II. ENCOURAGER LE TOURISME DE MONTAGNE COMME VECTEUR ÉCONOMIQUE DU DÉVELOPPEMENT LOCAL
Les origines du tourisme montagnard remontent au XIXème siècle et renvoient au concept de la montagne « réserve de santé ». Jusqu'au début du XXème siècle, où l'initiative privée a suscité les premiers engouements pour les sports d'hiver, le tourisme de montagne est resté principalement estival. C'est après la seconde guerre mondiale, et tout particulièrement dans les années 1960 à 1980, que l'Etat a stimulé juridiquement et techniquement le développement des grandes stations de ski, et, au nom de la « rénovation rurale », des petites stations-villages, sans toujours bien éclairer les élus sur les risques financiers supportés par les collectivités locales dans ce processus à haute intensité capitalistique.
Le tourisme de montagne est aujourd'hui confronté à deux grands défis. En premier lieu, la croissance touristique mondiale s'annonce, d'après les prévisions, très rapide pour les prochaines décennies. Ce marché en forte croissance s'est caractérisé, au cours des cinq dernières années, par une mondialisation accrue, avec notamment un élargissement de la palette des choix de destinations offertes aux consommateurs.
En outre, la clientèle touristique a évolué, remettant assez sensiblement en cause les schémas traditionnels de l'offre touristique. L'aménagement et la réduction du temps de travail modifient les comportements, avec une progression des très courts séjours, une recherche de tarifs compétitifs mais également une demande de loisirs plus diversifiés et une exigence de qualité. Simultanément, on constate une progression du tourisme dit « éthique » et la montée des préoccupations de sécurité avec « l'obsession du risque zéro ».
Les équilibres traditionnels du tourisme de montagne sont ainsi amenés à se transformer pour répondre à une concurrence et à une demande de qualité accrue.
La question d'un développement durable du tourisme restait centrale pour la montagne, mais il convient de dépasser l'alternative entre l'aménagement « ravageur » et « l'intégrisme » écologiste pour prendre en compte d'autres approches essentielles :
- le tourisme de montagne est en étroite relation avec tous les autres secteurs qui font vivre les massifs : l'agriculture, l'artisanat, le commerce, les transports, les services publics et la culture ;
- en montagne, comme dans le reste de la France, il convient de réfléchir à une meilleure distribution des flux touristiques qui ne bénéficient qu'à une proportion trop faible du territoire
- ce tourisme doit être organisé localement mais nécessite, pour garantir la viabilité économique des projets, une cohérence régionale, nationale, et européenne ;
- enfin, en montagne, où l'investissement touristique est d'un coût en moyenne bien supérieur à celui du tourisme littoral ou de plaine, la réflexion stratégique et les outils d'anticipation de l'avenir doivent faire preuve d' une performance exceptionnelle.
A. L'ESSOUFFLEMENT DE LA FRÉQUENTATION TOURISTIQUE EN MONTAGNE
1. Les signes du plafonnement des parts de marché de la montagne
a) Un parti pris de réalisme dans l'interprétation des statistiques
Selon l'affichage statistique habituel, la France est la « première destination touristique mondiale » avec 75,6 millions de touristes en 2000 et 76,5 millions de touristes pour 2001.
La mission commune d'information a constaté que cette méthode de présentation ne donnait pas une image totalement fidèle de l'impact économique de ce secteur sur les comptes des entreprises car une proportion non négligeable de ces 76 millions de « touristes » se déplace en France, et notamment dans les zones montagnardes, mais n'y séjourne pas.
L'indicateur pertinent concerne plutôt le chiffre d'affaire : avec 6,3 % (dont le dixième réalisé en montagne) des recettes mondiales du tourisme, la France se situe devant l'Italie (5,7 %) et légèrement derrière l'Espagne (6,5 %). Avec 51 millions d'arrivées aux frontières contre 76 millions en France, les Etats-Unis enregistrent des recettes touristiques internationales presque trois fois supérieures (17,8 %).
Les efforts à mener en matière d'accueil et d'adaptation aux attentes des clients pour que les « arrivées aux frontières » se transforment en « nuitées » ou en « vacances », c'est-à-dire au moins quatre nuits consécutives selon la norme européenne, ne sont pas spécifiques, en France, aux zones de montagne.
b) L'évaluation globale: 10 % du tourisme national, 120 000 emplois
La montagne française, qui représente 23 % du territoire métropolitain, rassemble 5,15 millions de lits touristiques dans l'ensemble des massifs dont 2,13 millions dans les communes support de stations.
Le poids économique du tourisme en montagne est considérable : on estime qu'il représente 9 milliards d'euros de chiffre d'affaires (60 milliards de francs), ce qui correspond à 10 % de la consommation touristique nationale. La clientèle étrangère représente un peu moins de 30 % de ce total.
Contrairement à une idée reçue, les recettes du tourisme d'été sont supérieures, en montagne, à celles du tourisme d'hiver : environ 5 milliards d'euros contre 4. En outre, les remontées mécaniques représentent 80 millions d'euros, soit 20 % des recettes du tourisme d'hiver. 19 ( * )
L'emploi touristique dans l'ensemble des stations d'hiver et d'été est estimé à 120.000 personnes, avec notamment :
- 17.839 employés des remontées mécaniques dont 3.546 permanents ;
- 12.000 moniteurs de ski en activité ;
- 27.000 salariés de l'hôtellerie-restauration ;
- 5.600 accompagnateurs en moyenne montagne ;
- 1.280 guides de haute montagne.
c) Les signes de l'érosion de la demande touristique en montagne
Compte tenu des statistiques disponibles, on peut noter une érosion de la fréquentation touristique en zone de montagne à travers un certain nombre d'indices.
La répartition des séjours en fonction du type d'espace20 ( * ) indique qu'en 2000 la montagne était devenue, en France, toutes destinations confondues la quatrième destination avec 14,8 % des séjours après la ville (53,7 %), la mer (47,4 %), et la campagne (16,9 %) -le total étant supérieur à 100 % car plusieurs espaces pouvant être fréquentés lors d'un même séjour-.
La dernière étude de conjoncture touristique publiée en mai 2002 sur les intentions de départ des français pour l'été 2002 confirme que la mer reste l'endroit préféré pour passer les vacances d'été suivie de la campagne, des grandes villes et de la montagne. Les évolutions par rapport à 2001 font apparaître une baisse de 5 % des intentions de départ à la mer et en montagne au profit des grandes villes : +8 %, et de la campagne : +2 %.
Les chiffres publiés en 1997 par le Service d'études et d'aménagement touristique de la montagne (SEATM), selon une méthodologie statistique très sensiblement différente, plaçaient en 1994 la montagne au deuxième rang des séjours de vacances après la mer mais devant la ville et à peu près à égalité avec la campagne.
Les taux de départ des français aux sports d'hiver ( recensés par la direction du tourisme et la SOFRES) ont globalement décliné entre 1995 et 2001 en passant, pour les longs séjours, de 8,6 % à 7,1 % tandis que les courts séjours ont connu une stabilisation autour de 1,8 %.
Cette évolution n'est pas spécifique à la montagne puisque, de manière générale, les taux de départ des français en vacances d'hiver (toutes destinations confondues) ont baissé entre 1995 et 2001 en passant de 40,7 % à 36,7 %. Cependant, d'après ces chiffres, qui corroborent les observations de terrain, le repli des sports d'hiver est plus accentué que celui des vacances d'hiver.
Le tourisme en montagne des enfants, mesuré par l'évolution des séjours collectifs, a sensiblement diminué . D'après les statistiques du SEATM, la Haute Savoie, bien qu'étant le premier département d'accueil, a subi -entre 1994 et 1999- une réduction de sa fréquentation pour les séjours des mineurs, de près d'un cinquième (18 %).
Le tableau ci-après détaille l'évolution de la fréquentation pour les séjours des mineurs dans les six premiers départements touristiques de montagne.
Source : Les chiffres clés du tourisme de montagne 3 ème édition mai 2002. Service d'études et d'aménagement touristique de la montagne.
La lecture de ces chiffres renforce la conviction de votre rapporteur quant au rôle fondamental des classes de neige pour développer chez les jeunes générations le goût des sports d'hiver. De ce point de vue, la fonction des petites stations de ski est irremplaçable pédagogiquement et économiquement : les classes de neige d'aujourd'hui sont le vivier de la clientèle future des grandes stations de ski.
Proposition n° 31. : Intensifier l'action collective en faveur des jeunes et relancer, en particulier, les classes de neige. |
Il convient de noter que, selon un certain nombre d'indices, le fléchissement de la fréquentation des stations de haute montagne en hiver et en été s'est, selon certains indices, accompagné d'une augmentation du tourisme diffus en moyenne montagne, moins concentré par nature.
2. Les caractéristiques des séjours en montagne
a) L'évolution de la clientèle
Comme l'indiquent des enquêtes sociologiques conduites dans certaines stations, trois tendances de la fréquentation touristique peuvent être relevées :
- la fidélisation d'une clientèle attachée au site et, à la faveur de l'urbanisation de la vallée, cette clientèle devient massivement acquéreur de résidences secondaires ;
- l'apparition d'une clientèle nouvelle , souvent de nationalité étrangère, volontiers volatile notamment en hiver, de plus en plus exigeante au cours des décennies en matière de qualité des prestations et d'organisation des stations. Avec le temps et l'expérience, les touristes d'hiver deviennent de plus en plus attentifs à des facteurs pour lesquels certaines stations se trouvent pénalisées :
. le confort des installations : le parc d'hébergements marchands et de remontées mécaniques a vieilli ;
. la fonctionnalité de la station : les sites aménagés pour la pratique des sports d'hiver sont parfois dispersés et mal reliés les uns aux autres ;
- l'apparition de visiteurs effectuant de courts séjours ou même des visites à la journée ; ce phénomène est relativement récent ; il correspond à une évolution de l'organisation du temps des loisirs et à une nette amélioration de la desserte des vallées de montagne. Un peu partout, la durée des séjours touristiques tend à diminuer rapidement.
La notoriété et l'accessibilité des stations sont les déterminants essentiels de cette fréquentation.
b) La multiplicité des activités
La répartition des séjours dans l'espace montagnard, en fonction des activités pratiquées, place aux trois premières positions les visites de monuments, de sites et de musées (34,2 %), la promenade (32,2 %) et la randonnée pédestre (19,6 %).Viennent ensuite le ski alpin (17,7 %) et le ski de fond (4,2 %) 21 ( * ) .
Ce classement illustre la nécessité de la réhabilitation et de la mise en valeur de grands sites du patrimoine naturel et culturel montagnard soutenue par votre mission.
L'analyse des séjours par tranches d'âge indique que la montagne ne présente aucune spécificité notable par rapport à l'ensemble des espaces touristiques 21 ( * ) . Le marché des « seniors » qui représente aujourd'hui environ 40 % des séjours (22 % de 50 à 64 ans et 18 % de plus de 65 ans) est donc susceptible, selon certains professionnels, d'être mieux ciblé par le tourisme « doux ».
La durée moyenne des séjours est supérieure en montagne (7,3 nuitées) à la moyenne (5,8) ; les longs séjours (supérieurs à 4 nuits) représentent ainsi 67 % des séjours en montagne contre 48,2 % dans l'ensemble des espaces touristiques. D'après les observations de la mission commune d'information sur le terrain, il est vraisemblable que ces statistiques, publiées en mai 2002 mais fondées sur des recensements plus anciens, ne traduisent pas encore l'infléchissement à la baisse de la durée des séjours consécutif à l'aménagement et à la réduction du temps de travail.
c) Les modes d'hébergement
S'agissant du mode d'hébergement, le tourisme de montagne se distingue essentiellement de l'ensemble des espaces touristiques :
- par la place importante qu'occupe la location avec 17,2 % des modes d'hébergement contre 9,4 % en moyenne nationale ;
- et la fréquence -moindre en montagne- de résidences secondaires avec 37,1 % d'hébergement non marchand contre 56,5 % pour l'ensemble des espaces touristiques.
Il convient de préciser que ces proportions globales recouvrent des situations différentes par massifs : la prédominance de l'hébergement locatif est plus accentuée dans les Alpes du Nord, les Alpes du Sud et les Pyrénées tandis que la situation du Massif central se rapproche de la moyenne nationale avec une proportion plus élevée d'hébergements en résidence secondaire.
d) Les déséquilibres locaux
Les inégalités régionales de répartition des flux touristiques en montagne peuvent être, en partie, appréhendées par la carte suivante publiée par le SEATM.
Il faut souligner que le domaine skiable, qui représente 1 % du territoire montagnard, génère à lui seul directement presque un dixième du total des recettes touristiques de la montagne, en se limitant au chiffre d'affaires des remontées mécaniques. En doublant cette superficie pour y inclure l'immobilier de tourisme, on peut très approximativement estimer qu'en montagne la moitié du tourisme (d'hiver et d'été) se concentre sur 2 % de son territoire.
Tout en constatant que le tourisme de neige est par nature extrêmement concentré, ce qui limite à une zone très restreinte les éventuelles atteintes à l'environnement, la mission commune d'information estime qu'un certain rééquilibrage des flux touristiques à travers les massifs pourrait être obtenu par le développement du « tourisme diffus » en moyenne montagne .
3. Les raisons de l'essoufflement global de la fréquentation
a) L'aléa climatique
L'analyse du SEATM
Les données disponibles permettent de conclure à une tendance générale à la diminution de l'enneigement au cours des 40 dernières années. Toutefois, d'après les indicateurs du SEATM, les fluctuations d'une année sur l'autre sont beaucoup plus marquées que l'évolution à long terme.
L'avenir de l'enneigement et l'impact de l'augmentation de la concentration des gaz à effet de serre dans l'atmosphère est difficile à anticiper : différentes hypothèses ont été formulées à ce propos et plusieurs modèles numériques très complexes sont utilisés pour estimer cet impact. Les projections du changement climatique par les modèles donnent une fourchette de variation des températures globales à la fin du XXIe siècle comprise entre +1° et + 4,5°C 21 ( * ) . Les augmentations de températures simulées sur l'Europe sont généralement comprises entre +1° et + 3,5°C . Par ailleurs, la tendance générale des modèles est de simuler des précipitations plus importantes en hiver sur le nord de l'Europe et plus faibles en été sur le sud de l'Europe. Les cartes suivantes, à prendre avec précaution donnent une idée de l'impact sur l'enneigement d'un réchauffement de 1,8°C dans les Alpes et les Pyrénées , d'après le modèle CROCUS de Météo-France.
Les conclusions du rapport de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques
Dans son rapport d'information n°224 (2001-2002) consacré à l'évaluation de l'ampleur des changements climatiques, de leurs causes et de leur impact prévisible sur la géographie de la France à l'horizon 2025, 2050 et 2100, M. Marcel Deneux, au nom de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques commente, sur la base des mêmes modèles météorologiques, les estimations de l'évolution de la couverture neigeuse dans les Alpes et les Pyrénées en indiquant :
« Les altitudes les plus basses seraient particulièrement concernées, alors qu'au dessus de 2.000 mètres et, a fortiori de 2.500 mètres, l'enneigement en hiver serait peu touché.
De même, la diminution du nombre de jours où la hauteur de neige est supérieure à 20 cm serait réelle au-dessous de 2.400 mètres, notamment, lors des périodes très touristiques allant du 20 au 31 décembre et du 15 au 30 avril ; ce phénomène étant davantage marqué en hiver qu'au printemps.
L'étude citée de la MIES considère que « des problèmes se poseraient aux stations ne disposant pas de domaine de haute altitude (quel que soit le massif : Alpes, Pyrénées, Massif central, Jura, Vosges). Il n'y a pas de régions favorisées ou défavorisées a priori. Certes, l'enneigement est plus faible à altitude égale dans les Alpes du Sud et les Pyrénées que dans les Alpes du Nord, mais les stations de sports d'hiver sont également situées plus haut . ».
Sans contester l'importance fondamentale de l'aléa climatique, votre mission note que, d'après certains observateurs, la variabilité des goûts de la clientèle a un impact au moins aussi important sur le chiffre d'affaires touristique que la variabilité du climat.
b) L'accessibilité de la montagne et la concurrence des « destinations soleil »
Comme l'a indiqué à votre mission l'Assemblée Générale des Offices de Tourisme de Haute Savoie, la forte concurrence des « destinations soleil » est notamment liée au phénomène de raccourcissement des distances dû à la modernisation des transports et à la baisse du coût des billets d'avion. De ce point de vue le désenclavement de la montagne et l' accélération de l'accès aux stations est une des conditions fondamentales de l'avenir du tourisme dans ces zones. De manière plus générale, la réduction et l'aménagement du temps de travail et les goûts de la clientèle impliquent un changement de logique en remettant en cause le schéma traditionnel de la semaine de vacances du « samedi au samedi ».
c) Le coût élevé des séjours en montagne
L'offre touristique est relativement chère en montagne : comme le détaille le tableau ci-après, le coût moyen d'une « nuitée » à la montagne en 2001 varie, selon la durée du séjour entre 45 et 82 euros sans pratique du ski et entre 64 et 122,40 euros pour les séjours incluant le ski.
* 19 Intervention du 5 février 2001 de Mme Michelle Demessine devant le Conseil national de la montagne.
* 20 Les chiffres clés du tourisme de montagne 3 ème édition mai 2002. Service d'études et d'aménagement touristique de la montagne
* 1 et 2 Les chiffres clés du tourisme de montagne 3 ème édition mai 2002. Service d'études et d'aménagement touristique de la montagne.
* 21 Source GIEC : Groupe d'experts Intergouvernemental sur l'Evolution du Climat