II. AUDITIONS
A. AUDITIONS DU MARDI 21 SEPTEMBRE 1999
Réunie le
mardi 21 septembre 1999
sous la
présidence de
M. Jean Delaneau, président
, la commission a
entamé son programme
d'auditions
sur la
proposition de loi
n° 187
(1998-1999) présentée par M. Charles
Descours, visant à améliorer la protection sociale des
salariés et créant des
fonds de retraite,
et sur la
proposition de loi n° 218
(1998-1999) présentée
par M. Jean Arthuis et les membres du groupe de l'Union centriste, visant
à instituer des
plans d'épargne retraite
.
M. Jean Delaneau, président
, a rappelé l'importance du
programme de travail de la commission avait conduit à prévoir un
certain nombre de réunions avant même l'ouverture de la session
sans pour autant interférer avec les différentes journées
parlementaires des groupes.
Il a indiqué, par ailleurs, que deux syndicats, la CFDT et la CFE-CGC,
n'avaient pu se libérer aux dates qui leur avaient été
proposées dès la mi-juillet ; il a précisé que
ces syndicats seraient entendus par le rapporteur et que la teneur de leurs
positions figurerait dans le rapport.
La commission a tout d'abord entendu
M. Roger-Paul Cottereau
,
secrétaire général de l'Union des cadres de la
Confédération française des travailleurs
chrétiens
.
M. Roger-Paul Cottereau
s'est interrogé sur la finalité
exacte de ces deux propositions de loi. Il a indiqué qu'il ne discernait
pas clairement quelle préoccupation primait entre le souci d'assurer un
complément de retraite et la volonté de créer un nouvel
instrument d'épargne.
Après s'être interrogé sur la nécessité et
l'opportunité de créer des fonds d'épargne retraite,
M.
Roger-Paul Cottereau
a rappelé que la France disposait
déjà d'un large éventail de produits d'épargne
collectifs et individuels. Il a jugé que la création d'un nouveau
produit d'épargne concurrencerait les produits existants, sans
nécessairement augmenter le volume total d'épargne.
Commentant les deux propositions de loi,
M. Roger-Paul Cottereau
a
souligné que ces dernières s'inspiraient des textes
précédents et comportaient les mêmes insuffisances. Il a
considéré que le système de retraite par capitalisation
ainsi créé ne conforterait en rien le système de retraite
par répartition.
Evoquant la proposition de loi n° 218 (1998-1999)
présentée par M. Jean Arthuis et les membres du groupe de
l'Union centriste, visant à instituer des plans d'épargne
retraite,
M. Roger-Paul Cottereau
a jugé difficilement
conciliables l'idée d'un supplément de retraite pour tous et le
caractère facultatif, à la fois pour l'employeur et les
salariés, du dispositif proposé. Il a considéré
qu'un dispositif véritablement facultatif était trop fragile pour
être pérenne.
M. Roger-Paul Cottereau
a estimé que le dispositif proposé
relevait de la logique de l'assurance puisqu'il prévoyait un tarif
identique pour tous, quelles que soient les situations individuelles. Il a
regretté que rien n'ait été explicitement prévu en
cas de disparition des parents et que la personne mariée qui choisirait
la possibilité d'une réversion voie sa rente diminuée. Il
s'est également interrogé sur les conséquences d'une
éventuelle période de chômage du salarié. Il a
conclu que le dispositif proposé, malgré l'affirmation de son
caractère collectif et solidaire, se résumait finalement à
un système individuel.
M. Charles Descours, rapporteur,
a souhaité connaître la
position de la CFTC sur les fonds d'épargne retraite déjà
existants tels que la Préfon. Evoquant les conclusions du rapport de M.
Jean-Michel Charpin, il s'est interrogé sur la manière dont on
pouvait maintenir, à long terme, le revenu de remplacement des futurs
retraités.
Relevant l'opposition de la CFTC à un mécanisme facultatif,
M. Charles Descours, rapporteur,
a demandé si cette
organisation était favorable à un dispositif obligatoire qui se
traduirait in fine par une augmentation des prélèvements
obligatoires.
Evoquant la phase de concertation sur les retraites actuellement menée
par Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité, il
s'est demandé si le Gouvernement aurait le courage de mettre en place au
début de l'année 2000 de véritables fonds d'épargne
retraite.
En réponse à M. Charles Descours, rapporteur,
M. Roger-Paul
Cottereau
a souligné que les fonds de pension existant aujourd'hui
se situaient hors du cadre de l'entreprise et ne constituaient donc pas un
élément du contrat de travail. Il a estimé que l'on
pouvait tout à fait imaginer la création d'un produit
d'épargne de type Préfon destiné aux salariés du
secteur privé.
Evoquant l'avenir de nos régimes de retraite,
M. Roger-Paul
Cottereau
a fait observer que ceux-ci seraient équilibrés
jusqu'en 2006 ; après cette date, un fonds de réserve
transitoire, alimenté à hauteur de trois ou quatre points du
produit intérieur brut, suffirait à assurer leur
équilibre ; au-delà, il semblait très
aléatoire de formuler des prévisions, en raison des inconnues
pesant sur un horizon aussi lointain.
S'agissant du niveau des prélèvements obligatoires,
M.
Roger-Paul Cottereau
a rappelé que celui-ci dépendait
directement du rôle confié à la collectivité dans
notre société, ce qui amenait à relativiser certaines
comparaisons internationales. Après s'être déclaré
défavorable à une augmentation des prélèvements
obligatoires, il a fait observer que la création de fonds de pension se
traduirait également par des prélèvements
supplémentaires sur les entreprises et les salariés.
M. Jean Chérioux
a rappelé que la capitalisation
nécessitait du temps pour être mise en oeuvre et qu'elle ne
pourrait par conséquent pas apporter de réponse aux
difficultés que rencontreraient nos régimes de retraite dans les
prochaines années. Après avoir souligné l'importance de
l'épargne salariale dans notre pays, il s'est interrogé sur la
possibilité de permettre aux salariés titulaires de plans
d'épargne d'entreprise de transférer les sommes accumulées
vers un système individuel de capitalisation en vue de la retraite.
En réponse à M. Jean Chérioux,
M. Roger-Paul
Cottereau
a estimé que la capitalisation ne pourrait effectivement
produire ses effets qu'au terme d'une génération. Il a fait
observer qu'il serait difficile, pour la génération actuelle, qui
devait déjà prendre en charge le financement des pensions des
retraités d'aujourd'hui, d'alimenter d'éventuels fonds
d'épargne retraite pour assurer le financement de sa propre retraite. Il
a souligné que l'on avait pris du retard sur la question de la
capitalisation en raison de la " drôle de guerre " qui opposait
depuis une vingtaine d'années partisans de la capitalisation et
défenseurs de la répartition.
M. Roger-Paul Cottereau
a jugé qu'avant d'instituer un
troisième pilier de notre système de retraite il fallait au
préalable déterminer quel niveau de revenu principal la
société souhaitait assurer à titre collectif et solidaire
aux retraités. Il a considéré que le travail remarquable
accompli par le commissariat général du Plan sous la direction de
M. Jean-Michel Charpin pouvait avoir une fonction pédagogique
même si la CFTC était très réservée sur les
perspectives ainsi dégagées. Il a jugé que la
réforme prioritaire devait viser à rapprocher, en tenant compte
toutefois de la particularité de leurs statuts, les régimes
spéciaux de retraite des régimes du secteur privé.
Evoquant le fonds de réserve institué par la loi de financement
de la sécurité sociale pour 1999,
M. Roger-Paul Cottereau
a estimé qu'il convenait de définir sans tarder la
finalité de ce fonds et notamment son caractère pérenne ou
transitoire. Il s'est dit favorable à la mise en place d'un
comité de pilotage chargé du suivi des régimes de
retraite. Il a rappelé que la participation ne se limitait pas à
des dispositions financières et a souhaité qu'elle soit
renforcée.
M. Jean Delaneau, président,
a indiqué que les Etats-Unis
et le Canada avaient également créé des fonds de
réserve pour les retraites, dotés cependant de sommes
considérables. Il a jugé que les sommes affectées au fonds
de réserve français étaient dérisoires par rapport
aux enjeux.
M. Roger-Paul Cottereau
a ajouté qu'il était quelque peu
paradoxal de constituer des réserves quand on avait déjà
du mal à assurer au quotidien l'équilibre de nos régimes
de retraites.
Il a conclu en rappelant les conditions que posait la CFTC à la
création de fonds d'épargne retraite. Il a souligné que
l'adhésion à de tels fonds devait demeurer facultative pour
l'entreprise mais devait également, en cas d'adhésion,
s'appliquer à tous les salariés et faire partie intégrante
du contrat de travail. Il a jugé que de tels fonds devaient être
créés au niveau des branches professionnelles, que l'abondement
de l'employeur devait avoir un caractère obligatoire et que des
représentants des salariés devaient figurer dans les organismes
de contrôle de ces fonds. Il a suggéré que soient
institués des organismes de gestion paritaire de
l'épargne-retraite pour les salariés des petites et moyennes
entreprises. Il a également souhaité que des compléments
soient apportés aux textes des propositions de loi afin de
prévoir la possibilité d'une réversion, d'éventuels
avantages familiaux et la transférabilité des droits en cas de
changement d'entreprise. Il a enfin considéré que ces fonds ne
sauraient investir les sommes qu'ils géreraient dans des entreprises qui
ne seraient pas cotées en bourse.
La commission a ensuite entendu
M. François Charpentier
,
journaliste,
auteur de "
Retraites et fonds de pension :
l'état de la question en France et à l'étranger
".
M. François Charpentier
a tout d'abord indiqué qu'une
évolution macro-économique favorable ne résoudrait en rien
les besoins de financement des régimes de retraite par
répartition et que la variable démographique, liée
à l'arrivée à la retraite des générations du
"baby-boom", était la plus importante.
Présentant les choix effectués par les différents pays
industrialisés en matière de fonds de pension, il a
observé que tous les pays développés -quel que soit le
système de retraite choisi- se trouvaient confrontés aux
mêmes enjeux de financement.
Il a estimé que le débat sur les fonds de pension était
souvent brouillé, en raison de la confusion entre deux objectifs :
assurer un complément de retraite et développer une
épargne placée en actions. Il a souligné que les fonds de
pension ne pouvaient être gérés qu'à
l'extérieur de l'entreprise. A cet égard, il a
considéré que l'Allemagne, où la gestion de
l'épargne retraite est effectuée en interne (inscription de
provisions au bilan des entreprises), ne disposait pas de véritables
fonds de pension.
Il a indiqué que les pays ayant mis en place des fonds de pension
étaient ceux dont le taux de remplacement assuré par le
régime de base était le plus faible : Grande-Bretagne, Irlande,
Pays-Bas. Il a observé que ces fonds de pension -à l'exception
des Pays-Bas- étaient loin d'être universels : en
Grande-Bretagne, seule la moitié des salariés est couverte par un
tel système. Il a précisé que l'accès aux fonds de
pension dépendait étroitement de la taille des entreprises, de la
nature du contrat de travail et de la catégorie socioprofessionnelle.
Citant l'exemple des Etats-Unis, il a indiqué que le régime de
base par répartition, appelé " sécurité
sociale ", couvrait 97 % des salariés et assurait un taux de
remplacement de 28 à 40 %. Il a précisé que ce
régime fonctionnait sur des réserves depuis le début des
années 1980, ajoutant que ces réserves allaient s'accumuler
jusqu'à 2021 pour financer les pensions servies jusqu'en 2032. Il a
observé qu'aux Etats-Unis le débat actuel portait sur
l'affectation à ces réserves d'une partie des excédents
budgétaires, qui seraient placés en actions et non en bons du
Trésor.
Il a observé que les fonds de pension américains étaient
les plus importants au monde, mais que les Etats-Unis avaient marqué une
différence entre la retraite (la sécurité sociale) et les
fonds de pension (l'épargne). Rappelant que le système
américain s'était fondé au début des années
1950 sous le régime des " prestations définies ", il a
précisé que, depuis le début des années 1980, le
régime des " cotisations définies " devenait
majoritaire, en raison de l'apparition du chômage -les prestations
définies nécessitant une fidélisation des salariés-
et de la faillite de certaines entreprises (exemple des compagnies
aériennes). Il a souligné que la logique des cotisations
définies était une logique d'épargne.
Evoquant les lois du 9 juin 1999 adoptées au Luxembourg, il a
rappelé que le régime de base luxembourgeois correspondait au
régime de base français et aux régimes
complémentaires et que le système d'épargne retraite
était jusqu'à maintenant comparable au système allemand
(provisions inscrites au bilan des entreprises). Il a indiqué que ces
lois tendaient à mettre en place un mécanisme complexe, alliant
une possibilité de sortie en capital selon un régime de
" cotisations définies " et une rente servie selon le
système des " prestations définies ". Il a
estimé que la logique du système était plus
financière que sociale, la volonté étant de drainer
l'épargne européenne.
Abordant le cas du Chili, il a rappelé qu'un système en
capitalisation avait pris le relais, en 1981, d'un régime en
répartition fortement déficitaire. Il a indiqué que -si le
système avait convenablement fonctionné dans les premières
années- le taux de rendement était négatif pour la
quatrième année consécutive et que le coût de
gestion était très élevé. Il a noté, en
outre, que les pensions servies étaient très modiques.
Il a considéré que seuls les Pays-Bas avaient mis en place de
véritables fonds de retraite, touchant 90 % des salariés, et
placés principalement en obligations.
Abordant la question de la France, il a observé que les fonds de
retraite existants s'étaient développés en marge du
régime général des salariés. Il a ainsi
précisé que le régime Préfon avait
été créé en raison de l'absence de régime
complémentaire dans la fonction publique, que le régime Coreva
dans le domaine agricole et les contrats Madelin (professions artisanales et
libérales) s'adressaient aux non-salariés, dont les pensions
servies par le régime de base sont faibles.
Il a constaté que ces fonds de pension n'avaient jamais pris l'allure de
véritables régimes de retraite : la Préfon ne concerne que
200.000 personnes (150.000 actifs et 50.000 retraités) sur un
public potentiel de plus de quatre millions d'adhérents, le niveau
élevé de la retraite de base expliquant probablement un tel
écart ; la loi Madelin n'a pas connu un franc succès ; le fonds
de pension pour les élus locaux ne concerne que 5.000 personnes
contre 75.000 personnes attendues. Il a estimé que les causes de cet
échec étaient multiples : le coût du système pour se
procurer un complément de retraite apparaît disproportionné
; de plus, d'autres produits financiers sont jugés plus avantageux. Il a
considéré que la raison essentielle tenait à l'aversion,
traditionnelle en France, vis-à-vis de la sortie exclusive en rente
viagère.
Il a expliqué que la volonté de mettre en place un
mécanisme de capitalisation pour les salariés du régime
général se heurtait à une opposition s'expliquant pour
trois raisons : premièrement, les régimes de retraite ont
été l'affaire des partenaires sociaux ; deuxièmement,
l'octroi d'avantages fiscaux ne concernerait qu'un Français sur
deux ; troisièmement, l'exonération de cotisations sociales
met en compétition la répartition et la capitalisation. Il a
observé que les contrats d'assurance vie et les plans type PEA - PEP
permettaient de pallier cette absence de fonds de pension, de même que
les régimes supplémentaires de l'article 39 et de l'article 83 du
code général des impôts et les mécanismes
d'épargne salariale.
Il a estimé que des avancées intéressantes pouvaient
cependant être notées dans les derniers mois, comme le montrent
les efforts d'information et de formation menés par les organisations
syndicales.
Il a observé que la couverture des petites et moyennes entreprises
représentait un véritable défi.
Evoquant la proposition de loi de M. Charles Descours, il a estimé que
le cas des salariés décédant avant l'âge de la
retraite devait être pris en compte.
M. Charles Descours, rapporteur,
a observé que l'adhésion
obligatoire aux fonds de pension, ou par le biais d'accords de branche, aurait
pour conséquence une augmentation des prélèvements
obligatoires, ce qui était à exclure. Il s'est interrogé
sur la possibilité de couvrir le plus possible d'entreprises, sans
toutefois créer une obligation.
M. François Charpentier
a estimé que l'épargne
retraite devait rester un choix facultatif et que le niveau des
prélèvements obligatoires était au coeur du débat.
Il a fait état d'un accord chez IBM France, où, à la suite
de l'intégration de plusieurs filiales, six régimes de
prévoyance différents allaient être remplacés par le
régime de fonds de pension IBM, sans augmentation de coût pour
l'entreprise.
M. Jean Chérioux
s'est interrogé sur les liens possibles
entre épargne salariale et épargne retraite. Abordant la question
du fonds de pension des élus locaux, il a indiqué que le temps
pour cotiser était très limité, ce qui limitait la
viabilité du système.
M. François Charpentier
a reconnu que la population des
élus locaux, relativement âgée, entrait trop tard dans le
système. Il a souligné la contradiction entre le comportement des
actifs, qui pensent à leur retraite relativement tard, à 40-45
ans, et l'avantage donné par le système de capitalisation
à ceux qui ont commencé tôt à cotiser. Il a
estimé que les salariés se trouveraient bientôt devant
l'alternative suivante : soit ne pas cotiser à un fonds de pension, et
prendre leur retraite à 70 ans, soit cotiser à un fonds de
pension et prendre leur retraite plus tôt.