANTS ROUTIERS DÉSTABILISE LE RAFFINAGE
Le
différentiel de taxe intérieure sur les produits
pétroliers (TIPP) entre le super sans plomb et le gazole est aujourd'hui
d'environ 1,43 franc par litre. Ainsi, alors que le prix hors taxes d'un
litre de gazole est sensiblement égal à celui d'un litre de
supercarburant sans plomb (1,21 franc contre 1,25 franc), la TIPP est de
2,41 francs dans un cas contre 3,84 francs dans l'autre. La Finlande mise
à part, il s'agit de l'
écart le plus important au sein de
l'Union européenne
(l'écart de prix TTC est de près de
1,8 franc par litre en faveur du gazole).
Il convient de préciser toutefois que le gazole n'est pas moins
taxé en France que dans les autres pays de l'Union européenne. Ce
sont les autres carburants routiers (supercarburants) qui le sont davantage. La
TIPP représente ainsi 61 % du prix TTC du supercarburant sans plomb
95, contre 54 % du prix TTC du gazole.
Le tableau ci-après illustre les écarts de taxation (toutes taxes
comprises) entre supercarburant sans plomb et gazole dans plusieurs pays de
l'Union européenne :
Ce différentiel a conduit à un
taux de
diésélisation du parc
de véhicules français qui
reste aujourd'hui
inégalé
dans le monde, même si
certains pays ont fait connaître leur volonté d'accroître
leur parc de véhicules diesel. La part du diesel dans l'ensemble du parc
automobile français est ainsi de 38,1 %. Pour les voitures
particulières, elle est de 30,8 % au 1
er
janvier 1998,
en hausse de 1,5 point par rapport à 1996. La motorisation diesel
concerne 39 % des immatriculations nouvelles. Elle est en
légère baisse.
A titre de comparaison, la part de marché des véhicules diesel
est de 14,6 % en Allemagne, de 10,3 % en Italie et de 22 % en Europe.
Le graphique ci-après illustre la très forte croissance de la
demande de gazole qui résulte de l'avantage accordé à ce
carburant en France, pour les seuls véhicules particuliers. Il montre
a contrario
l'infléchissement de la consommation d'essence.
Or, les
inconvénients des particules en suspension
émises
par les véhicules diesel sur la qualité de l'air sont
avérés par de nombreuses études convergentes.
De plus, la déformation de la structure de consommation des carburants
sous l'effet de la fiscalité fait diverger de plus en plus lourdement la
demande par rapport aux possibilités de l'outil de raffinage
français. Il en résulte des surcoûts d'import et d'export
et des besoins d'investissement lourds pour ajuster les schémas de
raffinage qui fragilisent le raffinage français par rapport aux autres
pays européens.
Le rapport sur l'utilisation du gazole transmis par le Gouvernement de
M. Alain Juppé au Parlement en septembre 1996, en application de la
loi de finances pour 1996, indique à cet égard :
" L'industrie du raffinage ne peut que séparer dans certaines
proportions les produits pétroliers préexistant dans les
pétroles bruts mais on ne sait pas transformer de l'essence en gazole et
inversement. Tant que la demande de produits se trouve dans la plage de
flexibilité de l'industrie du raffinage, il n'y a pas de problème
particuliers. Mais, dès qu'on sort de la plage de flexibilité de
l'industrie, les raffineries ne peuvent pas adapter leur production à la
demande. C'est ce qui se passe en France du fait du développement rapide
du marché du gazole. "
En outre, les investissements pour améliorer la qualité du gazole
seront particulièrement élevés en France, vu l'importance
de la demande par comparaison avec les autres pays européens.
Par ailleurs, le développement du carburant le moins taxé (le
gazole) au détriment du plus taxé (le super) altère
significativement les recettes de l'Etat. Une réduction de
l'écart actuel au niveau de l'écart moyen constaté dans
l'Union européenne (0,92 franc par litre) générerait un
supplément de recettes de l'ordre de 14 milliards de francs et de 39
milliards de francs en cas d'alignement des fiscalités appliquées
au gazole et au supercarburant sans plomb. Pour tenir compte de l'impact que ne
manquerait pas d'avoir un rééquilibrage de la fiscalité
sur la structure du parc automobile français, il n'est pas
irréaliste d'estimer à
7 milliards de francs la perte de
recettes fiscales réelle résultant de l'écart de
fiscalité
.
Enfin,
les raisons qui justifiaient le maintien d'une fiscalité plus
favorable pour le gazole ont disparu
: en effet, non seulement les
progrès réalisés par la motorisation diesel ont
considérablement accru leurs performances, mais le souci de
préserver l'indépendance énergétique de la France
en privilégiant les véhicules les plus économes
apparaît paradoxal dès lors qu'il a pour conséquence
d'accroître les importations françaises.
Tous ces éléments plaident pour une réduction de
l'écart de taxation entre l'essence et le gazole. Pour autant, il ne
faut pas sous-estimer les obstacles à un tel rééquilibrage.