D. AMÉLIORER LE PROJET DE LOI
Sur de nombreux points, votre commission a estimé souhaitable d'améliorer le projet de loi.
1. Élargir davantage le statut de témoin assisté
Le projet de loi tend à élargir le statut de témoin assisté en permettant au juge d'instruction d'accorder ce statut, non plus seulement aux personnes visées par un réquisitoire ou une plainte avec constitution de partie civile, mais également aux personnes visées par une plainte ou une dénonciation. Votre commission estime utile d'aller plus loin, afin d'éviter les mises en examen qui ne seraient pas strictement nécessaires . Elle propose donc que ce statut puisse être accordé à toute personne mise en cause par un témoin ou une victime en cours d'instruction, ainsi qu'aux personnes à l'encontre desquelles existent des indices laissant présumer qu'elles ont pu commettre une infraction.
2. Modifier les conditions de la mise en examen
Votre
commission estime nécessaire de tout mettre en oeuvre pour que le juge
d'instruction ne recoure à la mise en examen que lorsque celle-ci est
réellement justifiée. Elle vous propose donc que la mise en
examen ne soit possible que lorsqu'existent contre une personne
des indices
graves et concordants
laissant présumer qu'elle a participé,
comme auteur ou comme complice, à une infraction.
Par ailleurs, votre commission a souhaité qu'une personne ne puisse plus
être mise en examen par
lettre recommandée
sans avoir la
possibilité d'être entendue par le juge d'instruction
. Elle a
modifié l'article 80-1 du code de procédure pénale pour
prévoir qu'avant de mettre en examen par lettre recommandée une
personne, le juge d'instruction doit au préalable l'informer de son
intention. La personne pourrait alors demander à être entendue en
présence de son avocat. A défaut d'une telle demande ou si la
personne ne répondait pas à la convocation, le juge pourrait la
mettre en examen par lettre recommandée.
3. Modifier la dénomination du juge chargé de la détention
Le
projet de loi prévoit l'institution d'un juge de la détention
provisoire. Une telle dénomination paraît fort lourde à
porter pour les magistrats dont ce sera la charge. D'autres propositions ont
été formulées, consistant notamment à qualifier ce
juge de "
juge des libertés
", voire de "
juge
de la détention et des libertés
". Il a
été rétorqué que tous les juges ont vocation
à être des juges des libertés, l'article 66 de la
Constitution prévoyant que "
l'autorité judiciaire,
gardienne de la liberté individuelle, assure le respect de ce principe
dans les conditions prévues par la loi
".
Face à ce dilemme, votre commission propose de ne pas nommer ce juge
dans le code de procédure pénale. Les praticiens se chargeront
rapidement de lui trouver une dénomination qui s'imposera, mais il ne
paraît aucunement nécessaire qu'il soit qualifié par la
loi. Cette solution présente en outre l'avantage de ne pas exclure que
d'autres missions lui soient éventuellement confiées
ultérieurement.
Par ailleurs, votre commission estime souhaitable que ce magistrat statue par
une
ordonnance motivée et après un débat
contradictoire
, même lorsqu'il n'ordonne pas le placement en
détention provisoire, afin que le magistrat instructeur qui demande une
détention par ordonnance motivée ait connaissance des raisons
justifiant qu'il ne soit pas fait droit à cette demande.
4. Éviter les détentions provisoires injustifiées
Le
système prévu par le projet de loi en ce qui concerne le
niveau de peine encourue
à partir duquel le placement en
détention provisoire est possible est apparu
trop complexe
à votre commission. Il lui est en outre apparu que ces seuils ne
permettraient guère de limiter le nombre de placements en
détention provisoire. Après avoir constaté que la plupart
des infractions punies de deux ans d'emprisonnement ne justifiaient pas qu'il
soit recouru à la détention provisoire et que, dans de nombreux
cas, les infractions punies de deux ans d'emprisonnement relevaient davantage
de la comparution immédiate que d'une information judiciaire, votre
commission a décidé que la mise en détention ne serait
plus possible qu'à l'égard des personnes encourant une
peine
correctionnelle supérieure à deux ans d'emprisonnement
.
En ce qui concerne la
durée de la détention provisoire
,
votre commission a accepté les propositions de l'Assemblée
nationale tendant à instaurer des limites à la durée de la
détention provisoire sauf pour certaines infractions telles que le
terrorisme ou le trafic de stupéfiants. En revanche, votre commission a
estimé inopportun de faire de la délivrance d'une commission
rogatoire internationale un critère d'allongement de la durée de
la détention provisoire.
Elle propose que, dans des
situations exceptionnelles
, lorsque
l'information doit absolument être poursuivie, la
chambre
d'accusation
, saisie par le magistrat chargé de la détention
provisoire, puisse prolonger la durée de la détention provisoire
au delà des limites prévues pour le projet de loi. La
possibilité d'accorder ces prolongations serait très strictement
encadrée, l'accord du magistrat instructeur, du magistrat chargé
de la détention et de la chambre d'accusation étant
nécessaire.
5. Conforter les droits des victimes
Saluant
les progrès apportés aux droits reconnus à la victime dans
la procédure pénale, votre commission a adopté quelques
dispositions destinées à conforter ces droits. Elle a en
particulier prévu que la partie civile pourrait, si cela est
nécessaire, être assistée par un interprète au cours
des audiences correctionnelles ou criminelles, comme c'est déjà
le cas pour le prévenu, l'accusé ou le témoin.
En outre votre commission propose de modifier le texte du serment
prononcé par les jurés de cours d'assises au début d'un
procès. Les jurés, qui promettent d'ores et déjà de
ne trahir ni les intérêts de l'accusé ni ceux de la
société qui l'accuse, devraient également promettre de
ne pas trahir les intérêts de la victime
. Ils devraient en
outre promettre de
se rappeler que l'accusé est présumé
innocent et que le doute doit lui profiter
.
6. Prévoir un équilibre entre liberté de l'information et présomption d'innocence
Un
chapitre du projet de loi est consacré à la
" communication ", sans qu'aucune mesure soit proposée pour
remédier aux atteintes irréparables à la
présomption d'innocence que peut provoquer le non-respect du secret de
l'enquête et de l'instruction.
Certes, des mesures législatives existent d'ores et déjà,
qui devraient permettre de limiter les atteintes à la présomption
d'innocence. En particulier, l'article 38 de la loi du
29 juillet 1881 interdit la diffusion de pièces du dossier de
l'instruction, mais le ministère public, seul compétent pour
poursuivre cette infraction, ne le fait en pratique jamais. Le projet de loi
reste muet sur ces questions.
En 1995, la mission d'information de votre commission des lois sur la
présomption d'innocence et le secret de l'instruction a formulé
de nombreuses propositions équilibrées sur ce sujet, qui ne
paraissent pas avoir retenu l'attention du Gouvernement. De même, le
projet de loi ignore plusieurs propositions formulées sur ce sujet par
la commission de réflexion sur la justice présidée par
M. Pierre Truche.
En revanche, le projet de loi contient une disposition très importante
destinée à préserver la liberté de l'information,
à savoir la possibilité pour le premier président de la
cour d'appel, statuant en référé,
d'arrêter
l'exécution provisoire de mesures ordonnées en
référé lorsqu'elles portent atteinte à la
liberté de l'information
. Votre commission salue cette mesure
très protectrice de la liberté de la presse dans notre pays.
Estimant souhaitable qu'un équilibre soit trouvé entre la
présomption d'innocence et la liberté de l'information, votre
commission propose -compte tenu de la nouvelle protection accordée
à la presse- d'élargir le champ d'application de
l'article 9-1 du code civil, permettant au juge, même en
référé, d'ordonner par exemple l'insertion d'un
communiqué dans la publication concernée en cas d'atteinte
à la présomption d'innocence. Actuellement, la possibilité
de saisir le juge n'est ouverte qu'aux personnes placées en garde
à vue, mises en examen ou qui font l'objet d'une citation à
comparaître, d'un réquisitoire ou d'une plainte avec constitution
de partie civile, lorsqu'elles sont publiquement présentées comme
coupables des faits faisant l'objet de l'enquête ou de l'instruction
judiciaire.
Il est paradoxal qu'en revanche les personnes présentées comme
coupables, alors qu'elles ne font l'objet d'aucune procédure, ne
puissent faire réparer l'atteinte à la présomption
d'innocence. Votre commission propose donc que le champ d'application de
l'article 9-1 du code civil soit étendu à toutes les
personnes présentées comme coupables de faits faisant l'objet
d'une enquête ou d'une instruction.
Cette proposition a été formulée par la commission de
réflexion sur la justice et par la mission d'information de votre
commission des Lois, mais n'a pas été reprise dans le projet de
loi.
La commission des Lois de l'Assemblée nationale a adopté un
amendement allant beaucoup plus loin puisqu'il permettait à une personne
présentée comme
pouvant
être coupable et non comme
coupable d'aller devant le juge pour faire cesser l'atteinte à la
présomption d'innocence. Cet amendement a été
retiré avant le débat en séance publique et votre
commission a estimé que sa rédaction serait trop large et
risquerait de porter atteinte à la liberté de la presse.
Par ailleurs,
votre commission n'a pas estimé souhaitable de porter
atteinte
, à l'occasion de ce projet de loi, à
l'équilibre de la loi du 29 juillet 1881
sur la
liberté de la presse et a donc décidé de rétablir
dans cette loi des dispositions que le Gouvernement ou l'Assemblée
nationale souhaitaient voir inscrites dans le code pénal.