QUESTIONS D'ACTUALITÉ
INTERNATIONALE :
LES VUES AMÉRICAINES SUR LE
PROCHE-ORIENT
ET LA LUTTE CONTRE LE TERRORISME
Le séjour de la délégation intervenait à moins de six mois des élections parlementaires de mi-mandat qui verront, au mois de novembre 2002, le renouvellement d'un tiers du Sénat et de l'intégralité de la Chambre des Représentants. Depuis la défection du sénateur républicain du Vermont James Jeffords, désormais inscrit comme indépendant, les Démocrates disposent d'un siège d'avance au Sénat (50 sièges contre 49 aux Républicains). A la Chambre des Représentants, les Républicains bénéficient en revanche d'une courte majorité (221 sièges sur 435).
C'est dire que les élections de novembre seront très disputées. Le consensus bi-partisan consécutif aux attaques du 11 septembre 2001 tend naturellement à s'estomper et n'aura constitué qu'une parenthèse dans le cours de la vie politique américaine. De même, les enjeux de la politique intérieure pèsent de nouveau plus fortement sur les débats de politique étrangère . Ces derniers se concentrent sur la situation au Proche-Orient et sur la guerre contre le terrorisme.
Le déplacement de la délégation coïncidait avec l'une des récentes visites à Washington du Premier ministre israélien Ariel Sharon, venu remettre au Président Bush un rapport rassemblant des éléments destinés à démontrer l'implication de Yasser Arafat et de l'Autorité palestinienne dans les actions terroristes. L' attitude de la diplomatie américaine à l'égard du conflit israélo-palestinien a donc figuré au centre de plusieurs entretiens de la délégation, notamment au Département d'Etat et au Congrès.
Par ailleurs, tous les esprits des interlocuteurs de la délégation restaient dominés par la lutte contre le terrorisme , la campagne contre Al Quaïda et l'éventualité d'étapes ultérieures, en premier lieu contre l'Irak. Ceci a permis de mesurer combien, dans le droit fil du discours sur l'état de l'Union prononcé par le Président Bush le 29 janvier dernier, les Etats-Unis se considèrent aujourd'hui en état de guerre , une guerre globale, qui ne se réduit pas à un théâtre bien circonscrit, ni à un ennemi bien identifié, et à laquelle aucun terme ne peut être assigné.
Sans prétendre analyser ici l'ensemble des implications de ces deux dossiers internationaux, il paraît utile d'évoquer les principaux points qui ont été abordés lors des entretiens de la délégation et les impressions qu'elle en a recueilli.
I. LA QUESTION DU PROCHE-ORIENT : UN ÉCHO LARGEMENT FAVORABLE POUR LA POLITIQUE DU GOUVERNEMENT ISRAÉLIEN
Durant les premiers mois qui ont suivi son installation, l'actuelle administration a semblé rester très en retrait sur le dossier du Proche-Orient. La dégradation de la situation sur le terrain et l'évolution du contexte international après le 11 septembre 2001 l'ont conduit à réviser son attitude. La ligne suivie par le Président Bush a mis quelques temps à s'affirmer, compte tenu notamment de certaines divergences au sein de l'administration.
Au delà des positions exprimées par les responsables américains, la délégation a été frappée par le poids grandissant, dans la classe politique et dans l'opinion publique, des soutiens à la politique du gouvernement israélien. Il pourrait s'agir là d'une tendance de fond susceptible d'influencer durablement la politique des Etats-Unis au Proche-Orient.
La délégation a également pu constater que cette évolution provoquait une incompréhension supplémentaire entre les deux rives de l'Atlantique, aggravée par une polémique persistante sur une supposée montée de l'antisémitisme en France.
A. LES OSCILLATIONS DE LA POLITIQUE AMÉRICAINE AU PROCHE-ORIENT DEPUIS L'ENTRÉE EN FONCTION DU PRÉSIDENT BUSH
1. Une administration aux prises avec des influences contradictoires
La politique américaine à l'égard du conflit israélo-palestinien a notablement évolué depuis l'entrée en fonction de l'actuelle administration en janvier 2001. Tout d'abord caractérisée par un certain « laisser-faire » contrastant avec l'activisme de la présidence Clinton, elle est revenue en direction d'une implication plus directe, avec la confirmation de principe de l'objectif d'un futur Etat palestinien mais des prises de position qui, sur le terrain, confortent largement le gouvernement israélien.
L' impression d'hésitation qui a été ressentie en Europe durant plusieurs mois a été confirmée par plusieurs interlocuteurs de la délégation.
Pour un parlementaire démocrate rencontré au Congrès, l'administration Bush a délibérément voulu prendre, dès son arrivée, le contre-pied de la présidence Clinton en s'efforçant de s'impliquer le moins possible sur ce dossier. La précédente administration aurait en quelque sorte gaspillé son énergie pour de piètres résultats. Selon ce parlementaire, le récent retour dans le jeu des États-Unis viserait surtout à éviter que la détérioration de la situation en Israël n'oblige à différer, ou ne compromette, une action contre l'Irak.
De plusieurs sources, il se confirme qu'avant même les attaques du 11 septembre 2001, l'élimination du régime de Saddam Hussein revêtait un caractère prioritaire pour une large partie de l'administration, qui ne souhaitait pas se laisser détourner de cet objectif et voir sa marge de manoeuvre restreinte par un engagement diplomatique sur les questions israélo-palestiniennes.
Les évènements du 11 septembre ont renforcé cette détermination, mais dans le même temps, du fait notamment du durcissement de la politique israélienne, ils ont créé dans la région un climat moins favorable à une action à l'encontre de l'Irak.
Au-delà de cette première appréciation, la délégation a ressenti à travers ses divers contacts qu' une ligne claire peinait à s'imposer , du fait notamment d' influences contradictoires sur l'exécutif américain .
Au Département d'État , les responsables rencontrés par la délégation ont estimé que l'opinion européenne n'avait pas lieu de s'émouvoir d'une quelconque ambiguïté dans la politique américaine. Ils ont rappelé les positions très claires exprimées par le Président Bush , devant l'assemblée générale des Nations Unies à l'automne 2001, puis de nouveau en avril dernier, en faveur de l'existence de deux Etats , Israël et la Palestine , vivant côte à côte dans des frontières sûres.
L'accent a été mis sur les efforts déployés par le Secrétaire d'État Colin Powell, visant à relancer le dialogue entre les deux parties, grâce à une médiation internationale. Sa proposition d'organiser une conférence internationale de courte durée, suivie de négociations bilatérales entre les deux parties, a été présentée à la délégation comme le moyen de réamorcer le dialogue.
Pour un proche collaborateur de Colin Powell, il importait d'emblée de donner une perspective politique claire aux palestiniens, qui ne pouvait être que la constitution de leur propre Etat. Dans l'immédiat, l'objectif serait de favoriser la reconstruction de l'Autorité palestinienne, et notamment de restaurer ses capacités en matière de sécurité. Cette analyse des responsables du Département d'État ne semblait pas impliquer - du moins est-ce l'impression ressentie par les membres de la délégation - l'éviction de Yasser Arafat de ce processus, en dépit de la remise au Président Bush par le Premier ministre israélien d'un rapport mettant, semble-t-il, en cause le leader palestinien dans les attentats terroristes, à la fois « par action et par omission ».
Il est toutefois apparu à la délégation que la voie équilibrée défendue par le Secrétaire d'Etat n'emportait pas l'adhésion de l'ensemble de l'exécutif . Cela était par exemple visible au flou entourant le projet de conférence internationale, dont ni la date, ni le format, ni l'ordre du jour n'ont fait l'objet d'informations précises.
Le manque d'unité de vue au sein de l'exécutif a été souligné, au Congrès, par un parlementaire républicain proche de Colin Powell, conscient que la politique américaine au Proche-Orient donnait l'impression de « varier d'un jour à l'autre ». D'autres experts de diverses sensibilités ont porté un jugement analogue.
Il semble en effet que le Département d'État se soit heurté à des positions plus franchement pro-israéliennes de conseillers du Président et de responsables du Département de la défense. L'influence du Pentagone sur la conduite de la politique étrangère constitue d'ailleurs une caractéristique de l'actuelle administration. Enfin, au sein du Congrès, les parlementaires soutenant la ligne modérée de Colin Powell représentent une opinion très minoritaire, une majorité se dégageant en faveur d'une ligne dure vis à vis de Yasser Arafat et des Palestiniens. Ces divergences ont d'une certaine manière paralysé l'action de l'exécutif américain, entravant l'émergence d'une ligne claire et d'initiatives de nature à débloquer la situation.
Ce n'est qu'à la fin du mois de juin que s'est véritablement affirmée une doctrine plus précise.