III. QUELLE POLITIQUE FLUVIALE ET QUELLES RÉALISATIONS ?
Grâce à ses capacités disponibles,
à sa
sûreté, et à son faible coût, le transport fluvial de
marchandises jouera, à coup sûr, un rôle dans l'organisation
du futur réseau transeuropéen de transports. Parmi les quinze,
certains Etats sont, comme les Pays-Bas et l'Allemagne, naturellement mieux
dotés en voies fluviales, du fait de la géographie. D'autres,
comme la France, n'ont probablement pas encore tiré tout le parti
possible du transport par voie d'eau. Une politique à courte vue misant
exclusivement sur la route et sur le rail, conduirait à négliger
le transport fluvial pour l'acheminement des marchandises.
Elle oublierait qu'il faut se garder de " mettre tous ses oeufs dans le
même panier ".
Les pouvoirs publics ne peuvent pas tirer arguments des handicaps que
connaît la voie d'eau française pour rester dans l'expectative. La
France courrait le risque d'une
marginalisation au sein du continent
européen
dont elle constitue le " Finistère ". Tous
les décideurs ont ils pris conscience déplacement vers l'est du
centre de gravité de l'Europe ? Plus continentale, davantage
tournée vers les anciens pays de l'est, l'Union européenne du
XXIe siècle sera vraisemblablement moins polarisée vers
notre pays et vers l'Allemagne de l'ouest que ne le fut la Communauté
européenne.
La France est menacée d'un isolement progressif
aussi bien
vis-à-vis de l'Europe du Nord que par rapport à l'Europe centrale
qui est naturellement attirée par la Méditerranée
orientale. Les voies empruntées par le fret dans les prévisions
de trafic de marchandises, au départ du Port de Rotterdam, suivent des
liaisons nord-sud qui contournent l'hexagone par l'est. Certaines passent par
l'Autriche et l'Italie vers l'Adriatique, d'autres suivent le cours du Danube
jusqu'au port de Constanza sur la Mer Noire. Les pouvoirs publics l'ont-ils
compris ? Il est loisible d'en douter. Lors de son audition par votre
commission d'enquête, M. Raymond Barre concluait son propos sur la
gestion du dossier " Rhin-Rhône " en soulignant :
"
la faible capacité des administrations françaises
à imaginer l'accroissement des échanges qui va se produire du
fait de l'espace européen et à réaliser la marginalisation
relative de notre territoire si des relations fondamentales ne sont pas
établies
".
A l'évidence,
la demande de transport va croître au cours des
prochaines années entre l'est et l'ouest du continent
européen
. Même si l'on développe le trafic maritime
à courte distance (mer-mer), ce mode de transport ne parviendra pas
à desservir les zones enclavées d'Europe centrale.
Parallèlement, rien ne refrénera
l'exigence croissante de
l'opinion publique
en ce qui concerne la
sécurité
routière
, la
facilité des déplacements
le
week-end et dans les centres-villes ou
l'aspiration à une meilleure
protection de l'environnement.
Le
sommet
de Kyoto
a
marqué une étape dans la prise de conscience du rôle des
émissions de gaz à effet de serre.
La Suisse et l'Autriche ont récemment montré que les pouvoirs
publics sont, à juste titre, de plus en plus réceptifs aux
demandes de la population. L'intervention de nouvelles décisions tendant
à limiter le transit des poids lourds en provenance ou à
destination de l'Italie par leur territoire pourrait favoriser l'apparition
d'un détournement de trafic vers notre pays. De son côté,
le chemin de fer parviendra-t-il à résoudre la concurrence entre
le trafic voyageurs et le trafic marchandises ? Chacun le souhaitera mais
beaucoup reste à faire...
Le développement de la voie d'eau pourrait contribuer à la
satisfaction de certains de ces besoins en apparence contradictoires.
Certes, l'ensemble du trafic routier et ferroviaire est loin d'être
intégralement fluvialisable. Mais la réciproque est tout aussi
vraie. Or, la demande européenne de transport par voie d'eau va
vraisemblablement s'accroître dans les prochaines années.
Pour votre commission d'enquête, il est nécessaire de faire
litière de l'opinion trop simpliste pour laquelle la situation de la
batellerie française rendrait inutile tout investissement dans le
transport fluvial. Appliquée au transport maritime, cette thèse
impliquerait que l'on ne modernise pas les ports de l'hexagone, eu égard
à la situation du pavillon français !
Même s'il est souhaitable de tenir compte des transformations de la
batellerie hexagonale, on ne peut oublier que
l'on ne construit pas des
infrastructures pour les transporteurs, mais avant tout pour les chargeurs
.
Or, ceux-ci ont intérêt à disposer de l'offre logistique la
plus diversifiée afin de satisfaire l'accroissement des échanges
de fret dans l'espace communautaire.
Reste un argument souvent opposé au transport fluvial :
quelle sera
la rentabilité des liaisons futures ?
Dans le passé, l'évaluation du trafic prévisionnel des
liaisons nouvelles a donné lieu à d'interminables querelles de
chiffres. Chacun s'accorde aujourd'hui à penser que les modèles
de calcul utilisant des équations de report de trafic d'un mode à
l'autre sont trop grossiers. Il est donc nécessaire de recourir à
des enquêtes auprès des chargeurs, à l'instar de celles
réalisées pour le projet de canal " Seine Nord ".
Cependant, ces analyses fines de la demande ne parviendront à convaincre
ni les sceptiques ni les concurrents de la voie fluviale. Une haute
personnalité insistait sur ce point devant votre commission
d'enquête en évoquant le projet Rhin-Rhône. Elle se
déclarait "
frappée de l'incapacité de beaucoup de
milieux à comprendre que c'était
un pari sur des structures
nouvelles
".
La réalisation d'infrastructures transeuropéennes tient en partie
du pari.
Sans nul doute, serait-il nécessaire de s'inspirer de la
stratégie néerlandaise. Le rapport précité du
sénateur Marc Massion sur les ports souligne que "
nos voisins
n'hésitent pas à se lancer dans des investissements portuaires
apparemment surdimensionnés, convaincus qu'une fois en place, les
installations sauront générer le trafic
"
22(
*
)
Le
soutien à la profession batelière
et la
mise
à niveau des voies fluviales existantes
sont indissociables d'une
politique tendant à constituer un réseau fluvial français
à grand gabarit connecté au réseau européen.