N° 36
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 1998-1999
Annexe au procès-verbal de la séance du 27 octobre 1998
RAPPORT
FAIT
au nom de la commission des Finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la Nation (1) sur le projet de loi, ADOPTÉ PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE, portant règlement définitif du budget de 1995 ,
Par M.
Philippe MARINI,
Sénateur,
Rapporteur général.
(1)
Cette commission est composée de :
MM. Alain Lambert,
président
; Jacques Oudin, Claude Belot, Mme Marie-Claude
Beaudeau, MM. Roland du Luart, Bernard Angels, André Vallet,
vice-présidents
; Jacques-Richard Delong, Marc Massion,
Michel Sergent, François Trucy,
secrétaires
; Philippe
Marini,
rapporteur général
; Philippe Adnot, Denis
Badré, René Ballayer, Jacques Baudot, Mme Maryse
Bergé-Lavigne, MM. Roger Besse, Maurice Blin, Joël Bourdin,
Gérard Braun, Auguste Cazalet, Michel Charasse, Jacques Chaumont, Jean
Clouet, Yvon Collin, Jean-Pierre Demerliat, Thierry Foucaud, Yann Gaillard,
Hubert Haenel, Claude Haut, Alain Joyandet, Jean-Philippe Lachenaud, Claude
Lise, Paul Loridant, Michel Mercier, Gérard Miquel, Michel Moreigne,
Joseph Ostermann, Jacques Pelletier, Louis-Ferdinand de Rocca Serra, Henri
Torre, René Trégouët.
Voir les numéros :
Assemblée nationale
(
11
ème législ.) :
33
,
933
,
996
et T.A.
176
.
Sénat
:
527
(1997-1998).
Loi de règlement. |
EXPOSÉ GÉNÉRAL
CHAPITRE PREMIER
1995 OU "COMMENT RESISTER
AUX CHOCS EXTERIEURS"
Le
rapport économique, social et financier pour 1995 tablait sur une
croissance de 3,1 % en France soit un rythme de développement de
l'activité supérieur à la moyenne des pays de l'Union
européenne (2,9 %) et de l'OCDE (2,7 %).
In fine
, la croissance en volume ne fut que de 2 %.
Cette erreur de prévision, de 1,1 point de PIB, s'explique
principalement par la survenance d'aléas difficilement
prévisibles. Elle a suscité des réactions de politique
économique qui ont certes pu, à court terme, participer au
freinage de l'activité mais qui ont posé les bases d'une
croissance saine et durable.
I. UNE ERREUR DE PRÉVISION, RÉSULTAT DE LA SURVENANCE D'ALÉAS PEU SOUPÇONNABLES
Le
scénario proposé pour 1995 par le gouvernement reposait sur une
reprise de la demande intérieure s'ajoutant à une progression
soutenue de la demande étrangère.
Contributions à la croissance du PIB (prévisions)
(contributions à la croissance du PIB en points)
|
1994 |
1995 |
Demande intérieure hors stocks |
1,4 |
2,9 |
dont : |
|
|
Consommation des ménages |
0,9 |
1,4 |
Consommation des administrations |
0,3 |
0,3 |
FBCF |
0,2 |
1,2 |
dont : |
|
|
Entreprises |
0,1 |
0,9 |
Ménages hors EL |
0,1 |
0,2 |
Administrations |
0,1 |
0,1 |
Variations de stocks |
0,7 |
0,3 |
Commerce extérieur |
0,0 |
- 0,1 |
Exportations |
0,9 |
1,4 |
Importations |
- 0,9 |
- 1,5 |
PIB |
2,0 |
3,1 |
Source : INSEE, DP
L'accélération de la demande intérieure
dont on
estimait alors la croissance en 1994 à 2,1 % et dont on attendait,
pour 1995, 3,2 % d'augmentation, devait provenir d'une augmentation de la
consommation des ménages de 2,3 % consécutive à des
gains de pouvoir d'achat et d'une nette amélioration de
l'investissement, en particulier de celui des entreprises.
Le scénario imaginé pour la consommation des ménages
était conditionné par une amélioration du marché du
travail, une progression des revenus d'activité et du pouvoir d'achat de
l'ordre de 2,2 % et une quasi-stabilité de leur taux
d'épargne.
Quant à la reprise de la demande des entreprises, elle devait provenir
moins d'une reconstitution de leurs stocks dont la variation était
cependant appelée à contribuer positivement à la
croissance que du dynamisme retrouvé de leurs investissements
(+ 9,3 %). On estimait qu'après une reprise timide de
l'investissement en 1994 (+ 1 %) succédant à un
effondrement en 1993 (- 6,8 %), l'accélérateur
d'investissement jouerait à plein, favorisé par
l'amélioration de l'environnement financier des entreprises.
Ce scénario d'amplification du cycle haussier dessinait le paysage
d'une sortie définitive de la crise de 1993 après le sursaut de
1994.
Conséquence attendue de la reprise, le solde des administrations
publiques était appelé à s'améliorer de
1 point, passant de - 5,6 % à - 4,6 % du PIB
dans un contexte de légère réduction des
prélèvements obligatoires (- 0,2 point de PIB) et des
dépenses publiques (- 0,2 point de PIB).
Ce scénario fut déjoué, le rythme de croissance, au lieu
de s'accélérer, s'atténuant en 1995.
Il faut observer que cette erreur de prévision eut des
conséquences moins fâcheuses qu'on n'aurait pu le redouter du fait
d'une erreur de prévision en sens contraire commise pour
l'année 1994. En effet, cette année-là, la reprise
fut sensiblement plus vive qu'escompté (+ 2,6 % contre
2 % prévus au moment de l'exercice de cadrage économique du
budget 1995).
Il n'empêche qu'au lieu de croître de 5,1 % en 1994 et 1995,
l'économie française ne devait connaître qu'une dynamique
de l'ordre de 4,6 % et que la croissance ne fut que de 2 % en volume
en 1995.
Contributions à la croissance du PIB
(Taux de croissance annuel moyen en %)
Contribution à la croissance du PIB (aux prix de l'année précédente) |
1995 |
Consommation des ménages |
0,9 |
Consommation des administrations |
0,0 |
Formation brute de capital fixe
totale
|
0,4
|
Variation de stocks |
0,4 |
Commerce
extérieur
|
0,3
|
PIB |
2,0 |
(1) EI = entrepreneurs individuels
Source : INSEE, DP
L'ensemble des comportements de la demande intérieure a
connu
une croissance moins rapide qu'escompté. La consommation des
ménages n'a apporté au PIB qu'un supplément de
0,9 point contre 1,4 point attendu, et l'investissement des
entreprises n'a contribué à la croissance du PIB que de
0,3 point contre 0,9 point espéré. Finalement, le
soutien de la croissance vint du commerce extérieur.
La consommation des ménages ne s'accrut que de 1,7 % alors que
leur pouvoir d'achat connut une forte augmentation (2,8 %). Mais, leur
taux d'épargne augmenta considérablement, passant de 13,6
à 14,5 % de leur revenu. Cette hausse du taux d'épargne,
largement inexpliquée par les déterminants
économétriques traditionnels,
peut être analysée
comme la conséquence d'un réflexe de "précaution",
lui-même issu d'une montée de l'inquiétude devant la
survenance d'aléas extérieurs défavorables et surtout de
la peur du chômage.
Quant à l'investissement des entreprises, sa croissance ne fut que de
3,3 % dans un contexte d'amélioration de la situation des
entreprises marquée par un renforcement de leur taux de marge et par une
diminution de la charge d'intérêt supportée par elles.
L'absence de tensions sur leurs capacités de production,
conséquence d'une faible dynamique économique et, probablement,
d'une meilleure productivité du capital installé, n'a pas
justifié en 1995 de sursaut de l'investissement. On peut en outre
considérer que les anticipations des entreprises ont alors
été sérieusement troublées par les crises qui ont
marqué l'année 1995.
En tout état de cause, la croissance ralentie ne fut pas un
événement "franco-français".
Le
phénomène a concerné l'ensemble des grandes
économies de l'OCDE comme en témoigne le tableau ci-dessous.
Croissance de quelques grands pays de l'OCDE en 1994 et 1995
(En %)
|
Etats-Unis |
Allemagne |
Royaume-Uni |
1994 |
3,5 |
2,7 |
4,3 |
1995 |
2 |
1,8 |
2,7 |
C'est
d'ailleurs un événement international qui a induit les
perturbations à la source du ralentissement de la croissance
française.
La crise financière du Mexique et la dévaluation du peso mexicain
le 22 décembre 1994 ont entraîné une
dépréciation du dollar de plus de 17 % par rapport au mark.
Cela a, à son tour, fortement perturbé les rapports de change
entre monnaies européennes. Une appréciation du mark s'en est
suivie que les autorités monétaires françaises ont
tenté de contrecarrer par des relèvements successifs des taux
d'intérêt. La fameuse asymétrie du système
monétaire européen joue donc une fois de plus, notre pays
étant doublement pénalisé par les coûts d'une
politique monétaire orientée vers la stabilisation de la
parité entre le franc et le mark et par l'appréciation
consécutive de notre monnaie à l'égard des monnaies
tierces du système.
Ces événements monétaires eurent pour effet de "brouiller"
les anticipations des agents et, au premier rang, celles des chefs
d'entreprise. La perspective d'une tension accrue des conditions
monétaires renforça un pessimisme qui pouvait se nourrir en outre
d'anticipations de demande défavorables. La croissance était
cassée.