N°
280
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 1999-2000
Annexe au procès-verbal de la séance du 22 mars 2000
RAPPORT
FAIT
au nom de la commission des Affaires étrangères, de la défense et des forces armées (1) sur le projet de loi autorisant la ratification des amendements à la constitution de l' Organisation internationale pour les migrations ,
Par M.
Paul MASSON,
Sénateur.
(1) Cette commission est composée de : MM. Xavier de Villepin, président ; Serge Vinçon, Guy Penne, André Dulait, Charles-Henri de Cossé-Brissac, André Boyer, Mme Danielle Bidard-Reydet, vice-présidents ; MM. Michel Caldaguès, Daniel Goulet, Bertrand Delanoë, Pierre Biarnès, secrétaires ; Bertrand Auban, Jean-Michel Baylet, Jean-Luc Bécart, Jean Bernard, Daniel Bernardet, Didier Borotra, Jean-Guy Branger, Mme Paulette Brisepierre, M. Robert Calmejane, Mme Monique Cerisier-ben Guiga, MM. Marcel Debarge, Robert Del Picchia, Xavier Dugoin, Hubert Durand-Chastel, Mme Josette Durrieu, MM. Claude Estier, Hubert Falco, Jean Faure, Jean-Claude Gaudin, Philippe de Gaulle, Emmanuel Hamel, Roger Husson, Christian de La Malène, Philippe Madrelle, René Marquès, Paul Masson, Serge Mathieu, Pierre Mauroy, Jean-Luc Mélenchon, Mme Lucette Michaux-Chevry, MM. René Monory, Aymeri de Montesquiou, Paul d'Ornano, Michel Pelchat, Xavier Pintat, Bernard Plasait, Jean-Marie Poirier, Jean Puech, Yves Rispat, Gérard Roujas, André Rouvière.
Voir le
numéro
:
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Traités et conventions. |
INTRODUCTION
Mesdames, Messieurs,
L'Organisation internationale pour les migrations (OIM) demeure une institution
encore largement méconnue. Son action au service des
réfugiés, moins visible sans doute que celle du Haut commissariat
pour les réfugiés, s'est pourtant révélée
très précieuse lors des crises dont la Bosnie, le Kosovo, ou
encore le Timor oriental ont été le théâtre dans la
période récente.
Quel est le rôle de l'OIM et quel bilan peut-on dresser de son
activité, au terme de près d'un demi-siècle
d'existence ?
Quelle est la portée des amendements au texte constitutif de l'OIM sur
lesquels notre Haute Assemblée est appelée à se
prononcer ?
Quelle doit être, enfin, la position de notre pays vis-à-vis de
l'OIM ?
Telles sont les trois interrogations que le présent rapport abordera
successivement.
*
* *
I. L'ORGANISATION INTERNATIONALE POUR LES MIGRATIONS : UN CONCOURS UTILE POUR FAVORISER DES MIGRATIONS ORDONNÉES
A. UN RÔLE FAÇONNÉ PAR L'HISTOIRE
1. Rappel historique
L'Organisation internationale pour les migrations a pour
vocation
première de mettre en oeuvre les moyens matériels
nécessaires aux mouvements migratoires liés en particulier aux
situations d'urgence.
Le rôle essentiellement " pratique " qui lui a ainsi
été assigné -et qui la distingue beaucoup d'institutions
internationales- trouve son origine dans les conditions mêmes de la
naissance de cette organisation, au lendemain de la deuxième guerre
mondiale.
En effet, les combats puis, la paix revenue, les redécoupages
territoriaux et les bouleversements politiques ont suscité en Europe un
afflux de réfugiés évalués à quelque 12
millions de personnes. Pour répondre aux besoins de ces populations, les
Alliés s'accordent en décembre 1946 pour créer
l'
Organisation
internationale pour les réfugiés
(OIR), agence spécialisée des Nations unies. Cette institution
n'allait toutefois pas échapper aux fractures de la guerre
froide : les occidentaux récusèrent le principe,
défendu par le bloc socialiste, d'un retour contraint des personnes
déplacées dans leur pays d'origine. Menacée de paralysie
par les dissensions politiques, l'OIR fut dissoute en 1951 et ses
compétences réparties entre le
Haut Commissariat des Nations
unies pour les réfugiés
(HCR), organisation
spécialisée des Nations unies, et le
Comité
intergouvernemental provisoire pour les mouvements migratoires d'Europe
(CIPME) chargé du transport des migrants. Cette organisation fut
délibérément placée hors du système des
Nations unies afin de la préserver de l'antagonisme Est-Ouest et de
garantir ainsi son efficacité.
Depuis lors,
l'Organisation internationale pour les migrations
, qui a
succédé au Comité intergouvernemental pour les migrations
en 1989, est restée une organisation intergouvernementale
indépendante des Nations unies où elle dispose cependant du
statut d'observateur.
Initialement limitées dans la durée et l'espace -l'Europe-, les
responsabilités dont ce comité a été investi, se
sont pérennisées et progressivement étendues
au-delà de l'Europe.
Elles se sont pérennisées car les problèmes migratoires
ont conservé leur acuité dans une Europe divisée. Ainsi,
le Comité provisoire, devenu
Comité intergouvernental pour les
migrations européennes
(CIME), a assumé, dans les
années 1956-1957, la responsabilité de la réinstallation
de 180 000 réfugiés hongrois depuis l'Autriche et la
Yougoslavie. En 1968, le CIME a également organisé
l'émigration de 40 000 réfugiés
tchécoslovaques au départ de l'Autriche.
Dans un deuxième temps, l'expérience acquise par le CIME dans
l'organisation des transferts de population a été utilisée
dans d'autres parties du monde en proie aux conflits et aux guerres civiles.
Ainsi, en 1975, le CIME met en oeuvre des programmes de réinstallation
de personnes déplacées et de réfugiés indochinois.
Parallèlement, un nombre croissant d'Etats non européens
adhèrent à cette organisation. L'organisation réunit ainsi
71 Etats membres et 47 pays observateurs.
Les amendements adoptés le 20 mai 1987 au texte constitutif de
l'organisation ont permis de consacrer cette évolution. Ils se
traduisent notamment par la reconnaissance de la vocation mondiale de
l'institution qui prend désormais le nom d' "
Organisation
internationale pour les migrations
".
2. Les missions actuelles
Aux
termes de la Constitution du 19 octobre 1953, modifiée par les
amendements de 1987 (entrés en vigueur le 14 novembre 1989),
l'organisation s'est vue confier quatre grandes missions :
- assurer le transfert organisé des réfugiés, des
personnes déplacées et d'autres personnes ayant besoin de
services internationaux de migration ;
- fournir, à la demande des Etats, des services de préparation
à la migration (cours de langue, examens médicaux,
activités facilitant l'accueil et l'intégration...) ;
- mettre en place des services similaires pour le retour volontaire des
migrants ;
- offrir aux Etats et aux organisations internationales des forums pour des
échanges de vues et pour la promotion de la coopération sur les
questions de migration internationale.
L'organisation observe vis-à-vis de la migration une
démarche
neutre
: elle ne souhaite ni l'encourager, ni la dissuader. Elle
cherche simplement à promouvoir une
gestion ordonnée de la
migration
.
Au terme d'un demi-siècle d'existence, il est possible de dresser un
bilan positif
de l'action de cette institution. En effet, les
interventions dans les situations d'urgence lui ont donné un
véritable savoir-faire pour l'organisation du
transfert
des
personnes déplacées. En la matière, il faut toutefois
souligner que les compétences de l'OIM
se limitent à la mise
en place de la
logistique
nécessaire. Elles ne touchent en
revanche ni aux secours, ni, de manière plus générale,
à l'appui donné sur place aux populations dont la
responsabilité incombe au Haut Commissariat des Nations unies pour les
réfugiés.
Parmi les opérations les plus remarquables conduites par l'OIM au cours
de la dernière décennie, il convient de citer, en 1990, le
rapatriement en moins de quatre mois et demi, à la demande de l'ONU, de
quelque 165 000 migrants bloqués dans le Golfe persique à la
suite de l'invasion du Koweit par l'Irak ; en 1996, après la
signature des accords de paix de Dayton, la coordination de l'ensemble des
aspects opérationnels du retour volontaire des réfugiés
bosniaques vivant en dehors de l'ex-Yougoslavie.
En 1999, l'OIM aura permis le transport de plus de 430 000 personnes
(417 000 au titre des migrations humanitaires, 13 000 au titre du
transfert des ressources humaines qualifiées). Au cours de la
période récente, l'OIM aura notamment permis le retour de
67 000 Timorais de l'Est et le rapatriement de quelque 85 000
Kosovars, dont 66 450 depuis des pays non-voisins, 5 700 depuis la
Macédoine et 9 000 depuis l'Albanie et le Kosovo.
Au-delà de l'organisation matérielle des déplacements
liés le plus souvent à des circonstances dramatiques, l'expertise
reconnue à l'OIM en matière d'immigration s'est également
exercée dans des
actions de plus long terme
et, en particulier,
dans le retour volontaire des migrants dont les qualifications peuvent se
révéler utiles pour le développement de leur pays
d'origine : programme de retour de main-d'oeuvre qualifiée pour les
professionnels latino-américains ayant acquis une formation et/ou une
expérience professionnelle en Europe (1974), programme de retour de
main-d'oeuvre qualifiée pour les nationaux africains vivant en Europe et
en Amérique du nord (1983). Dans ce cadre, l'OIM sélectionne les
candidats, recherche les possibilités d'emploi et apporte une aide
à la réintégration.
L'OIM constitue également une
enceinte propice au dialogue entre pays
d'origine, pays de transit et pays de destination.
Elle a ainsi
encouragé l'ouverture d'un dialogue régional entre les pays
d'Amérique du nord et ceux d'Amérique centrale dans le cadre du
processus dit " de Puebla " (mars 1996), et soutenu aussi des
initiatives comparables en Asie du sud-est (à la suite de la
déclaration de Bangkok - avril 1999) et en Afrique australe.
Qu'il s'agisse d'opérations de déplacement ou d'actions de plus
long terme, l'OIM agit toujours comme prestataire de services, à la
demande des Etats ou d'organisations internationales. Elle ne développe
pas, en revanche, de son propre chef, de programmes indépendamment de
toute initiative extérieure.
Par ailleurs, si l'OIM peut agir seule, elle coopère également de
plus en plus avec d'autres organisations internationales. Elle a ainsi
signé des accords de coopération avec le HCR ainsi qu'avec le
Programme des Nations unies pour le développement.
B. UNE ORGANISATION AUX MOYENS MODESTES
1. La structure institutionnelle
L'organisation réunit trois structures.
- Le
Conseil
; composé des représentants de tous les
Etats membres (titulaires chacun d'une voix), il constitue l'organe de
décision de l'OIM. Il se réunit en session ordinaire une fois par
an.
- Le
Comité exécutif
1(
*
)
, organe plus restreint, comprend
les représentants de
onze Etats membres
élus pour deux ans
par le Conseil. Il prépare les travaux du Conseil et peut, en cas
d'urgence, prendre les décisions relevant du Conseil et
nécessaires au bon fonctionnement de l'organisation. Deux
sous-comités ont par ailleurs été
créés : le sous-comité du budget et des finances et
le sous-comité pour la coordination des transports.
- L'administration de l'OIM est dirigée par un directeur
général, assisté d'un directeur général
adjoint. Les effectifs de l'OIM comprennent, en 1999, 1 111 personnes
réparties entre le siège de l'organisation situé à
Genève (56 personnes dont 35 personnels d'encadrement) et le
réseau extérieur -13 bureaux régionaux et 65 missions
(soit 1 055 personnes dont 102 personnels d'encadrement). Les effectifs
devraient baisser en 2000 (1 048 personnes dont 60 au siège).
2. Le budget
Le
budget
de l'OIM comprend deux parties :
- la
partie administrative
dont le financement repose sur les
contributions obligatoires
versées par tous les Etats membres.
Ces derniers se sont accordés pour plafonner, pour une durée de 5
ans, au niveau atteint en 1996, le montant des dépenses -soit 34
millions de francs suisses (29,7 millions de francs suisses en 1994) :
- la
partie opérationnelle
, principalement financée par
des
contributions volontaires
(prévisions 2000 : 200
millions de dollars -210 millions de dollars en 1997, 221 millions de dollars
en 1998, 202 millions de dollars en 1999). Deux Etats seulement apportent
d'importantes contributions à l'OIM : les Etats-Unis
(prévisions 2000 : 53 millions de dollars), l'Allemagne
(prévisions 2000 : 32 millions de dollars).
Ces contributions correspondent, pour une large part, aux services
apportés par l'OIM aux Etats membres. Les variations du budget de la
partie opérationnelle, parfois importantes d'une année sur
l'autre, s'expliquent naturellement par le caractère même des
opérations conduites par cette organisation, soumise aux aléas de
l'actualité. Le recrutement de vacataires permet, le cas
échéant, à l'OIM d'ajuster l'offre des services aux
besoins manifestés par les Etats membres.
De l'avis des responsables de l'OIM, les ressources dont dispose cette
organisation au titre de la partie administrative du budget demeurent
insuffisantes. Ainsi certains responsables permanents de l'OIM doivent
être rémunérés sur le budget opérationnel
dont ce n'est pourtant pas la vocation. Le directeur général de
l'OIM demandera d'ailleurs en 2000 que les Etats membres acceptent de revenir
sur le gel du budget administratif décidé en 1996.