CHAPITRE IV :
RÉNOVER LES INSTRUMENTS POUR MIEUX
GÉRER L'ETAT
Outre la
nécessité de rénover ou de moderniser un certain nombre
des instruments et méthodes de la discussion budgétaire, votre
commission a plusieurs convictions fortes.
Les prélèvements obligatoires ont atteint un niveau
historiquement élevé rendant indispensable leur réduction.
Grâce au supplément de recettes résultant de la bonne
conjoncture actuelle, il est possible d'y procéder tout en diminuant le
déficit budgétaire. Il est par ailleurs indispensable de viser,
à terme, non seulement une réduction du poids de la
dépense publique, mais également une meilleure allocation de
celle-ci.
Pour pouvoir diminuer le montant des prélèvements obligatoires,
il faut impérativement dépenser moins, mais également
dépenser mieux.
Evolution des dépenses publiques, des
prélèvements obligatoires
et de la dette publique
(en points de PIB)
|
1997 |
1998 |
1999 |
Prévisions2000 |
Dépenses publiques |
54,3 |
54,2 |
54,0 |
53,2 |
Prélèvements obligatoires |
44,9 |
44,9 |
45,3 |
44,8 (1) |
Dette publique (2) |
60,0 |
60,3 |
60,5 |
59,9 (3) |
(1)
Le pourcentage est celui annoncé par le gouvernement pour l'année
prochaine. La progression continue depuis 1997 du montant des
prélèvements conduit votre commission à douter très
largement du caractère réalisable de cet objectif, trop
opportunément optimiste.
(2) En nouvelle base de comptes SEC 95.
(3) Ainsi que votre commission l'a déjà relevé, il ne
s'agit que d'une hypothèse formulée par le gouvernement.
Source : Rapport économique, social et financier
I. LA RÉNOVATION DES INSTRUMENTS
A. LA MODERNISATION DES MÉTHODES COMPTABLES DE L'ÉTAT
Il y a deux ans déjà, lors de la discussion du projet de loi de finances pour 1998, votre commission des finances avait émis des préconisations en ce sens rassemblées en autant de " piliers de la sagesse budgétaire ". Elle souhaite aujourd'hui émettre des propositions complémentaires s'agissant notamment des méthodes comptables de l'Etat.
Propositions de la commission des finances pour une modernisation des procédures budgétaires : les sept piliers de la sagesse budgétaire
Ces
propositions ont été faites lors de la discussion du projet de
loi de finances pour 1998.
Rétablir la " sincérité " de la loi de
finances
Au fil des années, la loi de finances est devenue un document à
rendre perplexe un commissaire aux comptes. Le projet présenté au
Parlement est incomplet (les fonds de concours n'y figurent pas),
contracté (près de 250 milliards de francs de
prélèvements sur recettes qui sont des charges n'apparaissant
pas), hétérogène (des dépenses identiques sont
traitées différemment selon qu'elles figurent au budget de l'Etat
ou dans des comptes spéciaux du Trésor).
Institutionnaliser la distinction entre l'investissement et le
fonctionnement.
Depuis 1992, une part du déficit budgétaire (48,6 milliards
de francs en 2000) finance des dépenses courantes : l'Etat
s'endette pour vivre au jour le jour. Sans en avoir conscience, nous laissons
ainsi à nos enfants le soin et la charge de régler demain nos
consommations d'aujourd'hui. Cette atteinte aux droits des
générations futures n'est pas admissible. Par analogie avec la
" règle d'or " inscrite dans la Constitution allemande, elle
appelle une réforme de l'ordonnance du 2 janvier 1959, identifiant
la section de fonctionnement de l'Etat et les conditions de son
équilibre obligatoire,
seul l'investissement étant
dorénavant financé par l'emprunt.
Certifier les méthodes comptables
L'évolution rapide des phénomènes économiques ne
permet pas de comparer des projets de loi de finances à " structure
constante " et, en tout état de cause, en altère, à
l'image du projet de loi de finances pour 2000, fortement la lisibilité.
Cette instabilité inévitable -mais irritante- doit être
corrigée par la présentation au Parlement, sous le contrôle
de la Cour des Comptes, d'une annexe au projet de loi de finances recensant les
modifications de présentation budgétaire. Inspirée du
principe comptable de " permanence des méthodes ", cette
réforme préviendra les polémiques sur les
" débudgétisations ". Elle permettrait donc de cerner
la réalité des transferts de crédits, dont la
rationalité échappe parfois quelque peu aux esprits les plus
éclairés, même au sein du gouvernement...
Instaurer une procédure de suivi des dépenses sociales
Le vote de la loi de financement de la Sécurité sociale implique que le Parlement puisse en contrôler l'exécution en cours d'année. Cela suppose la création d'indicateurs mensuels rendus d'autant plus nécessaires que les comptes sociaux se caractérisent par leur extrême émiettement et que les chiffres de l'ACOSS ne sont pas rendus publics. L'accroissement des liens entre lois de finances et de financement particulièrement pour l'an 2000 rend indispensable et urgent un tel exercice.
Accélérer la mise en oeuvre de la comptabilité patrimoniale
L'appréciation de la fidélité des documents budgétaires implique une amélioration de la comptabilité patrimoniale de l'Etat, dans le sens des travaux initiés par Jean Arthuis. En effet, les déclassements d'opérations budgétaires en opérations de trésorerie, la mise en jeu de la responsabilité pécuniaire de l'Etat et les systèmes de vases communicants entre le budget général et les comptes des entreprises publiques ne sont finalement retranscrits que dans le compte de la dette et non dans les lois de finances. Les pertes en capital n'apparaissent pas, et pas davantage les charges de retraite non provisionnées.
Moderniser les procédures de régulation budgétaire
Les
rapports de la Cour des Comptes fournissent, chaque année, les exemples
d'une " comptabilité créatrice " visant tant à
lisser sur plusieurs exercices, qu'à réguler en cours
d'année les flux de dépenses et de recettes. L'ordonnance de 1959
n'est plus respectée : les conditions mises à la publication
de décrets d'avance, d'arrêtés d'annulation et de textes
créant des dépenses nouvelles ne sont plus appliquées.
Elles doivent être adaptées. Dans son rapport sur
l'exécution des lois de finances pour 1998, la Cour des comptes a en
conséquence été conduite à émettre un
jugement très critique sur l'exécution budgétaire en 1998.
En revanche, et malgré quelques améliorations récentes, le
Parlement ne peut accepter d'être mis en permanence devant le fait
accompli, d'apprendre que des correctifs sont apportés à la loi
de finances dont l'encre est à peine sèche, voire de constater
que des crédits annulés au printemps sont rétablis
à l'automne.
Deux pistes méritent d'être
explorées
. La Cour des Comptes pourrait être saisie pour avis
du projet de loi de finances -à l'image du Conseil d'Etat- et porter un
jugement sur l'adéquation du niveau des dotations inscrites. Les
commissions des finances devraient être appelées à
débattre des régulations mises en oeuvre.
Fixer un nouveau rendez-vous budgétaire
Les grandes entreprises arrêtent des comptes semestriels. L'Etat ne s'impose pas cette discipline. Il convient donc que le Parlement soit saisi, en fin de premier semestre, d'un état commenté de l'exécution des comptes publics, analogue au travail commandé aux magistrats de la Cour des Comptes -dont l'élaboration pourrait être confiée à la Cour dans l'esprit de l'article 47 de la Constitution. Un jugement politique pourra alors être porté sur la pertinence de l'exécution de la loi de finances et de la loi de financement de la sécurité sociale.
1. Une vraie comptabilité patrimoniale pour l'Etat
A la
différence des particuliers ou des entreprises, l'Etat ne connaît
pas exactement la nature de son patrimoine et par voie de conséquence le
valorise insuffisamment en faisant, de fait, reporter ce poids sur les
contribuables actuels mais également les générations
futures.
Ce constat naguère établi par notre collègue Jean Arthuis,
alors ministre de l'économie, vient encore récemment d'être
à nouveau mis en évidence. En effet, M. Jean-Jacques
François, chef de la Mission comptabilité patrimoniale, a remis
au ministre de l'économie et au secrétaire d'Etat au budget un
rapport intitulé "
Le système financier de l'Etat en
question "
, dont le sous-titre "
Situation
d'urgence ? "
, donne le ton du contenu de ce rapport.
Le diagnostic auquel le rapport a abouti est clair et sans appel :
" S'il n'évolue pas de manière significative, le
système financier de l'Etat risque de perdre rapidement en
efficacité et en pertinence ".
Le rapport François : un diagnostic sévère
Les
principales observations et conclusions du rapport François mettent en
évidence les dysfonctionnements, voire les graves carences de
l'administration française.
Ce rapport estime en effet que
" les limites du système
financier vont devenir insupportables "
, en raison de concepts
budgétaires dépassés et de processus pénalisants.
Par ailleurs,
" la France prend du retard sur l'étranger et sera
mise en difficulté à l'international si elle ne bouge
pas ".
Les dispositifs actuels présentent trois principales imperfections :
- le budget n'informe pas sur certains enjeux importants ;
-
la comptabilité de l'Etat ne permet ni de voir clair ni de
rendre compte dans le domaine de la gestion ;
- les processus financiers sont encore pénalisés par les
contraintes propres aux administrations.
Dès lors, le rapport retient deux priorités :
" une
comptabilité décisionnelle "
et
" l'efficacité financière ".
Cet état des lieux sévère a des conséquences
dommageables sur la connaissance et la valorisation par l'Etat de son
patrimoine.
Ainsi, la valeur du patrimoine de l'Etat diminuerait de 60
milliards de francs sur 10 ans du fait de l'insuffisance du niveau
d'entretien et du retard dans les mises en conformité. Sa mise à
niveau requiert 5 à 6 milliards de francs par an. A défaut de la
réaliser dès maintenant, son poids sera reporté sur les
générations futures.
Qui plus est, le rapport met en exergue
" une visibilité
brouillée "
sur l'étendue du domaine et du parc
immobilier de l'Etat.
Votre commission ne peut que constater l'étroitesse du lien qui unit
l'amélioration de la gestion publique et la réforme de l'Etat.
Or, cette dernière n'est visiblement pas la priorité du
gouvernement.
2. Un jugement d'expert : celui de la Cour des Comptes
Si la
Cour des comptes, dans son rapport sur l'exécution des lois de finances
pour l'année 1998, analyse les conséquences de
l'amélioration de la conjoncture sur l'économie française
(croissance de l'activité, poursuite de la lente décroissance du
déficit budgétaire, progression des recettes fiscales...),
elle n'en souligne pas moins les limites de l'exécution d'un budget
traduisant, pour la première fois sur une année complète,
les priorités du gouvernement issu des élections
législatives du printemps 1997.
A cet égard, elle émet un jugement critique, estimant, en
substance, que les dépenses de l'Etat ont continué de
croître, que la structure de la dépense publique continue de se
dégrader.
Elle insiste également sur le fait que des pratiques
budgétaires et comptables critiquables se perpétuent.
La Cour des comptes formule ainsi des critiques relatives à des
pratiques peu respectueuses des grands principes budgétaires.
Sans
tomber dans un degré de technicité trop important, il est
intéressant d'en relever certains exemples.
Les
libertés prises en 1998 par le gouvernement
avec les grands
principes budgétaires
La Cour
note que
les relations entre le Trésor et la Coface ne sont pas
décrites de façon satisfaisante dans les comptes de
l'Etat
:
" les opérations effectuées par la
Coface pour le compte de l'Etat n'apparaissent distinctement ni dans les
comptes de l'Etat ni dans les comptes de la Coface ".
La Cour des
comptes avait déjà émis de nombreuses critiques sur cette
absence de transparence des opérations, et juge indispensable une
clarification comptable.
S'agissant des dépenses en capital, la Cour des comptes
déplore n'avoir pu disposer d'une comptabilité fiable
cohérente des autorisations de programme.
Elle estime
qu'
" aucune explication ne justifie les défaillances
chroniques "
de cette comptabilité spéciale des
investissements. Elle poursuit :
" La synthèse
comptable de la gestion des investissements publics, fondée sur la
dualité autorisations de programme-crédits de paiement, perd, de
ce fait, toute pertinence. Une remise en ordre s'impose, d'autant que la
nécessité de développer les modes de gestion pluriannuelle
est, à juste titre, considérée comme une priorité
de la modernisation des procédures financières ".
La Cour des comptes est bien plus sévère encore s'agissant de
certaines opérations réalisées sur
les comptes
d'affectation spéciale, en particulier sur le compte n° 902-24
" Produits de cessions de titres, parts et droit de
sociétés ", devenu l'instrument unique de comptabilisation
des recettes de privatisation. Elle constate, en effet, que les
résultats de ce compte sont inférieurs à la
réalité car certaines recettes sur des cessions de titres,
notamment pour
le GAN
, n'ont pas été enregistrées
sur le compte.
D'une manière générale, la Cour émet de nombreuses
réserves sur les opérations affectant les comptes d'affectation
spéciale, estimant que de nombreuses pratiques
" rendent opaques
les interventions de l'Etat et montrent que la frontière entre budget
général et comptes spéciaux du Trésor ne fait pas
l'objet d'un respect suffisant ".
La Cour des comptes regrette que, comme par le passé, certaines
opérations de trésorerie
, qui devraient être
traitées en opérations budgétaires, le soient comme des
opérations de trésorerie, ce qui réduit artificiellement
le déficit budgétaire. A l'inverse, d'autres opérations ne
devraient être décrites qu'en trésorerie, alors qu'elles
sont imputées au budget, ce qui permet également
d'améliorer le solde budgétaire.
Le financement de la trésorerie de l'Agence centrale des organismes de
sécurité sociale (ACOSS) permet à l'Etat de minorer
artificiellement son déficit budgétaire, puisqu'il comptabilise
en recettes budgétaires le remboursement du capital d'un prêt de
la Caisse d'amortissement de la dette sociale (CADES) à la Caisse des
dépôts et consignations, alors qu'il n'en avait pas
supporté la charge, initialement imputée en opération de
trésorerie.
Enfin, s'agissant de
la modification des crédits en cours de
gestion
,
la Cour des comptes se montre particulièrement
sévère. Après avoir relevé de nombreuses
irrégularités en matière de reports, elle conclut :
" Ces irrégularités, qui traduisent parfois une gestion
défaillante, doivent cesser ".