II. ANALYSE DES ORDONNANCES
Ces
trois ordonnances sont d'ampleur diverse et de contenu varié, mais elles
ont un objet identique : actualiser, étendre ou adapter le droit
applicable outre-mer dans le domaine de l'emploi et des affaires sanitaires et
sociales.
Votre commission observe qu'elles contiennent un grand nombre d'adaptation
utiles du droit applicable outre-mer, pour la plupart d'ailleurs
demandées par les acteurs locaux.
A. L'ORDONNANCE N° 98-522 DU 24 JANVIER 1998
Cette
ordonnance, très dense puisqu'elle comporte 36 articles, a deux objets
bien distincts :
- elle poursuit la modernisation du droit du travail applicable en
Polynésie française et, dans une moindre mesure, en
Nouvelle-Calédonie, prolongeant ainsi les dispositions de la loi n°
96-609 du 5 juillet 1996 portant dispositions diverses relative à
l'outre-mer qui avait déjà engagé cette
modernisation ;
- elle opère un certain nombre d'adaptations du droit du travail
applicable outre-mer pour prendre en compte l'évolution de la
législation et les structures administratives.
1. La modernisation du droit du travail en Polynésie française et en Nouvelle-Calédonie
Les
titres I et II concernent la modernisation du droit du travail en
Polynésie française et en Nouvelle-Calédonie.
Jusqu'en 1984 en Polynésie française et jusqu'en 1985 en
Nouvelle-Calédonie, le droit du travail relevait à la fois du
code du travail de l'outre-mer de 1952 et de la réglementation
territoriale. L'ordonnance du 13 novembre 1985 pour la
Nouvelle-Calédonie et la loi du 17 juillet 1986 pour la Polynésie
française ont modernisé ce droit, en fixant les " principes
généraux " et les " principes directeurs " du
droit du travail.
La présente ordonnance vise à poursuivre ce mouvement, en
réduisant les écarts existant avec les règles
fondamentales du droit du travail telles que prévues par le code du
travail.
a) En Polynésie française
Le titre
I de l'ordonnance modifie une cinquantaine d'articles de la loi n° 86-845
du 17 juillet 1986 relative aux principes généraux du droit du
travail en Polynésie française.
Ces modifications sont de nature diverse.
L'article 1
er
de l'ordonnance complète certains
principes généraux en droit du travail applicables au contrat de
travail en Polynésie française. Il précise notamment les
dispositions relatives à la rupture du contrat de travail, qu'il
s'agisse de la démission, du départ en retraite ou d'autres
motifs. Il complète également les dispositions
législatives relatives au contrat à durée
déterminée.
L'article 2
introduit un régime légal réglementant
le travail temporaire, la loi du 17 juillet 1986 prohibant le prêt de
main d'oeuvre à but lucratif. Il donne donc une base légale au
travail intérimaire.
L'article 3
complète le droit de la négociation
collective, en le rapprochant du droit métropolitain. Il affirme ainsi
le droit des salariés à la négociation collective, pose
l'obligation par les conventions et les accords d'être écrits
interdit à la négociation de déroger à l'ordre
public social, rappelle la possibilité de dénonciation d'un
accord collectif.
L'article 4
encadre la saisie et la cession des
rémunérations.
L'article 5
confie aux autorités territoriales le soin de
mettre en place les modalités de l'aménagement du temps de
travail après avoir pris l'avis des organisations représentatives
d'employeurs et de salariés au plan territorial.
L'article 6
prévoit que les femmes en état de
grossesse médicalement attesté peuvent quitter leur travail sans
délai congé. A ce propos, votre commission observe que cet
article étend à la Polynésie une disposition du code du
travail métropolitain (
art. L. 122-32
) et du droit du
travail applicable en Nouvelle-Calédonie. Elle constate toutefois que la
rédaction choisie ("
état de grossesse
médicalement attesté
") diffère de la
rédaction du code du travail ("
état de grossesse
apparente
").
Par souci de cohérence entre les
différentes rédactions législatives et considérant
que le terme " état de grossesse apparente " est à la
fois sans signification médicale et moins protecteur pour la femme
enceinte, votre commission vous proposera d'adopter un amendement actualisant
la rédaction de l'article L. 122-32 du code du travail et de
l'article 41 de l'ordonnance du 13 novembre 1985.
L'article 7
redéfinit les principes généraux
relatifs à l'hygiène, à la sécurité et aux
conditions de travail.
L'article 8
modifie les règles relatives à la
médecine du travail, tandis que
l'article 9
est strictement
rédactionnel.
L'article 10
précise le statut des syndicats, en
prévoyant notamment de manière explicite que ce statut concerne
les syndicats de fonctionnaires.
L'article 11
propose une nouvelle rédaction des dispositions
relatives au comité d'entreprise, en intégrant également
le comité d'établissement et le comité central
d'entreprise.
L'article 12
étend à la Polynésie les
règles principales concernant les journalistes et les
voyageurs-représentants-placiers (VRP). La loi du 17 juillet 1986
était en effet muette sur les professions organisées de
manière particulière par le livre VII du code du travail.
L'article 13
légalise la mise en demeure prévue
à l'article L. 231-4 du code du travail, actuellement
régie par une délibération territoriale. Il s'agit ici de
mettre le droit en conformité avec une convention internationale du
travail.
L'article 14
étend les pouvoirs du médecin inspecteur
du travail.
L'article 15
est rédactionnel, tandis que
l'article 16
renforce les garanties des assesseurs du tribunal du
travail.
Hormis celles de l'article 6, ces dispositions n'appellent pas, sur le
fond, de remarques particulières de la part de votre commission. Elle
observe qu'elles visent avant tout à rapprocher le droit applicable en
Polynésie des dispositions du code du travail et à prendre en
compte les conventions internationales ratifiées par la France. Ces
dispositions renvoient d'ailleurs très largement aux
délibérations de l'Assemblée territoriale pour leur mise
en oeuvre et respectent en conséquence l'autonomie de la
Polynésie.
b) En Nouvelle-Calédonie
Le titre
II de l'ordonnance modifie une vingtaine d'articles de l'ordonnance du
13 novembre 1985 relative aux principes directeurs en droit du travail en
Nouvelle-Calédonie.
Ces modifications sont moins importantes que celles concernant la
Polynésie dans la mesure où la loi du 5 juillet 1996 avait
réalisé une modernisation plus poussée du droit du travail
en Nouvelle-Calédonie.
Ces modifications reprennent les modifications du titre précédent
sur plusieurs sujets :
- régime du travail temporaire
(art. 17 de la
présente ordonnance)
;
- droit de la négociation collective
(art. 18)
;
- régime de saisie et cession des rémunérations
(art. 20)
;
- aménagement du temps de travail
(art. 21)
;
- régime des mises en demeure
(art. 22)
;
- médecine du travail
(art. 23)
;
- professions particulières
(art. 26)
;
- garanties des assesseurs du tribunal du travail
(art. 27)
.
Les articles 19 et 25 de l'ordonnance sont des articles rédactionnels
modifiant des erreurs matérielles, tandis que l'article 24 supprime
un article désuet de l'ordonnance de 1985 portant sur l'autorisation
administrative de licenciement.
Ces articles n'appellent pas de commentaires particuliers de la part de votre
commission qui observe d'ailleurs que le congrès de
Nouvelle-Calédonie a émis un avis favorable au projet de loi de
ratification.
2. Des dispositions diverses
Le
titre III de l'ordonnance du 24 juin 1998 comporte neuf articles de
portée diverse.
L'article 29
de l'ordonnance est sans doute le plus important. Il
adapte les conditions de fonctionnement de la commission régionale de
conciliation en cas de conflits collectifs du travail dans les
départements d'outre-mer et à Saint-Pierre-et-Miquelon.
Votre commission observe que, si ces commissions régionales de
conciliation n'interviennent que rarement en métropole dans les conflits
du travail, elles jouent un rôle significatif dans les
départements d'outre-mer.
Or, ces institutions ne sont pas adaptées aux départements
d'outre-mer qui sont des régions monodépartementales où la
distinction entre les secteurs agricoles et les secteurs industriel et
commercial est inopérante s'agissant de ces commissions. Cet article
vise donc à fusionner, dans ces collectivités, les commissions de
conciliation, qu'elles relèvent du secteur agricole ou du secteur
industriel et commercial. Le décret d'application a été
publié le 6 octobre.
Votre commission est particulièrement préoccupée par
l'ampleur des conflits du travail outre-mer, qui sont souvent longs et
difficiles et qui peuvent paralyser l'ensemble des économies locales.
Elle observe d'ailleurs une hausse de la conflictualité,
particulièrement inquiétante aux Antilles.
Nombre de journées individuelles non travaillées
|
1995 |
1996 |
1997 |
1998 |
Guadeloupe |
NC |
NC |
5.044 |
13.650 |
Guyane |
2.578 |
6.243 |
3.116 |
2.650 |
Martinique |
NC |
3.824 |
2.541 |
22.691 |
Réunion |
20.199 |
19.704 |
3.853 |
4.744 |
Source : IEDOM
Elle estime alors qu'une amélioration du fonctionnement de ces
commissions pourrait constituer une évolution positive, dans les
départements où le dialogue social ne fonctionne hélas
qu'imparfaitement.
Les autres articles de ce titre III n'apportent que des modifications mineures
ou permettant l'extension outre-mer de dispositifs existant en métropole.
Ainsi,
l'article 28
prévoit une réorganisation des
directions départementales du travail et de l'emploi et de la formation
professionnelle, du fait de la suppression de la direction régionale.
Votre commission ne peut qu'être en accord avec cette mesure de
simplification administrative.
L'article 30
multiplie le droit du travail mahorais sur trois
points : la prohibition des clauses des conventions collectives comportant
des indexations sur le SMIC, l'interdiction du cumul des sanctions
pécuniaires administratives et des sanctions pénales, la
réorganisation de la direction du travail.
L'article 31
modifie le code du travail à son article
L. 122-28-10 concernant le bénéfice du congé non
rémunéré pour l'adoption d'un enfant si le salarié
se rend à l'étranger, dans un département ou un territoire
d'outre-mer. Il s'agit ici de mentionner également Mayotte et
Saint-Pierre-et-Miquelon.
Les articles 32 et 33
, concernant le droit du travail des marins
embarqués sur des navires immatriculés dans un territoire
d'outre-mer, renforcent le contrôle de l'application de ce droit.
L'article 34
étend à Mayotte, à la
Polynésie, à la Nouvelle-Calédonie et à
Wallis-et-Futuna les règles applicables au contrat de travail en
application de la réforme du service national issue de la loi du
28 octobre 1997.
L'article 35
étend aux territoires d'outre-mer, à la
Nouvelle-Calédonie et à Mayotte la possibilité de
recrutement des adjoints de sécurité.