M. Emmanuel Hoog, président de l'Institut national de l'audiovisuel (INA)
Les
contenus audios et visuels de demain ne peuvent s'appuyer sur un espace qui
serait frappé d'amnésie...
Pendant très longtemps, la question du patrimoine audiovisuel n'a pas
été vraiment discutée, parce qu'on l'estimait que ces
contenus d'hier ne pouvaient être revus et réécoutés
à l'infini, leurs supports n'étant pas
« mortels ».
La question est d'importance, puisqu'elle touche aux capacités de
création de demain. L'espace audiovisuel est, en effet, celui où
se retrouvent les différents publics, celui où la mémoire
collective s'est le plus largement construite depuis quelque soixante ans.
Radio et télévision ont été non seulement
témoins, mais aussi acteurs : « Intervilles »,
les conférences de presse du Général de Gaulle ou les
feuilletons mythiques nous prouvent qu'elles touchent à des espaces
très intimes des mémoires individuelles et collectives.
Jusqu'il y a cinq ou six ans, les productions étaient construites sur
des supports analogiques qui se détériorent : le monde va
ainsi perdre une partie de sa mémoire, d'autant que les techniques de
préservation de ces produits coûtent cher.
La France, grâce à l'INA, est très bien placée dans
le domaine de la conservation de ce patrimoine
via
son transfert sur
supports numériques, plus stables. Etant détaché du monde
des diffuseurs, l'INA peut se consacrer exclusivement à cette fonction.
Malheureusement, à cause de la pression des contenus, les diffuseurs ont
des difficultés à procéder à l'arbitrage entre
l'alimentation des écrans, la politique de création des contenus
et le maintien en état du patrimoine.
Les volumes sont évidemment très importants :
1,7 million d'heures de produits radiotélévisés sont
rassemblées à l'INA, qui est l'une des deux ou trois plus grandes
concentrations de ce type au monde.
L'avenir de la télévision passe incontestablement par une
définition de la politique vis-à-vis de son passé.
La BBC et la RAI sont aussi engagées dans des politiques assez fortes en
ce domaine, mais encore en deçà de ce qui est mis en oeuvre
à l'INA. Le reste du monde, y compris le territoire américain,
est encore à l'état balbutiant face à ce problème
de numérisation du stock analogique.
Jusqu'où pourrons-nous conserver cette mémoire ? Doit-on
tout conserver ? Comment sélectionner ce que l'on doit garder ou
pas ? Telles sont les grandes questions qui se posent à nous
aujourd'hui.