II. LE PROJET DE LOI ADOPTÉ PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE : UNE MISE À JOUR DE LA PROCÉDURE PÉNALE
Déposé le 16 septembre 1998,le projet de loi soumis au Sénat a été adopté par l'Assemblée nationale le 30 mars dernier. Il comporte deux parties distinctes respectivement consacrées au renforcement de la protection de la présomption d'innocence et aux droits des victimes.
A. RENFORCER LA PROTECTION DE LA PRÉSOMPTION D'INNOCENCE
Le projet de loi retient une acception très large du principe de la présomption d'innocence et se donne pour objectif de renforcer les droits des personnes mises en cause à tous les stades de la procédure.
1. Un renforcement du contrôle des mesures de garde à vue
L'une
des mesures les plus frappantes du projet de loi consiste à
permettre
à toute personne placée en garde à vue de demander
à s'entretenir avec un avocat dès la première heure de la
mesure et non plus lorsque vingt heures se sont écoulées
comme actuellement (article 2). Cette disposition a déjà
été adoptée par le législateur dans la loi du
4 janvier 1993, mais son entrée en vigueur avait
été repoussée.
La loi du 24 août 1993 a finalement pérennisé le
régime transitoire prévu par la loi du 4 janvier. Les
modalités de l'entretien entre la personne gardée à vue et
l'avocat ne seraient pas modifiées ; en particulier, l'avocat ne
pourrait pas plus qu'aujourd'hui avoir accès au dossier. Le projet de
loi initial prévoyait qu'une personne placée en garde à
vue pouvait à nouveau demander à s'entretenir avec un avocat au
début de la prolongation éventuelle de la garde à vue.
L'Assemblée nationale a modifié ce système pour permettre
à la personne de demander à nouveau un avocat à l'issue de
la vingtième heure de garde à vue puis, le cas
échéant, lorsque douze heures se sont écoulées
depuis le début de la prolongation.
L'Assemblée nationale a fortement enrichi les dispositions du projet de
loi relatives à la garde à vue. Elle a ainsi prévu :
- la visite par le procureur des locaux de garde à vue au moins une fois
par trimestre ;
- l'harmonisation des régimes de garde à vue en cas
d'enquête de flagrance, d'enquête préliminaire ou
d'exécution d'une commission rogatoire ;
- l'obligation pour l'officier de police judiciaire d'informer une personne
placée en garde à vue qu'elle a le droit de ne pas
répondre aux questions ;
- l'enregistrement sonore des interrogatoires des mineurs placés en
garde à vue.
2. Un renforcement des droits de la défense
Un grand
nombre de dispositions du projet de loi ont pour objet de renforcer les droits
de la défense, en particulier au cours de la procédure
d'instruction.
Ainsi, les
modalités de désignation d'un avocat
par une
personne incarcérée seraient simplifiées (article 3).
Surtout, les parties pourraient désormais demander au juge d'instruction
de procéder ou de faire
procéder à tous actes
qu'elles jugent utiles. Actuellement les demandes d'actes que peuvent formuler
les parties sont limitativement énumérées. En outre, une
personne mise en examen pourrait demander que certains actes (transport sur les
lieux, audition d'un témoin, d'une partie civile ou d'une autre personne
mise en examen) soient effectués en présence de son avocat. Le
juge d'instruction ne pourrait refuser ces demandes que par une ordonnance
motivée susceptible d'appel (article 4).
De même, en ce qui concerne les
expertises
, le projet de loi tend
à permettre au ministère public ou à la partie qui demande
une expertise de préciser dans sa demande les questions qu'il voudrait
voir poser à l'expert (article 5).
L'Assemblée nationale a complété ces dispositions,
notamment pour permettre au procureur et aux avocats des parties de
présenter de brèves observations au cours des interrogatoires,
confrontations et auditions, alors qu'ils ne peuvent aujourd'hui selon le code,
que poser des questions avec l'accord du juge d'instruction.
En ce qui concerne les
droits des parties à l'audience
, le projet
de loi tend en particulier à permettre au ministère public et aux
conseils des parties, devant le tribunal correctionnel comme devant la cour
d'assises, de poser directement des questions aux personnes appelées
à la barre, alors que la règle actuelle veut que l'ensemble des
questions soient posées par l'intermédiaire du président
(articles 9A et 9).
L'Assemblée nationale a en outre prévu des dispositions
particulières, afin de permettre aux personnes atteintes de
surdité d'être assistées par une personne compétente
ou de bénéficier d'un dispositif technique leur permettant de
communiquer.
3. La consécration du statut de témoin assisté
L'une
des dispositions importantes du projet de loi est la consécration et le
renforcement du statut de témoin assisté, qui permet au juge
d'instruction d'accorder à une personne qu'il n'estime pas devoir mettre
en examen les mêmes droits qu'à la personne mise en examen, en
particulier le droit d'être assistée par un avocat.
Aujourd'hui, le statut du témoin assisté ne peut être
accordé qu'aux personnes nommément visées par un
réquisitoire du procureur de la République ou par une plainte
avec constitution de partie civile. En outre, les droits reconnus à ce
témoin ne sont pas les mêmes selon qu'il est visé par un
réquisitoire ou par une plainte avec constitution de partie civile.
Le projet de loi tend à consacrer ce statut dans le code de
procédure pénale. Les personnes visées par un
réquisitoire introductif et qui ne seraient pas mises en examen ne
pourraient être entendues que comme témoin assisté. Comme
actuellement, les personnes visées par une plainte avec constitution de
partie civile pourraient être entendues comme témoin
assisté et bénéficieraient obligatoirement de ce statut si
elles en font la demande.
La nouveauté réside dans le fait que
le juge d'instruction pourrait également entendre comme témoin
assisté toute personne visée par une plainte ou une
dénonciation
.
Le témoin assisté devrait bénéficier de l'ensemble
des droits reconnus aux personnes mises en examen et ne prêterait pas
serment.
L'objectif de ces dispositions est d'inciter les magistrats instructeurs
à recourir à ce statut lorsque la mise en examen ne
s'avère pas indispensable, compte tenu des graves conséquences
que peut avoir cette mise en examen au regard de la présomption
d'innocence.
4. La création d'un juge de la détention provisoire
La
disposition à laquelle est identifiée le présent projet de
loi est incontestablement la création d'un juge de la détention
provisoire, compétent pour ordonner ou prolonger la détention
provisoire.
Ce magistrat devrait avoir rang de président, de premier
vice-président ou de vice-président. Il serait saisi, non sur
réquisitions du procureur, mais par ordonnance motivée du juge
d'instruction, uniquement dans les cas où ce dernier demanderait la mise
en détention provisoire d'une personne ou la prolongation d'une
détention.
Le juge d'instruction demeurerait compétent pour ordonner un
contrôle judiciaire, mais celui-ci pourrait également être
ordonné par le juge de la détention provisoire s'il refusait de
faire droit à une demande de mise en détention ou de prolongation
d'une détention.
Ainsi, le juge de la détention ne serait pas saisi dans tous les cas
où le juge d'instruction n'estimerait pas nécessaire une mise en
détention ou une prolongation de celle-ci. L'exposé des motifs du
projet de loi indique que la création du juge de la détention
provisoire "
constitue une garantie nouvelle particulièrement
importante au regard du respect de la liberté individuelle, et permettra
de limiter les détentions à celles qui sont strictement et
évidemment nécessaires ".
Le projet de loi prévoit par ailleurs une
modification des seuils
à partir desquels la détention provisoire peut être
ordonnée
à l'encontre d'une personne mise en examen. Alors
que la détention est aujourd'hui possible lorsqu'est encourue une peine
d'emprisonnement de deux ans ou d'un an en cas de flagrant délit, elle
serait désormais possible lorsqu'est encourue une peine d'emprisonnement
de deux ou trois ans.
Les durées maximales de détention seraient également
modifiées.
Ainsi, en matière criminelle, n'existe
actuellement aucune limite à la durée de la détention
-celle-ci ne devant pas dépasser un
" délai
raisonnable "
conformément à la jurisprudence de la Cour
européenne des droits de l'homme. Le projet de loi, modifié sur
ce point par l'Assemblée nationale, tend à limiter à deux
ans la durée de la détention provisoire lorsque la peine encourue
est inférieure à vingt ans de réclusion ou de
détention criminelle et à trois ans dans les autres cas. Ces
limites ne seraient toutefois pas applicables lorsque plusieurs crimes contre
les personnes ou contre l'Etat, la nation ou la paix publique seraient
reprochés à la personne, ou lorsque celle-ci serait poursuivie
pour trafic de stupéfiants, terrorisme, proxénétisme,
extorsion de fonds ou pour un crime commis en bande organisée.
En matière correctionnelle, le projet de loi, tel que l'a adopté
l'Assemblée nationale, limite la durée de la détention
provisoire à quatre mois (six mois actuellement) lorsque la personne
concernée encourt une peine inférieure ou égale à
cinq ans et qu'elle n'a pas déjà été
condamnée à une peine d'emprisonnement sans sursis d'une
durée supérieure à un an.
Dans les autres cas, la durée de la détention serait
limitée à un an, mais aucune limite n'est prévue lorsque
la personne encourt une peine égale à dix ans d'emprisonnement et
qu'elle est poursuivie pour trafic de stupéfiants, terrorisme,
association de malfaiteurs, proxénétisme, extorsion de fonds ou
pour une infraction commise en bande organisée.
Il convient enfin de noter que l'Assemblée nationale a prévu
qu'en matière criminelle comme en matière correctionnelle, la
durée de la détention provisoire pourrait être
prolongée en cas de délivrance par le juge d'instruction d'une
commission rogatoire internationale.
Le projet de loi tend en outre à
améliorer les conditions
d'indemnisation des personnes placées en détention provisoire qui
bénéficient d'un non-lieu, d'une relaxe ou d'un acquittement
.
Le projet initial conservait le caractère facultatif de l'indemnisation
tout en prévoyant que celle-ci devait réparer le préjudice
moral et matériel subi par la personne.
L'Assemblée nationale a profondément modifié ce dispositif
puisqu'
elle a rendu l'indemnisation obligatoire
tout en prévoyant
quelques exceptions. Ainsi, aucune indemnisation ne serait due dans les cas
où la décision de non-lieu, de relaxe ou d'acquittement
résulterait de la reconnaissance de l'irresponsabilité de la
personne, de la prescription ou de l'amnistie. De même, le texte exclut
toute indemnisation lorsque la personne a été mise en
détention provisoire pour s'être librement et volontairement
accusée ou laissée accuser à tort.
Les décisions de la commission d'indemnisation devraient
désormais être motivées et les débats auraient lieu
en audience publique sauf opposition du requérant.
5. Une volonté de renforcer le droit à être jugé dans un délai raisonnable
Deux
articles du projet de loi tendent à renforcer le droit des personnes
mises en cause dans une procédure de connaître la suite
donnée à celle-ci. Ainsi, l'article 20 a pour objet de
permettre à une personne placée en garde à vue
d'interroger le procureur de la République sur la suite donnée
à la procédure lorsqu'elle n'a pas fait l'objet de poursuites
dans un délai de six mois. Dans un tel cas, le procureur devrait classer
sans suite, poursuivre ou engager une mesure alternative aux poursuites. S'il
estimait nécessaire de poursuivre l'enquête, il devrait saisir le
président du tribunal de grande instance qui, après un
débat contradictoire pouvant se dérouler en audience publique,
déciderait si l'enquête peut être poursuivie. En cas de
réponse négative, le procureur serait obligé de classer
l'affaire, de poursuivre ou d'engager une procédure alternative aux
poursuites.
Par ailleurs, l'article 21 tend à inciter les magistrats
instructeurs à mettre en oeuvre en quelque sorte des "
contrats
de procédure
" avec les parties au début d'une
information judiciaire. Ainsi, au début d'une information, le juge
d'instruction devrait donner connaissance à la partie civile et à
la personne mise en examen du délai prévisible
d'achèvement de l'information s'il estime que ce délai est
inférieur à un an.
A l'issue de ce délai ou, à défaut, à l'issue d'un
délai d'un an, la personne mise en examen ou la partie civile pourrait
demander la clôture de l'information. Le texte prévoit que, si le
juge souhaite poursuivre l'information, il doit répondre par une
ordonnance motivée susceptible d'appel. Un tel dispositif existe
déjà aujourd'hui, mais l'appel n'est ouvert que lorsque le juge
d'instruction ne répond pas à la demande.
L'Assemblée nationale a complété ces dispositions par deux
articles destinés à
limiter les délais d'audiencement
des affaires
une fois l'audience de renvoi ou l'arrêt de mise en
accusation rendus. Actuellement, en matière correctionnelle,
l'article 179 du code de procédure pénale prévoit
qu'une personne placée en détention provisoire doit être
remise en liberté si elle n'a pas comparu devant le tribunal dans un
délai de deux mois après l'ordonnance de renvoi. En pratique, il
arrive fréquemment que le tribunal se réunisse et décide
de renvoyer l'affaire à une date ultérieure, de sorte qu'une
personne peut rester de longs mois en détention provisoire alors
même que l'affaire est en état d'être jugée.
L'Assemblée nationale a donc prévu que la détention ne
pourrait être prolongée à l'issue d'un délai de deux
mois pour un nouveau délai de deux mois que par une décision
motivée et après comparution personnelle du prévenu si
lui-même ou son avocat en fait la demande. La décision de
prolongation pourrait être renouvelée une fois dans les
mêmes conditions. Ainsi, un prévenu serait-il automatiquement
remis en liberté à l'issue d'un délai de six mois
après l'ordonnance de renvoi si le tribunal ne commençait pas
à examiner l'affaire au fond.
L'Assemblée nationale a prévu un système similaire en
matière criminelle, alors qu'il n'existe actuellement aucune limite
à la durée de détention qui peut être accomplie
entre l'arrêt de mise en accusation et la réunion de la cour
d'assises. A l'issue d'un délai d'un an après l'arrêt de
mise en accusation, la chambre d'accusation pourrait décider de
prolonger la détention pour une durée de six mois. Cette
décision pourrait être renouvelée une fois, de sorte qu'un
délai maximal de deux ans s'écoulerait entre l'arrêt de
mise en accusation et l'audience de la cour d'assises.
6. Quelques dispositions relatives à la communication
Le
projet de loi comporte quelques articles consacrés à la
communication.
Reprenant une proposition du rapport de la commission de réflexion de la
justice, le Gouvernement a proposé de sanctionner d'une amende de
100 000 F la publication de l'image d'une personne portant des
menottes ou des entraves ainsi que la réalisation de sondages sur la
culpabilité d'une personne mise en cause ou sur la peine susceptible
d'être prononcée.
Par ailleurs, l'article 25 du projet prévoit l'ouverture de
" fenêtres de publicité " au cours de l'instruction.
Ainsi,
toutes les audiences de la chambre d'accusation pourraient être
publiques à la demande de la personne mise en examen
. Le projet
prévoit que la publicité pourra être refusée si la
publicité est de nature à nuire à l'ordre public, à
la dignité de la personne ou aux intérêts d'un tiers. Les
débats devant le juge de la détention provisoire pourraient
également donner lieu à une audience publique.
Le projet de loi tend en outre à
consacrer, tout en les encadrant,
les communiqués du parquet
. Le procureur pourrait ainsi rendre
publics des éléments objectifs de la procédure, afin
d'éviter la propagation d'informations parcellaires ou inexactes ou pour
mettre fin à un trouble à l'ordre public.
En revanche, l'Assemblée nationale n'a pas retenu une disposition du
projet de loi initial, qui aurait permis au procureur de la République
d'exercer lui-même le droit de réponse à la demande de la
personne mise en cause.
Enfin, le texte comporte une innovation importante destinée à
éviter des atteintes graves à la liberté de l'information.
Le premier président de la cour d'appel, statuant en
référé, pourrait en effet désormais
arrêter l'exécution provisoire de mesures limitant la diffusion
de l'information
ordonnées en référé.