M. Jean-Claude Allanic, médiateur de la rédaction de France 2
Pour ma
part, j'aborderai la question de manière plus empirique, à partir
du courrier que peut recevoir le médiateur que je suis.
Le médiateur est un peu le bureau des doléances, voire le
« bureau des pleurs ». Nous mesurons plus un indice
d'insatisfaction qu'un indice de satisfaction...
Je précise que -grâce à la redevance !- France 2 a les
moyens de se payer deux médiateurs : une médiatrice des
programmes, Geneviève Guicheney, et un médiateur de
l'information, moi-même. Je parlerai donc plutôt de ce qui concerne
l'information.
Notons tout d'abord que « Madame Bovary » a
été en son temps considérée comme une oeuvre quasi
pornographique : ceci nous rappelle que les contextes
évoluent ! Sur les thèmes du sexe et de la pornographie, les
interventions auxquelles je peux avoir à faire ne sont que peu
pertinentes. Je me souviens avoir reçu un courrier concernant la
diffusion d'images d'une publicité lors d'un journal
télévisé : cette publicité pour Yves
Saint-Laurent représentait un jeune homme nu. Un
téléspectateur disait avoir été choqué par
cette diffusion inopinée, alors qu'il regardait le journal
télévisé avec sa mère, sa femme et sa fille...
J'espère que sa mère et sa femme savent encore de quoi il s'agit,
et je souhaite à sa fille qu'elle en prenne connaissance !
Concernant les magazines d'information, nous recevons un certain nombre de
courriers à propos de sujets sur la prostitution, mais cela touche plus
le domaine de la violence pure que celui de la sexualité.
Sur les quelque 36 000 messages que je reçois par an, 10 %
environ concernent la question de la violence. Les thèmes changent, et
la violence elle-même est sujette à des perceptions diverses.
«
Tout journal de la première à la dernière
ligne n'est qu'un tissu d'horreurs : guerres, vols, impudicités,
tortures, crimes des princes, crimes des nations, crimes des particuliers, une
ivresse d'atrocités universelle. C'est de ce dégoûtant
apéritif que l'homme civilisé accompagne son repas chaque matin.
[...] Je ne comprends pas qu'une main pure puisse toucher un journal sans
dégoût
». Cette citation est de... Charles
Baudelaire ! Je vous laisse apprécier.
Qu'est-ce donc qu'une image violente ? Les courriers des
téléspectateurs nous montrent que les choses ne sont pas si
simples.
La définition « classique » se base sur les guerres,
les cadavres, les blessés, les victimes d'attentats, le sang. Les sujets
exemplaires en sont l'Afghanistan, les attentats en Israël, Bali, AZF
à Toulouse, la faim dans le monde, etc. Le public dit explicitement que
tout cela est trop violent, et il le dit essentiellement au nom de ses enfants.
On nous reproche de ne pas nous rendre compte de l'impact des images
d'information diffusées à l'heure des repas, au moment où
la famille est réunie. Il est vrai qu'en France on regarde
fréquemment la télévision en mangeant, matin, midi ou
soir. Je réponds à cela qu'il suffit de ne pas regarder la
télévision à ce moment là -ce n'est pas la
réponse officielle de la chaîne, bien entendu ! -, ou alors,
je suggère de dialoguer, justement, puisque la situation s'y
prête. Précisons que les présentateurs mettent en garde les
téléspectateurs lorsque des images particulièrement dures
risquent de choquer les plus jeunes publics, ceci selon la charte de l'antenne
élaborée à l'initiative de Marc Tessier. Si les gens
abandonnent l'écran après une telle mise en garde, c'est que nous
tombions effectivement dans le voyeurisme. Mais il s'agit de prévenir,
et surtout de préciser que si nous diffusons telle ou telle
séquence, c'est que cela nous semble significatif et prétexte
à débat. En ce sens, j'ai beaucoup apprécié
l'expression de Claire Brisset parlant de
« déminage » de la violence des images. Il faut en
effet « déminer » et décrypter
immédiatement, par une intervention-analyse
a posteriori
.
Mais attention : montrer une guerre sans victimes, ce n'est plus combattre
la violence, c'est faire de la désinformation ! La violence doit
être montrée, y compris dans un journal
télévisé. Pourquoi montrer des enfants qui meurent de
faim ? Parce que l'on assume. Il faut que cela dérange, aussi.
Notre monde n'est pas celui de Walt Disney ! Des enfants y souffrent, des
enfants y meurent. Ce message, sans les traumatiser, doit tout de même
passer auprès de nos propres enfants, de manière à en
faire des citoyens responsables.
Après cette violence « classique », j'ai
été frappé des courriers que j'ai reçus concernant
les bûchers d'animaux au moment de l'épidémie de
fièvre aphteuse. Nous arrivons ici à des relations plus
complexes, avec les bûchers du Moyen-âge, les rapports entre la vie
la mort, entre les animaux et l'homme, etc. La symbolique pouvait être
très violente pour le téléspectateur.
Nous avons reçu aussi des courriers concernant les plans sociaux, de
chez Danone et de chez LU notamment. Les reportages ont été
perçus comme violents.
Une émission a été consacrée à la
publicité de EGG, dont deux séquences ont beaucoup heurté
les téléspectateurs : dans l'une un petit chat était
jeté du haut d'un immeuble, dans l'autre un individu était
poursuivi au lance-flammes...
Nous trouvons ensuite des violences que l'on peut qualifier
« d'exemplaires ». Des reproches sont exprimés
notamment à partir de reportages sur l'insécurité, sur les
banlieues, sur les viols collectifs, la drogue, etc. Si l'on présente un
jeune
dealer
qui annonce ce que cela lui rapporte, qui précise
qu'il ne paye pas d'impôt et qu'il ne voit donc aucune raison d'aller
travailler pour ne toucher que le SMIC, nous le montrons en estimant qu'il est
intéressant de révéler qu'une telle mentalité peut
exister au moins dans une petite partie de la jeunesse. Les
téléspectateurs nous disent alors qu'il faut se rendre compte de
l'impact d'un tel « modèle » que l'on propose aux
jeunes.
De même, lors d'un reportage concernant un viol collectif, la mère
d'un des violeurs hurlait devant la caméra que c'était la
violée qui aurait dû se retrouver en prison. Les
téléspectateurs ont ressenti cela comme une agression très
forte à l'égard de la société, mais aussi comme une
prise de position en faveur de ces délinquants.
Ces exemples nous montrent que l'impact n'est pas toujours celui auquel on
pourrait penser au premier abord.
Enfin, beaucoup de réactions nous sont parvenues à propos de
l'insécurité et de l'impact de son traitement
télévisuel. Il est vrai que l'on en a beaucoup parlé...
Une affaire est significative : celle de Papy Voise, à
Orléans. Il a été dit que nous aurions insisté
pendant plusieurs jours, dans le journal de 13 heures, sur
l'irresponsabilité du gouvernement en place qui aurait laissé
s'installer ce climat d'insécurité aboutissant à de tels
actes. À l'observation du conducteur, on remarque que ce journal de
13 heures n'a jamais abordé l'affaire. Elle a été
traitée uniquement le samedi, à 13 heures et à
20 heures, et jamais en ouverture de journal.
Il arrive ainsi que l'on nous prête un impact que nous n'avons pas
forcément. Et pour cause !
Débat avec la salle