ANNEXE I
LE 40ÈME ANNIVERSAIRE DE L'ÉCOLE NATIONALE DE LA
MAGISTRATURE
DISCOURS DE M. JACQUES CHIRAC,
PRÉSIDENT DE LA
RÉPUBLIQUE
(BORDEAUX - GIRONDE - VENDREDI 1 er OCTOBRE 1999)
Madame
la ministre de la justice, garde des sceaux,
Monsieur le maire de bordeaux,
Monsieur le premier président et monsieur le procureur
général de la cour de Cassation,
Monsieur le Premier Président et Monsieur le Procureur
général de la Cour d'appel de Bordeaux,
Mesdames et Messieurs les magistrats,
Monsieur le Directeur,
Mesdames et Messieurs les auditeurs de Justice,
Il y a quarante ans, en décembre 1958, Michel DEBRE, alors Garde des
Sceaux, décidait, pour accompagner la réforme du statut de la
magistrature, de créer un institut de formation destiné à
tous les magistrats. Ainsi naquit le Centre national d'études
judiciaires qui allait prendre par la suite le nom d'Ecole nationale de la
magistrature.
L'initiative du Garde des Sceaux suscite à l'époque nombre
d'interrogations et de critiques dans le monde judiciaire. Beaucoup pensent
qu'une telle entreprise est nécessairement vouée à
l'échec, le métier de juge ne pouvant s'apprendre que "sur le
terrain", par la pratique et l'expérience professionnelle.
Ces objections apparaissent aujourd'hui bien dérisoires et bien
dépassées. L'Ecole nationale de la magistrature a permis de
renouveler le recrutement des magistrats, en favorisant notamment un brassage
social qui a beaucoup enrichi le corps judiciaire. Elle a accompagné un
mouvement de féminisation de la magistrature, qui a eu des
conséquences heureuses sur l'humanisation de la justice et son rapport
à la réalité sociale. En quarante ans, elle est devenue la
pierre angulaire de notre système judiciaire. Lieu de formation autant
que de réflexion, elle contribue à son rayonnement à
l'étranger. En choisissant comme parrain Nelson MANDELA, la
dernière promotion a témoigné de son ouverture au monde et
de son attachement aux idéaux de tolérance et de
générosité.
Au-delà de l'hommage, légitime et mérité, que je
tiens à rendre à l'Ecole nationale de la magistrature, je
voudrais, à l'occasion de cet anniversaire, évoquer avec vous
l'avenir, votre avenir, c'est-à-dire l'avenir de notre justice, car
l'Ecole n'est pas dissociable des fonctions auxquelles elle prépare et
des idéaux qui la fondent.
Comme aux débuts de la Ve République, l'institution judiciaire se
trouve à un nouveau tournant de son histoire. L'ordre juridique
connaît depuis quelques années des mutations profondes.
Omniprésent, le droit devient sans cesse plus touffu, plus difficile
d'accès. Dans le même temps, nos concitoyens, de mieux en mieux
formés et informés, de plus en plus conscients de leurs droits,
attendent toujours davantage des magistrats et de l'institution judiciaire.
La justice française est-elle aujourd'hui capable de satisfaire ces
nouvelles exigences ? A-t-elle les moyens de répondre au besoin de
justice qui s'affirme chaque jour ? S'est-elle suffisamment adaptée aux
changements du monde ? Telles sont les questions qui se posent avec
acuité, questions essentielles car il en va de la confiance même
de nos compatriotes dans l'institution judiciaire et, au-delà, de la
bonne santé de notre démocratie.
En tant que garant de l'indépendance de l'autorité judiciaire et
du bon fonctionnement des institutions, il est de mon devoir de veiller
à ce que la France puisse s'appuyer, aujourd'hui et dans les
années à venir, sur une institution judiciaire solide, efficace,
moderne et respectueuse des libertés. Dans un monde qui évolue de
plus en plus vite, notre appareil judiciaire doit, lui aussi, s'adapter, se
transformer. C'est tout le sens de la réforme de la justice que j'ai
lancée en janvier 1997 et qui se met peu à peu en place.
Réforme nécessaire pour notre vitalité
démocratique. Nécessaire pour la vie quotidienne de nos
concitoyens. Nécessaire, aussi, pour que la France tienne son rang au
plan mondial car une bonne justice et une bonne administration sont
désormais des atouts essentiels dans la compétition des
territoires, notamment au regard de l'investissement et de l'emploi.
*
* *
Que
notre ordre juridique soit en pleine transformation, nul ne peut le contester.
Il subit en effet les conséquences des évolutions contemporaines.
Sous l'effet de la mondialisation des échanges et du
développement des technologies de l'information et de la communication,
un univers nouveau apparaît, un univers fluide et sans frontières,
dans lequel hommes, marchandises, capitaux, informations circulent librement.
Cet univers comporte aussi une face cachée, une face noire : celle des
trafics internationaux, notamment de stupéfiants, celle du crime
organisé et des circuits de blanchiment de l'argent sale.
Cet univers qui s'invente chaque jour nous oblige à établir des
règles nouvelles, à définir de nouveaux enjeux et de
nouvelles ambitions.
Notre premier objectif doit être de trouver des instruments de
régulation inédits afin de pallier les insuffisances des moyens
nationaux dont nous disposons actuellement. S'il n'y a ni règle ni
arbitre, c'est la loi du plus fort qui tend à s'installer.
Il faut donc mettre en place rapidement à l'échelle
internationale une organisation juridique fondée sur des règles
adaptées, librement négociées par les Etats, et sur des
institutions communes capables de les faire respecter.
C'est d'abord au sein de l'Union européenne que nous devons construire
un système adapté à ces nouvelles exigences. L'Europe doit
s'affirmer comme un espace de liberté, de sécurité et de
justice. Ce sera l'enjeu du Conseil européen qui se tiendra dans deux
semaines à TAMPERE, en Finlande, et qui, pour la première fois
dans l'histoire de l'Union, sera consacré aux affaires
intérieures et de justice.
La coopération judiciaire européenne a progressé ces
dernières années, mais pas au même rythme que le
marché intérieur ou la libre circulation des personnes. Les
frontières juridiques demeurent. Les procédures d'entraide
judiciaire sont encore insuffisantes. Ce qu'il faut réaliser, c'est un
véritable espace judiciaire européen, dont il conviendra de
préciser les contours.
Sur le plan mondial aussi, l'état de droit international progresse. Une
nouvelle étape a été franchie, avec la création de
la Cour pénale internationale par la convention signée à
Rome le 17 juillet 1998.
Les négociations commerciales qui vont bientôt s'ouvrir seront par
ailleurs l'occasion de faire prendre en compte, par l'Organisation mondiale du
commerce, un certain nombre de règles fondamentales touchant aux
garanties sociales de l'Organisation internationale du travail, aux normes de
sécurité sanitaire édictées par l'Organisation
mondiale de la santé ou encore à l'environnement. C'est ainsi que
se construit peu à peu le nouvel ordre juridique international que la
France appelle de ses voeux.
Mais beaucoup reste à faire, notamment en ce qui concerne le monde des
réseaux pour assurer la sécurité des transactions, la
protection des données personnelles, la sauvegarde des personnes, et en
particulier des plus exposées d'entre elles, je pense bien sûr aux
enfants.
Si la mondialisation des échanges et la construction de l'Europe exigent
la définition de nouvelles règles, elles nous obligent aussi
-c'est le second enjeu- à tirer le meilleur de l'inévitable mise
en concurrence des différents systèmes juridiques.
Dans le monde occidental, chacun le sait, les principaux systèmes
juridiques se divisent en deux grandes familles : celle inspirée du
droit romain, qui domine en Europe continentale, et celle de la common law. Ce
sont deux logiques en partie différentes, reposant, l'une sur
l'autorité d'une jurisprudence censée " découvrir le droit
", et l'autre sur celle de l'Etat chargé d'en construire et d'en
prononcer les principes. Chacune a ses mérites comme ses
inconvénients.
Le système de la common law permet de construire le droit à
partir des situations vécues. En cela, il est pratique et concret. Mais
il s'avère aussi extrêmement coûteux pour la
société, en temps et en argent, et souvent fort
inégalitaire. Quant à notre propre système, s'il est plus
logique, plus cohérent et plus majestueux, il pêche trop souvent
par abstraction, complexité, méconnaissance des
réalités. Par ailleurs il réserve aux activités
publiques un traitement très différent du droit commun.
A l'évidence, chaque système a quelque chose à apprendre
de l'autre. Nous parviendrons d'autant mieux à résister à
la pression anglo-saxonne que nous saurons faire évoluer positivement
notre propre système, sans en abandonner l'esprit et les ambitions.
L'enjeu est de taille : à la fois économique, linguistique,
culturel et politique. A nous de veiller à ce que le droit international
en construction prenne le meilleur de chaque système sans donner la
primauté au droit anglo-saxon.
L'Ecole nationale de la magistrature, par sa vocation internationale, joue un
rôle majeur dans ce combat : en accueillant un grand nombre de magistrats
étrangers, en participant à la création d'autres
écoles du même type, en servant de modèle, elle contribue
au rayonnement du droit français et conforte son influence.
Troisième exigence dans ce nouveau contexte européen et
mondialisé : redonner toute sa force à la loi, tout en favorisant
de nouvelles solutions juridiques.
Au cours des dernières années, la loi, c'est une évidence,
a perdu en force et en autorité. Toujours plus nombreux, les textes de
loi sont aussi plus bavards, aurisque d'en devenir inconsistants. L'irruption
dans notre droit de nouvelles notions venues du droit communautaire et souvent
inspirées de la common law ne contribue pas à améliorer la
clarté des textes. Fréquemment modifiés, pas toujours
appliqués, ils ne respectent plus guère la règle d'or
définie par Portalis, selon laquelle " la loi ordonne, permet ou
interdit ". Or, la loi n'est plus la loi quand elle perd son efficience et son
autorité. L'amélioration du fonctionnement de notre
système judiciaire dépend d'abord de la qualité du travail
législatif. Le législateur doit en prendre conscience et agir en
conséquence.
Il doit en particulier donner toute sa place à des solutions juridiques
nouvelles.
Se développent en effet depuis le début des années 1990
des modes alternatifs de règlement des litiges en matière civile
comme en matière pénale : transaction, conciliation,
médiation.
La souplesse et la rapidité qui caractérisent ces
procédures, la sécurité qu'elles procurent,
répondent à une attente profonde de nos sociétés,
et c'est pourquoi il faut les favoriser. Elles correspondent à une
société plus mûre, plus responsable, plus moderne qui
préfère le dialogue et le contrat aux conflits et aux
procès, une société qui reconnaît le
bien-fondé de solutions juridiques adaptées pour prendre en
compte la diversité des situations.
C'est ainsi que nous pourrons faire obstacle à la judiciarisation
excessive de nos sociétés modernes qui peut conduire à des
dérives dangereuses, non seulement pour la société mais
aussi pour la justice elle-même. Hier, le requérant en appelait
à la justice pour faire valoir ses droits et obtenir réparation
des dommages subis. Aujourd'hui, il se tourne de plus en plus souvent vers la
justice pour que soient en outre recherchées, dans tous les cas, des
responsabilités pénales. C'est une évolution des
mentalités et des comportements à laquelle il faut être
attentif.
Parce que la faute pénale suppose la mauvaise intention, il n'est pas
sain que la recherche en responsabilité pénale soit l'issue
normale de tout dysfonctionnement. Il serait en effet très grave de
décourager par avance toute initiative, tout projet collectif, toute
prise de responsabilité, notamment par les décideurs publics, au
nom d'un risque zéro qui n'existe dans aucune activité humaine.
La faute doit être sanctionnée. Mais il ne faut pas tomber dans
l'excès qui consisterait à voir dans tout accident, dans toute
défaillance, une sorte de main invisible que la justice devrait couper
en manière de rite expiatoire.
Il est clair cependant que l'excès de pénalisation pourra
être d'autant mieux évité que, de leur côté,
la société civile et le politique auront mis en place des
mécanismes solides de responsabilité civile et professionnelle.
Il y a là pour les magistrats et pour l'ensemble des acteurs sociaux un
thème de réflexion important : ensemble nous devons concourir
à ce que notre société tout entière soit une
société de juste responsabilité.
Dernier objectif : faire progresser notre justice dans le cadre des exigences
européennes.
Ainsi que vous le savez, les normes européennes provoquent un
véritable bouleversement de nos procédures.
La Convention européenne de sauvegarde des Droits de l'Homme et des
libertés fondamentales et la jurisprudence de la Cour de Strasbourg
exercent, en effet, sur le fonctionnement de notre appareil judiciaire, une
influence grandissante.
Il s'agit, en réalité, d'un retour aux sources. Les principes et
les libertés que la Convention européenne proclame, ce sont ceux
que la France, patrie des Droits de l'Homme, a contribué à
défendre et à illustrer depuis plus de deux siècles.
Ces règles de liberté et de droit, la Cour de Strasbourg nous
les rappelle, en soulignant parfois les insuffisances, non des principes qui
fondent nos institutions, mais de leur fonctionnement.
Certains ne voient dans l'existence de la Cour de Strasbourg qu'une atteinte
insupportable à notre souveraineté nationale.
Même si l'on peut débattre du bien-fondé de la
jurisprudence de la Cour sur tel ou tel point de fond, force est de constater
que l'essor du droit européen a permis d'améliorer nos
procédures juridictionnelles en renforçant les garanties offertes
aux justiciables.
A travers la notion de droit à un procès équitable, la
Convention européenne met l'accent sur deux principes fondamentaux dont
notre droit processuel n'avait peut-être pas tiré jusqu'ici toutes
les conséquences.
Il s'agit tout d'abord du principe de loyauté et d'équilibre.
Cela signifie que toutes les parties à l'instance doivent disposer des
mêmes armes, quel que soit leur statut. Cela signifie aussi qu'elles
doivent être assurées de l'impartialité de leur juge.
Ai-je besoin de dire combien cette impartialité est au coeur des devoirs
de votre fonction et des attentes de la société en ce qui
concerne votre action ? L'impartialité et tout ce qu'elle suppose : la
compétence indispensable pour comprendre toutes les données du
litige, et la droiture requise pour juger juste. Je suis garant de votre
indépendance, dont votre statut répond ; vous êtes
comptables de votre impartialité, de par votre serment.
Il s'agit ensuite du principe de dialogue, et de son corollaire, le principe du
contradictoire. L'instruction puis l'audience sont en réalité
autant d'occasions d'établir ou de rétablir, sous l'égide
du juge, un dialogue entre des parties aux intérêts divergents,
afin de parvenir à une solution aussi équilibrée et juste
que possible.
Magistrats, auxiliaires de justice, justiciables ont tout à gagner
à ce que les procédures qui se déroulent devant nos
juridictions soient conformes à ces deux principes. Pour cela, nous
devrons sans doute modifier, voire bouleverser les règles que nous
avions coutume d'appliquer jusqu'ici, comme en témoigne la
décision rendue récemment par la Cour de cassation à
propos de la Commission des opérations de bourse. Peut-être
faudra-t-il en venir à une procédure moins inquisitoriale ?
Enfin, un bon procès, ce n'est pas seulement un procès
équitable, c'est également un procès qui se déroule
dans un délai raisonnable. Cela aussi, la jurisprudence exigeante et
rigoureuse de la Cour de Strasbourg a le mérite de nous le rappeler.
Désormais, chaque justiciable a les moyens d'exiger et d'obtenir le
respect de ce droit élémentaire. Lorsqu'une affaire
s'éternise sans raison, la responsabilité de l'Etat se trouve de
plus en plus fréquemment engagée.
Equilibre, dialogue, célérité, voilà ce que nos
concitoyens sont en droit d'attendre de la justice. Par le rappel de ces
principes fondamentaux, par le rôle d'aiguillon qui est le sien, par le
dialogue des juges auquel il donne naissance, le droit européen joue
désormais un rôle de premier plan dans le fonctionnement de nos
institutions judiciaires.
Dans cet ordre juridique en pleine évolution, plus ouvert, plus
éclaté, la mission du juge est plus complexe que jamais. Votre
métier est déjà en lui-même aussi passionnant que
difficile. Placés au coeur de notre société,
témoins privilégiés de ses transformations, vous
êtes en prise directe avec ses contradictions, ses conflits, ses
violences. Vous êtes confrontés chaque jour aux problèmes
majeurs de notre époque au premier rang desquels
l'insécurité et le chômage.
C'est pour vous permettre d'assumer les exigences d'un métier
d'exception et d'exercer votre tâche dans les meilleures conditions qu'il
faut adapter et moderniser l'institution judiciaire. Pour cela, il faut, me
semble-t-il, progresser dans quatre directions.
Il faut d'abord revaloriser la place des magistrats dans la cité et
renforcer les moyens de la justice.
Mais au-delà des aspects protocolaires, se pose la question de votre
statut. Il convient de le réformer, comme le Gouvernement a
commencé à le faire, pour accélérer le
déroulement de carrières aujourd'hui trop lentes du fait de la
situation démographique de votre corps.
Lorsque j'ai lancé en janvier 1997 la réforme de la justice,
j'avais demandé que ses moyens soient augmentés dans les cinq
années à venir, compte tenu du faible niveau du budget du
ministère de la Justice par rapport à celui des autres grands
pays européens. Notre appareil judiciaire doit sortir de la
misère et de la vétusté qui ont été trop
longtemps les siennes. Des efforts réels ont été faits par
le Gouvernement, qu'il s'agisse du montant des crédits, des
créations d'emplois, ou du recrutement exceptionnel de magistrats. Ils
doivent être poursuivis.
C'est dans ce contexte que s'inscrit la réforme de la carte judiciaire,
trop longtemps repoussée et aujourd'hui plus que jamais
nécessaire. Il faut que la justice adapte sa présence et ses
moyens aux réalités nouvelles de notre territoire. C'est à
ce prix qu'elle pourra oeuvrer efficacement à la lutte contre les
violences urbaines et l'insécurité.
Il convient, en second lieu, d'adapter votre formation à
l'élargissement de vos missions. Les fonctions qu'un magistrat peut
être appelé à exercer au cours de sa carrière sont
nombreuses et multiformes. Au-delà de la distinction entre siège
et parquet, coexistent en effet, au sein du même corps, des
catégories de magistrats aux activités très
différentes. Quoi de commun, à première vue, entre le juge
des enfants, le magistrat affecté dans des sections financières
ou anti-terroristes, le juge aux affaires familiales ou le juge d'application
des peines ?
Pour remplir au mieux les missions très diverses qui vous sont
confiées, vous devez faire preuve à la fois de qualités
humaines, de bon sens et de larges compétences.
Les qualités humaines restent primordiales. Sens de l'essentiel,
volonté de comprendre, esprit d'ouverture, refus des certitudes,
indépendance, y compris vis-à-vis de l'opinion, autant de traits
de caractère indispensables lorsque l'on travaille directement " la
pâte humaine ", lorsque l'on est amené à prendre des
décisions qui peuvent bouleverser le cours d'une existence,
l'équilibre d'une famille ou le destin d'une entreprise. C'est pourquoi
il est si important que votre Ecole soit le lieu de résonance de tous
les courants d'idées, de toutes les opinions, de tous les
approfondissements de la pensée, sans exclusive.
Dans un univers sans cesse plus complexe, toutes ces qualités
indispensables doivent être étayées par de solides
compétences juridiques mais aussi techniques.
La formation initiale des futurs magistrats doit être aussi
complète que possible, associant théorie et pratique et ouverte
aux évolutions de la société. Je sais que des efforts
importants ont déjà été accomplis dans ce domaine.
Ainsi figurent désormais parmi les cours dispensés à
l'Ecole nationale de la magistrature des enseignements d'économie, de
comptabilité ou de droit européen. Les magistrats du XXIe
siècle devront, en effet, être ouverts sur le monde, au fait des
expériences étrangères, être à même de
suivre les problèmes économiques et sociaux sur le plan
européen et international.
Mais, aussi complète soit-elle, la formation initiale n'est pas tout. Il
faut encore que les magistrats aient la possibilité, tout au long d'une
carrière souvent longue, de perfectionner et de compléter leurs
connaissances.
Aussi est-il indispensable de développer la formation continue des
magistrats. Des progrès sensibles ont été
réalisés au cours des dernières années. Il faut
encore amplifier nos efforts pour permettre à l'ensemble du corps
judiciaire français d'avancer au même rythme que la
société tout entière.
Pour faciliter votre tâche, il faut, en troisième lieu,
procéder à un effort massif de simplification. C'est l'un des
axes majeurs de la réforme que j'ai souhaitée.
La justice doit devenir plus facile d'accès, plus rapide et moins
coûteuse. Pour cela, il faut simplifier nos procédures et
développer les procédures d'urgence chaque fois que c'est
possible. Il faut aussi aider les justiciables à connaître leurs
droits et à s'orienter dans le dédale des juridictions et des
procédures. Il faut enfin, je le répète, développer
la conciliation et la médiation qui peuvent éviter nombre de
procédures contentieuses souvent longues, traumatisantes et
coûteuses. Je souhaite que les réformes en cours permettent
d'améliorer sensiblement la qualité du service rendu aux usagers
du service public de la justice.
Améliorer la qualité de la justice, c'est aussi renforcer les
garanties offertes au justiciable en matière pénale et faire en
sorte, en particulier, que la présomption d'innocence, principe
constitutionnel, soit respectée. J'attache une particulière
importance à l'adoption du projet de loi actuellement en discussion
devant le Parlement, et je suis persuadé que le dialogue entre les deux
assemblées sera fructueux.
Des moyens accrus. Une formation adaptée. Des procédures plus
efficaces et plus rapides. C'est à ce prix que nous pourrons rendre
notre justice plus proche et plus performante. C'est à ce prix que nous
pourrons faciliter votre travail et vous permettre d'exercer votre mission dans
de meilleures conditions.
Mais, en définitive, beaucoup repose sur vous. Figure
emblématique du monde judiciaire, le magistrat se trouve par la force
des choses en première ligne.
Sa responsabilité se place essentiellement sur le terrain
déontologique, professionnel et, dans les cas extrêmes,
disciplinaire.
La responsabilité des juges est en effet le corollaire de leur
indépendance. Elle doit être à la mesure des pouvoirs qui
leur sont dévolus. Il ne saurait y avoir, dans une démocratie,
d'autorité incontrôlée.
L'affirmation de la responsabilité des magistrats, que les textes
actuellement en cours d'examen prévoient de renforcer, n'est pas
dirigée contre eux. Elle est un gage supplémentaire du bon
fonctionnement de notre justice.
Mais c'est avant tout par une modernisation profonde des méthodes de
travail que l'on fera progresser l'esprit de responsabilité.
Il est souhaitable que se généralise dans toutes les juridictions
un suivi de l'activité des magistrats, sur la base d'indicateurs
transparents et fiables, tenant compte, bien sûr, de l'évolution
des moyens mis à votre disposition. Des objectifs doivent être
définis. Des échéances fixées. Comme d'autres
services publics, la justice doit entrer à son tour dans une logique
d'évaluation. Le projet de loi renforçant la protection de la
présomption d'innocence comporte des dispositions de procédure
qui s'inscrivent dans cette logique. Dans ce domaine également, la
justice doit avancer au même rythme que l'ensemble de la
société. La société démocratique est par
excellence une société de responsabilité. Il est normal
que le juge, qui occupe dans le fonctionnement de la démocratie une
fonction éminente, assume pleinement les siennes.
*
* *
Mesdames, Messieurs,
Au cours des siècles passés, les magistrats ont souvent
joué un rôle déterminant dans l'histoire de notre pays.
Ils ont accompagné, et parfois suscité, les évolutions de
la société.
Les magistrats sont au coeur des changements. Rien de ce qui travaille le corps
social ne leur est étranger. Ils sont témoins de ses doutes et de
ses faiblesses. Ils sont arbitres de ses audaces. Ils vivent l'émergence
d'un monde nouveau. Ils aident notre société à trouver ses
marques dans le processus de mondialisation, avec ses risques et ses promesses.
Mesdames et Messieurs les Auditeurs de justice, vous allez assumer une lourde
responsabilité, qui peut sembler parfois écrasante. Mais c'est
aussi une tâche exaltante, porteuse de stabilité et d'harmonie. Le
visage humain de la mondialisation, ce sera bien souvent le vôtre, celui
du juge chargé d'en réguler les effets.
Nos concitoyens croient en leur justice et attendent beaucoup de leurs juges.
Les traditions que vous portez, votre vocation au service du droit, votre
engagement personnel vont à la rencontre des exigences morales de notre
pays. Il vous appartient de mériter jour après jour sa confiance
en rendant une justice indépendante à l'égard de toutes
les influences, ouverte sur les réalités de notre monde, humaine,
bien sûr, mais jamais émotionnelle, jamais emportée ni
vindicative. Une justice dont la fonction régulatrice est en train de
connaître un renouveau profond et nécessaire. Une justice qui doit
s'exercer avec une sérénité qui fait sa force et son
autorité, en se souvenant toujours qu'à la fin, seule la
conscience des juges est garante du droit.
Je vous remercie.