III. LE PROJET DE LOI : L'IMMOBILISME DU GOUVERNEMENT
A. UNE BRANCHE VIEILLESSE DOUBLEMENT PONCTIONNÉE
1. La diminution de 2,3 milliards de francs des recettes qui lui sont affectées
L'article 2 du projet de loi prévoyait initialement la
création d'un fonds de financement de la réforme des cotisations
patronales de sécurité sociale - chargé, en
réalité, du financement de la réduction du temps de
travail - qui devait être notamment alimenté par une contribution
versée par les organismes de protection sociale
4(
*
)
.
Le montant des contributions des organismes de protection sociale devait
être fixé par voie de convention conclue entre l'Etat et chacun
des organismes intéressés. Toutefois, l'article 2 du projet de
loi précisait :
" A défaut de signature d'une
convention avant le 31 janvier 2000, la contribution de chacun des organismes
est déterminée à partir du surcroît de recettes et
d'économies de dépenses induites par la réduction du temps
de travail pour cet organisme. Les règles servant à calculer le
montant et l'évolution de ces contributions sont définies par
décret en conseil d'Etat ".
Comme le souligne le rapport de la Commission des comptes de la
sécurité sociale de septembre 1999,
" une telle
estimation pose des problèmes délicats et ne peut être que
très imprécise ".
A titre de " provision ",
dont on ignorait sur quels fondements elle reposait, le rapport retenait
l'hypothèse d'une contribution du régime général de
5,6 milliards de francs en 2000. Pour la branche vieillesse, la
" provision " de ce prélèvement était
fixée dans les comptes figurant dans le rapport à 1,771 milliard
de francs.
Ce prélèvement, qui prenait la forme d'une dépense des
différentes branches du régime général, a fait
l'objet d'un rejet unanime de la part des partenaires sociaux.
Après une négociation engagée en catastrophe le 20 octobre
1999, le ministère de l'emploi et de la solidarité
annonçait le 25 octobre, en fin d'après-midi, que le Gouvernement
renonçait désormais aux prélèvements sur les
organismes sociaux.
Pour compenser la perte des 5,6 milliards de francs attendus du régime
général, le nouveau dispositif adopté par
l'Assemblée nationale à l'article 2 du projet de loi
prévoit l'affectation au fonds de financement de la réforme des
cotisations patronales de 47 % des droits sur les alcools mentionnés
à l'article 403 du code général des impôts (dits
" droits 403 ")
Or, une part de ces droits constituent une des recettes du Fonds de
solidarité vieillesse (FSV), dont les excédents peuvent
être affectés, depuis la loi de financement de la
sécurité sociale pour 1999, au fonds de réserve pour les
retraites. L'excédent attendu du FSV pour 2000 étant de 8,3
milliards de francs, le Gouvernement comptait utiliser cette
" manne " pour alimenter le fonds de réserve.
En conséquence, afin de ne pas être accusé de
préférer les 35 heures aux retraites, le Gouvernement a
décidé, par un amendement à l'article 10 du projet de loi
de financement de la sécurité sociale, adopté par
l'Assemblée nationale, d'affecter au fonds de réserve des
retraites une fraction du prélèvement social de 2% sur les
revenus du patrimoine et les produits de placements.
Les branches du régime général de la
sécurité sociale devaient logiquement
" récupérer " les 5,5 milliards de francs
" provisionnés " par le rapport de la Commission des comptes
de la sécurité sociale. Mais le Gouvernement a
préféré
diminuer les ressources affectées aux
différentes branches de 5,5 milliards de francs pour alimenter le fonds
de réserve pour les retraites.
L'amendement présenté par le Gouvernement à l'article 10
du projet de loi modifie la clé de répartition applicable au
prélèvement de 2 % sur les revenus de placement, dont le
produit était initialement affecté pour moitié à la
CNAVTS et pour moitié à la CNAF.
Cette répartition avait déjà été
modifiée -il faut le souligner- en juillet dernier par la loi portant
création d'une couverture maladie universelle (CMU), qui prévoit,
à compter du 1
er
janvier 2000, l'attribution d'une partie de
ce prélèvement à une troisième branche du
régime général : la CNAMTS. La répartition
devait être de 50 % pour la CNAVTS (situation inchangée),
28 % pour la CNAMTS et 22 % pour la CNAF.
Comme le fonds de réserve pour les retraites bénéficierait
désormais de 49 % de ce prélèvement social, la
fraction affectée à la CNAMTS passerait, en application de la
rédaction de l'article 10 adoptée par l'Assemblée
nationale, de 28 % à 8 %, celle de la CNAF de 22 à 13 %, et celle
la CNAVTS de 50 à 30 %.
L'affectation du prélèvement social de 2 %
|
LFSS 1998 |
Loi du 27 juillet 1999 portant création de la CMU |
PLFSS 2000 |
CNAF |
50 % |
22 % |
13 % |
CNAVTS |
50 % |
50 % |
30 % |
CNAMTS |
|
28 % |
8 % |
Fonds de réserve pour les retraites |
|
|
49 % |
Total |
100 % |
100 % |
100 % |
Le
Gouvernement n'a donc pas renoncé à ponctionner le régime
général. Les différentes branches contribueront ainsi, de
manière indirecte, au financement des 35 heures, non pas par un
prélèvement classé dans leurs
" dépenses ", mais par une perte de recettes.
L'opération n'est pas neutre pour la branche vieillesse initialement
" taxée " de 1,771 milliard de francs sous le régime de
la contribution initiale : elle perd désormais 2,26 milliards de
francs de recettes au titre du prélèvement 2 %, soit une
ponction supplémentaire de 490 millions de francs.
Des
prélèvements 35 heures aux pertes de recettes affectées au
fonds de réserve
(en millions de francs)
|
Prélèvement
|
Recettes
2 %
|
Recettes
2 %
|
Pertes de recettes |
Solde de l'opération |
CNAVTS |
1.771 |
5.650 |
3.390 |
2.260 |
- 489 |
2. L'affectation des excédents au fonds de réserve pour les retraites
Si la branche vieillesse contribue au financement du fonds
de réserve pour les retraites par la perte de recettes qui lui sont
affectées, elle est également mise à contribution de
manière plus directe, sous la forme d'une affectation permanente de ses
excédents.
L'article 10 du projet de loi prévoit en effet l'affectation des
excédents de la CNAVTS au fonds de réserve pour les retraites.
Cette affectation fait sous une double forme :
- d'une part, l'affectation du résultat excédentaire de
l'exercice clos ;
- d'autre part, le cas échéant, l'affectation en cours
d'exercice d'un montant représentatif d'une fraction de
l'excédent prévisionnel de l'exercice.
L'annexe C du projet de loi prévoit ainsi en 2000,
" à
titre de provision pour acompte sur le versement de l'excédent de la
branche "
un versement de 2,9 milliards de francs au fonds de
réserve, versement qui prendrait la forme d'une dépense de la
branche.
Les mesures accroissant les dépenses de la branche vieillesse seraient
donc les suivantes :
- le versement au fonds de réserve pour les retraites :
2,9 milliards de francs
;
- le " coup de pouce " de 0,3 % accordé en
matière de revalorisation des pensions de retraite :
950
millions de francs
.
L'impact du projet de loi de financement de la sécurité sociale
pour 2000 sur les recettes, les dépenses et le solde de la branche
vieillesse est résumé dans le tableau suivant :
Incidence des mesures annoncées par le Gouvernement
sur l'équilibre de la branche vieillesse en 2000
(en milliards de francs)
|
Recettes |
Dépenses |
Solde |
Evolution spontanée en 2000 |
416,019 |
407,734 |
+ 8,285 |
• Diminution des ressources affectées à la branche vieillesse au titre du prélèvement de 2% |
- 2,26 |
|
- 2,26 |
• Versement au fonds de réserve |
|
+ 2,9 |
- 2,9 |
• " Coup de pouce " de 0,3 % aux pensions |
|
+ 0,95 |
- 0,95 |
Total des mesures : |
- 2,26 |
+ 3,85 |
- 6,11 |
Total général : |
413,759 |
411,584 |
+ 2,175 |
Par les diverses mesures annoncées, le Gouvernement dégrade
de 6,1 milliards de francs le solde de la branche vieillesse en 2000 qui
passerait ainsi de 8,3 milliards de francs en évolution spontanée
à seulement 2,2 milliards de francs. Cette dégradation
résulte d'une diminution des recettes de 2,3 milliards de francs et
d'une augmentation des dépenses de 3,8 milliards de francs.
Au total, la contribution -tant en perte de recettes qu'en dépenses- de
la branche vieillesse au financement du fonds de réserve pour les
retraites serait de 5,2 milliards de francs en 2000.