III. LA POSITION DE VOTRE COMMISSION

A. TROIS PRINCIPES À AFFIRMER

1. Reconnaître une véritable politique communautaire d'aménagement du territoire

Avec l'Acte Unique, et la réforme de 1988, la politique régionale, en même temps qu'elle a vu ses moyens doubler, est devenue un impératif renouvelé, sous la forme de la cohésion économique et sociale de la Communauté, conçue comme le corollaire indispensable du marché unique.

Votre rapporteur estime qu'il est temps d'aller plus loin. N'est-il pas logique d'accompagner le marché unique et l'union économique et monétaire de la mise en place d'une politique communautaire d'aménagement du territoire, succédant à la seule recherche de la cohésion économique et sociale ?

Cette notion n'apparaît encore nulle part dans les traités ni dans les règlements relatifs à la politique régionale. Il lui est préféré le terme " d'utilisation de l'espace européen ". Pourtant, comment ne pas voir que l'élaboration de plus en plus communautaire des politiques de développement régional, en association avec les autorités nationales et régionales de chaque Etat-membre, entérine une telle évolution ?

La mise en place par le Traité sur l'Union européenne (articles 198 A à 198 C) du " Comité des régions ", les rapports périodiques sur la cohésion économique et sociale de l'Union, l'association partenariale toujours plus étroite des représentants des collectivités à la programmation structurelle communautaire, l'élaboration d'un " schéma européen de développement de l'espace communautaire ", la logique de l'additionnalité (co-financements européens et locaux), sans parler de l'évolution actuelle vers un couplage des calendriers entre les programmations communautaire (fonds structurels) et nationale (contrats de plan Etat-régions) sont autant d'éléments qui montrent qu'une politique européenne d'aménagement du territoire se met progressivement en place . Elle sera encore plus nécessaire, demain, dans la Communauté à 26, qu'elle ne l'est aujourd'hui à 15.

Votre rapporteur souhaite qu'elle soit confortée par un engagement politique renouvelé des chefs d'Etat. On peut regretter que les Conseils européens " Aménagement du territoire " soient toujours de nature informelle.

Dans cette conception renforcée, la politique communautaire d'aménagement du territoire s'étendrait non seulement à l'actuelle politique structurelle, mais aussi à celle des grandes infrastructures, comme l'avait initié le sommet européen d'Essen en 1995.

2. Tirer les conséquences du changement de centre de gravité de l'Union : vers la reconnaissance de nouvelles périphéricités

La réconciliation de l'Europe par l'adhésion à l'Union européenne est un symbole politique fort.

C'est aussi un facteur qui va profondément bouleverser le visage de la Communauté, ses équilibres, son identité. L'Union après l'adhésion des PECO sera toute différente.

Cette nouvelle donne aura, certes, des conséquences pratiques sur la " soutenabilité " à terme de certains instruments financiers et sur le niveau d'aide structurelle qu'il est souhaitable d'apporter, compte tenu de la capacité d'absorption de ces nouveaux membres. L'élargissement pose aussi la question du déplacement des solidarités financières au sein de l'Union , d'un mouvement - pour schématiser - globalement Nord/Sud (sauf pour l'Irlande) à un transfert Est/Ouest.

Votre rapporteur estime que ce déplacement du centre de gravité vers l'Europe continentale doit avoir pour corollaire la reconnaissance d'une nouvelle périphéricité, celle de l'arc atlantique et méditerranéen, à l'Ouest et au Sud de la " banane bleue " 13( * ) , menacé, si on n'y prenait garde, d'une " finistérisation " au sein de la nouvelle Europe.

L'émergence et la reconnaissance de cette nouvelle solidarité atlantique et méditerranéenne permettrait à la France de jouer un rôle pivot dans le rassemblement des Etats-membres qui partagent ces préoccupations, face à la constitution d'un " pôle continental " qui risque de structurer l'Union de demain.

Votre commission, si elle souhaite le renforcement et l'inflexion indiqués de la politique structurelle européenne, ne prône évidemment pas de démission des Etats-membres - et moins encore, on s'en doute, de la France - en la matière. Elle souhaite au contraire que l'articulation entre les deux niveaux soit un gage d'efficacité. En particulier, l'Etat se doit d'avoir une véritable stratégie nationale face à la politique structurelle communautaire, sans se contenter d'engranger les subsides européens.

3. Se donner les moyens d'une véritable stratégie nationale

Ce rapport n'est pas le lieu approprié pour faire de trop longs développements sur la politique française d'aménagement du territoire, l'exercice issu de l'article 88-4 de la Constitution voulant que votre commission se prononce sur une négociation purement communautaire. Qu'on permette simplement à votre rapporteur d'émettre quelques souhaits, directement liés à la négociation européenne en cours.

Refuser l'impératif d'alignement (" cohérence ")

L'obligation de " cohérence " - c'est-à-dire peu ou prou d'identité - entre le zonage français de la prime à l'aménagement du territoire (PAT) et le zonage européen de l'objectif 2 ne doit pas être acceptée.

Contraire au principe de subsidiarité, cette perspective empêcherait l'Etat de jouer le rôle qui, au sens de votre commission des Affaires économiques, doit être le sien : accompagner, au-delà du simple dispositif communautaire de " phasing out ", les territoires qui sortiraient de l'éligibilité aux fonds structurels .

Le Gouvernement doit défendre sa marge d'action et ne pas masquer un éventuel manque d'ambition - ou de moyens - par l'écran de fumée d'un quelconque carcan bruxellois.

La possible proposition de compromis de la Commission européenne de faire passer de 2 % à 10 %, voire 15 %, la marge d' " incohérence " admise n'est pas de nature à lever les vives réserves de votre commission des Affaires économiques en la matière.

Quant à la nécessité d'une " cohérence " des deux niveaux d'intervention, elle est de toutes façons garantie par l'additionnalité des deux types de financements , communautaire et infra-communautaire.

Le zonage de l'objectif 2

Comme cela a déjà été évoqué, le degré de souplesse dans la détermination, par les Etats-membres, du zonage de l'objectif 2 est actuellement en discussion.

Cette négociation ne doit pas aboutir à une renationalisation. Le " trilogue " Etat-Europe-Région est un préalable indispensable.

De même, la possibilité de permettre à l'objectif 3 d'intervenir dans les zones éligibles à l'objectif 2 doit être vigoureusement défendue par les autorités françaises.

Tirer pleinement parti des concordances de calendrier

Le Gouvernement a souhaité aligner strictement la programmation régionale française (les contrats de plan Etat-régions couvriront la période 2000-2006, avec une actualisation à mi-parcours) sur le calendrier prévu pour les fonds structurels.

Que recouvre une telle démarche : un pur alignement sur des orientations et des programmations définies à Bruxelles ou une détermination à exploiter toutes les complémentarités et toutes les synergies possibles entre ces deux outils ?

Votre rapporteur appelle de ses voeux la réalisation de la deuxième branche de l'alternative.

Encore faut-il que le Gouvernement s'en donne la peine et les moyens. L'Etat n'a-t-il pas tendance, plutôt, à " s'approprier " les crédits européens et à souhaiter paradoxalement, au moment où l'Union s'apprête à entrer dans la troisième phase de l'Union économique et monétaire, une " renationalisation " des politiques communes ?

En aucun cas les crédits de l'Europe ne devraient être assimilés à une intervention nationale.

B. UNE APPROBATION DE LA PROPOSITION DE RÉSOLUTION

1. La proposition de résolution n° 517 rectifiée

Comme cela était indiqué dans l'avant-propos, la délégation du Sénat pour l'Union européenne a suivi avec un intérêt tout particulier le sujet qui retient aujourd'hui notre attention.

C'est au mois de juin dernier que la proposition de résolution n° 517 rectifiée a été déposée en son nom par M. Yann Gaillard.

Cette proposition de résolution, que votre commission des Affaires économiques examine aujourd'hui, formule plusieurs recommandations sur les thèmes suivants :

- principes et objectifs de la réforme (adhésion d'ensemble sous réserve du financement du développement rural) ;

- répartition des fonds disponibles (rééquilibrage des dotations entre l'objectif 1 et les autres objectifs) ;

- articulation avec le fonds de cohésion (détermination d'un plafond d'aide par habitant) ;

- définition de l'objectif 1 (suppression demandée de l'assimilation à l'objectif 1 des zones arctiques) ;

- définition de l'objectif 2 ( demande de critères cohérents, souhait de ne pas faire référence au zonage PAT) ;

- définition de l'objectif 3 (souhait d'une possibilité de cumul des interventions des objectifs 2 et 3) ;

- dispositif transitoire (souhait d'une harmonisation des durées des périodes transitoires, demande de chiffrage précis et de clarification des opérations éligibles) ;

- réserve de performance.

Votre commission des affaires économiques adhère à ces recommandations.

2. Une approbation d'ensemble et quelques enrichissements

Votre commission vous propose donc d'adopter le dispositif proposé par la proposition de résolution de la délégation pour l'Union européenne déposée par M. Yann Gaillard , sous réserve de quelques compléments , qui tiennent d'une part à la prise en compte des positions de principe exprimées ci-dessus et d'autre part à l'actualisation de certaines préoccupations, compte tenu de l'évolution récente des négociations.

Sont ainsi proposés l'insertion ou la modification d'alinéas relatifs à :

- la nécessité d'une prise en compte, à terme, d'une véritable politique d'aménagement du territoire européenne ;

- la volonté de reconnaissance d'une nouvelle périphéricité atlantico-méditerranéenne ;

- la demande, pour l'objectif 2, d'une discussion Europe-Etat-Région pour une meilleure définition des zones ;

- la demande d'un alignement à six ans de la durée des périodes de sortie transitoire des objectifs 1 et 2 ;

- le soutien plus ferme d'une " horizontalité " de l'objectif 3 (compatibilité avec l'objectif 2) ;

- le souhait d'un soutien vigoureux du Gouvernement français aux trois programmes d'initiative communautaires proposés par la commission.

*

* *

Votre commission a adopté la proposition de résolution ci-après. Votre rapporteur, pour tenir compte des observations formulées dans le débat, très riche, qu'a suscité l'examen de cette proposition de résolution, vous proposera des compléments à cette rédaction, réaffirmant l'attachement des collectivités territoriales à une politique européenne protégée de toute renationalisation, qui seront examinés lors de la réunion de la commission consacrée à l'examen des amendements.

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