3. Peut-on parler d'un ralentissement du phénomène ?
Le ministère des finances se veut rassurant : l'exode des patrimoines est un phénomène marginal, qui ne concerne qu'un tout petit nombre de personnes, dont les décisions sont sans effets sur l'activité et la croissance économiques françaises et qui ne marque aucune tendance à l'accélération.
La mission ne peut que s'opposer à une approche partielle et à courte vue de la question.
les données officielles pour 1999 : un phénomène présenté comme stabilisé
Lors de son audition par la mission, le secrétaire d'État au budget, Mme Florence Parly, a présenté l'étude actualisée de la DGI sur la délocalisation des contribuables personnes physiques mentionnée en annexe IV.
Elle a indiqué que le flux des départs des personnes assujetties à l'impôt sur le revenu, qui atteignait 24.000 personnes en 1998, s'établissait à 24.500 personnes en 1999. Elle a conclu à une relative stabilité du phénomène.
Elle a constaté que le revenu moyen des 1 % les plus riches des contribuables expatriés en 1999 (3,6 millions de francs), était légèrement inférieur à celui de la même fraction des contribuables expatriés en 1998 (4 millions de francs).
S'agissant des contribuables soumis à l'ISF et ayant quitté le territoire, elle a déclaré qu'en 1999, 310 contribuables seraient partis, soit quelques dizaines de moins que les deux années précédentes. Elle a observé que leur patrimoine moyen (30 millions de francs) était inférieur de 20 % à celui des contribuables partis les années précédentes.
l'interprétation moins rassurante de la mission : malgré la reprise économique, l'hémorragie pourrait bien continuer
Les chiffres officiels pour 1999 peuvent aussi être, selon la mission, analysés de manière plus négative .
Ainsi, le fait que les revenus moyens des 1 % les plus riches contribuables redevables de l'impôt sur le revenu ayant quitté le territoire en 1999 soient inférieurs à ceux de la même fraction des contribuables expatriés en 1998, laisse penser que les « plus riches » sont déjà partis , et que, petit à petit, d'autres catégories de contribuables s'expatrient, dont le revenu est peut-être moins élevé.
Cette analyse est transposable aux contribuables soumis à l'ISF qui cessent d'être résidents, avec cette observation supplémentaire que la baisse du niveau moyen des patrimoines peut s'interpréter comme le signe qu'aujourd'hui, un nombre croissant de contribuables fortunés a intérêt - ou envie - de s'expatrier à partir de seuils de revenus de moins en moins importants. Ainsi, M. Jacques Verva a souligné que le phénomène faisait actuellement tache d'huile et que l'on voyait à présent s'expatrier des fortunes moyennes -de l'ordre de 30 millions de francs- ce qui constituait une nouveauté.
Certes, une appréhension plus fine du phénomène pourrait d'abord venir d'une exploitation des données faisant apparaître, par exemple, dans les délocalisations de patrimoines, la proportion de contribuables bénéficiant du plafonnement ou soumis au plafonnement du plafonnement ; elle pourrait aussi s'attacher à prendre en compte des flux de retour, sur l'importance desquels on ne dispose d'aucune information.
Mais, on devrait toujours se heurter au problème de la prise en compte des délocalisations de patrimoines exonérés, dans la mesure où un suivi des faits générateurs - vente d'entreprises ou successions d'une valeur supérieure à certains seuils - paraît effectivement difficile à organiser sans courir le risque d'encourager l'inquisition fiscale.
En définitive, on ne peut afficher en face d'une telle situation la sérénité du Gouvernement, même s'il est vrai qu'on ne dispose d'aucun élément statistique global pour infirmer les chiffres avancés par la direction générale des impôts.
D'abord, à court terme, parce qu'on oublie que les chiffres fournis sont des flux, et qu'ils doivent donc s'additionner , année après année, étant entendu que les flux de retour actuellement non quantifiés, n'ont guère de chances d'affecter sensiblement le résultat net : une dizaine d'années à 50 milliards de francs, cela représente une diminution cumulée de base taxable de l'ordre de 500 milliards , soit un niveau assez proche de la fortune des dix plus « riches » familles ou personnalités françaises, telle qu'elle a été estimée par le magazine « Capital » déjà cité.
Sur le plan des pertes de recettes budgétaires , même en tenant compte du fait que ces patrimoines sont largement exonérés, on remarque à titre indicatif, qu'avec un taux de 0,5% sur l'ensemble des actifs, y compris les actifs professionnels, cela aboutirait à une diminution du produit de l'impôt de l'ordre de 2 à 3 milliards de francs par an. A ces chiffres, il faudrait ajouter les pertes directes de recettes en matière d'impôt sur le revenu, indépendamment de celles résultant des effets induits par ces départs sur certains secteurs d'activités.
Ensuite à long terme, il n'est pas possible de soutenir, comme l'a fait notamment M. Jean-Paul Fitoussi, que l'expatriation d'un chef d'entreprise qui vend sa société, a des conséquences limitées, dans la mesure où cette entreprise restait en France et continue à participer au développement économique du pays.
Il n'est pas indifférent - et l'actualité en est à certains égard une illustration - que le capital d'une entreprise soit détenu par un Français ou un fonds de pension étranger, qui tout naturellement effectuera ses arbitrages de localisations en fonction de critères comptables de stricte rentabilité économique, sans marquer de préférence pour la préservation ou le développement du pôle français de l'entreprise.