CHAPITRE III -

L'AMÉNAGEMENT DU TERRITOIRE

Parmi les trois objectifs de la loi de 1996, l'aménagement du territoire était, à côté de l'ouverture à la concurrence et du renforcement du service public, l'une des toutes premières priorités du législateur et, conformément à ses traditions, du Sénat. Après cinq ans de mise en oeuvre, le bilan du Gouvernement en la matière, au-delà des diverses annonces et opérations de communication dont il s'est révélé friand, est relativement décevant, au regard des lignes d'action tracées en 1996.

A. UNE GRANDE AMBITION DE LA LOI DE 1996, QUI RESTE D'ACTUALITÉ

1. Une préoccupation ancienne

Au début des années 1990, le développement d'abord des télécommunications puis des « nouvelles technologies » au sens large est apparu comme une chance pour l'aménagement du territoire. Le Sénat a très vite vu le parti qui pouvait en être tiré, pour les territoires enclavés notamment, avec l'appui d'une politique volontaire.

a) Les conclusions de la mission d'information du Sénat sur l'aménagement du territoire en 1994

Ainsi, la mission d'information sur l'aménagement du territoire, constituée au Sénat en 1992, avait, comme en témoignent les développements qu'elle y a consacré dans son rapport d'information 104 ( * ) , remis en avril 1994, déjà saisi l'enjeu que représente l'avènement de la société de l'information pour l'aménagement du territoire. Rappelons qu'à cette date, si on commençait à parler des « autoroutes de l'information », bien peu savaient ce qu'était Internet. La mission considérait ainsi que les télécommunications seraient appelées à jouer un rôle structurant, aussi important, dans l'avenir, pour le développement des territoires que celui des infrastructures de transport aux XIXe et XXe siècles.

b) Les débats de la loi n° 95-115 du 4 février 1995 d'orientation sur l'aménagement du territoire

C'est d'ailleurs le Sénat qui avait introduit, le 3 novembre 1994, à l'initiative de sa commission spéciale 105 ( * ) , un article additionnel au projet de loi sur l'aménagement du territoire, devenu l'article 20 de la loi « Pasqua-Hoeffel » du 4 février 1995, fixant le cadre de l'élaboration d'un schéma des télécommunications pour équiper le territoire national.

La commission spéciale avait estimé  que « les télécommunications joueront, dans les économies post-industrielles du XXIe siècle, le rôle que les chemins de fer ont joué dans le développement industriel du XIXe siècle.

« Or, les analyses menées actuellement dans le domaine des télécommunications tendent à démontrer que les réseaux à haut débit -dits aussi « autoroutes de l'information »- constituent un enjeu fondamental , tant au niveau économique qu'au niveau de l'aménagement du territoire. Si demain, dans l'espace rural, l'information circule sur des « chemins vicinaux » et non sur des « autoroutes », les problèmes auxquels sont confrontés ces territoires ne seront pas résolus ».

C'est ainsi que, dans le prolongement du rapport remis au Premier ministre par M. Gérard Théry sur les autoroutes de l'information, le dispositif proposé par la Haute Assemblée se fondait sur l'objectif ambitieux qu'à l'horizon 2015, les autoroutes de l'information soient accessibles à l'ensemble de la population.

Le dispositif était également inspiré par la conviction que, pour relever un tel défi, la France devait affirmer les valeurs de service public , dans le contexte réglementaire de l'époque d'un monopole des télécommunications.

Aussi, l'article 7 terdecies issu des travaux du Sénat en première lecture, précisait-il quelques règles de méthode. Il était prévu que le schéma déterminerait les politiques industrielles et de recherche qui devraient être engagées et qu'il évaluerait les investissements nécessaires . Cet article indiquait aussi que l'Etat pouvait favoriser la promotion de services utilisant les réseaux à haut débit au moyen, notamment, d'expérimentations. Ce texte avait été complété, lors des débats, par un amendement qui affirmait le principe d'un accès prioritaire des établissements et organismes éducatifs, culturels ou de formation aux autoroutes de l'information.

Le principe d'un tel schéma fut d'ailleurs finalement retenu dans le texte définitif promulgué en février 1995.

c) Les orientations du rapport d'information « L'avenir de France Télécom : un défi national »

Le rapport d'information sur l'avenir de France Télécom présenté au nom de la Commission des Affaires économiques, en mars 1996, par notre collègue Gérard Larcher, insistait sur la nécessité de prendre en compte la dimension territoriale dans la réglementation des télécommunications. Il affirmait notamment que « Demain, la maîtrise des « moyens d'abolir la distance » sera une condition essentielle du développement des zones aujourd'hui enclavées du territoire , celles qui sont exposées au risque « d'exclusion spatiale » [...] A partir du moment où les télécommunications tendent à s'affirmer comme l'un des modes dominants de communication entre les êtres humains, il faudra veiller à ce qu'elles ne deviennent pas un facteur supplémentaire d'exclusion sociale mais, bien au contraire, qu'elles servent d'instrument de lutte contre cette forme d'exclusion » 106 ( * )

Et, évoquant ce qui aurait à être les orientations d'une loi de réglementation, il concluait sur ce point : « La loi doit également exprimer nettement les priorités du service universel en matière sociale et d'aménagement du territoire .

« Il doit pour ce faire y être rappelé que les prestations afférentes auront à bénéficier de tarifs en assurant l'accès à tous, notamment aux handicapés et aux personnes démunies, dans des conditions identiques sur tout le territoire. Doit également y être fixé le cadre des procédures permettant d'en contrôler la qualité.

Enfin, la loi devra rappeler solennellement le caractère fondamental de la péréquation géographique des tarifs » 107 ( * )

d) Une volonté confirmée lors de la discussion de la loi du 26 juillet 1996 de réglementation des télécommunications.

Le Sénat, fidèle à son souci constant de garantir un développement harmonieux du territoire, a veillé, lors de l'examen de la loi précitée de réglementation des télécommunications, à ce que l'ouverture à la concurrence de ce secteur ne soit pas l'occasion d'ouvrir une brèche dans l'indispensable exigence d'aménagement du territoire. C'est, au contraire, à son renforcement qu'avait oeuvré la Commission des Affaires économiques.

C'est ainsi qu'elle s'était félicitée 108 ( * ) de certaines dispositions du texte présenté par le Gouvernement, au rang desquelles la confirmation et l'organisation du financement mutualisé de la péréquation géographique des tarifs, assurant une tarification égale de l'abonnement et des communications en tout point du territoire, malgré une forte disparité des coûts de revient.

Mais le Sénat avait souhaité aller plus loin. Déjà, alors que le nombre des abonnés au téléphone mobile était trente-sept fois moins important qu'aujourd'hui, germait la crainte que certains territoires n'aient pas accès à cette technologie. Ainsi, si le principe d'une exemption partielle du financement du service universel pour les opérateurs de téléphonie mobile, instaurée par l'Assemblée nationale, avait été retenu par le Sénat, afin de les encourager à déployer plus rapidement leurs offres, il avait toutefois été subordonné, à l'initiative de votre commission des affaires économiques, à un engagement de leur part d'accroître réellement leur zone de couverture .

Surtout, le Sénat avait introduit deux dispositions nouvelles pour promouvoir l'aménagement du territoire :

- l'une imposant que, dans les zones de revitalisation rurale et de redynamisation urbaine, le schéma national des télécommunications prévu par la loi du 4 février 1995 détermine les conditions d'accès à des tarifs préférentiels des collèges, lycées et universités aux services de télécommunications les plus avancés (cf. ci-dessous) ;

- l'autre demandant, après un bref délai de mise en oeuvre de la loi (au plus quatre ans après la publication de la loi), un rapport au Gouvernement sur la couverture du territoire -et non seulement de la population- par les réseaux de téléphonie mobile et, surtout, détaillant les moyens nécessaires à la couverture des zones peu peuplées qui ne le seraient toujours pas.

En matière de téléphonie mobile, le texte adopté à l'initiative du Sénat entendait « assurer, à un terme rapproché, la couverture des zones faiblement peuplées du territoire ainsi que des routes nationales et d'autres axes routiers principaux ». Dès 1996, la loi a même établi une méthodologie pour assurer ce complément de couverture , dont la première étape serait un diagnostic du Gouvernement, au moyen du rapport précité, précisant les moyens nécessaires pour atteindre l'objectif d'une meilleure couverture, « notamment au moyen d'un investissement commun des différents opérateurs ».

2. Un acquis essentiel : la péréquation géographique des tarifs

La loi du 26 juillet 1996 a préservé un acquis essentiel, issu de la politique sociale et d'aménagement du territoire menée du temps du monopole : celle de la péréquation géographique des tarifs .

Bien qu'occasionnant des coûts très différents, un abonné situé en zone de montagne dans un département peu dense et un abonné localisé au coeur d'un quartier d'affaires parisien paient exactement le même prix pour leur raccordement au téléphonie fixe, leur abonnement et leurs communications -en fonction, évidemment, de la durée et de la distance de celles-ci-. Les abonnés des zones les plus rentables subventionnent ainsi ceux des zones moins denses, dans une optique d'aménagement du territoire. C'est le principe de la péréquation géographique.

Non seulement la loi du 26 juillet 1996 a préservé ce mécanisme, mais elle l'a en outre consolidé, en l'inscrivant expressément dans le droit et en assurant son financement par l'ensemble des opérateurs de télécommunications, au moyen du fonds de service universel.

Le scénario de l'appauvrissement du service universel, où les concurrents auraient pu se contenter des marchés les plus juteux, et laisser les coûts du raccordement des fermes isolées à France Télécom, a ainsi été définitivement écarté.

C'est un acquis essentiel, qu'il ne faut pas sous estimer, et qui remplit tant les exigences d'égalité et d'universalité du service public que celles de l'aménagement du territoire.

N'oublions pas que cette exigence a un coût, supporté par l'ensemble des opérateurs. L'ART a progressivement affiné sa méthode de calcul, et prend désormais en compte non seulement le coût des abonnés localisés dans les zones non rentables, mais également celui des abonnés non rentables localisés dans les zones rentables. Le principe est d'évaluer la différence entre la situation (fictive) où France Télécom ne supporterait pas d'obligations de service universel et agirait selon une logique purement commerciale et celle où il remplit ces obligations, qui génèrent des coûts (dessertes des zones auxquelles il ne se serait pas intéressé dans une logique purement commerciale), mais aussi des recettes. Pour effectuer ce calcul complexe, l'ART utilise un modèle économique. Il en ressort que la péréquation géographique est, depuis l'origine, la principale composante du coût net du service universel.

Elle a représenté, en 1997, 417 millions d'euros, soit 54 % du coût définitif du service universel, 329 millions d'euros en 1998 (50 % du total) et 176 millions d'euros en 1999, soit 70 % du total (à raison de 115 millions d'euros pour les zones non rentables et 61 millions pour les abonnés non rentables des zones rentables). Pour 2000 et 2001, les évaluations prévisionnelles de l'ART font ressortir ce coût net à respectivement 220 et 229 millions d'euros.

D'ailleurs, c'est bien parce que ce coût est significatif et que la péréquation géographique est, en France, une réalité, que ce sujet oppose France Télécom -qui juge la compensation financière insuffisante- et ses concurrents -financeurs partiels- qui la jugent excessive.

Ainsi, l'AFORS Télécom, association regroupant des opérateurs privés, considère que l'évaluation de la péréquation géographique doit être reconsidérée. En particulier, ces opérateurs estiment que les bénéfices retirés par France Télécom des lignes dont le coût est inférieur à la recette d'abonnement ne viennent pas compenser le déficit lié aux lignes dont le coût est supérieur à la recette d'abonnement et jugent choquant de constater que ces bénéfices ne sont pas soustraits du coût net du service universel. « La situation est donc la suivante » indique l'AFORST : « Quand le solde des recettes et des coûts est négatif, celui-ci est pris en charge par la collectivité des opérateurs et quant ce solde est positif, il est tout simplement sortit du périmètre du service universel ».

L'AFORST demande également la prise en compte dans le calcul des recettes de l'opérateur historique liées à la liste rouge, aux lignes RNIS et juge nécessaire la réévaluation éventuelle du prix de l'abonnement téléphonique, si l'équilibre n'est toujours pas atteint, pour financer la composante géographique du service universel. Cette association juge qu'une partie importante du financement du coût net du service universel des zones non rentables est déjà financée par les charges d'interconnexion payées par les opérateurs à France Télécom.

France Télécom n'est pas de cet avis et juge de son côté que la compensation qui lui est octroyée est insuffisante.

Au-delà de ce débat sur le mode de calcul, qu'il est du ressort de l'ART de trancher, ces positions montrent bien que la péréquation géographique des tarifs est restée en France une réalité, qui n'a absolument pas été mise à mal par l'instauration de la concurrence.

Ce point méritait d'être souligné.

3. Un souci réitéré et renouvelé

a) Des inégalités territoriales persistantes

Le développement des nouveaux services de télécommunications, conceptuellement porteur d'une égalité des chances des territoires devant le développement économique, par une abolition des distances, n'a, dans les faits, pas permis de gommer les inégalités territoriales, faute, peut-être, d'une volonté politique d'influer sur les seules dynamiques de marché pour la diffusion territoriale de ces services.

Cet état de fait est trop largement admis pour qu'il fasse l'objet de longs développement ici. Citons toutefois l'intéressant rapport du Conseil économique et social consacré à cette question : « Haut débit, mobile : quelle desserte des territoires ? » 109 ( * ) , ainsi que l'analyse du « Club Sénat.fr » sur la fracture numérique 110 ( * ) .

Globalement, on peut estimer que la qualité et l'accessibilité aux nouveaux réseaux de communication (fixes et mobiles) est perçue comme cruciale par les acteurs de terrain. Elle est devenue une composante de la compétitivité des différents territoires .

L'accès à l'information et la possibilité d'échanges dématérialisés jouent, en effet, un rôle de plus en plus grand pour l'implantation d'entreprises et d'activités économiques. La position stratégique d'un territoire réside désormais dans sa capacité à concentrer et à développer des services à forte valeur ajoutée, dont l'immatériel est devenu la force motrice. Condition nécessaire, mais bien sûr pas suffisante, du développement économique, la desserte des infrastructures de télécommunications de qualité est devenue une nécessité .

A tel point que le déficit en équipements jugés satisfaisants par les entreprises et pour les acteurs locaux peut être ressenti comme un handicap dans certaines zones. Au lieu de jouer en faveur de l'aménagement du territoire, avec la diffusion de technologies abolissant l'éloignement géographique, conception qui prévalait au début des années 1990, tout se passe comme si l'inégal déploiement territorial de ces techniques était, au contraire, venu amplifier les inégalités existantes, ajoutant un « fossé numérique » aux autres discriminations (en ressources fiscales, en équipements divers, en activité économique...).

Dans son rapport précité, le Conseil économique et social estime : « il est impératif d'éviter la création d'un territoire à deux vitesses par une sorte « d'enclavement dématérialisé » qui viendrait aggraver l'enclavement physique : d'un côté une France équipée en fibres optiques, en ADSL, en BLR, en téléphonie mobile, de l'autre une France avec des réseaux rares, chers et de moindre confort . Ainsi se pose la question du développement équilibré du territoire, celle du maintien, de la création, du développement d'activités ou de leur disparition selon les territoires, donc de l'égalité de traitement entre toutes les populations ».

Les départements, consultés par votre rapporteur, partagent largement cette inquiétude.

POSITION DE L'ASSOCIATION DES DÉPARTEMENTS DE FRANCE
SUR LA FRACTURE NUMÉRIQUE

Les départements sont inquiets de voir se dessiner une « fracture numérique ». A côté d'une France nantie en câble, ADSL, fibres optiques... se dessine une France où les télécommunications sont rares, chères (les lignes louées notamment) et peu performantes (débits insuffisants). L'accessibilité au moindre coût des services de télécommunications du marché en tout point du territoire doit constituer une priorité.

L'arrivée de nouvelles générations de technologies telles que la boucle locale radio ou l'UMTS ne lève pas les doutes des départements sur la desserte effective de leurs territoires. Les difficultés de déploiement des réseaux BLR et les conditions d'attribution des licences UMTS ne sont pas là pour les rassurer.

Les mesures adoptées lors du CIADT du 9 juillet 2001 111 ( * ) ont suscité l'intérêt des conseils généraux, déjà fortement impliqués dans la lutte contre la fracture numérique, au travers d'actions en faveur du développement des infrastructures et des usages. Néanmoins, les départements constatent que la concurrence s'est développée de manière globale sur les zones les plus rentables, laissant de côté des territoires très vastes mais « peu rentables ». Ceci est d'autant plus regrettable que c'est justement ces territoires là qui devront réaliser les investissements les plus lourds afin de pouvoir accompagner l'arrivée d'opérateurs alternatifs.

De plus, les infrastructures de télécommunications et l'existence d'une concurrence dans les services de télécommunications constituent un outil de maintien et de développement du tissu économique local.

Source : Réponse de l'ADF au questionnaire de votre rapporteur .

Au fond, deux priorités doivent guider l'action de l'Etat :

- l'équité sociale dans l'accès aux technologies de l'information, appelée également lutte contre « la fracture numérique sociale », qui se décompose elle-même en une lutte contre les inégalités de diffusion d'Internet liées aux inégalités de revenus , phénomène qui ne réserverait qu'à la partie la plus favorisée de la population l'accès à ces technologies, et une lutte contre le fossé générationnel , résultant de la difficulté d'appropriation de ces usages par les personnes les plus avancées en âge ;

- l'équité territoriale, ou lutte contre la « frac t ure numérique territoriale », qui exclurait les zones les moins denses de l'accès aux technologies de communication, parce qu'elles ne présenteraient pas toujours, en l'absence de politique volontariste, de perspective de rentabilité des investissements nécessaires à l'accès à ces technologies.

b) Des modes d'action à renouveler

L'aménagement du territoire doit donc redevenir une priorité de la politique française pour le secteur des télécommunications. Cela n'exclut pas que, par rapport aux moyens envisagés dans la première moitié des années 1990, les modes d'action de l'Etat doivent être renouvelés.

Ainsi, par exemple, votre rapporteur est de ceux qui estiment que la « planification centralisée », sur le modèle du « Plan câble », n'est ni possible ni souhaitable. Le contexte général du secteur de la communication et de l'information a profondément évolué ces cinq dernières années. Plusieurs éléments majeurs rendent désormais impossible -voire contre-productive- une planification centralisée, par l'Etat, des équipements et des usages. Il s'agit non seulement de l'ouverture totale à la concurrence du secteur, qui laisse les opérateurs maîtres de leurs stratégies industrielles, dans le cadre fixé par la puissance publique, mais aussi de l'arrivée rapide de technologies diverses, qui multiplient les modes de raccordement possibles et incitent désormais à raisonner davantage en termes d'usages finals pour les citoyens et de services rendus aux consommateurs qu'en termes d'équipements ou d'infrastructures, une « palette » de technologies étant disponible pour chaque usage. Un investissement public massif en faveur de telle ou telle technologie peut, en effet, dans ce contexte, très vite se révéler particulièrement hasardeux .

Si le rapport de Gérard Théry concluait, en 1994, à la nécessité de raccorder l'ensemble de la population en fibres optiques, un tel objectif a été abandonné depuis dans tous les pays européens. Ce qui n'exclut pas que des politiques parfois ambitieuses aient pu être menées, en s'appuyant, pour les compléter, sur les logiques de marché, en évitant le plus possible les effets « d'éviction » par rapport aux acteurs du secteur.

L'EXEMPLE SUEDOIS

Ainsi, par exemple, en Suède, les quatre licences UMTS ont été attribuées à très faible coût, contre des engagements élevés de couverture , comme en Finlande. Les opérateurs sélectionnés le 16 décembre 2000 ont payé chacun 100.000 couronnes (11.000 € soit 75.000 francs environ) de frais administratifs et reverseront à l'Etat 0,15 % de leur chiffre d'affaires réalisé durant les quinze ans de la licence .

Les dossiers de candidature ont été sélectionnés par le régulateur suédois, le Post-och telestyrelsen (PTS), en fonction notamment d'engagements de couverture géographique, qui comportent trois périodes : pour chacune d'elles sont évaluées combien de personnes auront accès au service dans les zones concernées, quelles sont ces zones et dans quelle mesure une zone est couverte (au 31 décembre 2003, au 31 décembre 2006 et au 31 décembre 2009).

Quatre entreprises et consortiums, sur les dix candidats, se sont vus attribuer les licences -dont trois à capitaux étrangers- pour les nouveaux réseaux suédois UMTS. Les quatre opérateurs sélectionnés garantissent la desserte de 99,98 % de la population dès la fin de 2003 . La Suède va ainsi se doter d'un des meilleurs maillages UMTS d'Europe, où même les populations les plus isolées auront accès aux techniques nouvelles .

La candidature de Telia, opérateur historique suédois, ancien monopole public, n'a, dans un premier temps, pas été retenue car le plan de couverture proposé par Telia dans les régions isolées était en-deçà des critères de sélection du régulateur suédois. Précisons que Telia a ensuite trouvé un accord avec Télé 2 pour pouvoir participer à l'exploitation de l'UMTS.

Pour accompagner la mise en place du haut débit , le ministère suédois de l'industrie, de l'emploi et des communications a décidé la construction d'un réseau à large bande , en complément des investissements privés . L'argent public mobilisé (Etat, régions, municipalité), est uniquement destiné aux 30 % du territoire les moins denses .

L'objectif du Gouvernement suédois est de ne pas figer la situation et de permettre toues les évolutions ultérieures. C'est pourquoi il a choisi de construire un réseau totalement nouveau pouvant s'adapter à toutes technologies futures et de garder des câbles « ouverts » pour faciliter l'exercice de la concurrence et l'accès de nouveaux opérateurs.

Ainsi, par exemple, lors de la révision à la baisse, en France, du prix des licences UMTS, votre rapporteur avait proposé au Sénat, qui l'avait adopté dans le projet de loi de finances pour 2002, un mécanisme incitatif pour la couverture du territoire en réseaux UMTS . Il s'agissait de rendre dégressive, en fonction du territoire couvert, la taxe prélevée sur le chiffre d'affaires UMTS, ce qui aurait encouragé l'investissement des opérateurs dans le déploiement de leur réseau. Cette initiative n'a malheureusement pas été retenue par le Gouvernement et l'Assemblée nationale, le Secrétaire d'Etat à l'industrie jugeant, d'après une interview au Journal Les Echos , « prématurée » une telle initiative.

Votre rapporteur redoute que ce manque de vision prospective ne se paie, d'ici quelques années, de larges « zones d'ombre » dans la couverture UMTS, à l'instar de la situation actuelle en téléphonie mobile GSM. Et ce d'autant plus que les réseaux UMTS, compte tenu de leurs caractéristiques techniques, nécessiteront deux fois plus de pylônes que les réseaux GSM.

Entre la planification centralisée, obsolète, et le jeu, insuffisant, des forces du marché, l'Etat doit donc trouver les moyens d'impulser une politique renouvelée d'aménagement numérique du territoire.

Pour l'heure, sa doctrine en la matière est rassemblée dans un « projet de schéma de services de l'information et de la communication » 112 ( * ) , pris en application de l'article 16 de la loi d'aménagement et de développement durable du territoire 113 ( * ) , projet qui, outre une longue partie descriptive, fixe à l'Etat des « objectifs » de court et moyen termes. Ce projet de schéma, qui est tout sauf un document de programmation, puisqu'il ne contient aucun chiffrage et ne définit aucune méthode opératoire, a fait l'objet d'un commentaire tout à fait perspicace par notre collègue Claude Belot au nom de la délégation du Sénat à l'aménagement du territoire 114 ( * ) qui, après de larges consultations, a mis en lumière ses contradictions et ses insuffisances. De même, le rapport déjà cité du Conseil économique et social estime que, dans ce document d'ordre plus réglementaire que prospectif, ou « l'Etat se parle à lui-même », les chiffrages font défaut, le tout s'assimilant à « un catalogue de bonnes intentions plus qu'un véritable schéma directeur ».

Ce programme a été complété par des « décisions » annoncées lors du récent Comité interministériel d'aménagement du territoire (CIADT) du 9 juillet dernier, à Limoges.

Au-delà des documents officiels, communiqués de presse et déclarations ministérielles, force est de constater que les principales actions en matière d'aménagement du territoire relèvent, de façon croissante, de financements externes à l'Etat, qu'il s'agisse des opérateurs de télécommunications ou des collectivités locales, suppléant, parfois avec sa bénédiction, l'inaction de l'Etat.

* 104 Rapport n° 343, Sénat 1993-1994, Président Jean François-Poncet, rapporteurs : Jean Huchon, Roland du Luart, Louis Perrein et Gérard Larcher.

* 105 Voir le rapport n° 35 au nom de la commission spéciale chargée d'examiner le projet de loi d'orientation pour l'aménagement et le développement du territoire, Sénat 1994-1995.

* 106 Rapport d'information n° 260 (1995-1996), page 31.

* 107 Idem, page 97.

* 108 Voir le rapport n° 389 de M. Gérard Larcher sur le projet de loi de réglementation des télécommunications au nom de la Commission des Affaires économiques. Sénat 1995-1996.

* 109 Juin 2001, rapporteur M. André Marcon au nom de la section des économies régionales et de l'aménagement du territoire.

* 110 Disponible sur www.senat.fr

* 111 Voir ci-après chapitre III, B, 1, b.

* 112 Disponible sur le site de la DATAR www.datar.gouv.fr.

* 113 Loi du 25 juin 1999.

* 114 Rapport n° 395, Sénat 2001 « Avis sur les projets de schéma de services collectifs », disponible sur www.senat.fr.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page