B. LES LIENS ÉTROITS ENTRE LE PROJET DE LOI DE FINANCES ET LE PROJET DE LOI DE FINANCEMENT

Il est désormais impossible d'entretenir une vision parcellaire des finances publiques : les prélèvements fiscaux et sociaux appartiennent aux prélèvements obligatoires, la dette de l'Etat et la dette des organismes sociaux s'ajoutent, les dépenses publiques de l'Etat et les dépenses publiques des organismes sociaux se cumulent. Pour cette raison d'évidence, il paraît exclu d'examiner le projet de loi de financement de la sécurité sociale et le projet de loi de finances de façon autonome. Quand bien même d'aucuns souhaiteraient le faire, les liens qu'entretiennent cette année les deux textes rendraient la tâche vaine.

1. Les nombreux transferts d'un texte à l'autre

Les deux projets de loi organisent cette année un mouvement massif de transferts du budget de l'Etat vers la loi de financement de la Sécurité sociale. Ils viennent s'ajouter aux mouvements existants. Ainsi en 2000, l'Etat versera aux organismes sociaux :

• des cotisations sociales qu'il prend en charge : 83 milliards de francs ;

• des contributions publiques d'équilibre : 62,75 milliards de francs ;

• une partie des cotisations fictives d'employeurs pour milliards de francs.

Par ailleurs, les régimes sociaux recevront 378,3 milliards de francs d'impôts et taxes affectés à la Sécurité sociale.

Le budget de l'Etat compte ainsi de nombreuses lignes qui servent à financer des prestations versées par la Sécurité sociale, comme le revenu minimum d'insertion ou l'allocation pour adulte handicapé.

Le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2000 et le projet de loi de finances pour 2000 instaurent principalement deux nouveaux transferts auxquelles s'ajoutent plusieurs autres mesures.

Le premier a pour but de financer les allégements de charges sociales instaurés dans le cadre du passage aux 35 heures de travail hebdomadaire. Ainsi, l'article 29 du projet de loi de finances propose-t-il d'affecter 39,5 milliards de francs de droits sur les tabacs au fonds de financement prévu à l'article 2 du projet de loi de financement de la sécurité sociale. En regard de ce transfert de recettes, le budget de l'emploi affiche une mesure nouvelle le diminuant de 39,5 milliards de francs correspondant aux dépenses nouvelles du fonds.

A ces montants qui représentent les sommes engagées pour la " ristourne dégressive sur les bas salaires ", le Gouvernement ajoute le transfert du produit de la taxe général sur les activité polluantes (TGAP) au fonds de financement prévu à l'article 2 du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2000.

Enfin, l'Etat versera au fonds une subvention d'équilibre dont le montant est estimé pour 2000 à un peu plus de 4 milliards de francs.

Le second transfert important concerne la mise en oeuvre de la couverture maladie universelle . Le projet de loi de finances prévoit le transfert de deux recettes à ce titre : 3,5 milliards de francs de droits sur les tabacs pour la Caisse nationale d'assurance maladie et 7,2 milliards de francs sur le budget de la Santé et de la solidarité sous la forme d'une subvention au fonds de financement de la couverture maladie universelle. Par ailleurs, il met au net la " tuyauterie " résultant de la suppression de la prise en charge de l'aide personnelle, des contingents communaux d'aide sociale, etc.

A ces deux réformes s'ajoutent différents transferts qui mériteraient des éclaircissements :

• l'Etat a annoncé sa volonté d'abonder le fonds de réserve pour les retraites à hauteur de 4 milliards de francs correspondant au produit de la vente des parts de caisse d'épargne sur l'année 2000 : cette mesure ne figure cependant pas en loi de finances ;

• l'Etat a annoncé sa volonté de prendre en charge une partie de la majoration de rentrée scolaire : les 4,7 milliards de francs correspondant ne figurent pas en loi de finances ;

• l'Etat a annoncé sa volonté de verser à la CNAF une subvention correspondant à sa participation au Fonds d'Action Sociale des Travailleurs Immigrés et de leurs Familles pour compenser une partie de ses dépenses nouvelles : le milliard de francs correspondant ne figure pas en loi de finances.

Ces incertitudes sont inacceptables au regard de la sincérité à la fois de la loi de finances et de la loi de financement de la Sécurité sociale. Soit l'Etat s'engage, et alors il n'a pas à attendre une loi de finances rectificative pour tirer les conséquences de décisions qui auraient du (et pu puisque celles concernant la famille ont été prises en juillet et celle sur les retraites en mai) trouver leur traduction en loi de finances. Soit l'Etat ne compte pas respecter sa parole, et alors l'équilibre financier des régimes sociaux sera mis à mal. Quelle que soit la réalité, cette non inscription en loi de finances initiale signifie que l'un au moins des projets de loi n'est pas sincère.

Par ailleurs, la loi de finances prélève sur le produit de la C3S un milliard de francs pour financer des mesures nouvelles à la charge du BAPSA. Or le solde de la C3S est normalement affecté à la première partie du Fonds de solidarité vieillesse puis au fonds de réserve pour les retraites.

On ne peut que s'étonner d'une telle incohérence entre les deux projets de loi : priorité du projet de loi de financement de la sécurité sociale, le fonds de réserve se voit dépourvu d'une partie de sa ressource en loi de finances !

De même, le projet de loi de finances ne tient aucunement compte des conséquences financières des mesures adoptées en loi de financement sur le BAPSA et qui ont pour résultat de dégrader le solde de celui-ci par une hausse de ses dépenses. Or, le BAPSA est légalement en équilibre ce qui imposera bien des mesures correctrices. Tel qu'il est présenté en loi de finances, il ne peut en tout état de cause être considéré comme sincère.

Dernier exemple des liens étroits entretenus entre les deux textes, les taux d'évolution des ressources fiscales. Le Fonds de compensation de la taxe professionnelle évolue comme les recettes fiscales de l'Etat. Or celles-ci diminuent cette année du fait de transferts de droits sur les tabacs et de TGAP vers le champ de la loi de financement. L'Etat devra compenser les conséquences de cette baisse pour les collectivités locales.

2. L'effet de la loi de financement sur les finances publiques : de nouveaux prélèvements obligatoires

La loi de financement contient de nombreuses mesures fiscales qui intéressent de près le domaine des lois de finances.

Tout d'abord, elle crée deux nouvelles impositions qui sont fortement liées au projet de loi de finances : l'extension de la TGAP et la nouvelle cotisation sociale sur les bénéfices des sociétés. La taxation des heures supplémentaires dans les entreprises n'ayant pas signé d'accord de réduction du temps de travail s'y ajouterait après l'adoption du second projet de loi sur les 35 heures.

L'extension de la TGAP devrait rapporter 1,8 milliard de francs supplémentaires au fonds de financement des allégements de charges sociales.

Quant à la nouvelle cotisation sur les bénéfices, elle intervient au moment même où le projet de loi de finances propose de supprimer la surtaxe d'impôt sur les sociétés de 10 % instaurée en juin 1997. Votre rapporteur général ne peut que dénoncer ce jeu de " passe-passe " qui conduit à supprimer ici ce que l'on recrée là.

La taxation de 10 % des heures supplémentaires devrait, enfin, apporter 7,5 milliards de francs au fonds.

Au total, les organismes sociaux bénéficieront de plus de 60 milliards de francs de recettes nouvelles correspondant soit à des affectations, soit à des créations, soit à des élargissements de taxes, alors que dans le même temps le projet de loi de finances affiche une diminution des prélèvements de 22 à 24 milliards de francs.

Les nouvelles impositions sociales en 2000

(en milliards de francs)

Impositions transférées depuis le budget de l'Etat

44,6

Droits sur les tabacs 35 heures

39,5

Droits sur les tabacs CMU

3,5

Droits sur les tabacs amiante

0,2

Taxe générale sur les activités polluantes

1,4

Impositions créées

15,4

Cotisation sociale sur les bénéfices (CSB)

4,3

Extension de la taxe générale sur les activités polluantes (TGAP)

1,8

Contribution de 1,75 % sur le chiffre d'affaires santé des organismes complémentaires


1,8

Taxation des heures supplémentaires dans les entreprises n'ayant pas signé d'accords de réduction du temps de travail


7,5

Total

60

A l'avenir, ces taxes sont destinées à augmenter puisque la TGAP et la CSB devront rapporter chacune à terme 12,5 milliards de francs.

De plus, la loi de financement de la sécurité sociale constitue un facteur d'incertitude de plus en plus grand pour l'Etat qui s'est engagé par exemple à verser deux subventions d'équilibre : l'une pour le financement des 35 heures, l'autre pour celui de la couverture maladie universelle. Or la première réforme n'a pas de financement complètement bouclé, tandis que la seconde devrait coûter bien plus cher que prévu.

La dynamique même des deux textes va donc à l'opposé. Alors que le Gouvernement prétend contenir la dépense publique et à orienter à la baisse les prélèvements obligatoires dans le projet de loi de finances, le projet de loi de financement poursuit quant à lui sur sa lancée de prélèvements toujours plus nombreux, toujours plus massifs, toujours destinés à croître au nom du " dynamisme " de la recette, et de dépenses qui ne cessent d'augmenter pour un résultat largement en deçà des attentes des Français. Votre rapporteur général ne peut donc que se montrer inquiet devant de telles perspectives.

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