D. DES VICTIMES INSUFFISAMMENT CONSIDÉRÉES
Pendant
longtemps, l'intérêt porté aux victimes d'infractions
pénales a été très insuffisant au regard des
conséquences dramatiques et irrémédiables que peuvent
avoir certaines infractions pour les personnes qui les subissent. La
réflexion sur cette question a longtemps été
freinée par certaines réactions de méfiance. Ainsi, la
commission d'étude et de propositions dans le domaine de l'aide aux
victimes, mise en place par M. Robert Badinter, alors garde des sceaux, et
présidée par le professeur Milliez, notait dès 1982 :
"
Bien des personnes qui militent depuis longtemps pour que la
société devienne plus équitable et la justice plus humaine
vis-à-vis des plus faibles et des plus exploités, n'admettent pas
spontanément et sans de vives réticences que l'on introduise le
débat sur l'aide aux victimes. Les esprits ont été
quasiment conditionnés, celui qui parle des victimes est supposé
vouloir une répression plus forte à l'encontre des
délinquants
".
Néanmoins, des progrès importants ont été accomplis
au cours des dernières décennies en ce qui concerne les droits
des victimes.
1. La victime et le procès pénal
Progressivement, le législateur a facilité la
constitution de partie civile
, notamment en n'imposant pas l'assistance
d'un avocat, en permettant au juge d'instruction de dispenser de consignation
la partie civile (article 88 du code de procédure pénale).
Un grand nombre d'associations se sont pas ailleurs vu reconnaître la
possibilité d'exercer les droits reconnus à la partie
civile
lorsque sont en cause des infractions liées à leur
objet social. Ces associations peuvent être un soutien précieux
pour les victimes au cours du procès pénal.
Le droit pénal prend en considération la victime dans la
qualification
des faits
. L'âge de la victime, son
état physique ou mental peuvent en effet constituer des circonstances
aggravantes de certaines infractions.
Récemment, la loi n° 98-468 du 17 juin 1998 relative
à la prévention et à la répression des infractions
sexuelles a allongé les
délais de prescription de certaines
infractions en matière sexuelle
.
2. L'indemnisation des victimes
Dans ce
domaine, un grand nombre de textes permettent l'indemnisation des victimes
d'infractions.
Ainsi, la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985 tendant à
l'amélioration de la situation des victimes d'accidents de la
circulation et à l'accélération des procédures
d'indemnisation a défini les règles d'indemnisation des victimes
d'accidents de la circulation. Les compagnies d'assurance jouent un rôle
déterminant en la matière.
La loi n° 86-1020 du 9 septembre 1986 relative à la
lutte contre le terrorisme a prévu, pour les victimes d'attentats, un
système d'indemnisation intégrale des préjudices
corporels, patrimoniaux et extra-patrimoniaux. Le FGTI (Fonds de garantie des
victimes d'actes de terrorisme et d'autres infractions) est chargé de
cette indemnisation. Il est alimenté par une contribution assise sur les
primes ou cotisations des contrats d'assurance de biens et fonctionne par
transaction avec la victime. Le FGTI est subrogé dans les droits de la
victime pour obtenir le remboursement des sommes versées par les auteurs
de l'infraction.
De manière plus générale, les victimes d'infractions
pénales peuvent obtenir une indemnisation en se constituant partie
civile au cours du procès pénal ou en portant l'affaire devant la
juridiction civile. Surtout, en 1977, le législateur, par la loi
n°77-5 relative à l'indemnisation de certaines victimes
d'infractions, a instauré une
procédure d'indemnisation devant
les CIVI
(commissions d'indemnisation des victimes d'infractions).
Conçue au départ comme un système destiné à
indemniser les victimes lorsque l'auteur de l'infraction est inconnu ou
insolvable, cette procédure est devenue, avec la loi n° 90-589
du 6 juillet 1990, un système d'indemnisation autonome.
Devant les CIVI, toute personne ayant subi un préjudice résultant
de faits ayant entraîné la mort, une incapacité permanente
ou une incapacité totale de travail permanente égale ou
supérieure à un mois ou ayant été victime d'une
atteinte ou d'une agression sexuelle peut obtenir la réparation
intégrale de son préjudice.
Un système subsidiaire d'indemnisation plafonnée est
prévu, sous certaines conditions, pour les victimes de vol,
d'escroquerie, d'abus de confiance, ainsi que pour les victimes d'atteintes
corporelles ayant entraîné une incapacité totale de travail
inférieur à un an. Les sommes allouées par les CIVI sont
versées aux demandeurs par le FGTI, qui peut exercer une action
récusoire contre les auteurs d'infractions.
3. L'action des associations
Progressivement s'est développé un réseau
d'associations d'aide aux victimes, qui leur apporte un soutien
précieux. Le développement de ces associations a
été constamment soutenu par les pouvoirs publics au cours des
deux dernières décennies.
Les associations exercent des missions d'accueil, d'information, aident les
victimes dans leurs démarches, assurent parfois un soutien
psychologique... 148 services d'aide aux victimes sont ainsi
répartis sur le territoire national. Parmi les associations, certaines
d'entre elles exercent à la fois une activité d'aide aux victimes
et une activité de contrôle judiciaire. La plupart exercent des
missions de médiation pénale. En 1986, a été
créé l'INAVEM (Institut national d'aide aux victimes et de
médiation) chargé d'animer et de coordonner les services d'aide
aux victimes.
Aujourd'hui, les associations d'aide aux victimes interviennent notamment dans
les maisons de justice et du droit, dans les antennes de justice, parfois dans
des structures municipales. Certaines assurent des permanences dans les
tribunaux de grande instance ou dans les commissariats. En 1997,
137 structures ont reçu 122.551 personnes dont
70.208 victimes d'infractions pénales.
*
En
novembre 1998, Mme le garde des sceaux a confié à Mme
Marie-Noëlle Lienemann, député européen, l'animation
d'un groupe de travail interministériel sur l'aide aux victimes, dont
faisait partie notre collègue M. Jean-Pierre Schosteck. Ce groupe a
remis un rapport en mars dernier formulant plus de cent propositions
destinées à améliorer l'aide apportée aux victimes.
Ce groupe a notamment constaté que les victimes étaient souvent
mal informées des droits qui sont les leurs et que, bien souvent, la
société ne leur proposait qu'une réparation
matérielle de leur préjudice alors que
" plus que tout,
les victimes d'infractions attendent des institutions et notamment de la
justice une écoute qui va au-delà de leur simple
préoccupation financière. L'Etat s'estime quitte à leur
égard dès lors que le principe de leur indemnisation est acquis,
mais ne prend pas suffisamment en compte leurs souffrances, leurs doutes et
leurs peines ".
Les propositions du groupe interministériel s'organisent autour d'une
dizaine d'actions à mettre en oeuvre, portant notamment sur l'accueil
des victimes, leur information, l'accompagnement psychologique, médical
et social, la place des victimes dans la procédure pénale, enfin
l'indemnisation.
Nombre de ces propositions ne sont pas législatives, mais certaines ont
un lien direct avec le présent projet de loi.