C. UNE MEILLEURE IDENTIFICATION DES COÛTS DE CERTAINES POLITIQUES PUBLIQUES
Votre commission des finances souhaite que les coûts des politiques publiques soient connus, afin d'être en mesure d'effectuer des comparaisons dans le temps et dans l'espace (« benchmark ») et de prendre des décisions de manière éclairée. Ce souhait implique de mieux découper certains programmes. Toutefois, votre commission des finances relève que la LOLF n'a pas entendu limiter les indications concernant le coût des politiques publiques aux données figurant dans la nomenclature du budget de l'Etat. En effet, son article 27 dispose que l'Etat « met en oeuvre une comptabilité destinée à analyser le coût des différentes actions dans le cadre des programmes ». Cette comptabilité devra permettre, par la réimputation des coûts rattachables à une politique publique, de compléter l'information du Parlement en faisant apparaître les coûts complets des politiques qui ne résulteraient pas de la seule lecture du budget de l'Etat.
1. L'enseignement supérieur et la recherche
La recherche ne paraît pas, selon votre commission des finances, traitée de façon satisfaisante par la maquette présentée par le gouvernement. La mission « Recherche et enseignement supérieur universitaire » présente deux défauts :
- elle laisse de côté un certain nombre de grandes écoles telles les Mines, les Ponts et chaussées, Polytechnique, ou encore les écoles supérieures dépendant des ministères de la culture et de l'agriculture, qui relèvent pourtant bien de l'enseignement supérieur ;
- elle ne permet pas d'isoler les crédits que la collectivité consacre à la recherche universitaire . Bien que consciente des objections techniques qui résultent du fait qu'il est difficile de répartir sur des bases fiables et objectives l'activité des enseignants-chercheurs entre enseignement et recherche, votre commission des finances a estimé qu'il était indispensable d'éclater entre ses deux pôles le premier programme « Formations supérieures et recherche universitaire ». Elle considère en effet que les dépenses de formation et de recherche correspondent à des objectifs différents, et doivent en conséquence pouvoir être évalués de manière distincte.
Certes, votre commission va ainsi à l'encontre d'un principe de la direction de la réforme budgétaire consistant à ne pas répartir le personnel entre deux programmes sur une base analytique, dès lors que celle-ci n'est pas établie de façon vérifiable. Toutefois, ce choix lui est apparu comme allant dans la bonne direction et comme devant encourager tant les universités à mieux connaître leurs coûts que la collectivité nationale à savoir quels sont les moyens budgétaires qu'elle consacre à la recherche. Dans ce système, les clés forfaitaires, et donc arbitraires, devront assez rapidement laisser place à l'avenir à une ventilation des coûts en fonction des moyens réellement affectés à chaque action, une fois que les instruments adéquats seront opérationnels.
L'absence d'identification précise des moyens consacrés à la recherche
Le début de l'année 2004 a été marqué par une vive polémique concernant l'évolution des moyens consacrés à la recherche dans notre pays, provoquée par une pétition intitulée « Sauvons la recherche ». Cette polémique portant sur les moyens consacrés à la recherche publique en France a souligné les difficultés d'appréhender de manière précise et consensuelle le périmètre des crédits y contribuant.
Dans un rapport d'information sur les universités 42 ( * ) au nom du comité d'évaluation des politiques publiques et de votre commission des finances, notre collègue Yves Fréville indiquait ainsi en 2001, au sujet du budget de la recherche :
« Il convient de rappeler, de façon préalable, que les organismes de recherche, tel le CNRS, reçoivent de l'Etat une subvention globale sur laquelle ils rémunèrent leurs personnels, titulaires et contractuels, alors que les universités reçoivent des subventions de fonctionnement hors crédits de personnel, ceux-ci étant gérés directement par l'administration centrale. L'ensemble des recrutements reste cependant soumis au visa du contrôleur financier central dans les deux cas.
« De cette politique générale, il résulte que la présentation des dotations budgétaires consacrées à la recherche en France est médiocre car peu lisible. Elle prend en effet l'apparence d' « enveloppes » de crédits successives, imbriquées les unes dans les autres ».
Le choix de votre commission des finances témoigne d'une double volonté d'une présentation plus claire des crédits destinés à financer la recherche publique et l'enseignement supérieur et d'encouragement à la réforme de l'organisation des universités et de la recherche scientifique.
Les modifications qu'elle propose, s'agissant de cette mission, sont donc substantielles :
- l'élargissement du périmètre de la mission au programme « Enseignement supérieur et recherche agricoles » de la mission « Agriculture, pêche et affaires rurales » et aux grandes écoles relevant respectivement des ministères de la défense, de l'économie, des finances et de l'industrie, de l'équipement et de la culture ;
- l'inscription au sein de deux programmes distincts des crédits relatifs aux formations supérieures et de ceux relatifs à la recherche universitaire ;
- l'exclusion du programme « Recherche culturelle et culture scientifique » des actions relevant de la diffusion culturelle et de la vulgarisation scientifique (en particulier, les crédits de la Cité des sciences et de l'industrie), qui seraient rattachées au programme « Transmission des savoirs et démocratisation de la culture » de la mission « Culture » 43 ( * ) .
2. Les dégrèvements et remboursements d'impôts
La nomenclature budgétaire présentée le 21 janvier 2004 prévoit la création d'un programme « Remboursements et dégrèvements d'impôts (crédits évaluatifs) » au sein de la mission « Engagements financiers de l'Etat ». Ce programme regrouperait environ 60 milliards d'euros. S'il constitue donc à l'évidence un « méga-programme », il ne soulève pas pour autant les mêmes problèmes que les programmes dont votre commission des finances vous a proposé la scission (cf. supra ). En effet, s'agissant de crédits évaluatifs dont la consommation est « automatique » et dépend à la fois des textes législatifs et de la situation socio-économique, le suivi de leur gestion n'est pas en cause, pas davantage que l'exercice du droit d'amendement par le Parlement.
Le gouvernement a souhaité, en créant la mission « Engagements financiers de l'Etat », regrouper les crédits évaluatifs, ou dont la consommation est « automatique » s'agissant des autres programmes (« Primes d'épargne », « Majoration de rentes », « Versement à la Caisse nationale d'allocations familiales »). Il s'agissait notamment d'isoler les crédits évaluatifs des crédits limitatifs, afin d'éviter que les parlementaires ne proposent, par voie d'amendement, d'accroître les crédits limitatifs d'un programme à partir d'un programme constitué de crédits évaluatifs. Telle a été la principale objection formulée par le gouvernement au sujet des propositions de modifications de votre commission des finances.
Il convient donc en premier lieu d'éclaircir ce point, l'article 47 de la LOLF ne prohibant pas de manière explicite le fait de gager un amendement par des crédits évaluatifs. Cette objection n'est toutefois pas fondée, car il paraît évident à votre commission des finances qu'un tel amendement ne serait pas conforme à l'article 40 de la Constitution et ne serait donc pas recevable, puisqu'il aurait pour conséquence la création ou l'aggravation d'une charge publique.
Les modifications de la nomenclature budgétaire qui vous sont proposées sur ce point tiennent à une volonté d'accroître la lisibilité des dépenses de l'Etat. Le programme « Remboursements et dégrèvements d'impôts » est, par définition, hétéroclite, puisque les dépenses qu'il regroupe résultent notamment de textes législatifs participant de politiques publiques différentes. Si le fascicule des charges communes, sorte de « fourre-tout » dans l'actuelle nomenclature budgétaire, disparaît, une part importante de ses crédits se retrouverait dans ce programme « Remboursements et dégrèvements d'impôts ».
D'une part, votre commission des finances souhaite inclure les dégrèvements législatifs d'impôts locaux dans un nouveau programme de la mission « Relations avec les collectivités territoriales ». Elle s'appuie notamment sur les travaux de notre collègue Yves Fréville portant sur les dégrèvements de taxe d'habitation et de taxe professionnelle.
Dans son rapport d'information sur les dégrèvements de taxe d'habitation 44 ( * ) , notre collègue Yves Fréville indiquait ainsi :
« La taxe d'habitation n'est plus un vrai impôt local : la moitié des contribuables ne paie plus ou ne paie que partiellement cet impôt qu'en fonction de leurs revenus, sans que subsiste un quelconque lien avec l'impôt sur l'habitation voté par les collectivités locales.
« Un coin fiscal à la charge de l'Etat a été enfoncé entre la recette perçue par les collectivités locales et l'impôt payé par les contribuables. (...)
« Cette politique a (...) un impact financier qui obère les relations entre l'Etat et les collectivités locales. Sur le plan budgétaire, la montée en puissance des dégrèvements législatifs, de taxe d'habitation mais aussi de taxe professionnelle, au début de la dernière décennie ne pouvait qu'induire un freinage de la croissance des dotations d'Etat.
« Les dégrèvements législatifs, même s'ils sont d'abord des aides individuelles apportées à certains contribuables, constituent également des « subventions implicites » aux collectivités territoriales où résident ces contribuables ».
D'autre part, votre commission des finances estime plus significatif de ventiler le reste du programme « Remboursements et dégrèvements d'impôts » en fonction de ses finalités. Ainsi, tandis que les dépenses liées à la prime pour l'emploi rejoindraient la mission « Travail » et celles correspondant au crédit d'impôt recherche , la mission « Recherche et enseignement supérieur » , le reste des dégrèvements d'impôts figurerait soit dans un programme « Dégrèvements pour promotion économique » de la mission « Politique économique », soit dans la mission « Gestion et contrôle des finances publiques », dans un programme « Admissions en non valeur et remboursements de trop-perçus ». Ce « résidu » semble en effet à votre commission relever davantage de la gestion de l'impôt que des engagements financiers de l'Etat.
3. La restructuration de la mission « Transports » pour mieux en identifier les différents modes
Votre commission des finances a considéré que la proposition de nomenclature afférente à la mission « Transports » ne permettait pas d'individualiser de manière claire les différents modes de transport. En particulier, elle s'est interrogée sur la réunion, dans un même programme, du transport maritime et du transport fluvial. Elle propose donc que les moyens consacrés au transport fluvial soient individualisés au sein d'un programme spécifique, de manière à permettre au Parlement de se prononcer sur l'allocation des moyens entre les différents modes de transport.
Dans le même esprit, elle a souhaité que le programme « Transports terrestres » ne comporte que les crédits relatifs aux transports collectifs et ferroviaires, afin d'individualiser les moyens qui y sont consacrés. Par conséquent, elle vous propose de renommer ce programme « Transports collectifs et ferroviaires », et d'en extraire les moyens qui ne correspondent pas à cet intitulé, qui pourraient être transférés vers l'un ou l'autre des programmes « Soutien des politiques d'équipement » et « Stratégie en matière d'équipement ».
4. Affiner l'information du Parlement
Votre commission des finances a estimé que certains aspects des politiques publiques, sans relever du niveau de spécialité que sont les programmes, doivent faire l'objet d'une information précise du Parlement. Elle souhaite ainsi que des actions spécifiques soient créées afin :
- d'identifier les crédits consacrés à l'« Action européenne », dans le programme « Action de la France en Europe et dans le monde » de la mission « Action extérieure de l'Etat », considérant que les interventions au sein de l'Union européenne relèvent d'une logique spécifique ;
- d'identifier les crédits consacrés à la promotion des « Territoires ruraux », dans le programme « Promotion de l'agriculture et du développement rural » que votre commission vous a proposé de créer au sein de la mission « Agriculture, pêche et affaires rurales », compte tenu de l'importance politique du devenir de ces territoires.
5. Des transferts de crédits assurant une plus grande homogénéité des périmètres ministériels
La LOLF n'a pas, en tant que telle, vocation à impliquer des modifications dans le périmètre des dépenses gérées par les différents départements ministériels. Or, il apparaît, de manière ponctuelle, que de tels transferts sont nécessaires pour assurer la cohérence des programmes, dont le périmètre est strictement ministériel, et reflète donc parfois des frontières anciennes dont la rationalité est incertaine. Votre commission des finances considère en particulier que le travail sur la nomenclature budgétaire doit permettre de revenir sur la distinction ancienne entre les crédits destinés à l'achat des denrées alimentaires entrant dans le champ de l'aide alimentaire, laquelle relève du ministère de l'agriculture, et ceux destinés à leur transport, pris en charge par le ministère des affaires étrangères.
a) Le regroupement des crédits destinés à financer l'aide alimentaire
Les crédits relatifs à l'aide alimentaire aux pays en voie de développement sont actuellement partagés entre le budget du ministère de l'agriculture et celui des affaires étrangères, le premier étant chargé de l'achat des denrées, et le second, de leur transport. Votre commission des finances considère que, s'agissant d'une même « chaîne de dépense », il est logique que les crédits relatifs à l'achat des denrées alimentaires et à leur transport soient fongibles, afin de permettre, par une gestion unifiée, une consommation optimale de ces crédits.
Elle propose donc de regrouper l'ensemble des crédits afférents à l'aide alimentaire au sein d'un même programme « Solidarité à l'égard des pays en développement » relevant du ministère des affaires étrangères.
b) Les subventions aux régimes de protection sociale pour l'outre-mer
Dans un souci de meilleure lisibilité et de cohérence des crédits consacrés à l'outre-mer, votre commission des finances vous propose également de transférer les subventions aux régimes de protection sociale du budget de la solidarité vers celui de l'outre-mer.
* 42 « Des universités mieux évaluées, des universités plus responsables », n° 54 (2001-2002), page 21.
* 43 En conséquence, le programme visé serait requalifié « Recherche culturelle ».
* 44 « La taxe d'habitation est-elle encore un impôt local », n° 71 (2003-2004).