B. UNE RÉGLEMENTATION PARCELLAIRE

Le septième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 dispose que " le droit de grève s'exerce dans le cadre des lois qui le réglementent ".

Dans le secteur public, le législateur s'est toujours montré réticent à édicter une réglementation d'ensemble du droit de grève, bien que la jurisprudence du Conseil constitutionnel ait clairement indiqué qu'un équilibre pouvait être institué entre le droit de grève, d'une part, et d'autres principes de valeur égale, c'est-à-dire reconnus comme principes de valeur constitutionnelle, d'autre part.

1. La jurisprudence équilibrée du Conseil Constitutionnel

Le Conseil Constitutionnel a reconnu que le législateur disposait d'une certaine latitude pour réglementer les conditions d'exercice de la grève.

C'est ainsi qu'il a considéré que le septième alinéa précité habilitait le Parlement à tracer les limites du droit de grève " en assurant la conciliation entre la défense des intérêts professionnels, dont la grève est un moyen, et la sauvegarde de l'intérêt général auquel la grève peut être de nature à porter atteinte ".

Deux principes peuvent ainsi contrebalancer le droit de grève :

- le principe de la continuité du service public ;

- le principe de la protection de la santé et de la sécurité des personnes et des biens.

Le principe de la continuité des services publics , reconnu par la décision n° 79-105 DC du 23 juillet 1979, trouve ses fondements dans le principe plus large de la continuité de la vie de l'Etat ou de la Nation : ainsi, l'article 5 de la Constitution de 1958 dispose que le Président de la République " assure par son arbitrage (...) la continuité de l'Etat ".

Mais il importe de souligner que le principe de continuité invoqué à l'occasion du contrôle de la loi du 26 juillet 1979 sur la continuité du service public de la radio et de la télévision en cas de cessation concertée du travail est rattaché par le Conseil constitutionnel à la notion du service public et pas seulement à celle d'ordre public.

•  Le second principe susceptible de justifier des atteintes au droit de grève est celui de la protection de la santé et de la sécurité des personnes et des biens , reconnu par la décision n° 80-117 DC du 22 juillet 1980 relative au droit de grève dans les centrales nucléaires.

Le Conseil Constitutionnel a pu se référer sur ce point au 11 ème alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 prévoyant que la Nation " garantit à tous (...) la protection de la santé, la sécurité matérielle, le repos et les loisirs ".

•  Le Conseil constitutionnel laisse assez largement au législateur le soin de concilier les principes à valeur constitutionnelle rappelés ci-dessus avec le droit de grève.

La jurisprudence du Conseil constitutionnel prévoit ainsi la possibilité d'une interdiction pure et simple de la grève aux " agents dont la présence est indispensable pour assurer le fonctionnement des éléments du service dont l'interruption porterait atteinte aux besoins essentiels du pays ". C'est à ce titre que certaines catégories de fonctionnaires, dont l'activité se rattache aux fonctions de souveraineté de l'Etat, sont privés du droit de grève.

Le législateur peut également décider d'instituer un service minimum dans certains secteurs comme il l'a fait dans l'audiovisuel en 1979 et dans les services de la navigation aérienne en 1984.

Comme l'a rappelé M. Bruno Genevois, deux contraintes particulières pèsent sur le législateur 9( * ) .

Tout d'abord, il ne doit imposer à l'exercice du droit de grève que les restrictions nécessaires au regard des exigences constitutionnelles qui servent de fondement à ces limitations. C'est à ce titre que s'agissant du service public de la radiodiffusion et de la télévision ont été déclarées contraires à la Constitution les dispositions qui tendaient à imposer non pas un service minimum, mais un service normal en cas de grève.

En second lieu, le Conseil Constitutionnel laisse entendre que le législateur ne saurait déléguer entièrement sa compétence . S'agissant du pouvoir réglementaire, la délégation est néanmoins entendue largement puisque, s'agissant de l'organisation du service minimum, la loi peut, comme prévu dans la loi du 26 juillet 1979 précitée, renvoyer à un décret en Conseil d'Etat les modalités d'application de cette disposition.

Se poserait également la question de la validité d'un renvoi à des accords collectifs pour définir le service minimum. Sur ce point, M. Bertrand Genevois estime difficile " une réglementation du droit de grève dans les services publics qui reposerait exclusivement sur un cadre contractuel ".

2. L'intervention prudente du législateur

Trois types de limitations ont été édictées par le législateur.

A titre exceptionnel, certains fonctionnaires sont privés du droit de grève.

Tel est le cas pour :

- les fonctionnaires des compagnies républicaines de sécurité ( loi n° 47-2384 du 27 décembre 1947 ) ;

- les personnels de police ( loi n° 48-1504 du 28 septembre 1948 ) ;

- les services extérieurs de l'administration pénitentiaire ( loi n° 58-696 du 6 août 1958 ) ;

- les magistrats de l'ordre judiciaire ( ordonnance n° 58-1270 du 29 décembre 1958 ) ;

- les services des transmissions du ministère de l'Intérieur ( loi de Finances du 31 juillet 1978, article 14 ) ;

- les ingénieurs des études et de l'exploitation de l'aviation civile ( loi du 17 juin 1971 ) ;

Il est à noter que, de 1964 à 1984, les contrôleurs de la navigation aérienne ont également été privés du droit de grève.

Certaines catégories d'emploi supportent des restrictions particulières visant à instaurer un service minimum. Tel est le cas dans :

- les établissements et organismes de radiodiffusion et de télévision ( loi n° 79-634 du 26 juillet 1979 ) ;

- les établissements qui détiennent des matières nucléaires ( loi du 22 juillet 1980 ) ;

- le domaine du contrôle et de la navigation aérienne ( loi du 31 décembre 1984 ).

Enfin, sont inscrites dans le code du travail un certain nombre de dispositions applicables uniquement dans le secteur public afin d'imposer une procédure préalable à l'exercice du droit de grève dans le secteur public .

La loi du 31 juillet 1963, codifiée aux articles L. 521-2 et suivants du code du travail, précise que les grèves inopinées ou grèves surprises sont en principe interdites. Toute grève doit être précédée d'un préavis de cinq jours francs. Pendant la durée du préavis, les parties intéressées sont tenues de négocier ( cf. Annexe n° 5 ).

3. La compétence supplétive du Gouvernement

Même en l'absence de dispositions législatives expresses, le juge administratif a toujours considéré que l'autorité responsable d'un service public était fondée à prendre des mesures restreignant le droit de grève en vue d'en éviter un usage abusif ou contraire aux nécessités de l'ordre public.

En effet, dans l'arrêt Dehaene du 7 juillet 1950, le Conseil d'Etat a considéré que " la reconnaissance du droit de grève ne saurait avoir pour conséquence d'exclure les limitations qui doivent être apportées à ce droit comme à tout autre en vue d'en éviter un usage abusif ou contraire aux nécessités de l'ordre public " .

" Il appartient au Gouvernement responsable du bon fonctionnement des services publics de fixer lui-même, sous le contrôle du juge la nature et l'étendue desdites limitations. " .

Il appartient donc au ministre ou au chef de service par délégation, ou encore aux organes dirigeants d'un établissement public sous tutelle, de prendre les mesures nécessaires sous le contrôle du juge administratif.

La jurisprudence administrative contrôle notamment que l'autorité responsable a fixé avec précision la liste des personnes auxquelles le droit de grève est retiré et que la présence de ces agents est bien " indispensable pour assurer les éléments du service dont l'interruption porterait atteinte aux besoins essentiels du pays " . La notion de " besoins essentiels " peut s'avérer plus restrictive que celle qui découlerait du simple principe de continuité puisqu'elle exige que l'atteinte au droit de grève soit justifiée par les impératifs de l'action gouvernementale ou par des nécessités des services de sécurité. Toutefois la notion de sécurité est entendue largement.

Votre rapporteur tient à souligner que le service minimum mis en place dans les établissements sanitaires, sociaux et médico-sociaux résulte de la mise en oeuvre de la jurisprudence " Dehaene ".

Ainsi, par circulaire du 4 août 1981, le ministre de la Santé a rappelé que les administrations hospitalières devaient prendre toutes dispositions pour assurer la sécurité et les soins indispensables aux pensionnaires et hospitalisés en cas de conflit social.

Il a été indiqué que le service minimum " tel qu'il est assuré un dimanche ou un jour férié " semblait pouvoir constituer le seuil normal de sécurité devant être respecté par les organisations syndicales.

Le dispositif a été complété par une circulaire du 15 février 1982 pour les établissements sociaux et médico-sociaux privés et du 10 mars 1982 pour les établissements sociaux du secteur public. Le service minimum doit être apprécié en déterminant un seuil de sécurité propre à chaque établissement.

Enfin, la circulaire du 22 avril 1983 a précisé que, dans les centres hospitaliers, le libre exercice du droit de grève trouve sa limite dans la nécessité d'assurer la sécurité des malades à l'hôpital.

Il revient en effet au directeur de l'établissement hospitalier d'assurer :

- le fonctionnement des services qui ne peuvent être interrompus,

- la sécurité physique des personnes,

- la continuité des soins et des prestations hôtelières aux hospitalisés,

- la conservation des installations et du matériel.

Le directeur doit déterminer les effectifs dont la présence est nécessaire . L'appréciation des effectifs indispensables varie selon la durée de la grève. Les notions du fonctionnement des services, de la sécurité des personnes et de la continuité des soins évoluent en effet avec le temps lorsque la grève se prolonge.

Si la réglementation reste parcellaire, de nombreuses initiatives ont été prises pour résoudre la question de la conciliation entre le principe de continuité et le respect du droit de grève par l'édiction du service minimum.

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